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Transitions

Une chaire pour inventer les paysages de la transition énergétique.

Le 16 janvier 2017

Nourrir, à partir d’expérimentations, une réflexion commune entre paysagistes et énergéticiens autour des paysages de la transition énergétique. Telle est la vocation de la Chaire d’entreprises Paysage et Energie créée en avril 2015, au sein de l’Ecole Nationale Supérieure de Paysage (ENSP) de Versailles. Nous proposons de vous la faire découvrir à travers une série d’entretiens. A commencer par celui que nous a accordé Bertrand Folléa, responsable de cette chaire.

– Si vous deviez pitcher la chaire d’entreprises Paysage et Energie…

Je dirai que cette chaire, créée en avril 2015, est peut-être d’abord un pari, puisque qu’elle a vocation à croiser deux questions qui peuvent paraître de prime abord éloignées l’une de l’autre : celle du paysage, d’une part, celle des énergies, d’autre part. Le monde des paysagistes ne connaissant pas forcément le monde des énergéticiens et vice versa. Il s’agit donc de provoquer la rencontre entre des métiers différents, qui ont des regards et des compétences spécifiques et qui, pour ces raisons, gagnent à échanger davantage.

– Comment l’idée de ce pari a-t-elle germé ?

Elle est partie d’un constat assez simple : la transition énergétique concerne le cadre de vie des habitants et jusqu’à leur mode de vie. Seulement, le lien entre paysage et énergie n’avait pas été exprimé jusqu’à présent, si ce n’est par des réactions négatives, souvent passionnelles, notamment à l’occasion de projets comme l’installation d’éoliennes, pour ne prendre que l’exemple ayant le plus d’écho médiatique. Or la transition énergétique renvoie à des enjeux autrement plus complexes et plus riches que la question de savoir si on peut ou pas accepter des éoliennes devant sa fenêtre. Ces enjeux concernent ni plus ni moins le renforcement de la production d’EnR, l’amélioration de la sobriété énergétique, etc. Des enjeux qui dépassent les projets ponctuels pour finalement concerner l’ensemble d’un territoire et son aménagement.

– En quoi cette transition énergétique est-elle un défi pour les paysagistes eux-mêmes ?

Autant le reconnaître : les paysagistes ne sont pas, jusqu’à présent, entrés dans les problématiques de l’aménagement territorial, par la transition énergétique. Ce concept  n’est d’ailleurs pas enseigné dans les écoles de paysage. Cependant, ils ont pour eux d’avoir depuis toujours été soucieux d’inscrire de manière harmonieuse des éléments éparses dans un territoire, quels qu’ils soient, en établissant des relations avec ce qui fondent les qualités de ce territoire. De même, ils sont naturellement enclins à prendre en considération son économie, dans ses multiples dimensions – l’économie de l’espace, l’économie des moyens de gestion – en privilégiant une gestion en bon père de famille des ressources existantes. C’est dire s’ils sont prédisposés à répondre à l’exigence de sobriété inscrite dans la transition énergétique.

– S’agit-il de valoriser des énergies par rapport à d’autres, les énergies fossiles en l’occurrence ?

Oui, en se saisissant de la question de la transition énergétique, l’enjeu est bien de réduire l’usage des énergies fossiles. Si leur règne représente une période courte dans l’histoire de l’humanité et de la formation des paysages, force est de constater qu’elles ont été extraordinairement impactantes tant du côté des villes que des territoires ruraux, au travers des révolutions agricole et industrielle, de l’essor de l’automobile, etc.
Nul doute que d’autres paysages sont appelés à voir le jour à la faveur de la transition énergétique et du développement des EnR qu’elle promeut. Il était donc normal que les paysagistes se saisissent de cette question et ce, d’autant plus que promouvoir des alternatives au tout pétrole est une façon de répondre à des problématiques qu’ils n’ont eu de cesse de dénoncer depuis toujours, à savoir : l’étalement urbain, mais aussi la banalisation des espaces construits, la simplification des espaces agricoles, la dépendance au tout automobile, l’affaiblissement du lien social, la déperdition de la qualité des milieux naturels, etc.

– Que comptez-vous faire concrètement pour établir ce dialogue entre paysagistes et énergéticiens ?

Comme tout autre chaire, la nôtre a vocation à développer l’enseignement et la recherche. A quoi s’ajoute aussi celle de promouvoir la création. Comme nous n’en sommes encore qu’au tout début, nous avons mis l’accent sur l’expérimentation concrète, in situ, de façon à capitaliser une expérience partagée et produire progressivement un corpus de connaissances, qui pourra ensuite enrichir nos enseignements.

– Comment menez-vous concrètement cette démarche d’expérimentation ?

A travers ce que nous appelons des « ateliers pédagogiques régionaux ». Ils mêlent des enseignements dispensés en dernière année d’étude à l’ENSP (soit la quatrième, qui correspond à un post master). Pendant six mois, les étudiants travaillent en petits groupes de deux à quatre, encadrés par un enseignant professionnel, sur une question posée par un maître d’ouvrage, relative à une vraie étude de projet sur un site donné. Une demi douzaine d’ateliers de ce genre avaient été organisés, l’an dernier, au cours de la première année d’existence de la chaire. Ils ont traité de sujets aussi divers que la reconversion d’anciens sites industriels énergétiques (en Lorraine), la démarche de projet de paysage pour la transition énergétique en pays rural (en Bourgogne), le développement d’une trame paysagère et écologique liée aux emprises de lignes électriques haute tension entre deux parcs naturels régionaux (en Ile-de-France), l’inscription de lignes dans des paysages patrimoniaux (le Bassin minier, et en Haute-Savoie), les nouvelles relations d’une centrale thermique à son territoire (en Ardèche),… Une demi douzaine d’autres le seront cette année de sorte que nous aurons la possibilité de capitaliser sur deux ans d’expériences et une douzaine de territoires différents.
A ces ateliers, nous ajoutons des sessions plus courtes, sous forme de workshops, toujours dans l’idée de provoquer des échanges, cette fois entre des étudiants paysagistes et des étudiants d’autres disciplines. Deux de ces workshops ont été organisés l’an passé. L’un à l’occasion de l’assemblée générale du collectif du Paysages de l’après-pétrole, qui souhaitait nourrir ses réflexions des résultats de travaux menés conjointement par des étudiants de l’ENSP de Versailles et des élèves de l’Ecole d’architecture de Nancy, autour du site de la Colline de Sion-Vaudémont, en Meurthe-et-Moselle. L’autre workshop a concerné le parc naturel régional des Préalpes d’Azur. Organisé avec le concours d’Enedis, il se proposait de voir dans quelle mesure on pouvait développer des EnR au sein d’un tel parc, à la faveur de la création d’un poste source.
Ces réflexions in situ contribuent aussi à structurer progressivement un enseignement sur le thème des paysages de la transition énergétique, non sans soulever des questions de recherche.

– Qu’en est-il justement de l’axe recherche ?

Il se met progressivement en place. Pour l’heure, il consiste dans le soutien d’une thèse de Roberta Pistoni sur l’application territoriale de la notion de métabolisme urbain dans la perspective de la transition énergétique – une thèse sous co-tuelle du Laboratoire de recherche en paysage (Larep) de l’ENSP, et du Laboratoire pour la transition énergétique (NRGlab) de l’université de Wageningen [Pays-Bas]. D’autres thèses devraient être soutenues.

– Dans ce que vous dites, on retrouve des éléments de l’Adn, si l’on peut dire, de l’ENSP tant au plan de l’enseignement que de la recherche. Si valeur ajoutée de la chaire il y a, ne réside-t-elle pas dans l’élargissement de votre réflexion à des entreprises, à commencer par des énergéticiens ? Non pas tant pour répondre à leurs attentes, mais bien co-construire des connaissances sur les paysages de la transition énergétique ?

Notre chaire, la première du genre créée au sein d’une école du paysage, a, par définition, vocation à travailler avec des entreprises, non pas, en effet, pour répondre à des commandes, mais pour développer une connaissance partagée avec les paysagistes. Aujourd’hui encore, ces derniers travaillent principalement pour le compte de collectivités publiques, l’Etat et les collectivités territoriales. Ce qui au demeurant peut se concevoir : le paysage est a priori un bien commun et il est normal que les paysagistes œuvrent à sa conception et préservation avec les pouvoirs publics. Le paysage n’en est pas moins l’affaire de tous au sens où quiconque s’implante quelque part ne manque pas de le transformer. C’est bien évidemment le cas des entreprises en général et celles du secteur énergétique en particulier.

– Les énergéticiens ont-ils eux-mêmes conscience du défi ?

Oui, à l’évidence. Ils ont de longue date conscience de marquer le paysage à travers l’implantation de leurs équipements et infrastructures, non sans devoir parfois se confronter aux réactions des habitants concernés. D’où l’intérêt qu’ils ont manifesté pour le projet de la chaire. RTE figure d’ailleurs, parmi les membres fondateurs, tout comme EDF. On peut envisager cependant d’autres partenaires, y compris avec le monde associatif. D’ores et déjà, nous travaillons avec plusieurs associations : outre le collectif du Paysage de l’après-pétrole, déjà évoqué, nous sommes en lien avec négaWatt, qui œuvre à la transition énergétique en élaborant des scénarios, ou encore le Cler, qui a promu le concept du TÉPos. Avec ces trois associations, nous travaillons à l’élaboration d’une méthodologie pour la mise en œuvre de « plans de paysage de la transition énergétique », toujours sur la base d’une capitalisation de nos expériences partagées.

– Il s’agit donc d’un espace de co-création de savoirs…

Oui, et il en va aussi ainsi avec les entreprises. Encore une fois, la chaire n’a pas vocation à répondre à des commandes professionnelles classiques. Les entreprises qui travaillent avec nous n’ont pas d’objectifs directement opérationnels, ni n’attendent de solutions clés en main à un problème posé. Leur souhait est bien de poursuivre une réflexion commune, qui peut se traduire par une reformulation de leurs questionnements initiaux. C’est d’ailleurs tout l’intérêt que les entreprises trouvent, en règle générale, dans un partenariat avec une école, au travers d’une chaire. Elles en attendent a priori des réponses tout sauf formatées. Pour l’ENSP, l’intérêt est de pouvoir engager des recherches à partir des questionnements que se posent des acteurs de terrain, quand bien même porteraient-ils sur des problèmes très concrets comme, par exemple, l’intégration de postes électriques ! Si le questionnement initial est dirigé, la réponse en revanche est libre : nos étudiants ont toute latitude pour imaginer des solutions originales, étant entendu que les entreprises restent bien évidemment libres de les retenir ou pas. La réflexion engagée avec nos étudiants leur aura au moins permis d’explorer d’autres scénarios que ceux auxquels elles avaient pensé de prime abord. L’expérience, quoiqu’encore nouvelle, montre que le résultat les interpelle et que c’est précisément ce qu’elles attendent de leur partenariat avec nous. Elles mesurent combien le décalage des propositions contribue à renouveler leurs propres regards non sans avoir des prolongements dans leur fonctionnement interne.

– Comment vous êtes-vous vous-même retrouvé à animer cette chaire ?

La proposition m’en a été faite par Vincent Piveteau, directeur de l’ENSP, où j’enseigne depuis les années 90, pour encadrer un atelier ou faire une intervention ponctuelle. Diriger la chaire était l’occasion d’approfondir mon engagement au sein de l’école, au-delà du strict enseignement. Par ailleurs, je suis intéressé par la question de la transition énergétique. J’y vois un cousinage avec la question du paysage pour toutes les raisons déjà évoquées, mais aussi parce que le paysage, j’en suis convaincu, est le champ par excellence du non spécialiste. On y interroge plus les relations entre les choses que les choses elles-mêmes, à commencer par celles existant entre les hommes et leur territoire. Ce faisant, on décale le regard des acteurs de l’aménagement qui ont tendance à fonctionner en monde sectoriel, en distinguant habitat, transport, énergie, agriculture, patrimoine, biodiversité, là où il faudrait les penser ensemble, en croisant les champs de compétences. En plus de valoriser l’inventivité des marges, une approche transversale offre le mérite de maintenir l’humain au centre des préoccupations.

– Cette transversalité de l’approche paysagère ne s’impose-t-elle pas aussi dans l’énergie ?

Si, assurément et c’est justement pourquoi le dialogue ne peut qu’être fructueux. S’intéresser à l’énergie, a fortiori dans la perspective de la transition vers un mode de vie moins énergivore, amène à s’intéresser tout à la fois à la forme urbaine, l’architecture, l’espace public, l’espace agricole, etc. Cette double transversalité, et du paysage et de l’énergie, ouvre un champ d’exploration intéressant pour renouveler la conception de l’aménagement du territoire. Elle permet de sortir de ce qu’Edgar Morin appelle la « pensée simplifiante », qui a consisté à disjoindre les questions les unes des autres et à les réduire à l’excès.

– Un mot sur l’axe création : vise-t-il justement à approfondir la transversalité avec le concours d’artistes, qui, par définition, font faire des pas de côté…

Tout à fait. Cette ouverture aux artistes ne répond pas seulement à une attente des paysagistes. Elle intéresse aussi des entreprises, qui ont pris la mesure de la nécessité de sortir de solutions formatées. Concrètement, nous souhaitons aider des artistes à candidater à la résidence de la Villa Le Nôtre, qui a été créée, à l’initiative de Vincent Piveteau, à peu près au même moment où se mettait en place la chaire. Elle accueille des artistes appelés à travailler sur une problématique posée, touchant au paysage. Pour l’heure, l’implication de la chaire est modeste : elle consiste à soutenir des artistes qui se saisiront de la question du paysage dans son rapport à l’énergie. Il est encore trop tôt pour dire ce que cela va donner. Mais il est évident que cet axe création contribue à apporter un autre décalage par rapport à celui des paysagistes !

– Venons-en à Paris-Saclay : dans quelle mesure l’écosystème engagé dans la transition énergétique est-il un terrain de jeu sinon d’expérimentation pour vous ?

Il nous paraît évident que Paris-Saclay est un territoire d’expérimentation plus que prometteur, avec son bouillonnement de compétences – j’insiste sur le pluriel. Sans ignorer les formes de résistance au projet, je perçois aussi des formes de commensalisme, sinon de symbiose entre un territoire qui a des fondements naturels, forestiers, agricoles, et cet écosystème constitué d’écoles, d’universités, de laboratoires, etc. Une symbiose appelée à se renforcer à la faveur de la dynamique d’innovation et de l’amélioration des conditions de transport. Bref, nous pressentons bien que c’est un environnement qui se développe selon d’autres logiques que celles de l’aménagement classique du territoire, qui avait tendance à privilégier une approche sectorielle.

– Plus prosaïquement, c’est un écosystème qui s’est saisi de la transition en se dotant de trois IRT, Instituts pour la transition énergétique (VeDeCom, PS2E, IPVF)…

Autant le reconnaître, nous n’avons pas encore de liens avec eux. Et sans doute avons-nous à découvrir encore bien d’autres acteurs engagés dans cette transition énergétique. Merci en tout cas pour ce travail de mise en lien que vous faites. Comme vous l’aurez compris, j’y suis particulièrement sensible. Nous comptons bénéficier aussi de l’apport de Pierre Veltz, ancien PDG de l’ex-EPPS, qui est membre du conseil scientifique de notre chaire. Déjà, nous avons pu commencer à engager des ateliers pédagogiques régionaux sur le Plateau de Saclay, liés aux enjeux énergétiques de l’agriculture dans un contexte comme celui-ci.
De manière générale, le Plateau de Saclay est un territoire vers lequel nous nous tournons naturellement de par notre proximité immédiate : à défaut de faire partie de la Comue Paris-Saclay, l’ENSP fait partie du périmètre de l’OIN. Nous comptons bien y semer des graines et observer ce qu’elles donnent, notamment sur la manière d’envisager les paysages à l’heure de la transition énergétique.

 A lire aussi : les entretiens avec Vincent Piveteau (cliquer ici) et Auréline Doreau (cliquer ici).

 

 

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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