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Entrepreneuriat innovant

Des carembouchées qui font du bien

Le 25 mars 2024

Entretien avec Odile de Christen, cofondatrice de Carembouche

Des « carembouchées », c’est ce que la start-up Carembouche propose pour limiter la dénutrition – un mal qui touche environ 2 millions de personnes en France. Cofondatrice, Odile de Christen (à gauche sur la photo) nous en dit plus sur la genèse de cette start-up et la manière dont elle a pu tirer profit de sa pleine inscription dans l’écosystème de Paris-Saclay.

- Si vous deviez, pour commencer, pitcher Carembouche ?

Odile de Christen : Carembouche est une start-up, que j’ai cofondée fin 2021 avec deux autres personnes : Muriel Thomas, directrice de recherche à l’INRAe, à l’initiative du projet, et Francisca Joly, médecin gastroentérologue, présidente de la Société Francophone Nutrition Clinique et Métabolisme.
Nous souhaitions apporter une réponse à cet enjeu de la dénutrition qui touche environ deux millions de personnes en France, majoritairement des personnes âgées, des adultes malades subissant de lourds traitements ou encore des personnes quittant l’hôpital.
Pour mémoire, cette dénutrition se manifeste par une perte de poids involontaire de plus de 5% en un mois, visible à l’œil nue, entraînant un risque accru d’affection et, donc, de chute, d’accident et, au final, d’hospitalisation. Le taux de mortalité s’en trouve augmenté d’un facteur quatre. On parle aussi de sarcopénie pour désigner une diminution accélérée de la masse et de la force musculaire.
Pour limiter ce risque, à défaut de le faire disparaître, la solution consiste à consommer davantage de protéines. Seulement, la dénutrition comme la sarcopénie vont de pair avec une perte d’appétit. Les personnes concernées peinent à finir leur repas.

- En quoi consiste votre propre solution ?

O. de C. : Nous proposons des « carembouchées » : des supplémentations en protéines sous formes de collations, de bouchées, conçues pour une consommation fragmentée.
Des solutions contre la dénutrition existent déjà, mais elles se révèlent peu efficaces faute d’être appétissantes et pratiques à manger. De là notre positionnement, consistant à insister sur la double dimension santé et plaisir. Nous les avons conçues avec le concours des cuisiniers de l’Ehpad Notre-Dame de Puyraveau, à Puyraveau [Deux-Sèvres], pionnier dans le manger main. Depuis une quinzaine d’années, il propose des bouchées à prendre à la main. Nous avons porté un soin particulier aux saveurs, aux textures et à la forme : de petite taille et d’une dizaine de grammes, elles sont faciles à attraper avec les doigts et fondent en bouche.

- Pourquoi « Carembouchées » ?

O. de C. : Le Care de Carembouche, c’est bien sûr le soin, c’est aussi le carré – qui évoque la forme cubique de nos bouchés. Quant au « m », il réfère lui au microbiote. Le tout suggère quelque chose qui procure du plaisir en bouche. Je précise que nous ne proposons pas des médicaments, mais bien des compléments nutritionnels oraux (CNO).

- De sorte qu’elles pourraient être consommées par tout un chacun, à commencer par les gourmands parmi lesquels, personnellement, je me range ?

O. de C. : Tout à fait. Il nous importait de faire en sorte que nos bouchées puissent être partagées avec d’autres personnes, les proches, qu’ils soient dénutris ou pas.

- Comment sont-elles accueilles par le public le plus directement concerné ?

O. de. C. : En 2021, nous les avons testées dans une demi douzaine d’établissements – des Ehpad et des centres de soin. Au total, 18 000 bouchées ont été consommées par une soixantaine de personnes, le matin et l’après-midi et ce, pendant une quinzaine de jours.

- Avec quels résultats ?

O. de C. : 97% des personnes ont dit les apprécier. Il est apparu aussi qu’une dizaine de bouchées pouvaient être raisonnablement consommées par jour.

- Et le personnel médical, comment accueille-t-il les « carembouchées » ?

O. de C. : Nous avons pu tester nos bouchées en milieu hospitalier, avec l’accord de gériatres en hôpital à Paris, qui nous ont réservé un accueil on ne peut plus favorable. Encore une fois, nous ne prétendons pas proposer une alternative à la médicamentation existante, mais bien une solution complémentaire.

- Quel développement envisagez-vous ?

O. de C. : Actuellement, nos bouchées sont riches en protéines. Nous envisageons de les enrichir avec un probiotique qui a démontré son efficacité pour limiter la perte de la masse musculaire.
Ce sera la valeur ajoutée de nos bouchées. Aujourd’hui, il n’existe encore aucun produit sur le marché qui contiennent à la fois des protéines et des probiotiques à destination de personnes souffrant de dénutrition ou de sarcopénie. Lauréates du concours d’innovation I-Lab, nous avançons dans cette inclusion du probiotique, nous préparons un essai clinique, de façon à nous assurer de la digestibilité et la masticabilité de nos produits.
Si les tests sont concluants, nous envisageons de lancer sur le marché une gamme de produits, les uns uniquement avec un apport en protéines, les autres combinant un apport en protéines et en probiotiques.

- La création de Carembouche remonte donc à 2021. Mais en visitant votre site, on découvre que c’est le fruit d’une histoire plus ancienne...

O. de C. : Muriel et Fransisca travaillent sur les problématiques de nutrition depuis une vingtaine d’années. Leurs travaux de recherche les ont conduites à la découverte du probiotique et de ses vertus par rapport à la limitation de la pette de masse musculaire.

- Trois femmes auront donc été à l’origine de la création de Carembouche. C’est peu courant dans l’univers des start-up. Mais est-ce si anodin dans le cas de Carembouche ?

O. de C. : (Rire). C’est vrai que nous sommes atypiques dans le monde des start-up : non seulement nous sommes trois femmes, mais encore nous avons déjà une longue expérience professionnelle derrière nous.
Muriel, qui a toujours travaillé dans un laboratoire a néanmoins saisi le moindre de ses articles pour en appeler à changement dans l’approche de la dénutrition, jusqu’à ce qu’un jour, elle se dise que si elle voulait que cela change, il fallait qu’elle se lance à son tour dans l’innovation entrepreneuriale. Elle a associé aussitôt Francisca tout en souhaitant une autre associée qui soit en mesure d’assurer la gestion et le management – elle voulait continuer à se consacrer à la recherche. Elle m’a donc sollicitée sachant que j’étais à la recherche d’un projet impactant, ayant du sens. C’est comme cela que l’aventure a débuté.
Il reste que Carembouche est dans le domaine du care. Un domaine qui, qu’on le veuille ou non et sans verser dans les stéréotypes, intéresse a priori les femmes plus que les hommes…

- Depuis vous avez recruté une personne qui se trouve être un homme…

O. de C. : Grâce au prix du concours i-Lab, nous avons pu en effet recruter un jeune chercheur qui vient de soutenir sa thèse, à qui nous avons confié le suivi des projets scientifiques de la société. Pour l’heure, j’en suis encore à faire le « couteau suisse », à m’occuper de tâches administratives tout en intervenant en cuisine pour la conception des bouchées… Nous avons beau être complémentaires, il nous manque encore des compétences en interne. Mais nous ne sommes pas seules. Outre l’environnement, propice à des partenariats, nous pouvons nous appuyer sur les deux comités dont nous nous sommes dotés : le comité scientifique, très investi, composé de chercheurs nutritionnistes, et un comité stratégique, composé de personnes ayant davantage un profil entrepreneurial ou investisseur.

- Qu’est-ce qui vous a prédisposée à vous lancer dans cette aventure ?

O. de C. : Je viens d’un tout autre univers – j’ai été chef de projet à l’international jusqu’à ce que j’éprouve le besoin de changer d’orientation. J’ai toujours eu plaisir à faire ce que je faisais, mais j’ai eu envie d’entreprendre quelque chose qui ait un impact ici et maintenant. Dans mes activités extraprofessionnelles, j’étais déjà investie dans des actions bénévoles : je suis administratrice du jardin de Cocagne de Vauhallan ; j’y anime un atelier d’apiculture avec des jardiniers en insertion. Des activités qui ont du sens.

- Précisons que nous faisons l’entretien dans les locaux du Campus Agro Paris-Saclay. Dans quelle mesure le fait de vous inscrire au cœur de l’écosystème sert-il votre projet entrepreneurial ?

O. de C. : Nous sommes non seulement au cœur de l’écosystème, mais encore nous en sommes pleinement issus. Carembouche est une spin-off de l’INRAe. Au démarrage de notre projet, nous étions accompagnées par IncubAlliance, qui se trouve dans un bâtiment situé à deux pas d’ici. Je rappelle cependant que Carembouche est aussi un projet Covid au sens où il a démarré en pleine crise sanitaire, ce qui a nous a contraintes à vivre l’incubation à distance… La réalisation des premiers tests en Ehpad s’en est trouvée plus compliquée… Nous avons dû les reporter à différentes reprises mais, enfin, nous y sommes parvenues.

- Depuis la fin de la crise sanitaire, la levée des contraintes de confinement, avez-vous le sentiment de vivre désormais à plein des bénéficies de votre inscription dans l’écosystème ?

O. de C. : Oui, tout à fait. Nous bénéficions déjà, pour commencer, du fait de notre trouver sur le Campus Agro Paris-Saclay. En plus d’y disposer de bureaux, nous avons accès à une cuisine professionnelle, équipée de tout le matériel nécessaire. Suite au concours i-Lab, nous travaillons avec d’autres chercheurs. Outre des opportunités de partenariats avec d’autres laboratoires, nous bénéficions du vivier d’étudiants à qui nous pouvons proposer des stages ou des sujets d’études – nous en avons proposé un en marketing, puis un autre plus scientifique. Nous échangeons avec les autres start-up incubées dans le Food’InnLab d’AgroParisTech. Bref, nous profitons à plein de notre présence sur le Campus Agro Paris-Tech. Au-delà, nous sommes toujours inscrites dans le réseau d’IncubAlliance. Muriel étant rattachée à l’INRAe, nous bénéficions aussi du réseau de chercheurs de cet organisme de recherche, présent ici sur le campus ou ailleurs en France. Enfin, nous avons bénéficié du soutien de la SATT Paris-Saclay qui a financé, en pré-maturation, le projet de recherche autour des probiotiques.

- Au vu de l’enjeu dont vous traitez, on imagine que Carembouche suscite d’emblée l’adhésion de vos interlocuteurs. Est-ce bien le cas ?

O. de C. : Le fait est, notre projet suscite spontanément de la sympathie et ce, quel que soit l’âge de notre interlocuteur, car s’il n’est pas directement concerné par la dénutrition, il a un ou des parents ou grands-parents, qui en sont victimes, ou connaît de jeunes adultes qui en pâtissent suite à une maladie, un accident. De sorte que tout un chacun comprend d’emblée l’enjeu. Un autre motif d’intérêt tient au fait que le care que nous promouvons s’inscrit dans une démarche scientifique. Nous bénéficions aussi de l’air du temps en faveur des probiotiques. Je m’empresse de préciser que ce n’est pas pour autant pour cela que nous investissons ce domaine. Muriel, Francisca et moi sommes d’abord convaincues qu’ils peuvent apporter un plus à la santé par l’alimentation. Notre sujet suscite d’autant plus la sympathie que si la solution est difficile à mettre en œuvre sur le long terme, en revanche il est facile de la comprendre. Enfin, j’y reviens, le fait que nous soyons trois femmes, de surcroît plus âgées que la moyenne des startuppeurs, contribue aussi probablement au bon accueil qu’on nous réserve.

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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