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En attendant de traduire Seul face à l’exil.

Le 15 octobre 2020

Suite de nos échos à la 8e édition du festival Vo-Vf à travers le témoignage de Réza Rézaï, coauteur de Seul face à l’exil, venu lire la traduction en pas moins de quatre langues de la 4e de couverture d’un roman qui lui tient à cœur de faire connaître…

– Pouvez-vous expliquer l’exercice auquel vous venez de vous prêter à l’occasion du festival Vo-Vf ? Ou 

Je viens de lire la traduction de la 4e de couverture d’un livre, en quatre langues : ma langue maternelle (l’hazaragi, une langue pratiquée en Afghanistan, mais non officielle) ; en dari (une langue, elle, officielle), en ourdou (un langue pratiquée au Pakistan, où j’ai été contraint de me réfugier avec ma famille), enfin en suédois (que j’ai appris lors de l’année passée dans ce pays). Le livre en question est Le Grand Cahier, un roman d’Agota Kristof, que j’ai beaucoup aimé [il relate l’apprentissage de la vie par deux jumeaux que la mère a dû abandonner à leur grand-mère, une femme sans pitié ; le grand cahier est celui dans lequel ils consignent le moindre événement de leur existence].

– L’extrait a donc été traduit en quatre langues, sachant que vous en pratiquez bien d’autres. Avez-vous l’occasion de les pratiquer ici, en France ?

Non, malheureusement, hormis le ourdou, que je pratique de temps en temps. Les autres, cela fait maintenant trois ans et demi, que je ne les pratique plus. Le suédois m’est revenu au moment de me prêter à cet exercice de traduction, mais je sens bien que je l’oublie peu à peu, tout comme le danois, faute de le pratiquer…

– Est-il besoin de le préciser ? L’entretien se fait en français, sans recours à un interprète, tant vous le parlez magnifiquement. Comment s’est faite votre rencontre avec cette langue ? A-t-elle été facilitée par l’expérience de l’apprentissage d’autres langues, ou y avez-vous trouvé des caractéristiques qui vous ont incité à l’épouser plus rapidement encore ?

Au-début, j’ai appliqué la même méthode que pour l’apprentissage des autres langues : elle consiste à faire une liste de mots et à les répéter plusieurs fois. Quand j’ai le sentiment de les avoir bien assimilés, j’en ajoute de nouveaux, si besoin en demandant à mes amis de m’en proposer. Ainsi, de proche en proche, je finis par me familiariser avec une langue. J’ai aussi bénéficié de soutiens des bénévoles qui se sont mobilisés pour que j’obtienne le droit d’asile en France. Merci à eux.

– Quel regard posez-vous sur ce festival dédié à la traduction ?

Je trouve que c’est une très belle idée. Malheureusement, je n’ai pas encore eu l’occasion d’assister à une conférence, faute de places. L’an passé, je suis arrivé en retard. Mais je trouve bien que les gens puissent se retrouver pour parler de littératures, de langues, aborder les questions de traduction.

Martine Debiesse, coauteur de Seul face à l’exil (pour en savoir plus, cliquer ici), qui assiste à l’entretien :

Je me permets d’intervenir pour annoncer ce que Réza n’osera probablement pas dire par modestie, à savoir qu’il a été reçu à l’Inalco : il va y étudier l’interprétariat à partir de la semaine prochaine (le 6 octobre…).

– Très bonne nouvelle et félicitation à vous ! Encore un mot sur le livre que vous avez coécrit ensemble : un ouvrage qui nous procure la sensation d’être à vos côtés tout au long du récit qu’il fait de votre parcours, dans le moindre détail. Puisque nous sommes au festival Vo-Vf, je pose la question : avez-vous parfois eu le sentiment que les mots manquaient pour « traduire » l’étendue de l’épreuve que vous avez vécue « seul face à l’exil » ?

Avec Martine, nous avons entamé l’écriture de ce livre en 2018. Nous nous sommes vus pour cela à plusieurs reprises pour des séances durant lesquelles je revenais sur différents épisodes. Mais à l’époque, je ne maîtrisais pas le français aussi bien qu’aujourd’hui. Il nous a donc fallu du temps pour trouver les mots justes. D’autant que je voulais décrire les choses dans le moindre détail. La difficulté ne tenait pas seulement à une question de vocabulaire, mais aussi au fait qu’il me fallait revenir sur des épisodes très difficiles, dont la seule évocation me submergeait d’émotion. Je remercie d’autant plus Martine pour sa patience et sa délicatesse.

– Qu’en a-t-il été pour vous, Martine ?

Je me suis d’abord appuyée sur les mots de Réza, en essayant de retranscrire au mieux son histoire, malgré cette émotion qui pouvait le submerger à certains moments. J’espère qu’il se retrouve au mieux dans ce livre, qui est d’abord le sien…

– Et que vous, Réza, vous vous retrouverez peut-être un jour à traduire en dari, ourdou, etc.

Les deux en chœur : c’est une très bonne idée que vous suggérez-là !

Post-scriptum

Parmi les autres personnes à avoir assisté à notre entretien sur le vif, Florence, dont il est beaucoup question dans Seul face à l’exil. Et pour cause, elle est une des bénévoles qui s’est fortement engagée auprès de Réza pour l’accueillir et l’assister dans ses démarches pour obtenir le droit d’asile en France. Voici le témoignage qu’elle nous a adressé par email et que nous avons jugé plus qu’utile de partager avec son autorisation.

« Réza a choisi ce texte car sa rencontre avec ce livre a été un coup de foudre – tant par rapport aux personnages, ces deux frères jumeaux perdus dans une ville en plein chaos et obligés de survivre pour aller ” de l’autre côté ” (un territoire en paix). Forcément, il s’est identifié à eux. Sans doute aussi que l’écriture lui convenait-elle : les quatre tomes s’enchaînent dans une complexité lexicale et grammaticale croissante. Le premier tome comporte très peu de mots et tout est exprimé au présent : quelque chose de bien pratique pour quelqu’un qui apprend notre langue.
Je précise que c’est Réza, qui a choisi ce livre et qui m’a fait ainsi découvrir Agota Kristof. Il a aussi beaucoup aimé Les justes, de Christian Signol, et Un sac de billes, de Joseph Joffo. Là encore, il s’est identifié aux personnages. Réza aime également les livres d’histoire et de géopolitique. Il s’intéresse en particulier à la Seconde Guerre mondiale et au sort des juifs. Le génocide des Hazara le touche de plein fouet.
En ce qui concerne le français, Réza a pu l’apprendre au centre de migrants de Forges-lès-Bains. Toutes et tous les bénévoles qui y intervenaient parlaient de lui comme d’un ” apprenant exceptionnel ”. J’avais beaucoup entendu parler de lui avant de l’avoir dans ma propre classe. Instinctivement, il y eut de la part des enseignants, un élan de solidarité vis-à-vis de Réza. Nous avons commencé à nous cotiser pour lui offrir une formation d’été à l’Alliance française. Puis il y a eu un comité de soutien. »
On connaît l’heureuse suite…

A lire aussi les entretiens avec Yves Citton (pour y accéder, cliquer ici), Mariètou Mbaye (cliquer ici), Chloé Billon (cliquer ici) et Vincent Broqua (cliquer ici).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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