De l’IA pour désherber sans pesticide
Entretien avec Sébastien Gorry, président cofondateur de Cyclair
Suite de nos échos au concours Démo Day organisé le 17 décembre dernnier à La Terrasse Discovery +x avec, cette fois, le témoignage de Sébastien Gorry, le président de Cyclair, une start-up de l’AgriTech qui propose un robot né du croisement entre ingénierie mécanique et IA.
- Pouvez-vous, pour commencer, pitcher Cyclair ?
Sébastien Gorry : Cyclair est une start-up de l’AgriTech fondée en 2019 ; elle vise à offrir aux agriculteurs des solutions alternatives aux intrants chimiques. Comme vous le savez, les pratiques agricoles essuient de nombreuses critiques du fait de leur impact environnemental. Seulement, peu de solutions viables économiquement existent qui soient adaptées aux acteurs de l’agriculture conventionnelle. Il faut savoir qu’entre 35 à 50% des intrants chimiques, ou produits phytosanitaires, servent à protéger les plantes cultivées des mauvaises herbes. On peut cependant imaginer de revenir à des systèmes mécaniques pour les arracher, les scalper, mais cela suppose de la précision. Il ne faudrait pas cependant que cela exige de mobiliser plus de main d’œuvre, car les coûts de production sont déjà à un niveau difficilement supportable pour le producteur ou parce qu’il n’est tout simplement pas possible de trouver la main d’œuvre requise. C’est fort de ces constats qu’avec mes associés, nous avons entrepris de développer un robot autonome qui, grâce aux outils qu’ils embarquent – des capteurs – est en mesure d’arracher les mauvaises herbes dans les champs de grandes cultures – de blé, de colza, de maïs, de tournesol, etc. (soit 70% des surfaces agricoles en France) – sans nuire aux plantes cultivées.
- On voit très bien l’intérêt de votre solution et on se dit que d’autres ont dû y penser avant vous. Si tel est le cas, qu’est-ce qui différencie Cyclair de la concurrence ?
S.G.: Beaucoup de personnes y ont probablement pensé, mais jusqu’il y a peu, nous ne disposions pas de solutions technologiques pour répondre aux problématiques du désherbage mécanique dans des champs de grandes cultures. Des confrères – vous remarquerez que je ne les considère pas comme des « concurrents » – ont développé des robots autonomes pour le maraîchage ou la vigne. Mais, dans ces cas, les champs ne présentent pas une trop grande variabilité – des ceps de vigne, pour ne prendre que cet exemple, sont plantés pour une trentaine d’années de sorte qu’on peut les géolocaliser sans difficulté au moyen du GPS et générer un chemin de passage que le robot n’aura plus qu’à suivre. De même, en maraîchage, nous avons affaire à des rectangles relativement bien réguliers ; la valeur ajoutée de la production est telle que l’on peut prendre le temps de tracer là aussi un chemin GPS.
En grandes cultures, le défi est tout autre : les parcelles sont irrégulières ; nous avons cette fois affaire à de grandes surfaces, bordées selon le cas de cours d’eau, de zones boisées, etc. L’agriculteur n’est pas en mesure de pré-tracer le chemin GPS que le robot aura à suivre.
- Comment avez-vous donc résolu le problème ?
S.G.: En tirant profit des développements de l’IA intervenus au cours de ces cinq-dix dernières années : sa capacité d’analyse de l’environnement peut désormais être miniaturisée et embarquée dans un robot de façon à permettre à celui-ci de générer lui-même son chemin, sa trajectoire, en temps réel, sans nécessité donc de pré-enregistrement. Voilà comment nous nous différencions de l’offre de nos confrères, en apportant, cette fois, une réponse aux besoins spécifiques des champs de grandes cultures.
- Qu’est-ce qui vous a, à titre personnel, prédisposé à vous lancer dans cette aventure entrepreneuriale ?
S.G.: Premièrement, je suis fils d’agriculteur. J’ai baigné dans l’agriculture depuis tout petit, j’ai passé pas mal de temps dans des tracteurs avant de m’engager dans des études d’ingénierie – je suis diplômé de Supmeca Paris, formé à la mécanique analytique, thermique, et à la modélisation et simulation de systèmes physiques. Ensuite, j’ai commencé ma carrière professionnelle dans l’industrie, au sein du groupe Air Liquide. Jusqu’à ce que l’appel de la terre ne s’impose de nouveau. J’y ai répondu d’autant plus volontiers que j’avais le souci d’aider l’agriculture à relever ses défis de souveraineté, sociaux et environnementaux. C’est ainsi que j’en suis venu à cofonder Cyclair avec la conviction que nos expertises, la mienne et celles de mes associés, pouvaient être utiles à une agriculture plus durable.
- Où en êtes-vous dans le développement de votre start-up ? Peut-on déjà faire l’acquisition d’un de vos robots ?
S.G.: Notre solution a été développée au cours de ces cinq dernières années. Aujourd’hui, nous avons franchi la phase de pré-série : sept machines ont été fabriquées, qui ont été déployées en 2024 dans les champs de clients et ce, dans l’intention de commencer à générer du chiffre d’affaires, mais également pour tester nos machines en conditions réelles et pouvoir en comparer les performances avec celles de solutions classiques basées sur le recours à des intrants chimiques. Les premiers résultats sont très encourageants. Désormais, nous sommes en recherche de fonds pour passer à la phase suivante, celle de l’industrialisation.
- Est-ce à dire que nous pourrons prochainement voir vos robots circuler sur les parcelles des agriculteurs du plateau de Saclay ?
S.G.: [Sourire]. Bien sûr ! Pour l’heure, nous négocions avec des coopératives en leur proposant en cas d’accord de principe un an d’essai sur leur plateforme d’expérimentation – il faut savoir que les coopératives procèdent régulièrement à des tests de nouveaux matériels, semences, pratiques culturales, produits phytosanitaires, etc. Notre espoir est qu’une coopérative qui aura pu ainsi avoir confirmation de la performance de notre robot démarchera ensuite ses membres – des exploitations agricoles – pour les inciter à l’adopter dès l’année suivante. Avec pour effet, comme nous l’espérons, de démultiplier les commandes. Nous avons bon espoir, car nous en sommes convaincus : notre solution est viable tant sur le plan environnemental que sur le plan économique ne serait-ce qu’en permettant à l’agriculteur de faire d’importantes économies en se passant de produits phytosanitaires.
- Cela n’en représentera-t-il pas moins un investissement supplémentaire ?
S.G.: Oui, bien sûr, et, autant le reconnaître, le coût d’acquisition d’un de nos robots peut être dissuasif pour une exploitation. Mais les agriculteurs ont la possibilité d’en faire un achat groupé, comme cela se fait déjà pour d’autres matériels ou machines, de le mutualiser pour un parcellaire total de 100 à 300 ha.
- Qu’est-ce qui vous a motivé à participer au concours Demo Day et à la formation proposée en amont ?
S.G.: Avec nos associés, nous recherchons des partenaires bancaires pour nous accompagner à la fois en levée de fonds pour un montant de 4 à 5 millions d’euros, et en financement bancaire, enfin, pour du leasing de matériel. Pour l’heure, la Banque populaire Val de France a répondu présent sur deux de ces trois axes. Nous espérons qu’il en fera autant sur le 3e. En attendant, cette même banque nous a proposé de suivre sa formation à la levée de fonds, à la Terrasse Discovery +x. Une opportunité que nous ne pouvions pas ne pas saisir, d’autant que l’investissement en temps était raisonnable – la formation se déroulait sur cinq jours répartis sur un mois et demi. Sans compter la perspective de pitcher à la fin devant une dizaine de fonds d’investissement : une chance pour tout entrepreneur !
- Quels enseignements en tirez-vous ?
S.G.: Des mécanismes dont je n’avais pas forcément connaissance ; l’existence d’autres offres de financement en plus d’une levée de fonds ; les systèmes d’affacturage, etc. En bref, tous les services bancaires dont une entreprise a besoin pour bien fonctionner.
- Et puis, vous repartez avec le premier prix du jury…
S.G.: [Rire]. Cela fait d’autant plus plaisir que c’était inattendu. Je remercie tous les acteurs qui nous ont accompagnés dans la formation et accordé ce prix. Il n’y a plus qu’à espérer que parmi les dix fonds présents, certains vont répondre présent pour financer la phase d’industrialisation et contribuer ainsi à la ré-industrialisation du pays, car il va sans dire que nous avons l’ambition de produire nos robots en France. Il ne faudrait pas qu’on nous objecte que nous sommes dans le hardware, que c’est trop compliqué, comparé à des solutions software. Pour ce qui nous concerne, nous faisons les deux, en combinant de l’ingénierie mécanique et de l’IA. Ce qui est un gage supplémentaire de sécurité pour notre entreprise.
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