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Science & Culture

CURIOSITas où l’art de faire dialoguer étudiants et artistes.

Le 9 octobre 2013

Du 5 au 10 octobre 2013, se tiendra sur le Campus Paris Saclay la première édition de CURIOSITas : une manifestation originale visant à faire se rencontrer étudiants en sciences et artistes autour d’un projet de création. Au programme : des installations artistico-scientifiques, des concerts, des ateliers, un défilé de mode, une master class…

Souvenez-vous, le dialogue entre sciences et cultures était mis à l’honneur l’an passé sur le Campus Paris Saclay, dans le cadre des « Journées arts & sciences du Printemps de la culture ». Initiées par Paris-Sud, ces journées étaient organisées autour d’un mix de conférences et de manifestations culturelles conçues par des étudiants de cette université ou des collectifs extérieurs. « Leur vocation, rappelle Christian Jacquemin, coordinateur de ces journées, était de donner à entendre des témoignages de personnes qui œuvrent à ce dialogue entre arts et sciences. »

Un essai manifestement réussi : le public a répondu présent et d’autres partenaires potentiels ont été identifiés. Ce qui a incité à le transformer, au sens propre, en un festival baptisé CURIOSITas (contraction de curiosité, d’arts et de sciences). Organisé par la Diagonale Paris-Saclay avec le soutien de Paris-Sud » et sous l’impulsion du même Christian Jacquemin, il a été rejoint par d’autres établissements d’enseignement supérieur de Paris-Saclay (l’École polytechnique, l’ENSTA ParisTech, l’Institut d’Optique, HEC) ainsi que des partenaires institutionnels ou associatifs.

Le principe reste le même : faire dialoguer sciences et arts autour d’un thème (cette année : l’eau). Mais la programmation met cette fois à l’honneur les étudiants et leurs projets : une seule conférence est prévue en tout et pour tout (en l’occurrence celle du chimiste et médaille d’or du CNRS, Gérard Férey), le reste mettra en exergue les installations réalisées conjointement par au moins un étudiant en sciences, en association avec un ou des artistes, eux-mêmes en formation ou confirmés. Des projets tout sauf simples à monter. Comme l’explique encore Christian Jacquemin, « ils supposent que des étudiants en science aient fait la démarche de s’approcher de non scientifiques et apprennent à travailler avec eux en croisant leurs connaissances et compétences. » Car la dimension artistique n’est pas envisagée comme un simple supplément d’âme pour rendre plus attrayant les résultats de la démarche scientifique. « L’une et l’autre des dimensions du projet doivent se nourrir mutuellement voire s’hybrider à travers la réalisation d’une installation spécifique. »

Malgré cette difficulté, plus d’une quinzaine d’équipes ont répondu à l’appel lancé au début du moins de février. Examinés en mai, par un comité de sélection, tous ont été retenus hormis deux d’entre eux, parce que jugés trop fragiles ou en-deça des conditions. Parmi les projets qui seront présentés, ceux de Mouna Abdesselem (doctorante à l’Ecole polytechnique) et d’Angélique Gilson (doctorante à Paris-Sud), toutes deux par ailleurs en mission doctorale pour la Diagonale Paris-Saclay et, à ce titre, impliquées dans l’organisation du festival. A la simple évocation du risque pour elles d’être perçues comme juges et parties, Christian Jacquemin tient à préciser que la sélection des dossiers a été assurée selon le principe du reviewing des articles scientifiques : « Les propositions des étudiants se sont vues attribuer une note par un comité d’experts issus de l’université, des arts ou de la culture. Soit une garantie de neutralité. » Et puis, à entendre les deux intéressées exposer leurs projets respectifs, on comprend très vite que c’est pour leur pertinence qu’ils ont été retenus. Qu’on en juge.

Une Polytechnicienne chez les architectes

Pour le sien, baptisé « Point d’inflexion », Mouna s’est associée à des étudiants en dernière année de l’Ecole Spéciale d’Architecture (ESA), Nicolas Bellet et Clément Niau. « J’ai fait leur connaissance par le truchement d’un de leurs enseignants, auquel j’avais fait part de mon projet. Ils se sont dits d’emblée intéressés car cela rentrait dans le cadre de leur formation qui prévoit que chaque apprenti architecte définisse un style qui lui soit propre. » L’œuvre artistico-scientifique qu’ils ont réalisée vise à « tester l’ambiance la plus propice à la prise de décision ». Concrètement, trois habitacles sont conçus à l’échelle 1, correspondant chacun à une ambiance spécifique. « Chaque visiteur sera invité à s’installer dans l’un d’eux et à remplir un questionnaire. Nous corrélerons ensuite les réponses aux caractéristiques du lieu. »

Si le projet repose sur des concepts empruntés à l’architecture, il revêt bien aussi, insiste Mouna, une dimension scientifique. « Elle réside précisément dans l’élaboration d’un protocole comme on le ferait pour une expérimentation en laboratoire : nous avons défini l’ambiance à partir de plusieurs paramètres et de variables, les uns objectifs, définis par l’architecture « ambiantale » (pression, température, volume…), les autres subjectifs comme, par exemple, le poids du souvenir : « L’ambiance ressentie est fonction de notre connaissance du lieu et des souvenirs qu’on peut y projeter. »

Une collaboration à distance : Scénocosme

Pour son projet Fluorythme, Angélique Gilson, s’est, elle, associée à Scénocosme, un couple d’artistes de Saint-Etienne – une designer et informaticien spécialiste de synthèse sonore – ainsi qu’une entreprise du Plateau de Saclay, FORCE-A, qui développe des appareils optiques pour la mesure des composés de plantes. Si Angélique connaissait déjà cette dernière pour avoir utilisé ses appareils dans le cadre de ses travaux de thèse, en revanche, elle ne connaissait pas Scénocosme. C’est Christian Jacquemin qui a fait le lien. L’éloignement géographique n’a manifestement pas été un obstacle. « Nous nous sommes rencontrés au début de l’été puis nous avons échangé régulièrement par téléphone. » Une collaboration à distance, donc, qui a débouché sur « un appareil de mesure de la fluorescence des plantes avec transcription musicale des données. »

Quand on demande à voir à ce que cela peut bien ressembler : surprise ! Angélique répond, dans un éclat de rire, qu’elle ne le sait pas encore avec certitude. En réalité, l’appareil sera modifié jusqu’au dernier jour de montage. Mais elle ne paraît pas plus inquiète que cela. En bonne scientifique, elle a, précise-t-elle, « testé ses hypothèses. » Reste juste la part d’aléatoire, liée aux plantes. « Mais cela ne m’inquiète pas plus que cela. Le risque fait partie du jeu ! » Sans attendre l’issue du festival, la même ne cache pas sa satisfaction d’y avoir participé : « Pour mener à bien mon projet, j’avais besoin du savoir-faire de l’entreprise et des artistes ; inversement, eux, avaient besoin de mes connaissances scientifiques. De là le plaisir que nous avons eu à travailler ensemble. »

Pour sa part, Christian Jacquemin tient à évoquer un 3e exemple de projet qui lui tient particulièrement à cœur : l’« Abécédaire du geste usuel », mené conjointement par une étudiante à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA), Marion Dufau, et un doctorant de l’UFR STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives) de Paris-Sud, Hoan Vu Van. « Marion m’avait été signalée par Vincent Rioux, le responsable du pôle numérique de l’ENSBA. Elle souhaitait réaliser des sculptures à partir des gestes du quotidien : se brosser les dents, faire un texto… Or, j’avais entendu parler d’un Institut du mouvement en cours de constitution, à l’initiative d’un professeur de l’UFR Staps qui, lui, m’a mis en contact avec un doctorant qui travaillait sur la capture du mouvement dont celui de gestes sportifs. J’ai donc mis Marion en contact avec ce dernier. Ils se sont manifestement bien entendu : Marion retravaillait les captures de mouvement à partir d’un logiciel pour une impression 3D. De là cette autre idée que j’ai eue : la mettre en lien avec des FabLab du Campus Paris-Saclay.» S’il s’attarde sur cet exemple, c’est dit-il, parce qu’il illustre bien la manière dont CURIOSITas sert de prétexte à des rencontres en cascade entre des personnes d’univers très différents. Et l’histoire se poursuit. « En discutant avec un collègue qui travaille à l’Inria sur la visualisation physique d’information (des dispositifs qui permettent de visualiser de l’information par des objets tangibles et manipulables), je me suis rendu compte que ce que faisait Marion faisait en relevait. Du coup, je les ai mis en relation. »

Au-delà des personnes, le festival se révèle aussi l’occasion d’identifier des partenaires institutionnels pour les futures éditions. « Ainsi l’ENSBA et l’ESA, observe-t-il, pourraient être partenaires de la prochaine édition de Curiositas. »

Tous des créatifs

En attendant, quand on demande comment le dialogue entre étudiants en sciences et artistes parvient à se nouer aussi facilement, à ce qu’il semble, et malgré les contraintes de temps (les candidats ne disposent que de quelques mois pour faire connaissance et concevoir leur installation), Mouna sourit tant la réponse lui paraît aller de soi. « Scientifiques et artistes ne font certes pas le même métier, mais précisément pour cette raison, ils entretiennent une fascination réciproque : un scientifique est a priori fasciné par le travail de l’artiste et un artiste par celui du scientifique. » Et puis leur univers n’est pas étanche. « L’imaginaire des artistes investit le domaine scientifique tandis que des concepts scientifiques sous-tendent le processus de création artistique » Et contrairement aux clichés, les uns et les autres partagent des points communs jusque dans leur rapport à la créativité et à l’organisation de leur travail. « A priori, poursuit Mouna, le scientifique est celui qui s’engage dans une démarche rigoureuse en appliquant des protocoles précis tandis, qu’à l’inverse, l’artiste serait dans le débordement d’idées inspirées dont on ne sait où. Pourtant, les porteurs de projets, qu’ils soient étudiants scientifiques ou artistes ont tous réussi à se soumettre à une même démarche de sélection et à travailler sous les mêmes contraintes. » Et puis, la même Mouna de souligner : « La créativité n’est pas propre aux artistes. Quand on est chercheur, on se doit bien évidemment d’être créatif ! »

De là donc cette prédisposition à travailler ensemble, pour peu cependant qu’on donne aux étudiants et artistes les moyens de se rencontrer. C’est précisément la vocation de Curiositas dont le mérite, pour Angélique Gilson est aussi de faire évoluer les statuts dans un chassé-croisé. « Nos projets amènent le scientifique à se comporter davantage en artiste, et l’artiste à s’approprier la démarche scientifique.» Toujours pour expliquer la réussite du dialogue, elle met encore en avant une préoccupation commune, celle du public. « Dans le cadre d’un projet CURIOSITas, on n’est guère enclin à tirer la couverture à soi, à défendre ses intérêts personnels. Car, qu’on soit scientifique ou artiste, on est avant tout soucieux de ne pas décevoir le public. Les risques de conflit et de rivalité se dissipent d’eux-mêmes. » Ce faisant, le festival peut être un moyen de convaincre les étudiants en science de l’intérêt de la dimension esthétique pour leurs travaux et, inversement, du fait que ce qu’ils apprennent ne sert pas qu’à faire de la science, mais peut servir un projet d’une tout autre nature, artistique ou culturelle, précisément.

Un rôle de médiation

Des témoignages qui confortent Christian Jacquemin dans l’idée que CURIOSITas peut donner à voir une autre image de la science et avoir ainsi une fonction de médiation. En général ou sur le Plateau de Saclay ? La question se pose au vu du nombre d’institutions et de personnes extérieures au territoire, impliquées directement ou indirectement (cf les artistes de Saint-Etienne, l’ESA, l’ENSBA de Paris…). Question qui en appelle une autre, celle de savoir si ce festival n’aurait pas pu en définitive voir le jour ailleurs. Qui sait ? Une chose est sûre pour Christian Jacquemin : l’écosystème saclaysien assure de précieuses ressources avec, en plus, de ses partenaires, plusieurs institutions impliquées dans l’un ou l’autre des projets en compétition (pas moins de quatre dans le cas de l’Abécédaire : le laboratoire de l’UFR STAPS, les deux FabLab, l’équipe AVIZ »).

Pour se convaincre de l’intérêt de la démarche, le visiteur a rendez-vous sur l’ensemble des sites des partenaires du festival dont l’ACO – l’emblématique Anneau de collisions d’Orsay, récemment labellisé « site du patrimoine historique » – qui accueillera l’ensemble les installations.

Pour une présentation exhaustive du programme et des partenaires, www.curiositas.fr

Légendes des deux photos : « Défilé Interactif », de Sarah Fdili Alaoui (Université Paris-Sud) et FEMME d’interieur & Phonotonic. Crédits : Gilad Sasporta ( 1re photo, en Une) ; Aline Pérot (2e photo).

 

 

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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