Rencontre avec Julian Garbiso (à droite) et Mathieu Lafarge (à gauche), cofondateurs de Floware
Les mobilités sont l’objet de politiques publiques qui ne manquent pas d’impacter notre quotidien et le développement économique des territoires. Seulement, pour éclairer leurs décisions, les autorités compétentes disposent de données relativement restreintes. C’est pour pallier cette situation que Julian Garbiso et Mathieu Lafarge ont créé Floware avec l’ambition de concevoir des technologies à même de recueillir des données précises, mais aussi d’anticiper les effets des solutions mises en œuvre. Précisions dans cet entretien à deux voix.
- Si vous deviez, pour commencer, pitcher Floware ?
Julian : Floware a pour ambition de concevoir de nouvelles technologies pour aider à la prise de décision en matière de politiques publiques visant à promouvoir des mobilités multimodales et durables. L’enjeu est d’importance car ces décisions ne manquent pas d’impacter le quotidien des citoyens et le développement économique des territoires.
Mathieu : Pour concevoir, mettre en œuvre et assurer le suivi des politiques publiques de mobilité, les collectivités se fondent encore, en l’état actuel des choses, sur des statistiques qui sont en règle générale parcellaires – elles sont produites à partir d’études de trafic consistant à comptabiliser à la main les véhicules, des personnes étant recrutées spécialement pour passer plusieurs heures à cliquer à chaque véhicule qui passe. Une autre méthode consiste à placer un câble pneumatique au travers de la route. Dans un cas comme dans l’autre, la fiabilité des résultats est relative : la comptabilisation est effectuée sur un périmètre donné, localisé, jamais global ni dans la même temporalité, de sorte que les statistiques, dé-corrélées de leur contexte, sont difficilement comparables.
Julian : La seconde méthode en particulier, reposant sur des boucles magnétiques placées à travers la route, ne permet d’enregistrer que le trafic de véhicules motorisés (voitures, cars, camions voire les deux roues), pas les mobilités douces. Pour évaluer les déplacements à pied, intermodaux, on ne dispose que d’enquêtes sur les transports en commun ou les déplacements des ménages, réalisées tous les dix ans. Outre le coût de ces enquêtes, leurs résultats ne correspondent plus à la réalité au moment de leur publication. Ils sont une photo à l’instant « t », qui ne tient pas compte des effets de saisonnalité, des perturbations liées à des travaux.
C’est fort de ces constats que nous avons voulu développer des technologies permettant de mesurer les flux en temps réel, dans la durée (sur plusieurs mois) et en distinguant les modes de déplacements jusqu’à y compris les modes doux habituellement peu pris en compte.
Mathieu : En plus de gagner en précision dans la modélisation des flux, nos technologies permettent de les simuler et de travailler sur ce qu’on appelle le prédictif. Un enjeu majeur quand on sait que les budgets alloués aux politiques de transport et de mobilité totalisent, en France, de l’ordre de 8 milliards d’euros par an sur la seule période 2020 – 2025, d’après nos calculs. Un montant qui inclut les études, la construction et la maintenance des infrastructures… Au vu de ce montant, il nous paraît légitime de s’assurer que les bonnes décisions sont prises et de pouvoir en évaluer les résultats.
- Comment votre solution y contribue-t-elle ?
Mathieu : Nous développons un outil de mesure et d’analyse à même de s’intégrer dans le jumeau numérique du système de transport d’une collectivité de façon à simuler, scénariser une politique publique avant même qu’elle soit mise en œuvre. Ainsi, nous pouvons en apprécier les effets potentiels et l’ajuster en conséquence. Bien plus, nous nous positionnons sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la data mobilité, du recueil des données jusqu’à leur traitement et leur analyse.
Julian : Nous travaillons aussi bien dans le hardware que dans le software avec la volonté de disposer de nos propres technologies en adaptant les briques existantes à des cas d’usage en lien avec les mobilités. Ce qui ajoute à notre singularité par rapport à l’offre existante en matière de data mobilité. Nous sommes en effet les seuls à avoir fait ce choix, qui nous fait gagner en souplesse pour répondre spécifiquement à chaque cas d’usage.
- En allant jusqu’à concevoir vos propres capteurs ?
Mathieu : Oui, nous concevons et fabriquons nos capteurs sur mesure. Notre software se compose lui d’une première brique : la data visualisation sous la forme d’un tableau de bord, qui donne à voir les données d’une manière synthétique de façon à en faciliter la lecture par les opérateurs. Elle permet aussi de combiner plusieurs paramètres : le point d’implantation du capteur ; l’heure, le jour, la semaine ou le mois où la mesure a été prise, etc. Le croisement des données fournit des informations qui permettent de mieux apprécier les flux non sans parfois bousculer des idées reçues.
- Par exemple ?
Mathieu : Dans le quartier de Moulon, où nous avons pu tester nos technologies, dans le cadre d’un partenariat avec l’EPA Paris-Saclay, nous nous sommes aperçus qu’il y avait un pic de fréquentation de midi à 14 h. Autant les pics du matin et du soir étaient connus, autant celui-ci était sous-estimé. Or, de fait, les gens se déplacent pour aller déjeuner et/ou faire des courses. Un constat qui ne se vérifie pas partout, mais qui, ici, dans le quartier de Moulon, peut justifier la mise en place de services de mobilité adaptés. Une illustration, au passage, de la manière dont notre outil peut éclairer la décision d’une collectivité ou, comme ici, d’un aménageur.
- Insistons sur ce point : votre solution est bien un outil d’aide et non de prise de décision. Qui plus est, il ne préjuge pas de l’interprétation des données, laquelle requiert l’expertise de professionnels intervenant sur le terrain, connaissant le territoire…
Mathieu : En effet. Ni les capteurs ni le tableau de bord ne disent quelque chose sur la manière d’interpréter les données. Quant à la décision finale, elle revient bien naturellement aux élus ou aux opérateurs de transport.
Julian : Ce partenariat avec l’EPA Paris-Saclay illustre bien ce choix de concevoir nos propres équipements de façon à apporter une réponse spécifique à chaque cas d’usage. Pour les besoins d’une deuxième mission, à Satory, nous avons dû développer une flotte de capteurs alimentés par de l’électricité produite par de l’énergie solaire.
- Vous faites bien d’insister sur ce point car il n’est effectivement pas courant pour des start-up d’innover simultanément dans le hardware et dans le software…
Julian : En réalité, cinq briques sont réunies correspondant à autant d’étapes : la Mesure (la captation via le hardware), l’Agrégation, la Modélisation, la Simulation, enfin, l’Aide à la décision. Dans notre cas, la particularité de cette dernière est sa capacité à piloter l’ensemble de cette chaîne à cinq étapes à travers une « version logicielle » de nos expertises métier et de l’IA. Ce logiciel, qu’on appelle provisoirement « Strategy Autopilot », est conçu dans la logique suivante : vous pourrez lui poser une question librement, et il utilisera toutes ses connaissances d’exécution des différentes étapes pour chaque cas d’usage qu’on a traité, pour produire l’analyse et le rendu d’information la plus pertinente pour votre requête.
- Dans le but de parvenir à des solutions transposables d’un contexte à l’autre ?
Julian : Oui, c’est bien cela. Notre ambition est d’identifier les cas d’usage les plus riches en valeur et les plus décisifs au plan stratégique pour les acteurs des mobilités publics aussi bien que privés. À terme, l’ambition est d’automatiser de plus en plus le traitement des cas d’usages pour être en mesure de développer une solution standardisée, scalable, qui puisse autrement dit être reproduite d’une échelle à l’autre, notre ambition étant aussi de nous projeter à celle de l’Europe.
- Qu’en est-il de l’anonymisation des données, imposée par le RGPD ?
Julian : L’anonymisation des données est, depuis le début de l’aventure de Floware, notre sujet de préoccupation. Jusqu’à présent, nous nous sommes gardés de publier sur les technologies que nous utilisons pour y parvenir et ce, pour des motifs de confidentialité que vous pouvez comprendre. Ce que je peux dire, c’est que les capteurs que nous concevons spécialement permettent de prévenir tout risque de stockage ou de transmission. Ils intègrent différentes technologies en suivant un strict principe de « privacy by design ». Toute information de suivi et tout élément d’identification sont anonymisés au fil de l’eau de façon irréversible au sein du capteur. Il n’y a pas d’enregistrement ni de transmission de flux vidéo ou image (sauf autorisation spécifique et activation vérifiée par nous-mêmes pour chacun des appareils)..
Ces capteurs font du « Edge AI », c’est-à-dire, de l’intelligence artificielle aux « bords » du réseau. Dans ce cas, ce dernier peut être vu comme une grande arborescence de dispositifs (ordinateurs, serveurs, équipements des réseaux d’opérateur de télécommunication, capteurs, objets connectés en général). Les capteurs sont un peu comme des « feuilles » d’un arbre. Quand l’IA est dans le « Edge », cela veut dire que le gros du traitement est fait dans le capteur lui-même, qui a une puissance de calcul suffisamment importante pour faire une grande partie des tâches d’analyse. C’est ce qui permet que les informations qui sortent du capteur soient extrêmement synthétiques et complètement anonymisées.
Nous concevons essentiellement le software embarqué des capteurs (le « Edge AI ») mais, en réalité, on peut utiliser le code sur n’importe quel capteur qui soit compatible avec notre logiciel – sachant que nous fabriquons les nôtres sur mesure avec les composants qui permettent une utilisation optimale. Pour parvenir à ce résultat – un traitement local et anonymisé des données -, il nous a fallu relever le défi d’embarquer un système puissant dans chaque capteur. Ce qui offre l’avantage de ne plus être tenu d’obtenir une autorisation spéciale pour accéder à un réseau de caméras.
Mathieu : Nous sommes bien conscients d’être sur des sujets sensibles. La vocation de Floware est d’éclairer la décision sans s’inscrire dans une logique de cybersurveillance. Nous ne sommes pas là pour filmer ce qui se passe sur l’espace public, la voirie, mais recueillir de la data pour aider à l’élaboration de politiques publiques, leur amélioration et leur évaluation.
- Comment le projet de Floware a-t-il pris forme ?
Julian : Notre start-up est issue d’un projet de recherche lancé en 2019 par le département des Yvelines et piloté par l’ITE Vedecom. Ce dernier m’avait recruté au titre de chef de projet. L’objectif était de tirer parti de l’apport du machine learning et des technologies radio dans l’analyse des mobilités origines/destinations. Un premier prototype a été présenté au Salon des Maires et Collectivités Locales de 2019 où nous avons été lauréats du Grand Prix de l’Innovation. C’est à cette occasion que Mathieu a entendu parler du projet – il était alors directeur des stratégies territoriales à la Communauté urbaine Grand Paris Seine Oise.
- [ à Mathieu ]. Pouvez-vous rappeler comment vous en êtes venu à vous intéresser à ce projet jusqu’à y prendre part ?
Mathieu : À cette époque, je pilotais un projet de R&D publique autour des mobilités sur les territoires périurbains et ruraux. Il s’agissait d’y limiter les déplacements subis en proposant une offre de services au plus près du besoin sous la forme de hubs multiservices qui mailleraient le territoire. Concrètement ces hubs consistent en plateformes de 50 à 100 m2, sur lesquelles on pourrait trouver une offre de services de mobilité – un espace de covoiturage, des bornes de recharge électrique, des vélos en accès libre, un arrêt de bus, etc., mais aussi une offre de services pour la vie quotidienne (boite à pain, foodtruck, casiers réfrigérés pour les légumes produits localement,…). Pour cela, j’avais besoin d’un outil qui me permette non seulement de savoir où positionner mes hubs de manière optimale, mais encore de pouvoir en évaluer l’efficacité en en mesurant la fréquentation par tous les modes de transports. Un tel projet engageant de l’argent public, il me fallait en effet justifier cet investissement, d’autant plus qu’il sortait du cadre ordinaire des politiques publiques de mobilité. Par hasard, en 2019, je suis tombé sur un article de Julian publié sur LinkedIn. J’ai aussi pris contact avec lui et nous nous sommes entendus pour faire équipe dans une logique gagnant/gagnant : Julian et son équipe auraient la possibilité d’étalonner leur prototype de capteurs en les testant dans nos propres prototypes de hub tandis que, moi, je bénéficiais de données globales et pertinentes pour justifier la politique publique de mobilité que je souhaitais mettre en œuvre.
- Vous avez évoqué un partenariat avec l’EPA Paris-Saclay. Pouvez-vous rappeler les circonstances de sa conclusion et en quoi il consiste ?
Mathieu : Ce partenariat avec l’EPA Paris-Saclay s’est noué suite à une rencontre avec Simon Borlant, chef de projet mobilités, lors de l’édition 2022 de SPRING dont nous avons été lauréats (dans la catégorie Mobilité). Un partenariat gagnant-gagnant là encore : de son côté, l’EPA Paris-Saclay nous a permis de tester notre solution encore au stade du prototype, en déployant une dizaine de capteurs sur la ZAC de Moulon, à l’orée de la future gare de la ligne 18 du Grand Paris-Saclay ; il « dé-risquait » aussi le test en nous déchargeant du coût d’installation et d’alimentation électrique du système. De notre côté, nous avons mis à disposition nos capteurs, épargnant ainsi à l’EPA Paris-Saclay un investissement qui peut être élevé, et les données recueillies. Précisons encore que celles-ci devaient permettre à autre prestataire, Tractebel [ qui a remporté le contrat cadre d’assistance à maîtrise d’ouvrage sur les études de trafic et d’infrastructures routières à l’échelle de l’Opération d’Intérêt National (OIN) Paris Saclay ] de mettre à jour un modèle de trafic qui avait été défini en 2016, dans un contexte ayant beaucoup évolué depuis.
À la demande de l’EPA Paris-Saclay, le test a cherché à mieux apprécier la part modale du vélo, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est le parent pauvre, avec la marche, des observatoires de mobilité. Or, les élus ont bien perçu l’aspiration des plus en plus grande des habitants et actifs des territoires à se déplacer en vélo, et si possible en toute sécurité. Avec cet observatoire des pratiques cyclables, Floware participe à objectiver les besoins en matière de pistes cyclables. Notre solution permet de leur fournir les données utiles pour éclairer leur prise de décision.
- Où en êtes-vous dans le développement de Floware, en termes d’effectifs ?
Julian : Pour la première étape des activités de R&D au sein de l’ITE Vedecom, j’ai travaillé avec une équipe de chercheurs pour étudier et concevoir un des modules de la brique de captation. Au stade où nous en sommes, les effectifs ne se composent plus que de nous deux, Mathieu et moi. Trois en comptant une personne en apprentissage et que nous devrions recruter formellement en octobre. Un important plan de recrutement démarrera début 2024 avec le lancement de nos projets déjà validés et d’autres en cours de validation.
- Des effectifs qui ne reflètent pas la grande diversité des interlocuteurs impliqués dans votre développement, à commencer par les acteurs du territoire, dont l’EPA Paris-Saclay, avec lesquels vous êtes en interaction…
Mathieu : De fait, nous avons noué des partenariats avec plusieurs acteurs. Dans le cadre des Quartiers Métropolitains d’Innovation, nous nous sommes associés à un producteur d’IoT appliqué à la mesure de la qualité de l’air. L’objectif est de disposer d’un outil, inexistant pour l’heure, permettant d’établir la nature de la relation entre les pollutions locales (par les particules fines) et le trafic. Une expérimentation est prévue à Noisy-le-Grand à partir de ce mois d’octobre 2023. Nous placerons chacun cinq capteurs. Par ailleurs, avec un groupe d’étudiants de l’X en Master « Economics for Smart Cities and Climate Policy », nous allons mener une étude sur la décarbonation des flux. Dans un cas comme dans l’autre, nous avons l’opportunité de démontrer que notre outil d’aide à la décision peut s’appliquer à d’autres thématiques que la mobilité.
- Qu’en est-il de vos interactions avec les chercheurs en sciences humaines sociales susceptibles d’aider à l’interprétation des données, sinon d’être intéressés de pouvoir en disposer ?
Mathieu : Nous sommes bien sûr ouverts à l’idée de travailler avec des chercheurs relevant de ces disciplines comme d’ailleurs avec des spécialistes de la modélisation. Nous pourrions travailler avec eux sur une nouvelle forme d’enquête ménage – ce que nous serons probablement en mesure de faire avec La Fabrique des Mobilités, qui a développé un logiciel open source, Tracemob, pour croiser l’intention du déplacement à la donnée relative au déplacement effectif. Nous nous gardons cependant d’aller plus vite que la musique – nos effectifs ne nous permettent pas de saisir toutes les opportunités qui se présentent !
Julian : Force est de constater que plus on couvre la chaîne de data mobilité, plus on devient interdisciplinaire. Pour les besoins de la modélisation, nous mobilisons de l’ingénierie de transport ; pour les besoins de la simulation, notamment multi-agents, nous nous rapprochons de comportementalistes ou de chercheurs issus de la psychologie collective ou même des sociologues de l’urbain.
Autant d’expertises et de compétences qui doivent apprendre à travailler autour d’un projet concret, notre ambition à nous, Floware, étant de capitaliser sur cette intelligence collective pour la traduire dans du code et des logiciels qui soient utiles aux consultants qui interviennent auprès des décideurs – urbanistes, opérateurs de transport,… Et ainsi parvenir à ce changement d’échelle qui, je le répète, est notre ambition.
- Parmi vos partenaires, vous avez cité l’ITE Vedecom et l’EPA Paris-Saclay. Nous réalisons par ailleurs l’entretien au Drahi-X Novation Center où vous êtes incubés. Autant d’acteurs de l’écosystème Paris-Saclay. Diriez-vous que Floware est une start-up « made in » Paris-Saclay ?
Mathieu et Julian (en chœur) : Oui, bien sûr, sans hésitation.
Mathieu : C’est même bien plus que cela : nous avons l’intention d’y rester en faisant des départements de l’Essonne et des Yvelines nos territoires d’apprentissage. Sans exclure bien sûr d’intervenir auprès d’autres collectivités voire d’autres établissements publics d’aménagement, en France et dans le reste de l’Europe.
Julian : Dès lors que nous avions l’ambition d’être dans de l’innovation de rupture, il nous fallait nous entourer des meilleurs soutiens. C’est pour cela que nous nous sommes d’emblée tournés vers Polytechnique pour bénéficier de ses compétences en technologies, sans compter son réseau d’alumni et de partenaires. Le moins qu’on puisse dire, c’est que nous ne nous sommes pas trompés. L’intégration au sein du Drahi-X Novation Center nous donne accès à d’importantes ressources – au FabLab, par exemple, qui nous permet de fabriquer nos prototypes. D’ailleurs, au vu du soutien que nous apporte son manager (Cyril), nous pourrions dire qu’il fait presque partie des effectifs de Floware, de même que Thibault, le designer industriel du FabLab de l’X, qui nous accompagne dans ce travail de prototypage.
- L’occasion de rappeler que les compétences et expertises dont une entreprise peut bénéficier ne se limitent pas à ses seuls effectifs internes, a fortiori quant on s’inscrit dans une logique d’innovation ouverte…
Mathieu : En effet, nos ressources humaines sont en partie externalisées en vertu d’une stratégie dont nous assumons la part d’opportunisme.
Julian : Précisons encore que nous sommes également hébergés dans l’incubateur d’HEC, notre ambition étant de créer de l’innovation de rupture jusque dans le business model.
- Qu’en est-il du développement à l’international ?
Julian : Dès le départ, nous avons eu envie de donner une dimension internationale à Floware. Deux jours après sa création, nous avons, avec un consortium réunissant l’ITE Vedecom et plusieurs institutions européennes, déposé une réponse à un appel à projet lancé dans le cadre du programme Horizon Europe. Appelé metaCCAZE, notre projet a été retenu par la Commission Européenne. Il doit démarrer en janvier 2024.
- Concluons si vous le voulez bien par une question plus personnelle : qu’est-ce qui vous a prédisposés à vous lancer dans une démarche d’entrepreneuriat innovant ?
Julian : À l’issue de mes études d’ingénieur à l’Institut Mines-Télécom, j’ai été tenté de faire un doctorat dans l’idée, déjà, de me consacrer à la R&D – j’ai toujours été passionné par l’innovation. J’ai donc fait le choix de faire ma thèse à Télécom Paris dans le cadre d’une recherche partenariale avec l’ITE Vedecom qui en assurait le financement. Suite à ma thèse, ce dernier m’a proposé un poste de chef de projet recherche, ce qui m’a permis de passer d’une recherche académique à de la recherche appliquée, avec la possibilité de définir les stratégies pour intégrer les différentes disciplines (en ingénierie, en science des données, IA) vers un objectif commun : suivre la maturation technologique des solutions en vue de leur valorisation et éventuelle exploitation commerciale. Ce qui me correspondait, moi qui aime voir les idées se traduire en innovations concrètes. C’est donc tout naturellement que j’ai eu envie de poursuivre cette démarche projet dans le cadre d’une spin-off. L’opportunité m’en a été donnée par ma rencontre avec Mathieu qui partageait la même vision que moi tout en ayant un profil complémentaire – tandis que j’apportais mon expertise en ingénierie, en gestion de projets R&D, nationaux et européens, lui apportait son expertise en stratégie territoriale, sa connaissance des clients potentiels – collectivités, aménageurs…
Comme je l’ai dit, nous n’avions pas d’expérience entrepreneuriale. De là le choix d’intégrer l’incubateur d’HEC même si le programme d’accélération de 9 mois, dont nous avions bénéficié à l’X, de mars à décembre 2022, avait été déjà formateur. Le programme d’HEC nous permet d’approfondir les aspects plus business.
- Et vous, Mathieu, qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans cette démarche entrepreneuriale au point de quitter le poste d’une direction importante au sein d’une collectivité territoriale ?
Mathieu : Je n’avais pas la moindre expérience d’entrepreneuriat innovant avant de participer à la création de Floware. Cependant, au sein de la collectivité urbaine, je disposais d’un budget pour financer un projet avec un business plan à trouver pour le rendre viable. Était-ce de l’entrepreneuriat innovant ? Je parlerais plus d’une démarche intra-entrepreneuriale à vocation territoriale, mobilisant de l’ingénierie administrative financière et en matière de mobilités.
Tout en étant désireux de travailler au service de l’intérêt général, avec des collectivités territoriales, je ne souhaitais plus dépendre d’une organisation dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle reste encore verticale. Je souhaitais pouvoir porter les projets, transformer un motif d’enthousiasme en une solution viable technologiquement et économiquement.
- Sans avoir donc eu d’expérience antérieure dans l’entrepreneuriat innovant ?
Mathieu : Non, pas d’expérience, mais une formidable opportunité avec ce programme de l’École Polytechnique évoqué par Julian. Pendant neuf mois, à raison de trois à cinq cessions par semaine, nous bénéficions d’intervenants de qualité exceptionnelle.
- Et sans même de parents entrepreneurs ?
Mathieu : Non. Ma mère est professeur de français, mon père artisan…
Julian : La mienne est professeure de langue et de littérature, mon père agent immobilier…
- Je perçois un point commun, à savoir un parent spécialiste de langue. Or, justement, le propre du startupper n’est-il pas de parler plusieurs « langues » : celles d’ingénieurs, d’industriels, d’investisseurs, d’élus, etc. ?
Mathieu : De fait, et c’est tout l’intérêt des partenariats, qui obligent à comprendre l’intérêt que peut y trouver chacune des parties prenantes et, donc, leur langue sinon leur jargon.
- Un mot encore sur le nom de votre start-up qui semble d’ailleurs d’inspiration littéraire…
Éclat de rire de Julian et Mathieu.
Mathieu : C’est le fruit d’une longue gestation…
Julian : De par sa prononciation, ce nom peut évoquer plusieurs choses, à commencer, bien sûr, par les « flux » de mobilité ; ensuite le « ware » du hardware et du software que nous combinons.
Mathieu : Sans oublier « aware ». De fait, il faut être conscient de l’importance des flux de mobilité.
Julian : Ce « -ware » peut aussi faire penser à certains mots en anglais se terminant par « -er », qui connote la possibilité de faire ou transformer. Enfin, bien sûr, Floware fait penser à flower [fleur en anglais], exprimant ainsi notre volonté de nous inscrire dans l’effort de réduction de l’impact de nos flux sur l’environnement.
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