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Transitions

Une chaire d’entreprises pour dessiner les paysages de l’après-pétrole.

Le 27 novembre 2016

Suite et fin (provisoire !) de notre découverte de la Chaire d’entreprises du Paysage et de l’Energie créée à l’initiative de l’ENSP de Versailles Marseille, avec le soutien de RTE et du ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, à travers, cette fois, un entretien avec Vincent Piveteau, directeur de cette école.

– Paysage et énergie, voici deux termes qu’on n’a pas forcément l’habitude d’associer…

Effectivement. Et, pourtant, quand on observe les grandes transformations des paysages intervenues depuis au moins un siècle, force est de constater que c’est bien l’énergie, qui en est un des principaux moteurs, que ce soit à travers les lieux de production (barrages hydrauliques, centrales, etc.) ou les infrastructures d’acheminement, sans compter les effets induits au plan des mobilités. L’étalement urbain sous l’effet de l’allongement des distances domicile-travail a été rendu possible par une énergie abondante et bon marché, et l’essor de la voiture fonctionnant à l’énergie fossile. De même la transformation des paysages agricoles doit beaucoup à l’introduction des tracteurs en lien avec l’agrandissement des parcelles, la suppression des haies, etc. Bref, l’énergie fait bien paysage et ce, de multiples manières.

– C’est évident en vous écoutant, mais cet intérêt pour les rapports entre paysage et énergie n’en est-il pas moins récent ?

Si. D’où l’originalité de cette chaire née de cet autre constat : nous avons construit des paysages, mais sans que ces paysages ne soient toujours assumés comme les conséquences de nos choix énergétiques. Or, nous sommes aujourd’hui engagés dans une transition énergétique, qui va être radicale et donc produire nécessairement de nouveaux paysages. Peut-on les anticiper ? Les réfléchir avant de se les voir imposer ? Telles sont quelques-uns des questions que la chaire souhaite aborder. Nous disposons désormais d’assez de recul sur ce qu’il convient de ne pas/plus faire : continuer à consommer comme nous le faisons des terres agricoles sous l’effet d’un étalement urbain commandé lui-même par le recours à des énergies fossiles ; se lancer dans des aménagements routiers qui ne font que renforcer l’usage de la voiture, etc. A cet égard, je renvoie aux clichés de l’observatoire photographique présentés lors du colloque « Jardins en politique », pour lequel vous m’avez interviewé [pour accéder à cet entretien, cliquer ici]. Le pétrole, pour ne prendre que cet exemple, a indéniablement produit des paysages particuliers, dont n’importe quelle comparaison photographique d’un même lieu pris à 50 ans d’existence permet de prendre la mesure.

– Est-ce pour autant une chaire pour paysagistes ?

Non. Si tous les constats que je viens d’évoquer concernent bien évidemment les paysagistes, il s’agit cependant d’élargir la réflexion à bien d’autres disciplines et champs professionnels, à commencer par ceux des énergéticiens.

– Justement, s’agit-il de répondre aux attentes d’énergéticiens soucieux de limiter l’impact visuel de leurs activités ?

Non. Les paysagistes ne sont pas là pour « camoufler » les effets de décisions prises par des entreprises, ni réparer leurs éventuelles erreurs. A travers cette chaire, nous faisons le pari qu’en intégrant le paysage le plus en amont possible dans la réflexion sur la transition énergétique, nous pourrons non seulement limiter les effets, mais encore ouvrir de nouvelles pistes dans l’appréhension des paysages de l’énergie.

– Et faire du paysage un support de pédagogie de tout ce qu’implique nos énergies en termes de production, de transformation, de distribution et, donc, de coûts ?

Faire de la pédagogie, de cette façon, supposerait qu’on sache et soit déjà dans une démarche de transmission. Or, justement, on ne sait pas encore à quoi ressembleront les paysages en adéquation avec la transition énergétique. Avant de parler de pédagogie, je mettrai donc plutôt en avant l’enjeu culturel de l’énergie et de ses paysages. Notre rapport au paysage est en effet d’abord un rapport au beau, à l’esthétique, à des valeurs. Il s’agit donc d’interroger ce qui en serait les fondements aujourd’hui ou encore ce qu’on ne prend plus, justement, le temps d’interroger. Des paysages sont à l’évidence abominables, mais nous avons pris l’habitude de les tolérer. A l’inverse, on critique des paysages qui ne sont pourtant pas si indignes d’intérêt que cela.
Il s’agit aussi de se poser les bonnes questions en faisant bien la part entre ce qui relève du paysage et ce qui n’en relève pas directement. Je prendrai l’exemple des invasives pour expliquer mon propos (un enjeu également abordé au cours du colloque que j’évoquais tout à l’heure). Spontanément, on les juge en fonction de leurs effets supposés sur un paysage, en passant à côté de la vraie question – une question écologique, s’il en est : qu’est-ce qui explique leur présence sur un territoire – et à supposer que cette présence soit problématique. On découvrirait alors que ce sont des facteurs anthropiques, qui engagent par conséquent notre propre responsabilité.
Bien plus, il s’agit de nous préparer aux nouveaux paysages que la transition énergétique ne va pas manquer d’induire, en prenant la mesure des enjeux culturels des changements à venir. Certes, la ville de demain passera par des solutions techniques et tirera profit des ressources du numérique. Mais n’omettons pas d’anticiper ce que cela signifie au plan spatial et esthétique, et donc paysager. Dans cette perspective, le paysagiste peut être très utile de par sa connaissance des diverses dimensions d’un paysage : son histoire, sa géographie, la qualité des sols, sa biodiversité…

– De quels autres regards vous entourez-vous ?

Naturellement, la chaire est d’abord pour l’ENSP un moyen de mobiliser les paysagistes sur ces questions. Mais son ambition est aussi de mettre en dialogue le monde des concepteurs et celui des ingénieurs. En témoignent d’ailleurs les deux premiers projets qui ont été lancés.
Le premier est une thèse de doctorat conduite par l’architecte Roberta Pistoni, sous la codirection de Patrick Moquay (professeur à l’ENSP) et Sven Stremke (de l’Université de Wageningen, Pays-Bas), sur le métabolisme urbain, l’économie circulaire et quelques autres concepts, qu’elle aborde dans une perspective comparative.
Le second projet est mené en partenariat avec le collectif Paysages de l’après-pétrole (PAP) et le soutien de la Caisse des Dépôts (CDC) autour des expériences de Territoires à énergie positive (TÉPos). Toujours dans une perspective de comparaison internationale, il s’agit d’observer les transformations paysagères qu’elles induisent.
Deux exemples qui illustrent bien le fait que, pour mobiliser les paysagistes, la chaire n’en est pas moins en dialogue avec des réseaux de professionnels très divers. Le conseil scientifique est lui-même composé de personnalités provenant de différents horizons professionnels et disciplinaires : Ariella Masboungi, architecte et urbaniste ; Alain Nadaï, sociologue et paysagiste ; Baptiste Sanson, ingénieur agronome ; Jacques Theys, prospectiviste et Pierre Veltz, économiste et sociologue, par ailleurs ancien Pdg de l’ex-EPPS.

– L’enjeu n’est-il pas de prendre le contrepied du génie urbain tel qu’incarné à travers l’hausmannisation, au sens où, tout en revêtant une ambition esthétique, il a été enclin à masquer les infrastructures liées à l’approvisionnement des ressources – eau, mais aussi énergie… – là où il s’agit désormais de visibiliser les systèmes énergétiques pour mieux sensibiliser les populations à leurs coûts ?

Encore une fois, nous ne sommes pas dans une démarche pédagogique, mais bien de sensibilisation à la dimension culturelle de l’énergie, en montrant comment elle se manifeste dans l’espace. La vocation du paysagiste n’est pas a priori de cacher, mais de faire paysage, en composant avec l’existant. Il ne cherchera donc pas à dissimuler un transformateur avec une haie de cyprès ou à enterrer systématiquement des lignes de haute tension.

– Cette appréhension de la dimension culturelle passe-t-elle par un dialogue avec des artistes ?

Oui, et notre intention est d’ailleurs d’élargir notre réflexion à eux. C’est le sens des liens qui s’établissent entre la chaire, d’une part, et la résidence internationale des paysagistes – la Villa Le Nôtre -, d’autre part. Installée à l’école du paysage, sur le site du Potager du Roi, elle accueille aujourd’hui en résidence des concepteurs, artistes, paysagistes, qui explorent les nouvelles dimensions de notre rapport au paysage, et à sa transformation. Il est normal que la question culturelle de l’énergie soit investie par certains projets lauréats.

– Comptez-vous tirer profit de la double localisation de l’ENSP, installée à Versailles et Marseille, deux contextes très différents s’il en est, pour sensibiliser à cette dimension culturelle du paysage, y compris dans son rapport à l’énergie ?

Oui, bien sûr. Il est clair que le rapport au paysage est variable d’un contexte à l’autre. De ce point de vue, Versailles et Marseille constituent autant de terrains d’observation intéressants. Du reste, l’école est partie prenante du projet d’Institut méditerranéen de la ville et des territoires, qui regroupe paysagistes, architectes et urbanistes, dans une configuration assez singulière. Et les questions abordées par notre chaire y auront toute leur place.

– Et Paris-Saclay, dans quelle mesure est-ce un territoire propice aux travaux de votre chaire ?

Paris-Saclay est naturellement un terrain privilégié pour la chaire comme d’ailleurs pour l’ENSP. Nombreux sont ses acteurs engagés dans la transition énergétique, avec lesquels nous entretenons des liens. Je pense en particulier à l’EPA de Paris-Saclay. Nul doute que la participation de Pierre Veltz, ancien Pdg de l’ex-EPPS, contribuera à nous faire mieux connaître au sein de l’écosystème. En 2015, un de nos grands ateliers, piloté par la paysagiste et urbaniste Marion Tallagrand, portait précisément sur cette question de la transition sur le Plateau de Saclay [pour en savoir plus, cliquer ici].

– Sans compter non plus les Instituts pour la Transition Energétique que compte cet écosystème (VeDeCom, PS2E, IPVF)…

Effectivement. Etant entendu qu’il en va d’un écosystème technologique comme des écosystèmes naturels : pas plus que les espèces animales et végétales n’interagissent toutes ensemble, les acteurs des premiers ne sont tous systématiquement en lien les uns avec les autres. Pour être présente dans l’écosystème de Paris-Saclay, l’ENSP n’interagit pas, reconnaissons-le, avec l’ensemble de ses acteurs. Pour l’heure, nous n’avons pas encore de rapports avec les Instituts que vous évoquez. Mais nous n’ignorons pas combien leur présence est importante et nul doute que des opportunités ne manqueront pas de se présenter de travailler avec eux.

A lire aussi : les entretiens avec Bertrand Folléa, responsable de la chaire (cliquer ici) et Auréline Doreau, chef de projet (cliquer ici).

Légende de la photo illustrant cet article : présentation par des étudiants – Alice Stevens, Morgane Braouezec et Steve Walker – de leur étude « Désirs et inventions de la transition énergétique par les paysages du pays du chalonnais », lors de la soirée de restitution auprès des élus et habitants de la Communauté de Communes Sud Côte Chalonnaise, d’ ERDF et de l’ENSP – avril 2016, à Genouilly.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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