Faire venir le grand paysage au cœur du quartier
Antoine Thevenet est urbaniste au sein de l’agence OKRA - membre du groupement retenu par l’EPA Paris-Saclay pour l’assistance à la maîtrise d’ouvrage urbaine de secteurs du quartier de l'École polytechnique.
Antoine Thevenet est urbaniste au sein de l’agence OKRA – membre du groupement dirigé par l’agence d’architecture et d’urbanisme LIST, retenu par l’EPA Paris-Saclay pour l’assistance à la maîtrise d’ouvrage urbaine des secteurs restant à aménager du quartier de l’École polytechnique. Il témoigne ici de la manière dont il envisage de prolonger l’ambiance paysagère du plateau jusqu’au cœur de ce quartier.
- Pour commencer, pouvez-vous rappeler en quoi consiste votre assistance à maîtrise d’ouvrage urbaine et paysagère ?
Notre rôle est d’accompagner l’EPA Paris-Saclay sur le périmètre de la ZAC de l’École polytechnique, à la fois dans le développement, la conception et la mise en œuvre opérationnelle de secteurs restant à développer. Cette mission se décline en trois volets : la réalisation des études urbaines – concrètement, nous réalisations des schémas d’aménagement de ces secteurs ; la conception d’espaces publics ; enfin, la coordination et la supervision de projets immobiliers et d’infrastructures, durant tout le processus opérationnel, des études jusqu’à la livraison.
Cette assistance est assurée par LIST, qui en est le mandataire ; l’agence OKRA, co-traitante et plus particulièrement en charge des espaces publics et paysagers du quartier ; enfin, l’agence 8’18’’, également co-traitante en charge, elle, de l’éclairage et de la mise en lumière. Précisions encore que nous travaillons en collaboration avec un autre groupement responsable de la maîtrise d’œuvre technique, composé de TUGEC, Confluences et Sol Paysage.
Vues paysagères depuis le Quartier de l'École polytechnique
- Comment cela se passe-t-il concrètement au sein de votre groupement ? Aviez-vous déjà collaboré avec vos deux partenaires ?
C’est la première fois que nous collaborons avec LIST. Mais cela faisait longtemps que nous avions envie de travailler ensemble. Nous nous étions d’ailleurs déjà associés à différentes reprises pour répondre à des appels d’offre. Dès ce groupement constitué, nous nous sommes très vite bien entendus, partageant une même philosophie de travail, une sensibilité pour le genius loci, le contexte. Quant à l’agence 8’18’’, elle était déjà engagée à nos côtés dans un projet toujours en cours – l’aménagement paysager et scénographique de l’ancienne gare de déportation de Bobigny.
- Qu’est-ce qui vous a motivés à répondre à la procédure de mise en concurrence lancée par l’EPA Paris-Saclay, en juin 2021 ?
D’abord, l’ambition affichée par l’EPA Paris-Saclay en matière environnementale et d’innovation. Ensuite, l’inscription dans la durée : la mission est une opportunité de mettre en pratique des concepts et outils à travers un projet au long cours. D’ordinaire, les missions de maîtrise d’œuvre auxquelles nous prenons part s’inscrivent dans des durées relativement restreintes, et ne se prêtent donc pas à une démarche plus approfondie de recherche et d’expérimentation. Enfin, la richesse des interactions induites par cette mission d’assistance : nous sommes amenés à échanger avec de nombreux acteurs du territoire, les partenaires de l’EPA Paris-Saclay, y compris des concepteurs qui interviennent dans des projets immobiliers ou d’infrastructure.
« Nous ne partons pas d'une page blanche. »
- Venons-en aux secteurs de la ZAC de l’École polytechnique concernés par cette mission. Comment les avez-vous appréhendés au regard des espaces publics et du paysage, les deux volets de la mission dont OKRA a tout particulièrement à traiter ?
Rappelons pour commencer que cette mission marque une 2e étape dans l’aménagement de la ZAC : nous prenons le relais de la précédente équipe de conception, celle de Michel Desvigne Paysagiste (MDP), XDGA-FAA et l’agence Concepto. Nous ne partons donc pas d’une page blanche : aujourd’hui, la « bande centrale », qui en constitue l’ossature, est déjà bien avancée : une partie des espaces publics de la ZAC ainsi que des lots immobiliers ont été réalisés, plusieurs établissements d’enseignement supérieur et de recherche se sont installés, de même que des commerces. Bref, le cœur du site s’est mis à battre autour de la bande centrale. Reste à faire de ce quartier un lieu de vie d’étudiants, mais aussi de familles sachant que la quasi-totalité des logements reste à livrer.
Pour autant, nous ne nous substituons pas totalement à la précédente équipe, qui poursuivra ses missions jusqu’à l’achèvement des secteurs déjà largement engagés au sein de la ZAC, de façon à conserver la cohérence dans la conception des espaces publics, à accompagner et à suivre des lots immobiliers en développement.
- Comment comptez-vous procéder ?
Pour nous, l’enjeu de ce temps 2 du projet est double. Il s’agit, d’une part, de former un véritable quartier de vie mixte et cohérent, d’envisager comment l’espace public et l’environnement direct des écoles peut constituer un environnement propice à la recherche, à l’innovation et à l’apprentissage, mais aussi à la promenade, aux pratiques sportives et à la sociabilité.
D’autre part, dès lors que nous sommes amenés à travailler en priorité sur des espaces de lisière du quartier, il s’agit d’assurer des relations fructueuses entre ville et nature, entre le quartier et ses lisières, les coteaux et le grand paysage en prolongeant l’ambiance paysagère des milieux forestiers et humides dans le quartier.
Nous accordons beaucoup d’importance à l’unité et à la continuité dans l’écriture des espaces de cette chaîne constituée des lieux majeurs et de la bande centrale, non seulement pour l’image et l’identité de celle-ci, mais aussi pour faciliter la lecture et l’orientation au sein du quartier, d’autant plus que la géométrie changeante de la trame urbaine, héritée du campus de l’École polytechnique, ne rend pas cette chaîne totalement évidente.
C’est dire encore une fois si nous souhaitons nous inscrire pleinement dans la continuité des aménagements déjà réalisés et des principes retenus par le groupement Michel Desvigne Paysagiste pour la chaîne des lieux majeurs, que ce soit au niveau des revêtements que des plantations ou de la géométrie des espaces.
- Quelle valeur ajoutée estimez-vous apporter ?
Tout en nous inscrivant dans la continuité de Michel Desvigne et de son groupement, nous souhaitons explorer des évolutions selon des principes qui nous sont chers, à OKRA : des principes de simplicité, de frugalité, dans le traitement des espaces publics au regard notamment du choix des matériaux, de façon à limiter autant que possible le bilan carbone des aménagements. Nous souhaitons travailler aussi sur les usages de ces espaces publics, en développant leur potentiel programmatique ; porter une attention particulière aux ouvrages de gestion des eaux pluviales en ne les considérant pas que sous leurs aspects techniques ; enfin, explorer des formes urbaines plus adaptées aux paysages de lisière en ouvrant davantage les îlots de quartier vers les coteaux plutôt que de les centrer sur eux-mêmes.
« Répondre in situ aux besoins et aux attentes de tous les habitants et usagers. »
- Encore un mot sur cette notion d’ « espaces publics », si ordinaire en apparence. Que recouvrent-ils dans un contexte aussi particulier que l’écosystème de Paris-Saclay ?
Dans ce contexte, les espaces publics, je l’ai dit, sont censés contribuer à la dynamique d’innovation et la créativité en favorisant les interactions entre des étudiants, chercheurs, enseignants, ingénieurs, entrepreneurs, etc. Mais, c’est bien un quartier de ville qu’il s’agit de faire, à même de répondre in situ aux besoins et aux attentes de tous les habitants et usagers, de quelque génération qu’ils soient, ce volet étant aussi important que le premier. Dans le cadre de notre mission, nous nous attelons donc à développer à l’échelle des espaces publics une programmation à destination de toute la population, celle qui va y résider, comme celle qui y travaille, étudie, etc.
- Comment procédez-vous concrètement ?
Nous envisageons de décliner ce travail de deux manières. D’une part, en caractérisant les fonctions, programmes, mobiliers et équipements proposés dans les espaces publics, permettant de créer des situations d’accumulation, au profit de tous types de publics. Il s’agit notamment d’imaginer des surfaces multifonctionnelles, à même de compléter les programmes bâtis à proximité.
D’autre part, un travail de composition et d’articulation spatiale pour créer les situations d’échange, de rencontre, en veillant à une continuité des sols, en hybridant les équipements et les surfaces à vocation ludique ou sportive, à une co-visibilité des activités – de façon à faire de chaque passant, spectateur, un acteur potentiel -, ou encore en mettant en scène la micro-topographie comme support d’usages.
- Mais qu’en est-il des espaces publics à l’heure du smartphone et autres moyens de connexion numérique qui font qu’aujourd’hui ces espaces sont occupés ou traversés par des personnes en permanence connectées à d’autres, situées ailleurs et, donc, moins disposées à interagir avec ceux qui s’y trouvent ?
Précisons que nous n’en sommes qu’au début de notre mission. Il est encore trop tôt pour répondre précisément à votre interrogation. Une chose est sûre : nous souhaitons prendre en compte les interactions à une plus grande échelle, en intégrant cette réalité que vous évoquez, même si nous sommes convaincus que l’espace public reste déterminant dans la qualité des interactions sociales à l’échelle d’un quartier.
- Votre réponse illustre bien, au passage, que vous n’êtes pas venus avec des solutions toutes faites, mais que vous êtes dans une démarche itérative avec vos partenaires comme avec l’EPA Paris-Saclay…
Comment pourrait-il en être autrement ? Le projet de l’OIN Paris-Saclay tranche par son ampleur, sa programmation, de par aussi son histoire. Nous avançons donc pas à pas. Et c’est précisément cela qui nous séduit : cette opportunité de développer des principes, des outils, des solutions spécifiques au contexte dans lequel nous intervenons.
- Qu’est-ce qui, plus personnellement, vous a prédisposé à participer à cette assistance à maîtrise d’ouvrage urbaine ? Aviez-vous des attaches au territoire de Paris-Saclay avant d’y intervenir ?
Non, aucune. Notre agence intervenait déjà en région parisienne, mais pas dans le territoire de Paris-Saclay. Ce qui m’intéresse personnellement, c’est l’approche par les usages, voir comment on peut nourrir, conforter la dynamique de recherche et d’innovation tout en créant des lieux de vie du quotidien, des espaces publics aussi inclusifs que possible.
- Précisons que l’agence OKRA est installée à Utrecht, aux Pays-Bas. Comment faites-vous concrètement l’expérience de l’accessibilité du plateau de Saclay ?
Notre agence est internationale. Elle est rompue aux projets menés à l’étranger (notamment en France, en Belgique et en Angleterre). Nous avons donc l’habitude de nous déplacer au-delà des frontières. S’agissant de Paris-Saclay, nous avons tous hâte que le métro y arrive. Cela étant dit, nos réunions se tiennent souvent à distance. Depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, nous avons trouvé avec nos partenaires et l’EPA Paris-Saclay un modus operandi en faveur d’un travail plus hybride, de façon à économiser notre temps aussi bien que notre énergie. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Journaliste
En savoir plus