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Regard d’architecte sur le logement étudiant.

Le 16 janvier 2014

Diplômée de l’École d’Architecture de Strasbourg, Caroline Ziajka a rejoint il y a cinq ans l’agence Patrick Schweitzer & Associés Architectes – S&AA, qui compte notamment plusieurs concours de conception/réalisation de logements sociaux et étudiants à son actif. Elle livre son point de vue sur les enjeux des résidences étudiantes et les défis qu’elles représentent pour l’architecte.

– Le logement étudiant semble, en France du moins, avoir été le grand oublié des campus universitaires, excepté bien sûr la Cité universitaire de Paris. En a-t-il toujours été ainsi ?

Dans l’entre-deux-guerres, le logement étudiant est à peine évoqué. Il est censé faire partie d’un ensemble, en l’occurrence le campus où on met davantage en exergue les autres équipements (la bibliothèque, les établissements d’enseignement et leurs amphithéâtres, le parc etc.).

Pour ceux que cette question des résidences étudiantes intéresse, nous renvoyons au dossier complet qu’y consacre le dernier numéro du bimestriel Architecture d’intérieur, sous un titre évocateur « Le logement pour étudiants, cet inconnu ». Il présente plusieurs projets en cours en France.

Il faut attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour qu’il devienne un sujet de préoccupation au même titre que le logement ordinaire. Et pour cause : nous sommes dans une situation de pénurie qui va s’aggraver dans les années 60, avec la démocratisation de l’enseignement supérieur. Le logement étudiant est alors l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics, mais au prix de constructions massives où les exigences architecturales sont quasi-absentes. Il s’agit avant tout de rattraper le retard. Ce qui donnera concrètement ces cités étudiantes conçues à la manière de grands ensembles, dans la logique du logement social. Autant dire que la qualité n’était pas la préoccupation première des maîtres d’ouvrage. Avant toute chose, il fallait construire vite et massivement. Les chambres sont donc petites, mal insonorisées ; les sanitaires sont en commun. Nous ne sommes pas dans la vision intégrée à la manière des campus anglo-saxons. Dans les années 80, le logement étudiant est relégué au second plan. Les efforts des décennies passées sont censés avoir répondu aux besoins. Or, la démocratisation de l’enseignement supérieur s’est poursuivie. Résultat : nous sommes de nouveau dans une situation de pénurie. De nombreux étudiants peinent à trouver un logement bon marché et digne de ce nom.

– Observez-vous un changement à travers ne serait-ce que les concours auxquels vous répondez ?

On assiste ici ou là au lancement d’opérations intéressantes, mais qui n’en restent pas moins de taille relativement modeste : elles portent tout au plus sur quelques dizaines/centaines de chambres. Ce n’est bien évidemment pas assez. D’importantes pénuries subsistent dans les grandes villes. A Paris, c’est désormais la loterie pour décrocher un logement étudiant : on ne compte qu’un parc de 4 000 chambres pour 325 000 étudiants, soit à peine 2% des besoins… Les autres trouvent donc à se loger chez des particuliers, mais à quel prix et pour quel confort ! Le défi est de répondre à cette situation de pénurie, mais autrement que nous l’avions fait dans les années 60-70 par des constructions massives de logements de piètre qualité. L’heure est désormais à la transition énergétique. Il ne faut donc pas seulement construire du neuf, mais aussi réhabiliter l’ « ancien » dont on a hérité. Des opérations de rénovation ont certes été lancées, mais pas plus que les constructions neuves, elles ne sont en nombre suffisant. Il ne faudrait pas réduire les besoins à des données statistiques, au risque sinon de commettre la même erreur que par le passé, où on a prétendu combler la pénurie en construisant vite et massivement avec le résultat que l’on sait.

– Pourquoi aussi peu d’intérêt pour cet enjeu du logement étudiant ? Cela ne tient-il pas au fait que les étudiants ont pris l’habitude de se débrouiller par eux-mêmes en louant chez le particulier, au point de rendre le problème moins visible ?

Le fait est, les étudiants se débrouillent : ils louent chez les particuliers, quand ils en ont les moyens ou pratiquent la colocation, quand ils ne sont pas contraints de rester ou de retourner chez leurs parents. J’ajouterai une autre hypothèse : le statut particulier de l’étudiant. Par définition, celui-ci n’est pas appelé à rester dans la ville où il étudie. C’est du moins ce que pensent, à tort, les élus, qui, par conséquent, ne surinvestissent pas dans ce type de logement. D’autant moins qu’un étudiant ne vote pas toujours là où il étudie… C’est un mauvais calcul. Un étudiant n’est-il pas le meilleur ambassadeur de la ville où il aura aimé faire ses études ?

– Et vous-même, comment expliquez-vous votre propre intérêt pour le logement étudiant ? Cela ne tient-il pas au fait que vous êtes une jeune architecte, qui était encore étudiante voici quelques années ?

Certainement ! Cette pénurie de logements que j’évoquais, j’en ai pâti comme bien d’autres. Heureusement que les parents étaient là… Pour un étudiant, le logement est le budget numéro 1 et donc le premier sujet de préoccupation. Malheureusement, les pouvoirs publics ne l’abordent qu’au moment de la rentrée universitaire. Une fois celle-ci effectuée, la question est reléguée au second plan. On évoque à peine le cas de ces nombreux étudiants qui peinent à payer leur loyer.

– Et en quoi cet enjeu vous intéresse-t-il comme architecte ?  

Outre le fait qu’il s’agit d’un enjeu de société, une résidence étudiante, c’est un programme particulier pour un architecte. De prime abord, il peut paraître simple : il s’agit de construire de petites pièces, qui se répètent et qui sont desservies par un couloir, le tout complété de locaux communs, la surface de ces derniers tendant cependant à se réduire, tout simplement parce qu’ils ne sont pas louables. Pourtant, j’en suis convaincue, ils jouent un rôle important dans la vie sociale des résidences : c’est le seul endroit où les étudiants peuvent se rencontrer, échanger. Avec ou sans espaces communs de taille suffisante, ce type de programme s’apparente à d’autres programmes comme les hôpitaux, les hôtels ou même les prisons, qui, comme les résidences étudiantes, reposent sur le principe d’espaces individuels construits à l’identique à grande échelle, desservis par des circulations et complétés d’espaces communs et de locaux techniques. Si différence il y a entre la résidence étudiante et les autres programmes à vocation collective, elle réside dans le statut du résident. Il est clair qu’un étudiant reste libre de ses mouvements comparativement au patient d’un hôpital ou d’un prisonnier ! Sa vie privée est respectée ; il n’est pas soumis à un contrôle permanent, pas plus d’ailleurs que le client d’hôtel qui, lui, ne fait que passer le temps d’une ou de quelques nuitées. De manière générale, la résidente étudiante peut être considérée comme un lieu privilégié d’articulation entre vie privée et vie collective. C’est ce qui la différencie fondamentalement à mon sens des autres programmes qui, du point de vue programmatique, pourraient s’en approcher. Il y a quelque chose de l’ordre de la communauté, même éphémère, dans une résidence étudiante qu’il ne faut pas perdre de vue.

– Comment l’architecte peut-il néanmoins prétendre être créatif ?

Les contraintes ne restreignent pas la créativité, au contraire, elles la suscitent ! Et c’est en cela que le métier d’architecte est passionnant : il lui faut résoudre des équations avec plusieurs variables et inconnues. Et encore, je n’ai évoqué que les contraintes programmatiques. Ce sont ajoutées depuis quelques années de fortes contraintes réglementaires, notamment en matière d’accessibilité. A ce sujet, on peut s’interroger : autant elles se justifient dans le cas des bâtiments publics, où elles contribuent à faciliter la vie des personnes à mobilité réduite, autant on peut s’interroger sur leur application aussi stricte dans les résidences étudiantes où, désormais, le moindre logement doit être accessible à une personne à mobilité réduite. Aujourd’hui, un studio type doit faire 18 m2, soit le double des logements des anciennes résidences. Ce qui est apparemment un gain non négligeable. Seulement, dans le même temps, on exige des salles de bain de 5m2. A quoi s’ajoute la kitchenette en cas d’absence de s alle de restauration collective. Finalement, le gain d’espace de vie s’en trouve réduit d’autant.

– Quelles tendances relevez-vous parmi les propositions d’architectes ?

Ici et là, je constate une remise en cause de la chambre en forme de cellule qui avait présidé jusqu’ici à la conception des résidences étudiantes. Cette configuration offre l’inconvénient d’inciter les étudiants à rester dans leur chambre sinon à sortir en ville. Dans un cas comme dans l’autre, cela ne favorise pas la sociabilité du lieu. A Cottbus, en Allemagne, une résidence propose des chambres avec des espaces de cuisine et des sanitaires communs. Soit le principe de la colocation, qui permet d’optimiser l’espace et de rompre l’isolement.

Pour accéder à l’entretien avec Caroline Ziajka, cliquer ici.

Légendes photos : projet de 115 logements étudiants à Cronenbourg, vu depuis l’entrée, route de Hochfelden (en Une, grand format) ; Caroline Ziajka (en Une, petit format) ; projet MIA 2, coté cœur d’ïlot « planté » (illustration intérieure). Crédit : S&AA-Schweitzer & Associés Architectes.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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