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Aménagement & Architecture

Quand architecture rime avec humilité.

Le 5 mai 2014

Paul Vincent est, au sein de l’agence Renzo Piano Building Workshop, le partenaire en charge du développement du futur bâtiment de l’ENS Cachan, construit sur le Plateau de Saclay, à l’horizon 2018. Retour sur un parcours dicté par l’humilité.

Quand on rencontre un architecte, de quoi parle-t-on avec lui ? D’architecture, bien sûr ! Architecte associé de l’agence Renzo Piano Building Workshop en charge de développer le projet de l’ENS Cachan remporté en janvier dernier, Paul Vincent n’échappe pas à la règle. Cependant, au plaisir de l’entendre exposer sa conception du métier, s’ajoute celui de découvrir l’expérience d’un travail au quotidien aux côtés d’un Renzo Piano. D’emblée, Paul Vincent en donne la mesure : « Pour être un associé de l’agence, je ne m’en considère pas moins un peu comme un de ses enfants ! » L’expression peut paraître excessive et laisser entendre un manque de personnalité. C’est tout le contraire que l’on devine au fil de l’échange qu’il a bien voulu nous accorder et au cours duquel il a été tout autant question d’architecture, que de culture, de discrimination sociale et même de musique… « J’accorde beaucoup d’importance à sa présence dans la ville car elle contribue à lier des gens de communautés et de milieux sociaux différents. Peut-être cela ne saute-t-il pas aux oreilles, dans une ville comme Paris. En revanche, en banlieue comme dans les petites villes de province, c’est une réalité vécue comme une évidence. »

Humilité

Ainsi s’exprime Paul Vincent. Des propos dits sans être assenés, mais, au contraire, avec « humilité ». Humilité, un mot qui revient tel un leitmotiv et surtout comme la marque de fabrique de l’agence elle-même. C’est d’ailleurs, en plus de ses compétences en mathématiques et en architecture, à sa propre humilité qu’il dut de rejoindre la célèbre agence, en 1983. « Quand j’étais jeune, j’avais l’habitude de me déplacer en moto. Pour me protéger contre la pluie, j’enfilais aux pieds des sacs de plastique. Un détail qui, m’a-t-on dit, n’avait pas échappé à l’équipe de Renzo Piano, au moment de décider de me recruter. » Naturellement, d’autres arguments avaient emporté la décision, à commencer par sa formation en architecture et ses compétences en mathématiques.

« Pour mon diplôme de fin d’études, j’avais conçu un pont urbain métallique d’un km et demi de long sur le site de Tolbiac. Des immeubles étaient aménagés de part et d’autre, à la manière du Rioalto, à Venise. Sur un plan théorique, j’avais entrepris d’élaborer une méthode de classification des formes préalablement traduites en langage numérique. Je découvris à quel point les mathématiques pouvaient apporter des solutions concrètes à des problèmes réels. Cela m’avait passionné. » Tant et si bien qu’il devait décider de poursuivre une formation trop courte au Cnam en Mathématiques.

La rencontre avec Ionel Schein

Surtout, il y eut une première rencontre marquante avec Ionel Schein (1927-2004), « un architecte philosophe ». Bien plus, une grande figure de l’architecture expérimentale en France (on lui doit la toute première réalisation toute en plastique et des immeubles végétalisés), dont manifestement Paul Vincent regrette qu’il n’ait pas été davantage prophète en son pays d’adoption (Roumain d’origine, Ionel Schein s’est installé en France en 1948). « Il fut membre de mon jury pour le mémoire que j’ai soutenu début 1983. Et, fait inhabituel, il a accepté ensuite de le cosigner avec moi. » C’est ce même mémoire qui vaudra à Paul Vincent, à peine âgé de 28 ans, d’être recruté par Ionel Schein pour son projet, à l’exposition universelle de Paris. « C’est ainsi que je me suis retrouvé au milieu d’architectes qui avaient pour nom Grumbach ou Renzo Piano. » Il dispose pour lui seul des locaux mis à disposition de l’agence en charge du montage de l’exposition universelle. « Les autres architectes restaient travailler dans leurs agences respectives. C’est à l’occasion de ses allers-retours en moto, avec mes fameux sacs de protection contre les intempéries, que je retins l’attention de Noriaki Okabe de l’équipe de Renzo. »

On connaît la suite, y compris pour l’exposition qui, finalement, n’aura pas lieu (le projet ne survivra pas à la première cohabitation de la Ve République, entre Mitterrand et Chirac). Quant au recrutement, il intervint un peu plus tard, à l’issue d’un concours pour la réhabilitation du Lingotto, la célèbre et vaste usine Fiat de Turin (elle fait un km de long), concours auquel Paul Vincent participa aux côtés de Ionel Shein. « Ce dernier avait conçu l’idée de transformer l’usine en laboratoire de recherche européen, avec de l’ingénierie, des salles blanches et des salles grises, des hommes et des machines pour aider les petites entreprises à innover et se développer. Nous étions en 1985. C’était en avance sur son temps, peut être un peu trop. » Le concours fut finalement remporté par un certain… Renzo Piano.

 Des affinités avec l’ENS Cachan

« L’exposition universelle ayant été abandonnée et ce concours perdu, je me suis retrouvé sans travail. » Mais pas pour longtemps, comme on le sait, grâce notamment à cette histoire de sacs de plastique.

Près de trois décennies plus tard, Paul Vincent est donc en charge du développement du projet de l’ENS Cachan que l’agence a remporté au début de cette année (pour une livraison en 2018). A son évocation, le je s’efface au profit d’un nous : outre une équipe pluridisciplinaire « de grande valeur », constituée au fil du temps, il tient à mettre en avant Anne-Hélène Téménides, architecte associée, pour « son expérience et sa rigueur ».

Entre-temps, il y a eu plusieurs projets internationaux : l’IRCAM, la Cité Internationale de Lyon, les abris de jardins familiaux de Villejuif, le Centre culturel Jean-Marie Tjibaou à Nouméa, la Maison Hermes à Tokyo, le Couvent des Clarisses à Ronchamp (Haute-Saône) et, en chantier, la tour bio-climatique Intesa SanPaolo à Turin et la Citadelle publique et universitaire d’Amiens. Autant de projets qu’il a plaisir à présenter, maquettes à l’appui (maquettes que le visiteur peut découvrir au fil de sa déambulation dans l’agence en forme de labyrinthe, sise rue des Archives, à Paris, à deux pas du Centre Pompidou, dû, faut-il le rappeler, au même Renzo Piano).

A chaque projet, ses défis, ses spécificités, son contexte… mais toujours avec les mêmes mots pour en caractériser l’esprit : l’humilité, mais aussi la convivialité, qui, dans la bouche de Paul Vincent, sonne comme une autre des valeurs cardinales de l’agence. « Je ne conçois pas de mener un projet sans instaurer des rapports de convivialité avec les clients, quels qu’ils soient. Un projet ne peut avancer que si on instaure des liens particuliers avec les autres parties prenantes et si on les cultive comme le ferait un jardinier. C’est une autre des valeurs que Renzo nous a transmises et à laquelle je suis très attaché. » Un jardinier-architecte, Renzo Piano ? « Oui, au sens où il plante les graines, charge à nous de les arroser et de les faire germer. Mais, attention, il n’en contrôle pas moins toute la croissance ! Il est clair que le Centre culturel Jean-Marie Tjibaou et le projet des Sœurs Clarisses, pour ne prendre que ces exemples, n’auraient pu se faire, sans ce travail de germination et sa présence constante. » Un principe pris au pied de la lettre dans le cas de l’ENS Cachan, qui comportera un vrai jardin botanique (conçu par le paysagiste Pascal Cribier).

Suite de la rencontre avec Paul Vincent à travers l’entretien qu’il nous a accordé (pour y accéder, cliquer ici).

Légendes : en Une, grand format, le Centre culturel Jean-Marie Tjibaou, à Nouméa ; en illustration de cet article, Paul Vincent (à gauche) et Renzo Piano. Crédit : Renzo Piano Building Workshop.

 

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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