Entretien avec Dorian Mendes, qui porte le projet étudiant VisiOne dans le cadre de la Filière Innovation Entrepreneur.e.s de l'Institut d'Optique
Décidément, les élèves-ingénieurs de la Filière Innovation Entrepreneur.e.s. de l’Institut d’Optique ont du talent mais aussi de l’altruisme à revendre. Illustration avec Dorian Mendes, qui porte le projet étudiant VisiOne, destiné à faciliter le diagnostic des œuvres d’art, en plus d’être sensible à la promotion de la science auprès des lycéennes.
- Si vous deviez, pour commencer, pitcher VisiOne, le projet que vous portez dans le cadre de la FIE ?
Dorian Mendes : Ce projet, que je porte dans le cadre de ma 2e année à l’Institut d’Optique, en FIE, avec deux autres élèves-ingénieurs, Hriday Bhardwaj comme moi sur le site de Palaiseau, Flavien Vallet sur celui de Bordeaux, vise à aider les conservateurs de musée à diagnostiquer les tableaux qu’ils possèdent dans leur fond, d’en évaluer l’état, à déterminer le risque de détérioration, les pigments utilisés. Et ce, au moyen d’une simple photo prise avec un appareil spécifique que nous sommes justement en train de développer. Le tout pour un coût moindre que les diagnostics classiques. Ce projet a été lancé en juin 2024, il y a huit mois, en collaboration étroite avec la société Mihaly, qui développe des technologies de numérisation et d’impression 3D surfacique pour le patrimoine culturel et l’industrie, et qui se trouve avoir ses locaux au 503.
- Vous avez eu l’occasion de me parler de ce projet lors de la Journée Entrepreneuriat Étudiant (JEE) organisée au 503, en octobre dernier, par IncubAlliance. Le projet avait encore moins de mois d’existence et, pourtant, il paraissait déjà très mature et prometteur. Comment l’expliquez-vous ?
D.M. : Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur une méthode éprouvée, inspirée des quinze ans d’expérience de la FIE, qui permet de valider une offre, un produit ou service auprès de la cible clientèle, de façon itérative. Quand nous nous sommes vus, nous avions déjà, mes camarades et moi, lancé une étude de marché que nous avons depuis approfondie. En parallèle, nous faisions des allers-retours permanents entre les laboratoires de recherche et nos partenaires et clients potentiels – les conservateurs de musée en l’occurrence – pour coller au plus près de leurs besoins et nous prémunir du risque de concevoir un appareil génial sur le papier, mais sans réels débouchés. Ainsi nous avons pu affiner nos options technologiques. Nous sommes déjà parvenus à une simulation informatique, qui nous permet d’avoir de premiers résultats probants – nous l’avons réalisée sur des fleurs et des paysages urbains avant d’envisager de le faire sur des œuvres d’art, qui restent quand même notre centre d’intérêt [Sourire].
- Comment se passent les échanges avec les chercheurs ?
D.M. : Nous sommes allés à la rencontre de scientifiques de différents laboratoires de SupOptique, à Palaiseau, mais aussi Bordeaux et Saint-Étienne, et d’autres encore, spécialisés dans la conservation de patrimoine, à commencer par ceux du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF), situé dans les sous-sols du Louvre. Nous avons alors pu rencontrer des chercheurs développant des techniques de conservation, d’identification et de restauration. Nous avons pu aussi rencontrer des conservateurs et directeurs de musées ainsi que des artistes, comme ce peintre disposé à nous aider en nous prêtant certaines de ses œuvres pour les besoins de nos tests.
- Comment expliquez-vous que tous ces interlocuteurs aient pris autant au sérieux votre projet ? Vous êtes jeunes…
D.M. : Nous croyons à notre projet au point de pouvoir l’exposer avec un certain aplomb, ce qui capte l’attention de nos interlocuteurs et leur montre que nous sommes à prendre au sérieux, même si nous ne prétendons pas venir avec toutes les réponses. Nous avons aussi des questions, et c’est d’ailleurs d’abord pour cela que nous les sollicitons. Nous interlocuteurs ne demandent qu’à y répondre. Cela vaut pour les scientifiques, toujours disposés à nous parler de leurs travaux de recherche – ce sont des passionnés tout comme nous qui sommes aussi des scientifiques fût-ce encore en formation. Et cela vaut aussi pour les conservateurs et directeurs de musées, ou encore les artistes, qui ne demandent qu’à partager leur propre passion pour tous les sujets touchant à l’art ou au patrimoine. A fortiori quand on leur soumet une problématique qui les concerne au premier chef, comme celle des risques de détérioration d’œuvres d’art. Ils sont d’autant plus disposés à nous aider que nous venons avec une solution possible.
- Ce qui, comme on l’imagine, suppose aussi de votre part et de celle de vos camarades, une appétence pour l’art et le patrimoine…
D.M. : Oui, bien sûr. Nous avons tous les trois une sensibilité artistique et plus largement à la culture en général. Nous avons la chance de vivre dans un pays d’une grande richesse au plan artistique et patrimonial. On y compte de très nombreux musées dont le Louvre, le plus visité au monde. Si je pouvais contribuer au rayonnement de mon pays en apportant une solution à la préservation d’œuvres d’art, j’en serais très content.
- Vous le faites donc à partir d’une démarche d’entrepreneur innovant. Qu’est-ce qui vous a prédisposé à opter pour cette voie ?
D.M. : Depuis mes années de classes préparatoires, mon cursus est à dominante scientifique et, si j’ai intégré l’IOGS, c’était pour y faire de la physique fondamentale. Rien ne me prédisposait donc à l’entrepreneuriat innovant jusqu’à cette présentation de la FIE, en 2024, que nous avait faite David-Olivier Bouchez et Joël Nguyen. En en discutant longuement avec eux, j’ai été convaincu au-delà du principe de créer une entreprise, par la possibilité de valoriser mes connaissances. Si je reste un scientifique dans l’âme, pleinement investi dans l’optique et la photonique, je n’en aime pas moins cette idée de manager un projet, de savoir le « vendre ». Car, il ne suffit pas d’avoir une belle idée, encore faut-il qu’elle rencontre son marché. C’est tout l’intérêt de la FIE que de nous préparer à la création d’une entreprise et à son développement en en maîtrisant tous les aspects y compris la gestion, le management, le marketing,… Au-delà de mon cas personnel, j’ai la conviction que l’entrepreneuriat innovant est une voie possible pour un chercheur. Remis en novembre 2024, le rapport Pommier-Lazarus (1) met en avant la difficulté pour certains docteurs de s’insérer professionnellement en dehors du secteur académique. Un an après leur thèse, 72 % d’entre eux travaillent encore dans ce dernier, mais ce chiffre tombe à 44 % après trois ans, indiquant une transition parfois longue et incertaine. L’entrepreneuriat y est présenté comme une voie possible pour pallier cette difficulté, en permettant aux docteurs de valoriser leurs compétences et expertises dans des projets innovants. C’est pourquoi je pense qu’il est tout à fait logique de faire un an d’initiation à l’entrepreneuriat dans le cadre de la FIE.
- Vous m’offrez l’occasion de signaler au passage le parcours doctoral « R&D en entreprise » animé par Bernard Monnier, qui part de l’hypothèse que si des doctorants peinent à trouver un emploi en entreprise, c’est faute d’en avoir eu une expérience au cours de leurs années de thèse. Cela étant dit, j’aimerais vous entendre sur le lieu où nous réalisons cet entretien : le 503 qui a été l’objet d’une importante restructuration et rénovation. On imagine que le cadre de travail qu’il offre est en lui-même « inspirant », propice au déploiement de votre projet entrepreneurial…
D.M. : Inspirant, c’est le mot. Et il l’est dès l’entrée avec cette œuvre qui y est exposée – une œuvre réalisée par Mihaly, la société partenaire que j’évoquais. Quant au bâtiment, il a été effectivement entièrement rénové, au point de paraître neuf. Il se situe en plein milieu de la forêt domaniale de Gif-sur-Yvette, dont on peut entendre les oiseaux juste en ouvrant la fenêtre de son bureau. La terrasse située au 3e étage offre une vue imprenable sur la vallée. Et puis, nous sommes au contact de nombreuses start-up de différents domaines. La dernière en date à être arrivée est IrisLab, qui fait de la recharge de drone pas laser – une innovation de rupture s’il en est. En cas de besoin, les étudiants en FIE peuvent la solliciter elle comme n’importe quelle autre start-up en résidence ici. C’est le principe de la FIE : les aînés, souvent très jeunes aussi, sont là pour épauler les élèves-ingénieurs de la FIE. En cas de besoin, on peut les solliciter, leur demander conseil.
- Rappelons que le 503 s’inscrit dans l’écosystème de Paris-Saclay : on n’est qu’à quelques encablures de CentraleSupélec, de l’ENS Paris-Saclay et de bien d’autres établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Cet environnement fait-il sens pour vous ? A-t-il des effets sur la dynamique de votre projet ?
D.M. : Au cas où nous n’aurions pas conscience de cet environnement, l’Institut d’Optique nous le rappelle : pas plus tard que ce matin, nous avions un cours sur l’écosystème de Paris-Saclay. Donc, oui, nous avons conscience d’être dans un environnement favorable, dans lequel nous sommes pleinement insérés. Pour preuve, notre Photonic FabLab : même s’il est suffisamment bien équipé pour nous permettre de réaliser de premiers prototypes, on peut en cas de besoin accéder à d’autres FabLabs de Paris-Saclay, organisés en réseau. Nous avons aussi la possibilité d’interagir avec d’autres acteurs de l’écosystème : la SATT Paris-Saclay, pour aborder les questions de transferts technologiques ; IncubAlliance, qui, on l’a dit, organisait ici même la JEE, etc. Tous répondent volontiers à nos sollicitations. Ce n’est pas tout : pas plus tard que jeudi dernier, nous avons pu participer à un événement organisé sur le plateau de Saclay, par BPI France. Bref, à Paris-Saclay, le réseautage fonctionne bien. C’est un écosystème particulièrement dynamique, favorable à l’éclosion et au développement de projets entrepreneuriaux.
- Parmi les événements qui s’y déroulent, il y a donc celui que vous m’avez signalé : les Rencontres des lycéennes & femmes scientifiques, qui vont démarrer dans le bâtiment principal de l’IOGS, situé dans le quartier de l’École polytechnique. J’aimerais que vous m’en disiez un mot, car cela dit beaucoup de votre engagement multiple, dans votre école et son écosystème…
D.M. : J’accorde beaucoup d’importance à mon implication dans la vie de mon école, que je considère un peu comme une seconde famille. Donc, oui, nous allons quitter le 503 pour nous rendre de l’autre côté du plateau, et rejoindre la 5e édition de ces rencontres, en forme de speed dating, entre des lycéennes et des scientifiques – des élèves ingénieures, des doctorantes ou des enseignantes-chercheuses de l’IOGS. Elle est organisée par Sylvie Lebrun, elle-même enseignante-chercheuse de cette école, pour valoriser l’image des femmes scientifiques ou ingénieures auprès des jeunes filles. Une nécessité quand on voit les chiffres relatifs à leur proportion dans les filières scientifiques et les écoles d’ingénieurs. J’y participe en assurant la visite de laboratoires. Au-delà de la lutte pour l’égalité homme-femme, ce qui me motive, c’est encore une fois la promotion de mon école. De là aussi ma participation au salon de l’Étudiant ou une intervention dans mon ancienne classe prépa. Si l’Institut d’Optique est bien connu sur le plateau de Saclay, à Bordeaux et Saint-Étienne, il gagne à l’être encore davantage en France et dans le monde !
Note
(1) Le rapport Pommier-Lazarus, remis le 5 novembre 2024, vise à améliorer la valorisation du doctorat dans le monde de l’entreprise et de l’industrie. Il met en lumière le retard de la France en matière d’insertion professionnelle des docteurs par rapport à ses partenaires internationaux. Le rapport propose 10 recommandations pour renforcer les synergies entre la recherche et l’industrie et mieux reconnaître la valeur du doctorat dans le secteur privé. Il a été commandé par Sylvie Retailleau et Roland Lescure, alors respectivement ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et ministre de l’Industrie.
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