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« A Paris-Saclay, on n’est pas à l’abri du succès. »

Le 8 octobre 2018

Suite de nos échos à l’inauguration de La Terrasse Discovery +x à travers le témoignage recueilli sur le vif d’Yves Tyrode, Directeur général en charge du digital du groupe Banque Populaire Caisse d’Epargne (BPCE).

– Si vous deviez commencer par revenir sur votre parcours…

Je suis ingénieur de formation, diplômé de Télécom ParisTech (promo 1991). J’ai eu la chance d’intégrer très tôt Orange [France Télécom, à l’époque] et de vivre le début de l’histoire du GSM. Puis j’ai créé une start-up que j’ai développée pendant trois ans. C’était à la fin des années 90… Je peux donc témoigner de la bulle internet et de son explosion intervenue au début des années 2000. Avec le recul, je ne regrette pas d’avoir connu cette autre réalité du monde numérique. J’ai eu la chance de réintégrer Orange et de participer à cette autre aventure qu’a été le lancement de Wifi, avant d’être rapidement en charge du lancement des produits Orange pour le monde entier : la Live Box, le paiement sur mobile en Afrique (Orange Money), la télé Orange, l’iPhone… Puis j’ai eu envie de reprendre une direction d’entreprise. C’est ainsi que je suis devenu le patron de voyages-sncf.com. J’en ai assuré toute l’industrialisation, mais aussi l’internationalisation car, contrairement à ce qu’on pourrait penser, le site n’est pas tourné vers le seul marché hexagonal : les ventes à l’étranger (en l’occurrence de billets de trains dans le reste de l’Europe ou d’autres parties du monde) ont représenté jusqu’à un quart du chiffres d’affaires du site. Puis j’ai eu en charge du digital pour l’ensemble du groupe SNCF, ce qui m’a valu d’en intégrer le Comex. Je suis depuis deux ans en charge du digital au sein de Banque populaire Caisse d’Epargne (BPCE), le 2e groupe bancaire en France.

– Qu’est-ce qui vous a décidé à rejoindre un groupe bancaire ?

Le Président du Groupe BPCE de l’époque, François Pérol [aujourd’hui Laurent Mignon] m’avait sollicité pour me confier le digital de l’ensemble du groupe. Il avait une vraie vision des enjeux du numérique au point de me proposer d’intégrer le comité de direction générale. Ce qui a achevé de me convaincre de vivre cette nouvelle aventure : on ne peut prétendre procéder à la transition numérique d’une grande organisation, sans une claire volonté de la direction générale. Deux ans après, je ne regrette toujours pas mon choix : je suis proprement passionné par ce que je fais ici, tant les opportunités et challenges et sont nombreux.

– Quelles sont les particularités du digital dans le secteur bancaire comparé aux domaines des télécommunications ou des transports que vous avez connus ?

Le digital n’a cessé de progresser par grands secteurs d’activité. Il y eu d’abord le commerce, affecté par le e-commerce, qui a modifié en profondeur les modes de consommation (non sans impacter nos villes sous l’effet des livraisons à domicile) puis les télécommunications, qui ont été totalement désintermédiées par les grands de l’internet – non sans imposer un changement complet de modèle économique. Les médias ont à leur tour été très vite impactés – à commencer par la presse, qui a particulièrement souffert du passage au numérique, qui a impacté non seulement son modèle économique, mais aussi la manière de produire l’information. La télé et la radio n’y ont pas échappé non plus. Personnellement, je ne suis pas loin de considérer que Facebook est en soi un nouveau média d’information et de divertissement. Est enfin venu le tour du secteur bancaire et financier. L’enjeu n’est plus seulement d’automatiser des activités de service, mais de répondre aux nouvelles exigences des clients. Ceux-ci aspirent à vivre avec leur banque les mêmes expériences qu’ils ont dans tout autre domaine. Les services bancaires doivent donc être accessibles depuis nos mobiles avec néanmoins pour les banques le défi de conserver une relation de proximité et, donc, de continuer à être présente physiquement au travers d’agences. Ce qui n’est pas sans amener à revoir le modèle économique mais aussi la conception de ces dernières.

– De fait, c’est bien un lieu physique innovant qui est inauguré aujourd’hui, démontrant à sa façon que même à l’heure du numérique, il y a besoin de pouvoir échanger en face à face…

Le digital n’est pas autre chose que cela : le fruit d’une longue histoire faite par des hommes et des femmes, qui entreprennent, innovent, en prenant le temps de se rencontrer, d’échanger, de combiner leurs compétences. D’ailleurs, qui pense digital dit aussi « expérience client », « satisfaction client »,… Autrement dit quelque chose qui touche à l’humain. L’erreur serait de ranger le digital du côté de la seule technologie. En réalité, le digital, c’est à la fois du technologique et de l’humain. Comment pourrait-il en être autrement ? C’est bien de cerveaux d’hommes et de femmes que sortent les technologies…

– Venons-en à Paris-Saclay et son écosystème à l’égard duquel vous éprouviez, ainsi que vous l’avez reconnu dans votre discours, un certain scepticisme…

Que voulez-vous, nul n’est infaillible ! L’important est de reconnaître ses erreurs et de savoir réviser son jugement. Du temps où j’étais étudiant, c’est à Paris que les choses semblaient devoir se passer. D’ailleurs, j’avais moi-même intégré une école parisienne. A l’époque, on n’imaginait pas faire ses études en dehors de Paris, au-delà du périphérique, sauf dans de grandes métropoles, et encore… Tant et si bien que, quand plus tard, Yves Poilane, le directeur de Télécom ParisTech m’a fait part de son intention de transférer l’école sur le Plateau de Saclay, je n’ai tout simplement pas compris !

– Qu’est-ce qui vous a amené à changer d’avis ?

De par mes activités professionnelles, je suis en contact avec de nombreux startuppers qui tous me tiennent à peu près ce discours : Paris, c’est effectivement The place to be, mais à condition d’en avoir les moyens ! Je suis aussi amené à me rendre sur Plateau de Saclay, pour échanger avec plusieurs des acteurs de l’écosystème. Même si je demande à être encore convaincu de la manière dont on en assure le marketing, force m’a été de reconnaître que son attractivité n’est plus à démontrer. Le terreau est manifestement devenu plus que fertile. A dessein, j’utilise le mot « fertile » : par là, je suggère qu’il n’en a peut-être pas toujours été ainsi (du moins au plan de l’innovation), mais qu’à force de patience, l’écosystème l’est devenu, en accueillant justement de nouveaux établissements de recherche et d’enseignement supérieur, et non des moindres : Centrale, ENS Paris-Saclay, Inria… Sans compter tous ceux appelés à le rejoindre – outre Télécom ParisTech, je pense à AgroParisTech – et ceux déjà présents de longue date (le CEA, Polytechnique…). Imaginez la concentration de cerveaux, de chercheurs, d’enseignants, d’entrepreneurs, d’étudiants ! Or, précisément, ce qui a fait la réussite de la Silicon Valley n’est pas autre chose que cela : une concentration de matière grise et de talents. Il n’y a pas de raison pour qu’il y en aille autrement avec Paris-Saclay. C’est dire si, nous, Groupe BPCE, nous devons bel et bien y être et qu’en accompagnant les innovateurs, nous ne soyons pas à l’abri du succès !

– Comment comptez-vous vous engager dans la valorisation de La Terrasse Discovery +x ?

Dès que j’ai pris mes fonctions, j’ai été approché par Luc Carpentier, le nouveau DG de Banque Populaire Val de France. Il voulait me fait part de sa volonté de s’investir dans l’écosystème et savoir si j’étais prêt à le suivre. Comment pouvais-je ne pas répondre par l’affirmative ! Il a une vraie vision entrepreneuriale, qui ne pouvait que me séduire. Sans compter que je connais plusieurs des responsables des grandes écoles présentes sur le Plateau de Saclay et peux donc jouer le rôle de facilitateur dans la prise de contact.

– Concrètement, comment envisagez-vous d’utiliser La Terrasse Discovery +x ?

En y amenant des cas d’usage pour les soumettre à des talents présents sur le Plateau de Saclay, à commencer par des étudiants en quête de problématiques à résoudre, dans le cadre de leur formation. Avec, à la clé, la création potentielle de start-up que nous ne demanderions qu’à accueillir dans notre fond d’investissement Truffle Financial Innovation.

– Reste que La Terrasse Discovery +x est située sur le Plateau de Saclay… Que dites-vous à ceux qui objectent les conditions d’accessibilité de ce dernier ?

Décidément, en France, on aime bien se flageller ! Regardons pourtant ce qui se passe ailleurs, dans la Silicon Valley, pour ne reprendre que le cas le plus emblématique d’écosystème technologique. Comment pensez-vous qu’on fasse pour aller de San Francisco à Moutain View ? Il n’y a pas d’autres moyens que la voiture ! Ramenons aussi les choses à leur juste proportion : le Plateau de Saclay n’est distant de Paris que de quelques dizaines de km. Et vous aurez pu constater que ces km n’auront pas empêché à plus de 200 personnes de venir assister à l’inauguration de La Terrasse Discovery +x. Bref, je ne crois pas que l’accessibilité du Plateau de Saclay soit le sujet. Les jeunes ont manifestement d’autres attentes. Le cadre de Paris-Saclay est propice à la maturation de leur projet et c’est pour eux l’essentiel. Ils y disposent d’espace en plus de la possibilité d’y rencontrer les bons interlocuteurs. Gardons encore à l’esprit que l’enjeu dépasse le cadre de Paris-Saclay. Ce sont on parle, c’est ni plus ni moins d’un atout pour la France. Personnellement, je suis convaincu que c’est en concentrant nos talents que nous renforcerons la compétitivité du pays. Le faire à Paris même n’a plus guère de sens : il y en a déjà suffisamment et puis, comme je le soulignais, ce serait au risque de rendre la ville encore plus inaccessible aux jeunes innovateurs. Sachons donc profiter de cet atout qu’est l’écosystème en cours de construction sur le Plateau de Saclay, en réfléchissant aux moyens de le renforcer plutôt que ne faire que pointer les défauts pour mieux justifier son propre immobilisme.

A lire aussi les entretiens avec Charles Cosson, directeur de La Terrasse Discovery +x (pour y accéder, cliquer ici) et Athanase Kollias, cofondateur de Kinvent, une start-up, qui a conçu une gamme d’instruments de mesure de la force humaine grâce à des dynamomètres de haute précision – un plus pour les kinésithérapeutes… et leurs patients. (cliquer ici).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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