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De l’éthanol pour véhicule… électrique, la solution WattAnyWhere

Le 25 avril 2023

Entretien avec Didier Roux, cofondateur de WattAnyWhere.

Convertir de l’éthanol renouvelable en électricité propre au service des besoins de recharge rapide des véhicules électriques en Europe, grâce à une innovation qui prend la forme d’un générateur à pile à combustible. Telle est l’ambition de la start-up WattAnyWhere, lauréate de l’édition 2022 du SPRING 50 dans la catégorie mobilités. Son cofondateur, Didier Roux, nous en dit plu, y compris sur les enjeux au plan européen.

- WattAnyWhere s’est fixé pour objectif de fournir une énergie issue de la biomasse pour une recharge rapide des véhicules électriques. Comment en êtes-vous venu à cette solution ?

DR : L’Union européenne s’est fixé un objectif ambitieux en matière de recharge électrique rapide (25 térawatt-heures d’ici 2030) afin de garantir la transition des véhicules à moteur thermique vers les véhicules électriques. Seulement, ce déploiement suppose le maillage de tout le territoire européen à raison d’une borne tous les 60 km en moyenne – une moyenne définie par la Commission européenne. Or, de l’aveu même des acteurs engagés dans ce déploiement, que mon associé, Alex Laybros, et moi avons pris le temps de rencontrer, le raccordement des stations de charge rapide prendra du temps – entre un et deux ans en Europe de l’Ouest, entre deux et trois ans en Europe de l’Est. En réalité, il ne suffit pas d’installer des bornes, il faut encore adapter le réseau électrique. En effet, celui-ci n’a tout simplement pas été conçu pour alimenter des bornes de recharge rapide qui requièrent un niveau de puissance entre 50 et 350 kW selon le véhicule, soit de l’ordre du mégaW à fournir avec rien que cinq bornes… Ce n’est pas tout : les bornes ne peuvent pas toujours être installées au plus près des câbles électriques ; il faut donc tirer des câbles supplémentaires, en les faisant passer par des terrains, qui n’appartiennent ni au fournisseur d’électricité ni à l’opérateur des bornes de recharge. Il en résulte le risque de voir les délais rallonger du fait des procédures administratives. En plus d’être long, le déploiement sera coûteux – il faut compter près de 500 000 euros par borne.
Dans ces conditions, il nous a paru nécessaire de penser à des solutions alternatives à la recharge via le réseau électrique, qu’on pourrait déployer à un moindre coût et le plus rapidement possible. La nôtre peut être installée en moins d’un mois…

- En quoi consiste-t-elle ?

DR : Elle consiste en un groupe électrogène innovant, à même de fournir une puissance de 350 kW à un prix compétitif, et que nous garantissons non bruyant, non polluant, neutre en carbone. À la différence des groupes électrogènes classiques, dont le moteur fonctionne au diesel, le nôtre recourt à de l’éthanol et à des piles à combustible.
Pourquoi ce double parti pris ? Celui de l’éthanol d’abord : il a l’avantage d’être un carburant renouvelable, produit en grande quantité par les filières céréalière et sucrière, à hauteur de 10 milliards de litres par an en Europe, de 120 milliards dans le monde. Actuellement, 80% de la production européenne est mélangée avec de l’essence pour les besoins de nos moteurs thermiques, lesquels sont amenés à disparaître à l’horizon 2030 en Europe suite aux engagements pris par les États membres de l’UE, au profit des véhicules électriques, dont les ventes sont désormais en pleine croissance. Avec notre solution, l’éthanol pourra être alloué à d’autres usages en étant converti en électricité avec, en plus, un rendement amélioré – jusqu’à 60%, soit deux fois plus que celui utilisé pour un moteur thermique.
Notre solution est d’autant plus écologique que l’éthanol provient déjà de la valorisation des résidus et des restes de la production de blé et de sucre. Les 10 milliards de litres disponibles en France permettront en outre de produire 36 térawatt-heures, soit l’équivalent de la production annuelle de quatre réacteurs nucléaires.

- Prétendez-vous substituer votre solution à la recharge depuis le réseau ou au contraire participer à un bouquet de solutions ?

DR : Notre offre se veut complémentaire avec celle d’électricité issue du réseau et, certainement pas s’y substituer totalement. En revanche, à terme, elle pourrait être une alternative aux turbines à gaz, utilisées pour sécuriser l’approvisionnement du réseau électrique – ces centrales sont plus flexibles que les centrales nucléaires, qui ont, elles, vocation à fournir le gros des besoins. Pour mémoire, c’est le prix du kW fourni par ces centrales à gaz qui détermine le prix final du kW. Or, le prix du gaz s’est envolé dans le contexte géopolitique que l’on sait. En dehors du critère prix, rappelons également que ce gaz est importé en grande partie. Notre solution pourrait donc à moyen terme contribuer aussi à réduire notre dépendance tout en apportant la flexibilité nécessaire à la régulation du réseau électrique.

- Comment en êtes-vous venus à rapprocher biomasse et recharge électrique, deux univers qu’on n’a pas l’habitude d’associer ?

DR : À titre personnel, en parallèle à mon activité professionnelle, je me suis depuis longtemps intéressé aux enjeux de la transition écologique, ce qui m’a amené à porter mon attention sur différentes solutions, notamment dans le domaine énergétique. C’est ainsi que j’en suis venu m’intéresser à l’éthanol qui, étant un sous-produit de la production sucrière, offre l’avantage de ne pas entrer en compétition avec des productions vivrières. Y renoncer mettrait par ailleurs en difficulté les producteurs de céréale ou de betterave, qui se trouveraient de fait priver d’un débouché.
L’éthanol a d’autres vertus au niveau de son usage : de par sa composition moléculaire, il peut être considéré comme de l’hydrogène liquide. Grâce au reformeur que nous avons associé à une pile à combustible à oxyde solide (SOFC), nous sommes capables de convertir l’éthanol en hydrogène de façon très efficace. Cela nous permet de tirer profit de la très bonne densité énergétique de l’éthanol (5,83 kWh/l à comparer au 1,56 kWh/l de l’hydrogène compressé à 700 bars). En bref, notre solution va dans le sens de l’histoire. D’autant plus que nous ne faisons qu’employer des technologies utilisées par ailleurs pour produire de l’hydrogène vert. Autrement dit, nous ne partons pas d’une page blanche et n’aurons donc pas besoin d’investir dans de nouvelles technologies.

- Quelles sont les compétences et expertises que vous mobilisez entre les vôtres et celles de votre associé ?

DR : Alex Laybros et moi sommes tous les deux diplômés de l’Ecole Nationale Supérieure de l’Électronique et de ses Applications (ENSEA). Nous nous estimions donc armés pour engager de premières réflexions. Ensuite, pour valider notre hypothèse de départ, nous assurer qu’elle pouvait être mise en œuvre, nous nous sommes rendus sur des salons professionnels, rapprochés d’ePURE, le syndicat des producteurs européens d’éthanol ; nous avons pris contact avec des ingénieurs-chercheurs de l’ENSEA (pour travailler sur l’électronique de puissance de notre système), de l’INRAe (pour approfondir notre connaissance de la betterave à sucre, les perspectives de production d’éthanol en France) et de l’EPFL dont l’un de ses laboratoires avait déjà exploré la possibilité d’alimenter une SOFC avec du méthane. C’est ainsi, en discutant avec ces diverses parties prenantes de cet écosystème, que nous avons acquis la conviction que notre approche était pertinente, qu’elle était viable au plan technologique et commercial.

- Où en êtes vous actuellement ?

DR : Nous avons fait tourner en laboratoire un premier démonstrateur d’une puissance de 350 Watt. Nous sommes, certes, encore loin de la promesse des 350 kW, mais nous projetons de travailler dès l’année prochaine sur un 2e démonstrateur de 10 kilowatt, que nous livrerons à un premier client pour effectuer des tests dans des conditions réelles et vérifier ainsi que notre système peut être installé en ville, raccordé à des recharges et fournir de l’électricité. L’étape suivante consistera à développer un module de 50 kW que nous dupliquerons ensuite pour atteindre l’objectif des 350 kW.

- Comment envisagez-vous de financer ces différentes étapes de démonstration et de test ?

DR : Pour les besoins du premier démonstrateur, nous avons sollicité des personnes de notre entourage – les « Family, Friends, Fools » dans le jargon des start-up – qui ont abondé à partir de tickets de 5 000 à 50 000 euros. Cela nous a permis de solliciter ensuite des subventions et des prêts. Grâce à ce premier démonstrateur, nous serons en mesure, au cours de l’année 2023, de finaliser un tour de table de 6 millions d’euros pour réaliser le deuxième démonstrateur et lancer les développements en vue de construire le 3e.

- Qu’en est-il du prix d’une recharge avec votre procédé ?

DR : À ce jour, nous sommes capables d’être compétitifs par rapport au prix de l’électricité du réseau. Et ce pour une raison simple : pour répondre aux variations brusques de la demande, un fournisseur en est réduit à s’approvisionner sur le marché Spot*, lequel repose sur des négociations instantanées du prix du kilowattheure. Or, celui-ci a pu monter jusqu’à 6 euros du kilowattheure, à comparer aux 20 cents du coût moyen de ce kW garanti par votre abonnement. Autrement dit, les solutions tarifaires proposées par les fournisseurs dépendant du réseau électrique pourraient s’avérer inaccessibles à bon nombre de conducteurs, dans des situations de tension sur le marché de l’électricité comme nous en connaissons aujourd’hui et devrons en connaître encore à l’avenir. Le risque est moindre pour l’électricité produite à base d’éthanol car le prix de celui-ci est négocié dans le cadre de contrats annuels, ce qui permet de fournir de l’électricité à un prix constant tout au long d’une année. J’ajoute que la France étant le plus gros producteur d’éthanol en Europe, avec près de deux milliards de litres par an, elle n’est pas exposée à un risque de défaut d’approvisionnement.

- Dans quelle mesure le surenchérissement du prix de l’électricité braque-t-il davantage les projecteurs sur votre solution ?

DR : Cette crise a des incidences positives pour WattAnyWhere. D’ailleurs, nous avons été sélectionnés par deux grands groupes pour rejoindre leur programme d’accélération de start-up : Shell, d’une part, Auchan, d’autre part.

- Vous avez été lauréats de l’édition 2022 du SPRING 50, dans la catégorie Mobilités. Quelles retombées cela a-t-il eu en termes de visibilité ?

DR : Outre le prix SPRING 50, nous avons reçu d’autres prix à l’international. Pour une start-up, c’est tout sauf anecdotique ; cela lui permet de gagner en visibilité et, donc, de rentrer plus facilement en contact avec des investisseurs potentiels.

- Au-delà de votre intérêt pour les enjeux des transitions écologique et énergétique, qu’est-ce qui vous a prédisposé à vous lancer dans une démarche entrepreneuriale ?

DR : Avant de créer WattAnyWhere, j’avais déjà une expérience de l’entrepreneuriat innovant car j’ai créé la startup Krono-Safe en 2010 dont la technologie est issue des travaux du CEA-Saclay. Je me suis beaucoup appuyé à l’époque sur l’écosystème de Paris-Saclay pour accompagner le développement de cette jeune entreprise innovante (IncubAlliance, CCI Essonne, Scientipôle Initiative, Scientipôle Capital, CEA Nano’Innov, IRT SystemX, SAFRAN…).

- Dans quelle mesure ce nouveau projet est-il redevable à l’écosystème Paris-Saclay ?

DR : Outre le prix de SPRING 50, nous avons été incubés au sein d’IncubAlliance, qui nous a bien aidés au démarrage de WattAnyWhere. À l’avenir, nous souhaitons rester dans l’écosystème car, pour assurer notre développement, nous aurons besoin de compétences en électronique et en logiciel. Et à cet égard aussi, Paris-Saclay constitue un vivier unique en Europe du fait de la présence de grandes écoles d’ingénieur, d’industriels et d’autres acteurs qui font référence dans ces domaines.

* « Marché sur lequel les matières premières sont venues contre espèces et livrées rapidement lorsque la transaction est réglée, et d’autres marchés non financiers, comme les marchés à terme pour les matières premières » (d’après la Commission de Régulation de l’Énergie).

Publié dans :

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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