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Science & Culture

« Un état des lieux avant travaux »

Le 25 mai 2014

Suite de notre rencontre avec Jacques de Givry qui nous livre dans cette seconde partie de l’entretien ce que lui inspire la dynamique de cluster à l’œuvre sur le Plateau de Saclay.

Pour accéder à la première partie de l’entretien, cliquer ici.

– « Un état des lieux avant travaux », dites-vous en introduction pour caractériser votre projet éditorial. Pouvez-vous préciser ?

En effet, à travers ce livre, nous avons voulu montrer que le Plateau de Saclay possède un patrimoine de qualité, qui concourt directement à son attractivité. Autant préserver cette dernière, non pas en en faisant un musée à ciel ouvert, mais en veillant à l’harmonie entre cet héritage et le projet de cluster.

Quand je parle d’harmonie, je pense aussi à la diversité des populations : que le cluster attire des prix Nobel, c’est une très bonne chose. Mais pensons aussi à ceux, aux emplois plus modestes, qui auront besoin de se loger. Je trouverais regrettable qu’on crée un îlot dédié à l’innovation technologique trop élitiste. Moi-même j’ai travaillé comme ingénieur dans une entreprise de haute technologie. Je ne sais que trop l’intérêt d’avoir des emplois hautement qualifiés et je ne demande qu’à ce que mes petits-enfants en trouvent de tels sur le Plateau, mais veillons à respecter un équilibre démographique et social. L’attractivité du plateau en dépend aussi.

– Les photos manifestent un souci esthétique au point parfois de sembler enjoliver le paysage…

Que voulez-vous ! Nous autres les photographes pouvons être enclins soit à enjoliver les choses soit, au contraire, à les caricaturer. Dans ce livre, nous donnons à voir essentiellement de beaux paysages, quitte à surligner la réalité par les plus belles lumières, c’est vrai. Une chose est sûre : tous ceux qui y ont contribué, les photographes comme les auteurs des textes, éprouvent une réelle jubilation à découvrir ce territoire au paysage si riche, situé à moins d’une quinzaine de kilomètres de Paris. Et c’est cette jubilation que nous avons eu envie de partager dans l’idée de mettre devant leur responsabilité ceux qui seraient tentés de vouloir le « surbétonner ».

– Pourtant, il y a bien une zone de préservation, dont le décret est d’ailleurs paru le 31 décembre 2013, quelques semaines à peine après la sortie de votre livre…

En effet, 2 355 ha vont être préservés sur le plateau et c’est une très bonne chose. Grâce à ce décret, le processus de mitage est désormais stoppé. Avec le concours de l’EPPS, l’AGPV et Terre et Cité viennent d’ailleurs de produire une carte représentant la délimitation du zonage. Tout un chacun pourra ainsi savoir quels sont précisément les espaces préservés.

Il importe cependant de rester vigilant pour que les bâtiments qui sortiront de terre soient en harmonie avec l’environnement. On veut un cluster de classe mondiale ? Soit, faisons donc un cluster, puisque c’est la loi, mais faisons le bien, en proposant une vitrine de l’excellence française en matière d’innovation et de développement durable. Le moins qu’on puisse dire est que les derniers centres de recherche ayant vu le jour sur le sud du plateau, il est vrai avant la constitution de l’EPPS, sont parfois d’une banalité regrettable.

– A lire votre livre, on mesure combien ce territoire est tout sauf vide. C’est d’ailleurs aussi en réaction contre cette vision que vous l’avez publié…

En effet, à l’évocation de mon projet de livre sur le Plateau de Saclay, des personnes ont réagi en se demandant qui pourrait bien être intéressé par un territoire aussi vide ! En réalité, il regorge de lieux insolites. Je pense en particulier à ce Bois des Roches, situé à Magny les Hameaux, au-dessus de la Vallée de la Mérantaise, ou à la carrière de grès de la Troche à Palaiseau/Orsay : comment être insensible à ces vallons encaissés avec des roches qui affleurent comme dans la forêt de Fontainebleau ? Ou encore à cette immense ferme d’Orsigny, dont les 200 ha ne sont plus exploités que par une personne alors qu’autrefois elle en faisait travailler une trentaine. Cette ancienne propriété de Vincent de Paul, emblématique du Plateau, semble perdue au milieu de nulle part, on y accède par une route étroite : on est à mille lieues de Paris ! Le plateau recèle un patrimoine riche encore peu accessible au public. Je pense ainsi au fort de Villeras, propriété du CEPr, qui y a accueilli le public exceptionnellement lors de rares journées portes-ouvertes.

Au vu de ce patrimoine, je me dis qu’il y aurait de quoi promouvoir un tourisme de promenades patrimoniales. Je regrette à cet égard que l’OIN n’ait pas été appelé PSV, le V pour Versailles. Après tout, il concerne aussi Satory, Versailles et Saint-Quentin. Résultat, je crains que le centre de gravité ne se déplace insensiblement du côté de Saclay et Palaiseau… Manifestement, nous pâtissons encore des effets de la saignée provoquée par la N118, qui coupe le territoire au moins autant que la limite administrative des deux départements, Essonne et Yvelines. Sur notre carte, nous nous sommes d’ailleurs gardés de mettre en évidence cette dernière !

– Revenons à votre ouvrage qui rend justice à la présence ancienne de l’Université Paris-Sud, mais en faisant cependant peu de cas de l’existence désormais relativement ancienne d’autres établissements d’enseignement supérieur ou de recherche, qui participent pourtant, à leur façon, à l’identité paysagère du Plateau…

C’est vrai, si on excepte les références qu’y fait Elizabeth Trimbach dans sa contribution, comme le CEA ou les aérodromes. Comme je l’explique en introduction, le propos était de dresser un état de la situation avant travaux, ceux en l’occurrence du futur Campus de Paris Saclay et de La Minière. Montrer les établissements existants n’aurait pas donné une préfiguration juste de ce qui doit advenir dans les prochaines années. Attendons de voir ce que donneront les projets de l’EPPS au plan de l’aménagement et du paysage. Rien n’interdit de songer à un tome 2. Le livre se termine d’ailleurs par une photographie du Synchrotron, comme pour suggérer qu’une autre page est en train de s’écrire. A propos de cette illustration, je précise qu’elle donne à voir des moutons sur les espaces verts de cet équipement de recherche. Leur présence ne répond pas à un simple souci écologique : la tonte naturelle a été privilégiée pour éviter les vibrations et des perturbations électromagnétiques. Une illustration au passage de la manière dont la recherche et le territoire peuvent susciter des initiatives originales et harmonieuses.

– Craignez-vous l’arrivée de nouveaux établissements de recherche et d’enseignement supérieur ?

Non, au contraire, dès lors qu’ils s’intègrent bien dans le paysage et ne consomment pas inutilement des surfaces. A cet égard, je regrette qu’autant d’ha (8) aient été prélevés sur les terres de la ferme de Viltain pour y faire un parking sur le campus HEC. Que dire du Technocentre de Renault, à Guyancourt, où on dénombre près de 40 ha de parkings en surface !

Le principe du campus est acté. Plutôt que de s’y opposer, ce qui relèverait du combat d’arrière-garde, voyons comment il peut s’intégrer dans le territoire et contribuer à son évolution. Partons du principe que si cela se fait, cela doit être une réussite.

J’ai d’ailleurs l’impression que les étudiants et les élèves eux-mêmes commencent à considérer le Plateau comme un contexte favorable à la création d’un nouveau cadre de vie, mais aussi la conception de solutions innovantes aux problématiques de transport, d’alimentation, de logement, etc. Ils ne se focalisent plus sur les seules technologies. S’ils s’y intéressent, c’est dans la mesure où elles peuvent concourir à améliorer ce cadre de vie. Après tout, ils sont appelés à y vivre plusieurs années. Pour peu qu’on favorise leurs contacts avec les habitants et exploitants, il peut en résulter des synergies fécondes. A cet égard, l’association Terre et Cité est un acteur précieux : elle a la capacité de faire intervenir des jeunes dans les échanges entre les autres acteurs du Plateau et compenser la surreprésentation des retraités dans le monde associatif.

– C’est votre passé d’ingénieur dans l’aérospatial qui vous permet de prendre de la hauteur et de voir au-delà des clichés…

J’ai eu la chance de participer à l’aventure de l’aérospatiale à ses débuts, au sein de Matra. Personnellement, j’ai été impliqué dans le développement des équipements électroniques des satellites, qui devaient répondre aux exigences du lancement et de l’environnement spatial. En tant que responsable des laboratoires technologiques, je pouvais être aussi sollicité pour des projets de Défense ou de transport. C’est ainsi que j’ai été impliqué dans le développement du système de sécurité de l’Orly Val, mais aussi de moteurs de véhicules appelés à concourir en Formule 1 ou lors des 24 h du Mans. Je me souviens aussi d’avoir reçu, dans les années 80, la visite de l’équipe du Professeur Carpentier en présence de Jean-Luc Lagardère : ils voulaient savoir comment concevoir de la micro-électronique de haute fiabilité pour les besoins d’un cœur artificiel. Carmat, c’est Carpentier/Matra…

De cette carrière d’ingénieur, j’ai gardé un état d’esprit de pionnier, d’où une certaine curiosité, jusques et y compris dans ma démarche de photographe. J’ai aussi conservé cette aptitude à gérer des projets de manière rigoureuse. Et dieu sait si c’est utile y compris pour l’édition d’un livre, une course d’obstacles à sa façon !

Je doute qu’un éditeur ordinaire se serait lancé dans une telle entreprise. D’ailleurs, il n’existe pas d’ouvrage sur l’ensemble du Plateau, en tout cas avec une aussi riche iconographie et des contributions d’auteurs de différents horizons. Pour l’auteur-éditeur que je suis, l’édition d’un tel livre reste une entreprise aventureuse. Nous avons dû inventer le modèle économique qui va avec, en nous appuyant sur la contribution quasi bénévole des contributeurs et des photographes, d’une part, des subventions de collectivités, d’autre part.

A cet égard, il faut souligner le soutien de ces dernières, qui ont su s’associer pour valoriser un territoire qui a pour particularité d’être à cheval sur plusieurs d’entre elles. C’est sans doute la première fois que les départements des Yvelines et de l’Essonne cofinancent un projet éditorial. J’ajoute que la postface est cosignée par les Présidents des trois communautés d’agglomérations concernées, pourtant de sensibilités politiques différentes.

– C’est dire aussi la dimension politique de cet ouvrage…

De fait, l’ouvrage a été conçu dans l’idée de poser un acte politique. Le simple fait de montrer la beauté des paysages n’est pas anodin. Arthus-Bertrand dit que la beauté se défend elle-même. Elle permet de susciter des cas de conscience face à des risques de dégradation. Je ne conçois pas autrement mon travail de photographe : je révèle et donne à voir la beauté des paysages pour que, d’eux-mêmes, les personnes prennent leur responsabilité. Dès lors qu’on admet que le paysage est effectivement beau, la question se pose de manière quasi-subliminale : alors qu’est-ce qu’on en fait ? On le préserve ou on le dégrade ? Pour autant, l’idée n’est pas de dissuader d’innover sur ce territoire, d’en faire une « réserve d’Indiens ».

– De fait, on perçoit que vous n’êtes pas insensible aux enjeux scientifiques et technologiques du projet de Paris-Saclay ?

Oui et sans doute dois-je admettre une forme de schizophrénie ! J’aborde ce territoire avec l’œil du photographe et de l’habitant, mais aussi de l’ingénieur issu d’un secteur à la pointe de la technologie. J’aimerais que les deux dimensions (paysagère et scientifique) se combinent. Ce qui suppose que les différents mondes se rencontrent, qu’il y ait des traits d’union. A sa façon, « Plateau de Saclay – Racines d’avenir » y contribue en donnant envie, comme je l’espère, aux uns et aux autres de se rencontrer, de dialoguer, le regard tourné à la fois vers le passé et vers l’avenir.

Je suis convaincu qu’on peut faire de ce territoire la vitrine de l’excellence française, tant sur le plan de l’innovation technologique que de l’aménagement paysager. Quelle exigence et responsabilité, si l’on songe que Saclay devrait être, à terme, presque aussi connu que Versailles !

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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