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Agriculture & Alimentation

De Mortagne-au-Perche et Bogota à Orsay en passant par New York.

Le 23 septembre 2014

Lui est originaire de Mortagne-au-Perche (dans l’Orne), elle, de Bogota (Colombie). Ils se sont rencontrés autour d’une passion commune pour les métiers de bouche. Voici près de quatre ans, ils se sont établis à Orsay après un crochet par New York. Rencontre dans leur boutique à laquelle Sylvain et Aileen Gasdon ont donné une nouvelle jeunesse, aux milieux de boudin noir, de quenelles de brochet, de tarte italienne, de fromage de tête,… pour ne citer que quelques-unes de leurs spécialités.

Au cours de la dernière Coupe du monde de football, il s’en est fallu de peu que les équipes de France et de Colombie ne se rencontrent en demi finale. Il eut « suffi » que la première l’emporte sur l’Allemagne, la seconde sur le Brésil. Heureusement qu’avec des si, on ne fait pas tout. Car si un tel scénario s’était produit, les Orcéens (habitants d’Orsay) en auraient subi un effet collatéral plutôt fâcheux : une possible scène de ménage au sein du couple Gasdon, de la charcuterie-traiteur de la rue de Paris. Car lui (Sylvain) est Français, elle (Aileen), Colombienne…

Un accent de Colombie

Cela étant dit, même dans l’hypothèse d’une confrontation entre les deux équipes, et quelle qu’en fût l’issue, Mr et Mme Gasdon se seraient toujours retrouvés autour de cette autre passion qu’ils partagent en dehors du ballon rond : celle de la bonne chère, qui a d’ailleurs fait se croiser leur destin.

Sa vocation à elle était pourtant de travailler dans la cuisine d’un restaurant. A l’âge de 18 ans, elle oriente ses études en ce sens, prête à partir à l’étranger, en hésitant cependant entre la France et la Suisse. Ce sera donc la France. Pourquoi ? « Parce que ce fut le premier pays à me livrer un visa »… On n’ose imaginer ce qui serait advenu si la fédération helvétique s’était montrée plus réactive…

Comment se résout-on à partir aussi loin, à un si jeune âge ? En guise de réponse, elle met en avant son expérience des voyages et séjours prolongés à l’étranger, loin de son pays natal. Elle a déjà vécu plusieurs années aux Etats-Unis : trois ans à Miami avec ses parents (« des gens très ouverts », dixit son mari). Seule, elle séjournera ensuite en Californie puis, après son bac, au Colorado. « Le temps de parfaire mon anglais. »

C’est donc sans appréhension qu’elle s’envolera en 2001, pour la France, mais sans parler ou si peu le français. Il en fallait plus pour la décourager. En parallèle à son apprentissage des métiers de la restauration, elle prend des cours accélérés. Sur les conseils d’un ami, elle se résout cependant à s’engager dans la cuisine en charcuterie-traiteur, a priori plus accessible quoique tout aussi exigeante. « Tu verras, m’avait-il dit, cela te permettra d’avoir un large aperçu des métiers de bouche, de la charcuterie à la boucherie en passant par la pâtisserie ».

Depuis, seul un léger accent trahit des origines exotiques, mais sans qu’on sache la nature exacte de celles-ci sauf à le lui demander. Pour autant, elle n’a pas renoncé à ses attaches colombiennes. Outre la ferveur susmentionnée pour l’équipe nationale de son pays natal, elle y retourne tous les ans. En attendant, skype permet d’entretenir régulièrement les liens avec les parents.

La capitale du boudin noir

A la différence de son épouse, Sylvain Gasdon a, lui, plongé très tôt dans la marmite. Il est de Mortagne-au-Perche (dans l’Orne, en Basse-Normandie), la « capitale du boudin noir » ânonne-t-il non sans humour. Située elle-même dans un pays de la charcuterie – nous ne sommes pas loin du Mans ! – qui, précise-t-il encore, forme des bataillons d’apprentis qu’on retrouve ensuite dans les bonnes charcuteries parisiennes sinon du sud-ouest francilien tout proche. « J’ai même connu un charcutier parisien qui faisait passer des annonces dans le journal local de Mortagne-au-Perche pour recruter les siens. » Il est vrai que nous n’en sommes qu’à une heure et demie à peine en voiture.

Parmi ses proches, Sylvain comptait un oncle charcutier, installé au Mans avant de déménager pour Nantes. « Adolescent, je passais mes vacances chez lui. Naturellement, il m’a transmis son amour du métier et son savoir-faire. » Résultat : « Avant même d’être apprenti, je savais désosser un jambon. » C’est encore cet oncle qui l’incitera à monter à Paris. « Tu vas voir, tu auras accès aux meilleurs produits. » A l’âge de 18 ans, le voilà donc chez un ancien patron de son oncle, Gagnepain, dans le XVIe arrondissement. Nous sommes en 1996. Il y reste le temps de finir ses études, avec l’intention de retrouver son Mortagne-au-Perche. « Forcément, j’en avais un peu la nostalgie. » Il y est de nouveau en 1998, pour passer son brevet de maîtrise avec cependant toujours la même ambition : s’installer. « Dès que j’ai commencé l’apprentissage, je me suis fixé pour objectif d’ouvrir ma propre boutique. Comme le tonton ! »
Il n’en retient pas moins l’enseignement d’un ami compagnon boulanger. « Il faut dix ans pour bien connaître son métier et commencer à s’amuser avec. » Sylvain prend donc le temps de parfaire son apprentissage en intégrant des « charcuteries de tradition ». En 1998, direction Antony, dans le sud de Paris, pour participer à l’ouverture d’une nouvelle charcuterie traditionnelle ( « Au Gourmet d’Antony »), sise rue Auguste-Mounié. « Je venais d’avoir tous mes diplômes. C’était donc ma première année au titre d’ouvrier. » Des diplômes au pluriel, en effet, car la particularité d’un charcutier traiteur est de couvrir l’ensemble des métiers de bouche. « A la différence d’un boucher ou d’un charcutier, on travaille l’ensemble des produits aussi bien sucrés que salés. » De la charcuterie jusqu’au dessert en passant par la viande et le poisson, sans oublier les plats préparés. Bref, un métier complet. « Trop peut-être car cela doit décourager probablement beaucoup de jeunes » : c’est à quelques mots le constat que livrent avec un regret Sylvain et Aileen, sans même se concerter. En 2005, direction Paris où Sylvain va assister le célèbre Gille Verot dans la création de sa deuxième boutique. C’est à cette occasion qu’il rencontre sa future femme alors en apprentissage.

Une expérience new-yorkaise

Avant d’en venir à ouvrir enfin leur propre boutique, il y eut en 2007-09 un passage par la case… New York ! Sylvain : « Un chef lyonnais voulait y créer un bar à vin avec un accompagnement de charcuterie française. Seulement importer de la charcuterie aux Etats-Unis, française ou pas, c’est presque mission impossible compte tenu des normes drastiques imposées sur le plan sanitaire. » Qu’à cela ne tienne, le chef lyonnais fera venir un ouvrier charcutier pour qu’il conçoive les produits sur place. Ce sera donc Sylvain, qui s’y rendra accompagné de sa femme. Arrivés en août 2007, ils y resteront plusieurs mois, le temps d’expérimenter différents produits avec les moyens du bord. « A New York, faute de véritable filière de production, on ne dispose pas aussi facilement qu’en France des matières premières nécessaires à la confection des saucissons, des jambons et autres triperies. Il a donc fallu identifier les producteurs de porcs, s’adapter à l’absence de certains produits. » Malgré ces difficultés, Sylvain atteint l’objectif qui avait été fixé, à savoir une quinzaine de produits qui fleurent bon la charcuterie traditionnelle made in France : du jambon blanc, donc, mais aussi du pâté grand-mère, sans oublier le fromage de tête, etc. « Il importait que les Français de passage ou les New-Yorkais ayant séjourné en France retrouvent les mêmes sensations. » Ils peuvent le faire depuis janvier 2008, date d’ouverture du bar à vin. Aux dernières nouvelles, celui-ci se porte bien.

Avant le retour en France, fin 2009, Sylvain répond à une commande : la confection de la charcuterie pour un repas retour de noces, celles, en l’occurrence, du fils de Monsieur Paul Bocuse himself, à Orlando. Le saucisson lyonnais au pistache aurait été, dit-on, apprécié par le célèbre chef.

A Orsay, en passant par Le Mans…

Pourquoi ne pas être resté aux Etats-Unis ? « Nous étions tentés de nous y établir, mais force était de constater que le concept de charcuterie avait du mal à y percer. » Retour donc en France, au Mans précisément. « L’erreur qu’il ne fallait pas commettre ! » Non que la ville soit difficile à vivre. Au contraire. Mais le contraste est manifestement trop grand avec ce qu’ils ont vécu aussi bien à Paris qu’à New York. Sylvain : « Le Mans, le week-end, c’est volontiers, ne serait-ce que pour y suivre les 24 h de course automobile, mais pas pour y travailler comme charcutier traiteur. Nous sommes loin de Rungis où on trouve tous les produits de qualité dont nous avons besoin. Les fournisseurs locaux proposaient un choix beaucoup plus restreint, de surcroît pour une charcuterie dans laquelle je ne me reconnaissais plus. Pour ne rien arranger, notre boutique ne jouissait pas d’un bon emplacement. »

Mission sauve-qui-peut. Sylvain active son réseau parisien. On lui signale une boutique à Orsay, tenue par un couple au bord de la retraite. « Une petite affaire, qui n’occasionnait pas de lourds investissements. Juste ce qu’il nous fallait. » Car au Mans, les Gasdon se sont pris un bouillon… Mars 2011, les voici donc à Orsay, dans leur boutique actuelle. La greffe a aussitôt pris. « Nous nous y étions rendus deux trois fois avant d’arrêter notre décision. La ville nous correspondait bien. Nous ne sommes pas loin de Paris et tout près des vallées de Chevreuse et de la Bièvre que nous fréquentions du temps où nous étions à Antony. »

La charcuterie traditionnelle rencontre d’emblée le succès. Un peu trop vite d’ailleurs. « Au début, nous ne proposions que le tiers de ce que l’on propose aujourd’hui, mais nous n’étions que deux, ma femme et moi ! Il me fallait parfois quitter la cuisine pour lui prêter main forte à la boutique. Par chance, j’avais l’expérience de la relation avec la clientèle pour avoir travaillé dans la vente en direct dans une ferme. N’empêche, parfois, c’était un peu la panique ! » Ils tiennent ainsi quatre mois, avec le concours d’une aide, avant de bénéficier du renfort de la mère de Sylvain. « Elle avait une épicerie à Igé [ à une vingtaine de kilomètres de Mortagne-au-Perche ], qui battait un peu de l’aile. Elle a commencé par venir nous prêter main forte en fin de week-end. » Aujourd’hui, la charcuterie fait travailler dix personnes dont un apprenti. Entretemps, le couple a eu un deuxième enfant. Cerise sur le gâteau : en 2013, Sylvain a décroché « l’Oreille d’Or » pour son fromage de tête, à l’issue de la coupe de France de la spécialité.

Cette année, le couple a mis à profit les vacances estivales pour donner une nouvelle jeunesse à la boutique. Plus aéré, le résultat n’a pas manqué d’alimenter les discussions des fidèles d’entre les fidèles clients, chacun y allant de son appréciation. Une clientèle sur laquelle Sylvain et Aileen sont aussi intarissables qu’elle, à leur sujet. Une clientèle de tous âges et de connaisseurs. Elle : « Les plus âgés apprécient manifestement de retrouver des produits et des plats traditionnels faits à notre façon tandis que beaucoup de jeunes éprouvent le besoin de revenir à des produits de qualité. » Lui :« Et puis, il n’est pas rare d’en croiser qui aient séjourné à New York ! »

Paris-Saclay et « les gens du midi »

Et Paris-Saclay, dans quelle mesure le double projet d’université et de cluster les a convaincus de s’installer ici ? Sylvain : « Autant le dire, ce n’est qu’une fois sur place que nous en avons entendu parler. » Et à la question du comment, il précise : « En en discutant tout simplement avec des clients dont beaucoup y sont directement impliqués. » A commencer par ceux que lui et Aileen appellent avec affection les « gens du midi ». En l’occurrence le personnel de l’Etablissement public Paris-Saclay (EPPS) dont les bureaux sont à peine à dix minutes à pied ! Renseignement pris, c’est Ghislain Mercier (que nous avons eu l’occasion d’interviewer sur le projet de la plateforme numérique de Paris Saclay ; pour accéder à l’entretien, cliquer ici), qui s’y aventura le premier. Les plats préparés qu’il en rapportait n’ont pas manqué de chatouiller les narines de ses compagnons de repas. Le bouche-à-oreille a ensuite fait le reste. Entre midi et 13 h 30, lui et ses collègues y défilent, seuls ou en grappe. Vous l’aurez donc compris : la charcuterie sise rue de Paris à Orsay est la bonne adresse où se rendre pour bien se restaurer et/ou rencontrer l’interlocuteur que vous peineriez à joindre par téléphone ou par e-mail…

Dernière minute : une inauguration de la boutique parée de ses nouveaux atours a lieu ce jeudi 18 septembre, à 18 h (11 rue de Paris, à Orsay). Les chalands y sont les bienvenus.

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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