Bienvenue à IN’CUBE, le nouveau centre de recherche et d’innovation de Danone
Suite de notre série « Techtiaire" avec Vincent Barbier, directeur R&I de Danone Nutricia Research, qui nous présente IN’CUBE, le nouveau site inauguré en février dernier dans le quartier de Moulon.
- Nous réalisons l’entretien dans le tout nouveau site de Danone Global Research & Innovation Center. Comment en êtes-vous venu à ce projet immobilier ?
Ce projet a répondu à quatre questionnements que soulevait le site que nous occupions jusqu’alors, dans le quartier de l’École polytechnique, de l’autre côté de la N118. Au moment de sa construction en 2000, il n’y avait pratiquement rien de ce que nous pouvons y voir aujourd’hui hormis le campus de l’École polytechnique. Naturellement, la question qui s’est posée à l’époque était de savoir comment adapter ce centre de recherche à un environnement qui s’est depuis enrichi de nombreux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, de centres de R&D, dans le sens d’une plus grande porosité avec lui. Pour notre nouveau centre de recherche, nous avons donc souhaité concevoir un tout nouveau bâtiment aussi ouvert que possible sur l’extérieur. Schématiquement, l’avant du bâtiment abrite l’ensemble des espaces susceptibles d’accueillir des consommateurs, des fournisseurs, des partenaires, que ce soit l’espace consommateur, des espaces laboratoires, les bureaux, les salles projets et bientôt un Dankafé.
- Le centre « côté ville » en somme, l’arrière donnant sur des surfaces agricoles…
« Côté ville », en effet, puisque le quartier compte de nouveaux logements, des commerces, sans oublier une crèche, une école, des installations sportives… Mais un « coté ville » un peu particulier avec de prestigieux établissements d’enseignement supérieur et de recherche et des centres de R&D. Soit un tout autre tissu que celui dans lequel avait été construit notre précédent centre de recherche de Paris-Saclay, qui offre l’intérêt de nous mettre directement en contact avec des consommateurs, un plus pour nos séances de co-développement.
- Sur quoi a porté le 2e questionnement ?
Sur le fait de savoir comment maximiser la collaboration, les interactions entre les équipes attachées à la recherche et l’innovation – les équipes scientifiques, techniques, des sciences analytiques, des sciences du consommateur, etc. – c’est-à-dire comment, concrètement, faire en sorte qu’elles se croisent, se retrouvent ensemble de manière formelle et informelle, échangent de manière encore plus fluide que dans le cadre de l’organisation classique de la R&D.
- Est-ce à dire que vous aviez fait vôtre cette notion de « sérendipité » qui a fait florès ces dernières années pour désigner les découvertes nées notamment d’interactions fortuites ?
Oui, c’est bien la notion que nous avions en tête en cherchant à voir comment créer les conditions favorables à une telle sérendipité. La réponse qui a été apportée, c’est une vaste plazza centrale avec son lieu de restauration et, en proximité immédiate, des salles de réunion non pas dispersées, mais rapprochées dans un même pôle. À peine sorti d’une salle de réunion, on est ainsi susceptible de croiser un ou une collègue avec lequel/laquelle on pourra échanger des informations de manière immédiate ou interagir sur le mode « Ah, tiens, ça tombe bien, je voulais te voir ! ». Dans le même esprit, les laboratoires et l’espace consommateur convergent vers cette plazza toujours dans l’idée de permettre aux collègues de se croiser.
En lien avec le précédent, le 3e questionnement portait sur les moyens techniques de haut niveau que notre nouveau site devait accueillir. Outre des laboratoires de recherche scientifique sur la fermentation – un de nos cœurs de métier – et des laboratoires d’analyse des produits – nous voulions disposer de pilotes afin de produire des échantillons pour les besoins de nos tests consommateurs, mais aussi faire de la vente directe sur des marchés ou boutiques tests. Le site compte ainsi une « mini-usine » – c’est ainsi que nous l’appelons -, qui nous permet de produire en petites séries. Elle est soumise aux mêmes certifications de sécurité alimentaire que nos sites industriels, notamment la norme FSSC 22000. Comme nous utilisons des matières premières d’origine animale – du lait, en l’occurrence -, nous devons d’ailleurs recevoir prochainement la visite de l’inspection vétérinaire (DDPP) pour un certificat d’agrément de nos pilotes avant leur mise en service.
- En cela, votre site s’inscrit bien dans la logique de l’immobilier techtiaire…
En effet. Sur les 21 500 m2 dont nous disposons – soit une superficie moindre que celle de l’ancien centre, mais optimisée – un tiers correspond à des surfaces techniques tels que des laboratoires et des pilotes.
- Des surfaces techniques que vous mettez à disposition des startuppers que vous accueillez ?
Oui, nos espaces sont conçus pour favoriser la collaboration avec les startuppers comme avec nos fournisseurs. Une illustration supplémentaire de notre souci de favoriser les connexions entre nous, mais aussi avec les différentes parties prenantes de nos projets de recherche et d’innovation.
- Venons-en au quatrième questionnement…
Il s’agissait de savoir comment s’inscrire dans le programme d’action du groupe Danone, « One Planet. One Health » jusque dans la manière de faire de la recherche et de l’innovation. Notre bâtiment, nous l’avons donc voulu « durable ». Il a été construit en faisant la part belle au bois, à partir de bois des Vosges ! , seuls les deux premiers étages reposant sur une armature en béton. Nous avons par ailleurs recyclé le maximum de matériaux, de mobilier et d’équipements. Les faux plafonds et les planchers, par exemple, ont été récupérés de bâtiments démolis. Les paillasses ne sont autres que celles utilisés dans notre ancien centre de recherche. De même que les tables installées dans les salles de réunion.
- Le coût de construction et d’aménagement de votre nouveau bâtiment s’en est-il trouvé fortement réduit ?
Oui, dans une certaine mesure, pour ce qui concerne le mobilier. Maintenant, si nous examinons les choses en détail, il faut admettre que la récupération de matériaux, comme des dalles ayant déjà été utilisées, n’est pas forcément moins onéreuse que d’en fabriquer des neuves d’autres. Cela étant dit, nous escomptons être certifiés Bâtiment Bas Carbone, notre site devrait être ainsi l’un des premiers à l’être dans la catégorie immobilier semi-industriel en Europe.
- Une performance à laquelle contribue aussi votre connexion au réseau d’échange de chaleur et de froid…
Oui, nous sommes en effet connectés à ce réseau et ne pouvons que nous en réjouir. L’alimentation en chaleur depuis ce réseau concourt au confort thermique du bâtiment. À quoi s’ajoute la récupération de l’eau de pluie pour les toilettes et l’arrosage, ainsi que l’installation de panneaux photovoltaïques. Cela nous permet d’aller chercher des standards de certification élevés comme le HQE ou le BREEAM excellent ainsi que OSMOSE pour la qualité de vie des employés.
- Quelle est, dans ce qui a présidé à la conception de ce bâtiment, la part des limites rencontrées dans le précédent site et celle du benchmark ?
Le fait est, le précédent bâtiment présentait des limites. Il ne se prêtait pas, du fait de sa conception architecturale, aussi facilement aux interactions et aux collaborations entre nos différentes équipes. Or, aujourd’hui, ce qui permet de faire la différence, ce n’est plus tant le secret qui entoure la conception d’un produit – il suffit d’aller sur internet pour dénicher de bonnes recettes de yaourt ! – mais le fait que des équipes parviennent à travailler ensemble, que nos scientifiques et nos techniciens puissent interagir, échanger pour identifier d’éventuelles barrières technologiques et les lever ensemble avec des partenaires et fournisseurs sélectionnés.
De même, l’ancien bâtiment manquait, du fait de sa conception, de porosité avec le reste de l’écosystème de Paris-Saclay. Or, le monde est trop complexe pour rester enfermé dans sa tour d’ivoire. Il faut travailler avec les autres, en s’appuyant sur leurs compétences, leurs technologies, sans prétendre les réunir tous en un seul et même endroit.
Toutes ces limites rendaient illusoire une restructuration de l’ancien site pour l’adapter aux nouvelles pratiques en matière de recherche et d’innovation. Pour autant, il était hors de question pour nous de quitter l’écosystème de Paris-Saclay ! Nous nous sommes juste autorisés à passer d’un quartier à l’autre.
Et puis, bien évidemment, dès lors que nous voulions mettre à profit la construction d’un nouveau site pour envisager d’autres fonctionnements, nous nous sommes livrés en parallèle à du benchmarking, en commençant par visiter plusieurs établissements d’enseignement supérieur et de recherche implantés dans ce qui allait être notre futur environnement : l’école CentraleSupélec, l’ENSTA, mais aussi les derniers Centres R&D sortis de terre : Michelin à Clermont-Ferrand, Unilever à Wageningen, Roche à Amsterdam, Lesaffre à Lille…
- Qu’en avez-vous retenu ?
La première chose qui m’a frappé, ce sont les étudiants. Forcément, à les voir à plat ventre avec leur ordinateur devant eux, dans des espaces conviviaux, vous vous dites que vous ne pourrez pas prétendre les attirer chez vous si vous ne leur offrez que des espaces de travail « classiques ». Il nous fallait être innovants, proposer à notre tour de nouvelles configurations, en modulant les espaces, en facilitant les échanges et pas seulement dans des salles de réunion. Ces échanges doivent pouvoir se poursuivre de manière informelle, dans des espaces conviviaux, autour d’un café. De là le parti que nous avons pris d’aménager une variété de configurations : des bureaux individuels, mais avec un espace et du mobilier pour y accueillir un collègue le temps d’une discussion impromptue ; des salles projets pour des séances de brainstorming, émettre des idées. Le temps où l’on travaillait dans un seul et même type d’espace est révolu. Restait à faire des choix. Pour cela, nous avons pris le temps d’en tester différents types avant l’entrée opérationnelle du site, c’est l’Activity Base Office. J’adapte mon lieu de travail à l’activité que j’accomplis. Si nous avons aussi adopté le principe du Flex Office – premier arrivé, premier servi -, nous nous sommes gardés de le généraliser. Il y a la possibilité d’occuper toujours le même bureau ou de changer comme on le souhaite.
- Le visiteur que je suis peux témoigner de l’effet « waouh » produit par votre nouveau site. Mais aussi attractif qu’il soit, cet environnement professionnel n’est-il pas remis en cause par l’aspiration au télétravail qui s’est semble-t-il renforcée dans le contexte de crise sanitaire ?
De par la nature de nos activités, de la recherche en laboratoire, sur des pilotes, du stockage, de la maintenance -, nous sommes moins directement impactés que d’autres entreprises par cette tendance. Dans notre cas, la digitalisation rencontre vite ses limites. Une bonne moitié de nos collaborateurs ont besoin de venir chaque jour sur le site ne serait-ce que pour y poursuivre leur recherche, leurs analyses et tests, concevoir les produits et les déguster ! Cela étant dit, avant même l’apparition du Covid-19, nous avions conclu un accord sur le télétravail. Depuis, la crise sanitaire a changé les habitudes des collaborateurs. Cela étant dit, si le télétravail est adapté lorsqu’il s’agit d’enchainer des échanges à l’international, par exemple, la plupart perçoivent bien l’importance d’être aussi en présentiel pour avancer dans un projet porté avec des collègues en interne, surtout lorsque l’on parle d’alimentaire ! Et le nouveau centre se veut être un catalyseur de rencontres, où l’on a plaisir à travailler.
- Concrètement, qu’est-ce qui va s’inventer ici tant du côté de la nutrition que celui de la santé ?
Ici, nous travaillons principalement sur les produits laitiers, la famille des yaourts au sens large ; les produits à base de laits végétaux ; les produits mixtes ; enfin, les eaux – minérales, gazeuses, avec des jus ou des arômes. Nous travaillons en amont pour définir les building blocks comme on dit dans notre jargon, autrement dit les matrices alimentaires de base que nous allons pouvoir développer ensuite dans un de nos cinquante-cinq centres de développement – des centres ayant vocation à adapter ce que nous avons conçu ici, aux réglementations nationales, aux besoins du consommateur final, en termes de goût, de texture, de packaging et de format…
- Dans quelle mesure le plateau de Saclay sert-il cette vocation, avec ses partenaires académiques potentiels, ses start-up de la FoodTech, mais aussi ses étudiants, qui viennent du monde entier avec leurs cultures alimentaires, sans oublier les agriculteurs et toutes ses initiatives qui s’emploient à promouvoir une alimentation locale, etc.
C’est précisément tout cela qui nous a convaincus de rester ici. Au moment de nous engager dans un nouveau cycle sur les vingt prochaines années autour de l’alimentation et, surtout, sur la manière dont l’alimentation peut contribuer à la santé. Il n’y a pas d’autres lieux que le plateau de Saclay pour le concrétiser. Il n’y a pas non plus meilleur endroit pour explorer le potentiel de la digitalisation, la modélisation, l’IA, etc. Aujourd’hui, les données consommateurs comme celles de nos études cliniques revêtent un caractère massif. Aussi, la possibilité de pouvoir travailler avec des spécialistes des données numériques, comme ceux de l’EDF Lab, par exemple, pour les traiter, les modéliser, produire des algorithmes nous ouvre des perspectives fabuleuses. Le nombre grandissant de partenaires, de start-up, nous conforte, nous comme AgroParisTech, dans l’idée de promouvoir une filière Agri-Agro.
- Qu’entendez-vous par là ?
Elle répond à l’ambition du groupe Danone de couvrir, à travers le programme que j’évoquais, la chaîne alimentaire de la production agricole jusqu’à l’assiette, « de la fourche à la fourchette », en partant, concrètement, des produits de la terre pour les transformer en des produits alimentaires aussi naturels que possible, de les acheminer ensuite jusqu’aux consommateurs dans une logique de circuits courts. Le territoire de Paris-Saclay réunit toutes les ressources requises pour y parvenir. Avec l’EPA Paris-Saclay, nous en sommes venus à définir une 6e filière, .l’ « Agri-Agro », donc. La SATT Paris-Saclay avait dressé un inventaire des acteurs qui contribuent à l’émergence de cette filière Agri-Agro et ils sont nombreux.
- Qu’est-ce qui, dans votre parcours professionnel, vous a prédisposé à participer à la conception de ce nouveau centre de recherche ?
J’ai rejoint le groupe Danone il y a trente-quatre ans. J’ai eu la chance de débuter ma carrière dans la première division du groupe – les biscuits – dont il s’est séparé depuis pour se recentrer sur des métiers relatifs à la santé. J’ai ensuite évolué successivement dans les produits laitiers, puis les boissons (les aqua-drinks) et même dans la division nutrition infantile et médicale. J’ai ainsi acquis une vision d’ensemble des différents produits et de leurs enjeux. En 2017, j’ai eu envie de prendre davantage part au management. J’ai quitté la paillasse, où je développais les produits, pour assumer une direction de site, animer des équipes.
Pouvoir le faire dans un écosystème comme celui de Paris-Saclay, avec sa concentration de moyens de recherche et d’innovation, mais aussi le cadre de vie qu’il offre, rend cette nouvelle aventure professionnelle d’autant plus passionnante !
- Un mot sur la Ligne 18, visible depuis l’arrière du bâtiment…
Elle est plus que jamais indispensable car le projet de cluster Paris-Saclay est devenu une réalité, avec ses dizaines de milliers d’étudiants, ses chercheurs, ses enseignants, ses entrepreneurs innovants. Nous l’attendons d’autant plus qu’elle permettra à coup sûr de désengorger les réseaux de transports actuels.
* Pour mémoire, les cinq autres filières sont : « Technologies de l’information et de la communication », « Santé », « Énergie », « Aéronautique – Sécurité – Défense » et « Mobilité ».
Journaliste
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