Entretien avec Christophe Dagallier, directeur de Mérinos France
Suite de nos échos au Demo Day, le concours de pitchs organisé le 14 mars dernier à la Terrasse Discovery +x avec, cette fois, le témoignage de Christophe Dagallier, de Mérinos France, qui se propose de relancer une filière de laine de qualité en France, y compris le plateau de Saclay.
- Comment en êtes-vous venu à vouloir relancer la production de laine de qualité en France ?
Christophe Dagallier : Ma démarche est née de plusieurs constats. Aujourd’hui, en France, la laine n’est considérée que comme un sous-produit de l’élevage. Des éleveurs sont pourtant obligés de tondre leurs agneaux, brebis et béliers au moins une fois par an. 14 000 tonnes de laine sont ainsi produites dont près de la moitié est expédiée en Asie tandis que 3 000 sont jetées ; le reste, environ 5 000 tonnes, est à peu près transformé en France ou dans le reste de l’Europe. La Chine, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont les trois premiers pays producteurs de laine au monde. Ils représentent à eux trois 47% de la production totale, soit 1,8 million de tonnes par an. La majeure partie de cette production arrive dans les pays consommateurs de laine, les pays européens et les États-Unis en l’occurrence, après avoir transité par la Chine pour y être transformée en utilisant une énergie carbonée. Cette situation n’est plus tenable, ne serait-ce que du point de vue du bilan carbone. Et ce, d’autant moins dans le cas de la France que le pays compte une importante industrie du Luxe consommatrice de laine de qualité. Plutôt que d’exporter la laine à l’état brut, autant la transformer sur place, dans notre pays.
Mais aussi curieux que cela puisse paraître, la laine n’est pas un sujet pour les éleveurs pas plus que pour les reproducteurs. Les moutons qui sont reproduits et élevés sont d’abord destinés à la consommation de viande. Les Australiens et Néo-Zélandais ont parfaitement pris la mesure de l’enjeu. Depuis des années, ils consentent d’importants efforts en R&D. Le marché australien se structure désormais autour d’une laine à moins de 21 microns, jusqu’à 19 microns.
- Que signifient ces chiffres ?
C.D. : Il faut savoir que la laine commence à gratter à partir de 24 microns ; la laine standard fait 21 microns. Actuellement, on peut descendre jusqu’à 16 microns. Soit une qualité proche du cachemire.
- Comment envisagez-vous de participer à cette course à la qualité ?
C.D. : Pour commencer, nous avons porté notre choix sur le Mérinos d’Arles, un mouton de petite taille qui assure une laine de 21 microns. Notre ambition est d’aller plus loin : un fil de laine de 16 microns, soit le Graal de l’industrie du Luxe même si, récemment, LVMH a annoncé une laine de 11 microns. Nous voulons travailler sur la génétique en partenariat avec l’INRAE et la Bergerie nationale de Rambouillet. Pour monter en échelle, notre intention est de diffuser notre innovation génétique auprès d’éleveurs en adaptant l’animal à son environnement car, bien évidemment, un mouton élevé en région parisienne ne se comporte pas de la même façon qu’en région PACA, par exemple.
- Est-ce à dire que vous avez des compétences en matière d’élevage ?
C.D. : Oui ! Une des premières choses que j’ai faites en me lançant dans ce projet est d’acquérir un troupeau de Mérinos. J’ai ainsi appréhendé le monde de l’élevage en devenant moi-même éleveur. Je connais aussi parfaitement les métiers de la production : c’est le business historique de mon entreprise. Par ailleurs, la première personne que j’ai embauchée est un designer talentueux qui crée de la différenciation sur les produits finis. Enfin, je connais tout aussi parfaitement le monde des acheteurs potentiels et je suis en mesure de leur apporter un story-telling…
- Un story-telling ?
C.D. : Les acheteurs, les stylistes, ne font plus le lien entre la matière qu’ils travaillent, la laine, et son origine, des moutons…
- En somme, vous vous proposez de renouver les « fils » de l’histoire…
C.D. : Oui. Déjà en commençant à les faire venir sur des sites d’élevage, ne serait-ce que pour qu’ils redécouvrent la source de leur matière première : des moutons, en vrai. Nul doute que cela changera leur rapport à cette matière qu’ils valorisent par leur art. En visitant notre troupeau, les designers et les chefs de produits des marques vivent une expérience émotionnelle à nos côtés, et cela crée de l’attachement à la terre et à ce qu’elle produit.
- Quel tarif peut atteindre un pull fait avec une laine de meilleure qualité ?
C.D. : Un pull fait avec un fil de 21 microns coûte en moyenne 120 euros, en B to B, hors taxe. Le prix peut cependant monter jusqu’à 250 euros pour un pull fait avec du fil à 16 microns, soit plus du double. Je vise donc le marché du Luxe, un marché que je connais bien : Mérinos France, la société que j’ai créée il y a une vingtaine d’années, produit pour de grands noms du secteur.
Aujourd’hui, au sein du marché du Luxe, la laine pèse à peu près 4 milliards euros de chiffre d’affaires sur un total de 110 milliards. Au sein du marché du Luxe dit accessible, elle pèse 800 millions d’euros sur un total d’environ 10 milliards.
Toutes les entreprises du secteur sont aujourd’hui soumises à des obligations en matière de RSE, de traçabilité ou encore de réduction d’émissions de GES : la loi AGEC [Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire] oblige notamment à assurer une meilleure traçabilité des produits entrant dans la fabrication des vêtements. À quoi s’ajoutent plusieurs labels et standards : RWS (pour Responsible Wool Standard), qui garantit le respect du bien-être animal ; GOTS (Global Organic Textile Standard) ; OEKO-TEX, etc.
- Quel est votre modèle d’affaires ?
C.D. : Il est on ne peut plus simple ! Pour un pull comme celui que je porte, fait avec de la laine à 21 microns, la marge brute est de 32%. Quand on transforme soi-même la laine, en disposant de ses propres filatures, cette marge brute monte à 52%. Prenez maintenant un pull à 16 microns, la marge est de 70% – de 64% si on se limite à la production du fil. Notre offre est donc de proposer au client soit le produit fini (le pull), soit le produit semi fini (le fil). La première offre peut intéresser les entreprises du Luxe moins engagées dans une intégration verticale.
À l’horizon 2028, nous nous fixons un chiffre d’affaires de 14,5 millions d’euros. Ce qui suppose de produire 200 tonnes de laine, un niveau tout à fait atteignable avec une quarantaine d’éleveurs, auxquels nous proposons des contrats de cinq ans au minimum avec un prix garanti. En contrepartie de quoi ils s’engagent à une exploitation de qualité, à bien nourrir leurs bêtes, à les tondre avec attention, etc. Bref, c’est un jeu gagnant-gagnant : leur laine étant de meilleure qualité, nous les rémunérons plus et, donc, leur revenu augmente.
Pour conquérir des clients B to B, nous envisageons d’approcher deux catégories d’interlocuteurs : soit les responsables RSE, qui peuvent être intéressés par notre démarche, soit les responsables produits auxquels nous proposons des pulls faits par nous-mêmes ou par des sous-traitants de maisons de Luxe. Ce que nous avons déjà entrepris de faire.
- On imagine que vous n’êtes pas seul pour mener à bien ce projet…
C.D. : Non, en effet. Outre le designer que j’ai déjà évoqué, j’ai recruté un team manager.
- À quelle concurrence vous confrontez-vous ?
C.D. : Aujourd’hui, nous sommes les seuls à avoir une connaissance à la fois de l’élevage, des enjeux de qualité et de l’univers du Luxe. Sans oublier des compétences en design et une capacité à mener des projets en R&D, qui nous distinguent tout particulièrement. Nous envisageons d’ailleurs de solliciter des subventions de type Innovation I-Lab.
- À combien estimez-vous vos besoins financiers pour poursuivre votre développement ?
C.D. : Nous cherchons actuellement un million d’euros pour financer la R&D, construite un centre de génétique sur le plateau de Saclay – le site a déjà été identifié -, monter un studio de design, enfin, faire du développement commercial et marketing. Comme vous l’aurez compris, le projet n’est pas seulement tourné vers l’industrie du Luxe. Il l’est aussi vers l’élevage. C’est pourquoi j’ai besoin d’investisseurs qui comprennent le sens du projet, lequel s’inscrit nécessairement dans du temps long. La création de valeur dans une agriculture durable et responsable est actuellement très à la mode, et c’est tant mieux. Je suis donc confiant quant à pouvoir toucher plus d’une corde sensible chez des investisseurs.
- Votre projet a-t-il suscité un intérêt auprès des médias ? Du grand public ?
C.D. : Oui, nous bénéficions déjà d’une visibilité médiatique : TF1 Grands reportages nous a consacré un reportage, qui sera diffusé en septembre prochain, sur le thème de « la revanche de la laine ». Par ailleurs, nous avons été au salon de l’agriculture où nous avons rencontré un franc succès et noué des contacts fructueux, notamment avec des chercheurs de l’INRAE. L’occasion aussi de rencontrer les acteurs de la filière, des institutionnels et, bien sûr, le grand public.
- Je ne résiste pas à l’envie de clore cet entretien en vous demandant si vous connaissez Olivier Marcouyoux, le jardinier-berger qui fait paître ses moutons à la demande, sur le plateau de Saclay… ? N’y aurait-il pas matière à travailler avec lui ?
C.D. : Oui, bien sûr ! Je connais très bien Olivier : je l’ai identifié très tôt comme une ressource rare, qui pourrait nous aider. Ne connaissant rien à l’élevage au démarrage de mon projet, je lui ai proposé d’intervenir comme référent technique. Il est venu à trois reprises. Surtout, c’est lui qui a conduit ma transhumance au mois d’août dernier entre Gif-sur-Yvette et Saint-Rémy-lès-Chevreuse.
- Merci pour cette réponse en forme de cerise sur le gâteau !
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