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Vers la ville jardin : comment et avec qui ?

Le 20 mai 2019

Suite de nos échos à la Biennale d’Architecture et de Paysage d’Ile-de-France, qui se déroule jusqu’au 13 juillet 2019, à travers le compte rendu d’une des tables rondes organisées à cette occasion, le 5 mai dernier, à l’ENSA-V, sur le thème de « la ville jardin ».

Dimanche 5 mai, 14 h : nous nous retrouvons dans l’amphithéâtre de l’Ecole nationale supérieure d’architectures de Versailles (ENSA-V), pour assister à une nouvelle table ronde du cycle « La ville fertile », programmé par la Biennale d’Architecture et de Paysage d’Ile-de-France. Intitulée « Vers une ville jardin », elle se propose de voir comment renforcer la présence du végétal bien au-delà des espaces publics, à travers des pratiques jardinières et une plus grande attention à la biodiversité. Pour en débattre et surtout nous montrer que c’est possible, quatre intervenants de différents horizons professionnels et disciplinaires : Yann Fradin, directeur général de l’association Espaces, dédiée à l’insertion par les métiers de l’environnement (pour en savoir plus, cliquer ici) ; Gilles Degroote, qui se définit comme un « eco-entrepreneur », à la fois permaculteur et maraîcher bio – il porte un projet de ferme urbaine à proximité du futur siège de Nature et Découvertes, dans le quartier de la gare Versailles Chantier ; Cathy Biass-Morin, la directrice des Espaces verts de la ville de Versailles ; enfin, Michel Desvigne, paysagiste auquel on doit de très nombreuses réalisations parmi lesquelles le schéma de développement territorial de l’OIN Paris-Saclay (dont il ne sera curieusement pas question au cours des échanges, malgré son travail sur l’articulation entre champs agricoles et les espaces du campus).

Un diagnostic partagé

Avant de témoigner de ce qu’ils font chacun en faveur de la ville jardin, tous témoignent d’un regain d’intérêt des gens pour le contact avec la « nature » et/ou le jardinage, bien au-delà d’un simple phénomène de mode.
Pour Yann Fradin, ce regain d’intérêt exprime un besoin de « reconquête des espaces publics », pour Gilles Degroote, un besoin de recouvrer du sens en renouant avec un conact direct avec la terre pour ce que cela procure, une « expérience charnelle ». Cathy Biass-Morin confirme : même dans une ville connue mondialement d’abord pour son patrimoine architectural, il y a une forte demande de ses habitants pour davantage de vert dans les espaces publics et jusque dans les cimetières, d’entretenir l’héritage et pas seulement bâti (les avenues arborées comptent tout autant). Une demande explicite, qui s’exprime aussi par le besoin de jardins familiaux ou partagés.
Michel Desvigne fait profiter de sa grande expérience de l’international où il a mené de nombreux projets, pour remettre en perspective cette tendance, en sensibilisant aux différences culturelles qui existent d’un pays (sinon d’un continent) à l’autre dans le rapport à la « nature ». En France, si retour de celle-ci il y a, il participe d’un phénomène de rattrapage, en l’occurrence par rapport à la longue période de reconstruction qu’a connu le pays, à partir des années 50, et durant laquelle la priorité a été donné au bâti, pas au paysage. Ce dont on mesure encore les conséquences avec des constructions et infrastructures conçues en dépit du bon sens, au plan paysager comme de l’urbanisme. A l’évidence, il serait temps, pour notre paysagiste, de songer à reboiser les voies autoroutières. Comment ne pas lui donner raison ? Le même relève qu’il n’y a toujours pas eu de grands parcs conçus à l’échelle du Grand Paris, hormis des exceptions. Il perçoit cependant un changement favorable, depuis au moins les années 2000, à la faveur du lancement du projet du Grand Paris. Les études menées dans le cadre de l’Atelier International du Grand Paris (AIGP) ont été, estime-t-il, l’occasion de revaloriser une vision paysagère de la métropole. Les pratiques changent : les concepteurs placent de plus en plus le paysage au centre de leurs préoccupations, de leurs projets urbains.

Une diversité d’initiatives

Et, eux, les intervenants de la table ronde, que font-ils pour faire de la ville un jardin ? On en vient au second temps de la table ronde, qui est ainsi l’occasion de prendre la mesure de la grande diversité des initiatives à l’œuvre.
Première illustration avec la ferme urbaine que Gilles Degroote est donc en train de créer face au futur siège de Nature et Découvertes, lui-même en phase d’achèvement, à l’emplacement d’une ancienne friche : un des bassins conçus par Thomas Gobert pour recueillir l’eau du Plateau de Saclay servant à alimenter les fontaines et bassins du parc du Château. C’est dire si le projet a aussi un fort contenu patrimonial car il s’agit de restaurer les murs d’époque tout en maintenant réversible l’aménagement. Sur les quelques 3 000 m2 de superficie que représente la friche, la ferme disposera de 1 000m2 de surface agricole utile. De quoi produire une vingtaine de paniers (par semaine, comme on le présume). En bon entrepreneur, Gilles Degroote se soucie de la rentabilité économique et songe déjà à faire de sa micro-ferme un lieu d’initiation et de formation en direction des adultes, en plus d’accueillir des classes, de l’école élémentaire jusqu’au lycée. Il compte aussi s’appuyer sur les bonnes volontés (les salariés de Nature et Découvertes, qui pourront y faire œuvre de bénévolat) mais aussi les candidats à des stages, de plus en plus nombreux à se manifester pour travailler dans le cadre de projets comme le sien.
Originale, sa démarche l’est d’autant plus qu’elle s’inscrit dans une logique entrepreneuriale – lui-même vient du monde de l’entreprise. Permaculteur, il l’est devenu en suivant une formation à la ferme du Bec Hellouin. Mais là où d’aucuns se limitent à la permaculture, lui veut promouvoir une alliance de celle-ci avec un « maraîchage bio intensif » – lequel n’a de l’oxymore que l’apparence : ce maraîchage, rappelle Gilles Degroote, repose sur les savoir-faire des anciens maraichers qui alimentaient Paris jusque dans l’entre deux-guerres. Bien plus, il veut aussi se faire le chantre d’une économie circulaire : la friche bénéficiera de l’apport des riches terres limoneuses du Plateau de Saclay, qu’il enrichira avec des matières organiques de qualité puisqu’ici issues de Versailles (une ville qui a banni depuis plusieurs années l’usage de produits phytosanitaires de ses espaces publics, sans attendre l’échéance fixée par le législateur – le 1er janvier 2017). Encore en cours d’aménagement, la ferme devrait entrer en activité à la rentrée prochaine. Rendez-vous est donc pris.
De son côté, Cathy Biass-Morin met en avant l’engagement ancien de la ville en faveur des pratiques jardinières et au delà de la biodiversité. Renseignement pris sur le site de la ville, les jardins familiaux y totalisent 6 990 m2 répartis sur 430 parcelles de 100 à 400 m2, situées à proximité de la pièce d’eau des Suisses et dans les quartiers de logements sociaux de B. de Jussieu et Moser. Quatre associations en assurent la gestion : l’Union Potagère, Les jardins familiaux des Petits-Bois, Les jardins familiaux de la Quintinie, enfin, Les jardins Sévigné-Charcot.
A quoi s’ajoutent bien d’autres initiatives dans le détail desquelles nous nous garderons de revenir ici. Citons juste encore l’aménagement de potagers dans les écoles. C’est que la place de la nature, sa préservation, est affaire de pédagogie et ce, dès le plus jeune âge. La même relève l’intérêt d’impliquer autant que possible les citoyens dans le montage de jardins partagés, car c’est le gage d’une réappropriation et d’un moindre risque d’incivilités.
Qu’on puisse concilier l’écologie et le social, dans la perspective d’une ville jardin, c’est ce qu’illustre aussi à sa façon l’association Espaces. Installée à Chaville (Hauts-de-Seine), elle a été créée en 1994, à l’initiative d’habitants qui souhaitaient assurer l’entretien des berges de Seine d’Issy-les-Moulineaux, Meudon et Sèvres, transformées en friches industrielles délaissées, le but étant aussi de redonner un emploi aux anciens ouvriers et aux sans-abri vivant sur le territoire. Depuis, elle s’est lancée dans de nombreux chantiers (une quinzaine actuellement), davantage tournés vers l’aménagement et l’entretien écologique de sites urbains très variés (berges, talus, espaces boisés, espaces verts, jardins…). Espaces s’est également engagée dans l’agriculture urbaine avec des jardins partagés et le compostage, l’écopâturage, la création d’une activité de maraîchage écologique et solidaire à Aubervilliers (CultiCime) et d’autres projets encore, de plus grande envergure comme, par exemple, la Cité maraîchère de Romainville, les Parisculteurs ou dans le cadre d’« Inventons la Métropole du Grand Paris ».
De son côté, Michel Desvigne nous fait quitter momentanément la ville de Versailles pour nous nous donner à voir des réalisations modestes en apparence, mais significatives de ce retour de la nature dans la ville : il s’agit à chaque fois de la reconstitution de petits îlots de forêts dans des cours ou à l’intérieur d’ilots d’immeuble. Deux nous transportent à Paris : l’une rue de Meaux, l’autre au ministère de la Culture (un jardin de 170 m2 où la nature des matériaux ont permis de reconstituer le sous-bois d’une forêt australe !). Puis direction le Japon, pour la présentation du projet Otemachi (1,1 ha de surface reboisée dans un quartier d’affaires) avant un retour en Europe, pour une présentation du projet Anvers Kannal (un quartier d’habitations individuelles, où l’implantation d’arbres et d’autres végétations ont permis d’apaiser les relations de voisinage). Tout cela est très séduisant en plus de témoigner de la possibilité de restaurer la « nature » dans des espaces très densément peuplés. On regrette cependant que le paysagiste n’ait pas davantage évoqué son travail à l’échelle de Paris-Saclay, dont il a élaboré le schéma de développement territorial et qui démontre qu’il est possible d’œuvrer à la grande échelle.

Des alliances inédites

Car la question est bien celle-ci : comment aller au-delà d’une simple accumulation d’initiatives et faire de nos villes de réelles villes jardins, dans lesquelles le végétal est traité avec la même attention que le minéral. La question vaut pour l’ensemble des intervenants.
Cathy Biass-Morin ne manque pas d’argument pour se montrer optimiste : une ville comme Versailles est déjà en bonne voie pour prétendre au statut de ville jardin. Elle a, il est vrai, hérité d’un patrimoine qui n’est pas que bâti, mais végétal, avec son parc, bien sûr, mais aussi ses allées arborées. Elle aurait pu s’en tenir là, à un simple effort pour entretenir l’héritage. Mais comme on l’a vu, elle est allée encore plus loin en encourageant la création de jardins partagés et familiaux et de potagers scolaires. Ce qui n’aurait pas été possible sans des ressources humaines supplémentaires. En l’occurrence, deux éco-jardiniers, dont les postes ont été spécialement créés, souligne Cathy Biass-Morin. Un effort non négligeable quand on sait les contraintes budgétaires qui pèsent, même sur les finances d’une ville comme Versailles. Preuve s’il en était besoin, relève-t-elle, que la ville jardin est aussi affaire de volonté politique. Parmi les autres manifestations des ambitions de la ville, la même évoque le droit de regard que revendique désormais sa direction des espaces verts sur les projets d’abattage d’arbres, y compris ceux envisagés par des particuliers.
De son côté, Gilles Degroote se veut lucide en rappelant que « ce n’est pas l’agriculture urbaine qui va nourrir la vile ». Mais la présence de cette agriculture n’en aura pas moins de multiples autres incidences positives : à commencer par celle de sensibiliser davantage les citadins aux enjeux de l’agriculture et du maraîchage, à la saisonnalité des fruits et des légumes, etc. Le même considère que c’est toute la ville qui doit être conçue de manière « bio-inspirée », par une préférence donnée aux à l’exploitation de ressources locales, dans une logique d’économie circulaire, donc, en raisonnant de manière systémique car tout se tient. « C’est l’interdépendance des systèmes qui assure la résilience de la ville.»

Une métaphore utile

Bref, à défaut d’être réalisée ou réalisable dans l’immédiat, la métaphore même de ville jardin a pour vertu de nous amener à bien entrer dans les problématiques de l’urbain, en le saisissant dans toutes ses dimensions, y compris l’habitat, les mobilités, etc.
Pour notre part, nous n’avons pu nous empêcher de nous interroger sur les incidences plus insoupçonnées d’une telle ville jardin, à commencer par le retour d’espèces animales, qu’elle ne manquera pas de favoriser. Non que la ville leur ait été toujours hostile. Au contraire, elle a même pu se révéler un refuge pour nombre d’entre elles, fût-ce au prix d’une domestication – ainsi que l’a montré, entre autres spécialistes, le géographe Xavier de Planhol, dans son ouvrage Le Paysage animal : l’homme et la grande faune, une zoogéographie historique (Fayard, 2004).
Surtout nous revient en mémoire la notion d’ « alliance inédite » promue par Jean-Guy Henckel, le fondateur du Réseau Cocagne, en entendant par-là la nécessité pour les porteurs d’initiatives œuvrant dans le sens de l’intérêt général (à l’image de ceux dont il a été question au cours de la table ronde) de s’allier à d’autres acteurs – en l’occurrence les pouvoirs publics mais aussi les grandes entreprises – pour monter en généralité et mieux répondre ainsi aux défis sociétaux. Une perspective sur laquelle nous aurions bien aimé entendre les intervenants. Quitte à élargir le cercle de la discussion à des représentants desdits pouvoirs publics et du monde de l’entreprise.

A lire aussi…

– le récit de nos déambulations des vendredi 3 et samedi 4 mai (pour y accéder, cliquer ici) ;

– les entretiens avec Antoine Jacobsohn, le responsable du Potager du Roi (pour y accéder, cliquer ici), Vincent Piveteau, le directeur de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage (ENSP) de Versailles (mise en ligne à venir), Djamel Klouche, architecte et Commissaire du parcours « Augures » (mise en ligne à venir).

En illustration de cet article : projet d’îlot d’Elisabeth de Portzamparc (photo en page d’accueil du site) ; vue sur le Potager du Roi (photo ci-dessus).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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