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Un « bureau énergie » made in Paris-Saclay.

Le 16 janvier 2018

MIT, Stanford,… plusieurs grands centres de recherche ont adopté une initiative pour favoriser la coopération entre académiques, industriels, entrepreneurs et étudiants dans le domaine énergétique. L’écosystème de Paris-Saclay n’est presque plus en reste depuis la création d’un « bureau énergie » associant plusieurs acteurs. Jean-Marc Agator, qui participe à son animation, nous en dit plus.

– Si vous deviez présenter le « bureau énergie » à l’animation duquel vous participez…

Ce bureau est une structure informelle, créée en juillet 2014, avec l’aide déterminante du regretté Patricio Lebœuf et le soutien constant de Claude Chappert. Il a pour vocation de coordonner des actions transverses en matière d’énergie, au sein de Paris-Saclay, en rapprochant les diverses communautés concernées, celles des chercheurs, des étudiants et des industriels. Il ne s’agit pas pour autant de refaire ce que d’autres font déjà, et très bien, dans l’écosystème de Paris-Saclay, mais d’être un facilitateur et un précurseur en vue de construire une initiative sur l’énergie de plus grande envergure.

– Comment fonctionne-t-il concrètement ?

Son fonctionnement est assuré par cinq personnes issues de trois établissements (CEA, CNRS et Université Paris-Sud) : outre moi-même, Frédéric Bouillault (Professeur à l’Université Paris-Sud), Sylvain Franger (également Professeur à l’Université Paris-Sud, responsable de la mention de master Energie), Patrick Guenoun (Directeur de recherche au CEA) et Jean-François Guillemoles (Directeur de recherche au CNRS). Pour l’instant, il s’agit encore d’une structure informelle, qui repose sur la bonne volonté des uns et des autres. Le CEA s’engage particulièrement en me mettant à disposition. J’ajoute que nous bénéficions d’un large soutien de l’Université Paris-Saclay.

– Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement, toute chose étant inégale par ailleurs, avec le WAWlab qui a fait aussi le choix d’une structure informelle – il ne s’est pas constitué en association loi 1901. Quel regard posez-vous sur le rôle de ce genre de structures dont on voit que, bien que non instituées, elles jouent un rôle de catalyseur non négligeable dans une dynamique comme celle de Paris-Saclay ?

Oui, je partage ce constat : des initiatives émergent, qui sans être a priori dans le système, contribue à le renforcer. Cela souligne aussi l’importance de l’humain et de l’ouverture d’esprit, au-delà des logiques institutionnelles. Celles-ci sont bien sûr essentielles, mais elles peuvent être enclines à enfermer dans des carcans.
L’important, si vous voulez assurer un travail de coordination d’acteurs aussi divers que ceux qui interviennent dans le champ de l’énergie, est qu’il y ait des hommes et des femmes qui soient suffisamment motivés pour le faire, monter des réseaux à même de croiser les publics, de sortir des cloisonnements. Les gens de bonne volonté ne demandent qu’à travailler ensemble, avec des personnes issues d’autres disciplines ou champs professionnels que les leurs. Seulement, ils peuvent être pris dans des routines, qui les empêchent d’élargir le cercle de leurs interlocuteurs et partenaires potentiels.

– En quoi consiste le soutien de l’Université Paris-Saclay ?

Ce soutien est capital. A défaut de consister en ressources financières pérennes, il permet de gagner en crédibilité auprès de nos interlocuteurs, à commencer par les industriels, qui ont bien intégré le fait que, quand ils s’adressent à nous, c’est bien des représentants de l’Université qu’ils ont devant eux, du moins pour les problématiques énergétiques. Dit autrement, le bureau est comme la porte d’entrée de l’Université pour tout ce qui touche à l’énergie. Armelle Régnault et Florent Staley (codirecteurs  adjoints de la recherche de l’Université Paris-Saclay) assurent l’interface avec les départements de recherche ; Sylvie Pommier (directrice du Collège doctoral), avec les écoles doctorales ; Tania Di Gioia (directrice Innovation et Relations avec les Entreprises), avec les dispositifs dédiés à l’innovation ; Elisabeth Dufour-Gergam (sa directrice déléguée à la Formation), avec les Schools, etc.
En l’absence du bureau, les partenaires devraient s’adresser directement à l’Université ou en seraient réduits à des échanges bilatéraux, sans pouvoir accéder d’emblée à l’ensemble du réservoir en ressources et compétences de l’Université Paris-Saclay.

– Au passage, vous illustrez la capacité des mondes de l’ingénieur et de l’université à travailler ensemble, malgré les différences de parcours des uns et des autres…

Certes, il peut y avoir des différences de culture entre des personnes issues d’écoles d’ingénieurs – c’est mon cas – et d’autres ayant un cursus universitaire, mais rien n’est impossible aux gens de bonne volonté. L’important est de ne pas se laisser enfermer dans des chapelles et des certitudes. La clé de tout est l’ouverture d’esprit, car c’est ce qui vous incline à discuter avec quiconque en tâchant de mieux en comprendre le fonctionnement et les attentes. Ne nous cachons pas le fait qu’il peut y avoir des approches différentes. Mais c’est aussi cela qui est intéressant, car cela place devant le défi d’imaginer des solutions pour surmonter les éventuelles situations de blocage. Chemin faisant, vous construisez la relation de confiance, indispensable à la conduite d’un projet en commun. Ce que je dis-là n’est rien d’autre que du pragmatisme. Mais peut-être est-ce ce qui nous manque le plus, faute de prendre le temps de la rencontre et du dialogue. C’est en tout cas la philosophie qui sous-tend le bureau, dont l’efficacité réside justement dans son caractère informel : nos interlocuteurs se sentent peut-être moins contraints et engagés que s’ils avaient à faire à une institution en bonne et due forme.

– Reste que l’écosystème de Paris-Saclay est confronté à des problématiques d’accessibilité, renforcées par son étendue… Comment favoriser les opportunités de rencontres et de dialogue dans ce contexte ?

Je pense que ces problématiques, pour être réelles, n’en sont pas moins à relativiser. Il ne s’agit pas de se rencontrer chaque jour. Je crois que les difficultés tiennent davantage à une méconnaissance réciproque. Les événements que nous coordonnons sont l’occasion de premiers échanges. Dès lors que les interlocuteurs voient l’intérêt qu’ils ont à travailler ensemble, ils font l’effort de se revoir sans plus se poser de question.

– Aviez-vous des modèles de référence, en constituant ce bureau ?

Oui. Nous connaissions notamment les initiatives menées par le MIT et Stanford, aux Etats-Unis. Un état des lieux des bonnes pratiques avait été dressé dans le cadre du Consortium de Valorisation Thématique (CVT) de l’Ancre (Alliance Nationale de Coordination de la Recherche pour l’Energie), soutenue par le Programme des Investissements d’Avenir (PIA). Ce travail a permis d’identifier d’autres initiatives en Europe et dans le monde. A chaque fois, il s’agit d’initiatives mobilisant des acteurs variés, académiques, industriels et institutionnels, d’une manière à la fois transverse et supra, si je puis dire. En mobilisant tout un écosystème, elles concourent à son renforcement. C’est en cela qu’elles pouvaient être intéressantes pour celui de Paris-Saclay.
Pour autant, notre intention n’était pas de refaire la même chose, mais bien une initiative en phase avec le contexte de Paris-Saclay et nos propres atouts, en l’occurrence : une ingénierie forte, des industriels de poids, des laboratoires à la pointe de la recherche, sans oublier la présence de nombreux étudiants. Des initiatives n’ont pas attendu le bureau pour être lancées, mais elles sont loin d’être toutes coordonnées. Nous nous employons donc à dégager une vision d’ensemble, sachant que ce n’est pas simple : les acteurs sont multiples sur le territoire et sont loin de tous avoir l’habitude de travailler ensemble.

– Vous avez souligné les atouts de l’écosystème Paris-Saclay. Quels en seraient les handicaps hormis celui que vous évoquez à l’instant ?

Un autre handicap tient au fait que les partenariats que les industriels nouent avec les acteurs de la recherche restent encore le plus souvent bilatéraux et non transversaux, dans le cadre de programmes collectifs comme il peut y en avoir aux Etats-Unis et auxquels plusieurs de nos industriels participent d’ailleurs. Loin de nous de les en dissuader. En revanche, nous souhaitons les convaincre de travailler aussi davantage avec l’écosystème Paris-Saclay. Plusieurs sont déjà engagés dans des relations avec tel ou tel établissement d’enseignement supérieur ou de recherche. Notre ambition est de les associer à une dynamique d’ensemble, à l’échelle de l’écosystème. C’est essentiel si on veut créer un effet de levier. Sans doute est-ce ce sur quoi nous devons encore progresser comparativement au MIT ou à Stanford, où les industriels ont l’habitude de travailler avec des académiques. Plusieurs nous suivent déjà, à travers différents réseaux. Il nous reste à en convaincre d’autres, en leur proposant toujours de nouvelles coopérations, à l’échelle de l’Université. C’est un travail de longue haleine, qui vaut la peine d’être mené. D’autant que nous ne partons pas de rien. Des partenariats multilatéraux existent déjà.

– Qu’est-ce qui réfrénerait les industriels ?

Tous ceux avec lesquels nous discutons admettent le fort potentiel de l’écosystème de Paris-Saclay, en considérant même que ce pourrait être dans un avenir proche le plus important au monde sinon en Europe. Certains s’interrogent cependant sur son efficacité actuelle : le MIT, pour ne prendre que cet exemple, produit, à potentiel scientifique comparable, beaucoup plus de start-up que notre écosystème. Mais les choses vont en s’améliorant. Chaque année, ce sont toujours plus d’entreprises innovantes qui sont incubées ou accélérées ici. Mais des industriels s’interrogent encore sur le degré d’implication de l’Etat. Celle-ci est indéniable au regard des investissements consentis pour le Campus Paris-Saclay, mais comme vous le savez, le paysage institutionnel reste encore à stabiliser.
Cela dit, il ne faudrait pas que cela soit un prétexte à ne pas avancer et s’impliquer soi-même. Si l’intérêt de tous (industriels et académiques) est de travailler ensemble et que leurs institutions respectives croient en l’écosystème de Paris-Saclay, il n’y a pas de raison de ne pas jouer le jeu. L’histoire le montre d’ailleurs : c’est aussi à travers des projets concrets, menés sur le terrain, qu’on fait progresser un écosystème. Les parties prenantes voient très vite l’intérêt qu’il y a à se parler et à mieux se connaître, à sortir de ses routines en se confrontant à d’autres disciplines ou champs professionnels. Il faut par contre beaucoup de suivi pour que la dynamique ne retombe pas. C’est l’enjeu des événements que nous organisons à intervalle régulier.

– Quelles formes prennent justement les actions menées par votre bureau ?

Je citerai trois exemples. La 4e édition des Tech Meetings, organisée le 10 octobre dernier au Synchrotron Soleil, portait sur la transition énergétique, avec une autre particularité cette année : la participation d’entités structurantes du territoire, en l’occurrence : la CCI de l’Essonne, les deux Instituts pour la transition énergétique (ITE) de Paris-Saclay (IPVF et VEDECOM) et les deux pôles de compétitivité (Mov’eo et Systematic). Pour mémoire, la vocation de cet événement est de rapprocher les PME et les laboratoires.
Ensuite, un forum Etudiants-Entreprises, dont la 2e édition a eu lieu 22 novembre, à l’INSTN – comme son nom l’indique, il visait à permettre aux étudiants jusqu’à Bac + 5 de rencontrer des entreprises. Pas moins de 13 d’entre elles ont répondu présent, en plus du CEA et de l’Université Paris-Saclay. Nous attendions 200 étudiants, qui devaient trouver là des opportunités de stages voire d’emplois.
Enfin, un workshop scientifique sur la transition énergétique, dont la première édition a été organisée à EDF Lab, les 4 et 5 octobre 2016, en parallèle au premier forum Etudiants-Entreprises.
Toutes ces actions sont organisées dans une logique de co-construction avec les différents organisateurs. Si elles sont l’occasion de faire un point, comme on peut le faire lors d’un colloque scientifique, elles ont d’abord vocation à rapprocher les acteurs. Nous veillons donc à ce qu’elles aient une suite, se traduisent par des projets concrets.
Je précise que, l’an dernier, pour les besoins de la préparation du workshop, un conseil scientifique a été mis en place, qui a été depuis pérennisé, pour superviser l’organisation de nos événements. Présidé par Françoise Touboul, Directrice du Développement Durable au sein du CEA, il comporte des chercheurs, des industriels et des représentants des ITE que j’évoquais. Depuis ce workshop, et c’est un autre résultat positif, nous sommes engagés dans une 3e action avec la CCI de l’Essonne : outre les Tech Meetings et le forum étudiants-Entreprises, DRIM’in Saclay.

– 3e action qui illustre au passage que les enjeux de l’énergie ont aussi une dimension territoriale…

Oui. A cet égard, nous pourrions aussi citer nos échanges avec l’EPA Paris-Saclay, également très impliqué dans le domaine de l’énergie à travers notamment le projet de réseau de chaleur et ce, en complémentarité avec les programmes de recherche portés par l’Université Paris-Saclay. Nous travaillons d’ailleurs de plus en plus avec Antoine du Souich, son directeur adjoint à la Stratégie, à la Performance et aux Nouveaux Services, en partageant la même ambition : développer les collaborations dans l’énergie sur le Plateau de Saclay.

– Comment financez-vous vos actions ?

Le bureau s’appuie sur les moyens humains et financiers mis à disposition par les différents réseaux partenaires, jouant ainsi sur un effet de levier – j’y reviens. A titre d’exemple, la 4e édition des Tech Meetings a bénéficié, via la CCI de l’Essonne, d’une subvention du FEDER. Les autres partenaires allouent d’autres moyens au titre d’un sponsoring ou de la location d’un stand, par exemple. L’aide de l’Université a été constante, à travers les départements et la School ingénierie, de même que celle des LabEx. A chaque fois, ce sont des engagements financiers modestes, mais qui, mis bout à bout, permettent d’organiser des événements de qualité.

– Quel regard posez-vous sur la dynamique de Paris-Saclay ?

J’ai rejoint la direction du CEA de Saclay en 2008. J’ai donc une expérience du Plateau de Saclay et suis en mesure de témoigner des progrès qui ont été réalisés, en moins d’une décennie. Certes, il peut y avoir des soubresauts. Rappelez-vous. A cette époque existaient les PRES (Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur) ParisTech et UniverSud Paris, qui échangeaient peu entre eux. Petit à petit, avec Didier Meyer (Ecole des Mines) et Jean-Claude Vannier (Supélec), nous avons construit le volet Energie du campus Paris-Saclay. L’actuelle mention de master Energie de l’Université Paris-Saclay résulte d’un travail de coordination remarquable de Sylvain Franger (Université Paris-Sud), en coopération avec Polytechnique. Ce cheminement fut tout sauf linéaire, mais nous avons pu avancer. La perspective de la construction d’une Université Paris-Saclay nous encouragea à favoriser le rapprochement des acteurs présents sur le Plateau de Saclay. Signe que la situation était mûre, nos interlocuteurs, que nous prenions le temps de rencontrer, ne demandaient qu’à contribuer à notre démarche. Certes, des réticences ont été manifestées ici et là. A mon humble échelle, je n’en constate pas moins des progrès et je doute qu’ils puissent disparaître du jour au lendemain. Les départements de recherche de l’Université Paris-Saclay sont une réalité. L’habitude est prise de mener des projets de manière plus transversale. Personne ne peut l’ignorer. Le bureau énergie entend y contribuer dans le domaine qui est le sien.

– Dans quelle mesure l’énergie est-elle, de par son caractère transversal, propice à ce rapprochement ? Pour le dire autrement : n’est-elle pas appelée à jouer le même rôle qu’elle a pu avoir dans l’histoire du projet européen ? Rappelons en effet que celui-ci a débuté avec la création de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) ?

Si l’énergie a été un vecteur dans la construction européenne, ce sera sans doute moins facile aujourd’hui tant les modèles sont différents d’un pays à l’autre. Pour ne m’en tenir qu’à la France et à l’Allemagne, les deux pays ont fait des choix stratégiques différents, liés à leur histoire. Cela étant dit, l’énergie est au cœur de tout. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit un facteur de convergence entre des secteurs différents. Voyez les recherches sur le véhicule électrique et le stockage d’énergie : elles ont contribué à jeter de nouvelles passerelles avec les problématiques de l’habitat, par exemple.
Compte tenu du poids qu’elle représente ici, au regard de la recherche, nul doute qu’elle a un rôle à jouer dans la dynamique de Paris-Saclay – pour mémoire, le CEA concentre à lui seul plus de 6000 personnes sur son site de Saclay. Elle mobilise de nombreuses communautés, à travers notamment les LabEx LaSIPS (dédié à l’ingénierie) et NanoSaclay (dédié aux nanosciences, avec une composante énergie), les départements de l’Université Paris-Saclay – Mécanique, énergétique et procédés (MEP), Ingénierie électrique, optique et électronique (EOE), Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication (STIC), Physique des Ondes et de la Matière (PHOM) -, mais aussi le pôle Systematic (groupe Gestion intelligence de l’énergie). Sans oublier les chercheurs et ingénieurs mobilisés par les industriels, et dont la présence s’est considérablement renforcée avec l’arrivée d’EDF Lab Paris-Saclay.
Reste que ces divers acteurs sont encore insuffisamment en relation entre eux ou demandent à mieux se connaître. De là, donc, l’ambition du bureau.

– Les exemples que vous citez renvoient aux sciences de l’ingénieur ou aux sciences exactes. Où en êtes-vous dans l’implication des sciences humaines et sociales (SHS) ?

Cette faible articulation entre les différents champs scientifiques n’est pas propre à Paris-Saclay. C’est un problème qu’on observe au plan national. Cela étant dit, c’est un chantier qui nous tient à cœur de poursuivre, avec Jean-Guy Devezeaux*, directeur de l’I-Tésé. A titre d’exemple, je travaille actuellement à organiser des journées scientifiques, qui croisent SHS et sciences de l’ingénieur. Cette année, nous avions organisé une journée sur le thème SHS et Photovoltaïque, après une précédente sur le thème SHS et Hydrogène. Pour l’an prochain, nous réfléchissons à croiser SHS et Mobilité. A chaque fois, il s’agit d’aider au rapprochement des SHS entre elles et avec les sciences de l’ingénieur, en priorité sur le Plateau de Saclay, sinon en sollicitant des intervenants extérieurs susceptibles de faire profiter de leur expertise. Si les SHS restent encore peu mobilisées dans l’écosystème, nous souhaitons cependant renforcer leur visibilité et mieux les associer.

– Mais les SHS sont-elles aussi peu présentes qu’on le dit ? Qu’on songe à l’Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines ou à l’ENS Paris-Saclay, appelée à rejoindre le Plateau de Saclay…

Sans oublier la Maison des Sciences de l’Homme (MSH), dirigée par Stefano Bosi, qui mobilise le département SHS de l’Université Paris-Saclay, soit un millier de chercheurs. Lesquels sont cependant loin de travailler sur l’énergie ! Il nous faut encore mobiliser les laboratoires les plus directement concernés pour entraîner les autres. Nul doute cependant que la thématique de l’énergie suscitera de nouveaux programmes de recherche, dans lesquels les SHS pourront trouver leur place et matière à prospérer. Nous travaillons en ce sens étroitement avec la MSH.

– A ce stade de l’entretien, il importe de préciser ce que recouvre l’énergie, du point de vue de votre bureau…

Nous traitons de toutes les énergies bas carbone : nucléaire, renouvelables et ce, dans les tous domaines possibles.

– Que dites-vous à ceux qui s’interrogeraient sur la présence du CEA…

Que le CEA est un acteur majeur et historique de Paris-Saclay. Son absence au sein du bureau serait autrement plus problématique ! J’ajoute que cela fait des décennies que le CEA s’intéresse à l’énergie sous toutes ses formes, y compris renouvelables. Le photovoltaïque en particulier n’est pas quelque chose de nouveau. Cela fait plus de trente ans que le CEA y investit, sous la houlette de Philippe Malbranche. Aujourd’hui, d’ambitieux programmes ont été lancés dans l’énergie solaire, mais aussi dans l’hydrogène et la pile à combustible, ou encore la biomasse. Le CEA est loin de ne s’être consacré qu’au nucléaire. Le site de Grenoble est d’ailleurs spécialisé dans les énergies alternatives. Si Saclay se consacre davantage au nucléaire – il abrite la Direction déléguée aux applications nucléaires – le solaire n’y est pas moins traité en amont, à travers les nanosciences dans le cadre de l’IRAMIS [Institut Rayonnement-Matière de Saclay]. Et nous participons à sa promotion à travers l’IPVF.
Je rappelle que plusieurs établissements soutiennent le bureau et qu’il a bénéficié pour chacun de ses événements du soutien de l’Université Paris-Saclay. Le bureau couvre l’ensemble des problématiques touchant à l’énergie, avec même un souci d’ouvrir à d’autres champs disciplinaires, qui ne sont pas nécessairement ceux du CEA. Il ne saurait donc être perçu comme un simple prolongement de ce dernier. Mes interlocuteurs l’ont bien compris. Dans le bureau, ils voient d’abord l’opportunité de décloisonner les champs disciplinaires et professionnels, de permettre aux acteurs de l’énergie de mieux se connaître et de travailler ensemble. C’est au nom de cette finalité que je m’y investis : je travaille avec tout le monde en veillant à ce que chacun y trouve son compte, dans une logique gagnant-gagnant.
Tant et si bien qu’au final, on pourrait me reprocher de ne pas parler assez au nom des intérêts du CEA ! Mais ce n’est pas ce que me demande ma direction qui, en plus de m’accorder sa confiance et de me soutenir, est très attachée à ce travail de décloisonnement.

– Encore un mot sur l’articulation entre énergie et mobilité que vous avez évoquée. Dans quelle mesure vous a-t-elle été inspirée par le contexte de Paris-Saclay ?

Si nous nous intéressons à cette articulation, c’est d’abord parce qu’il y a des porosités évidentes entre les deux domaines. Il n’y a pas de mobilité sans énergie. De proche en proche, nous en sommes venus à nous intéresser au travail, dont les formes ne sont pas indifférentes à l’organisation des transports et aux mobilités quotidiennes ; ou encore à l’habitat car, en plus d’être un lieu de consommation, il devient un lieu de production et de stockage d’énergie, au travers notamment de l’usage d’un véhicule électrique. Au final, force est de constater l’interdépendance croissante de secteurs qu’on avait tendance à appréhender séparément, l’énergie s’imposant comme le dénominateur commun. Aujourd’hui plus que jamais à l’heure du numérique. Pour autant, nous n’avons pas prétention à tout couvrir. Nous cherchons plutôt à jeter des passerelles pour mieux exploiter les différentes facettes de l’énergie et, encore une fois, saisir des opportunités de rapprochement entre des univers disciplinaires et professionnels, qui ne se parlent pas suffisamment.

– Vous avez évoqué les industriels. Est-ce à dire que vous privilégiez les rapprochements avec les grands groupes ?

Non, pas uniquement. Nous portons d’ailleurs une attention toute particulière aux grands oubliés de l’écosystème : les TPE et PME. Beaucoup ont peu de contact avec le milieu académique. Certaines s’engagent dans la recherche, mais sans réelle interaction avec les laboratoires de l’Université Paris-Saclay, dont bien souvent elles ignorent l’existence. Des initiatives sont lancées pour faciliter le rapprochement entre ces deux mondes…

– Comme Plug in Labs Paris-Saclay…

C’en est une. Elle va assurément permettre d’amener les PME aussi bien que les industriels à s’intéresser davantage à la recherche telle qu’elle se fait ici. Assurons-nous bien que les laboratoires s’organisent en conséquence pour donner une information mise à jour et pertinente. De notre côté, à travers les Tech Meetings, nous intervenons plus en aval de façon à faire en sorte que les PME rencontrent les laboratoires, une fois qu’elles ont pris connaissance, comme on peut l’espérer, de leurs activités à travers, justement, le Plug In Labs. Ce faisant, nous comptons bien combler un manque.

– Et les start-up, qu’en est-il ?

Je les avais bien évidemment en tête quand j’évoquais les TPE-PME.

– Qu’en est-il des ambitions internationales ? Envisagez-vous des rapprochements avec d’autres initiatives comme celles que vous avez citées (MIT, Stanford…) ?

Ce n’est bien évidemment pas à exclure. Nous avons bien sûr l’ambition de nous ouvrir à l’international. Mais cela supposerait de changer d’échelle et, donc, de mobiliser des moyens plus importants. Or, nous sommes déjà bien engagés à mobiliser les différentes communautés de Paris-Saclay. Etant entendu que ces communautés sont déjà ouvertes à l’international au travers de multiples partenariats bilatéraux.

– Qu’est-ce qui vous a prédisposé à participer à ce bureau et assumer le rôle de facilitateur ?

Probablement, cette ouverture d’esprit, qui me caractérise le mieux. De formation, je suis ingénieur et scientifique : diplômé de l’ENSMA de Poitiers, j’ai y fait une thèse de docteur ingénieur en mécanique des fluides. J’étais donc formaté pour une carrière d’ingénieur-chercheur. Ce que je ne renie bien évidemment pas, mais assez vite, je me suis aperçu que ce qui m’intéressait le plus était le montage de projets avec tout ce que cela implique en termes de réseautage et de coordination d’actions de personnes de différents champs professionnels et disciplinaires. Peut-être avais-je des prédispositions en sciences humaines et sociales qui n’ont pas été détectées au moment de mes choix d’orientation ! Toujours est-il que je m’intéresse à bien plus que la seule technologie. Je suis un passionné d’histoire. Je me suis ouvert à l’économie au sein de l’I-Tésé. Force m’est encore de constater que de nombreuses dimensions de la technologie sont encore insuffisamment explorées. De là, notre souci avec Jean-Guy Devezeaux d’organiser des événements à même de rapprocher les technologues des sciences humaines et sociales comme, par exemple, cette journée que nous avons dédiée au photovoltaïque, en croisant les regards d’ingénieurs et de chercheurs en SHS. Certes, nous ne partons pas de rien. Mais le besoin de rapprochement est immense, y compris d’ailleurs au sein des SHS. Pourtant, les technologues ne demandent qu’à s’ouvrir davantage à ces dernières et à bénéficier de leurs apports notamment au regard de la compréhension des grandes problématiques sociétales. En sens inverse, les SHS manifestent le souhait d’être mieux considérées dans leur approche plus systémique.
Mais pour œuvrer à ce dialogue, encore faut-il prendre le temps de comprendre les gens et le fonctionnement de leurs communautés, et donc de les écouter, pour construire ne serait-ce qu’une relation de confiance. Et c’est précisément ce qui me plaît dans ce travail de réseautage et de coordination. A priori, je pense assez bien comprendre les communautés scientifiques – j’en suis issu ! En revanche, il m’a fallu gagner la confiance des industriels, en prenant le temps de les écouter, d’appréhender leurs contraintes. Ce n’est qu’alors que nous avons pu organiser des événements transverses, pour faire se rencontrer ces différents mondes, qui, encore, une fois ne demandent que cela.

– Et l’énergie ? Comment y êtes-vous vous-même venu ?

Mon implication dans les problématiques d’énergie est bien sûr liée à mes activités au sein du CEA. Au début de ma carrière, je me suis consacré au nucléaire. A partir de 1998, mes activités ont porté sur les autres énergies. Ce qui explique peut-être cette appétence pour les échanges avec des spécialistes d’un large spectre de champs disciplinaires et professionnels.
Mon goût pour la coordination est antérieur à la création du bureau. Il remonte à 2008, il y a donc près de dix ans, du temps où j’ai rejoint Yves Caristan à la direction du CEA de Saclay. Il m’a aussitôt confié la mission de coordonner la construction du volet Energie du Campus Paris-Saclay, en coopération avec Didier Meyer, de l’Ecole des Mines (alors pressentie pour intégrer la future Université Paris-Saclay) et Jean-Claude Vannier, de Supélec (directeur du département énergie). Nous nous sommes d’emblée bien entendus. Avec le concours de nombreux interlocuteurs, nous avons commencé par dresser l’inventaire de ce qui existait en la matière : dans les grandes écoles, à l’université, dans les organismes de recherche… Depuis lors, je n’ai cessé d’être au contact des réseaux relatifs à l’énergie et d’occuper la fonction que j’exerce aujourd’hui, fût-ce au travers d’organisations différentes. Après avoir œuvré sous la direction d’Yves Caristan, puis de Jean-Philippe Bourgoin, ancien directeur de la Stratégie et des programmes, je travaille désormais en étroite collaboration avec Jean-Guy Devezeaux.
Cet engagement s’est traduit par des actions concrètes. Naturellement, et autant le reconnaître, il y eut parmi elles des échecs (je pense à un projet d’ITE). Mais il y eut aussi beaucoup de réussites et d’avancées.

– Vous avez à plusieurs reprises parlé de coordination et non d’intégration. Or, justement, c’est le mot que le sociologue Danilo Martuccelli met en avant dans son dernier ouvrage (La Condition sociale moderne, Folio, 2017), pour caractériser l’enjeu de la société moderne : coordonner les actions individuelles et collectives pour créer du commun, cette coordination passant par des dispositifs sociotechniques, mais aussi des formes de régulations inhérentes aux interactions humaines. Vous m’apparaissez emblématique de cette vision au sens où vous coordonnez à travers des événements, mais aussi un travail patient d’échange avec les interlocuteurs…

Je ne connais pas cet auteur, mais me reconnais dans son analyse. Ce n’est pas par l’incantation qu’on parviendra à coordonner les actions des uns et des autres. On ne convaincra pas un industriel à se joindre à nous sans prendre le temps de discuter de ses besoins et ce faisant, de construire une relation de confiance. On s’emploie aussi à le faire au travers d’un réseau auquel il participerait déjà (l’IPVF, par exemple).

– Au terme de cet entretien, on perçoit bien que vous n’êtes pas à proprement parler un « électron libre » (vous-même insistez sur l’importance du soutien et de la confiance que vous ont accordé vos directions successives pour mener à bien les rapprochements entre les divers parties prenantes des questions énergétiques sur le Plateau de Saclay). En revanche, vous reconnaîtriez-vous dans le qualificatif d’ « indisciplinaire » ?

Disons que j’ai une culture d’ingénieur qui ne m’empêche pas de m’ouvrir à d’autres univers disciplinaires ou professionnels que le mien. Je n’ai jamais cherché à m’enfermer dans une discipline, mais au contraire à m’ouvrir à toutes, sans exclusive, en cherchant à en comprendre les problématiques. C’est en cela que l’énergie m’intéresse, car elle oblige à cette ouverture. Je pourrais donc revendiquer ce qualificatif d’indisciplinaire dès lors cependant que cela n’exclut pas un ancrage préalable dans une discipline. Je suis convaincu qu’on s’ouvre d’autant plus facilement à d’autres disciplines, qu’on peut s’appuyer sur des bases solides. En même temps, je ne pense pas qu’une discipline puisse se développer sans se risquer à échanger avec d’autres. Pour ma part, j’ai besoin de me nourrir de la pensée des autres, de les écouter pour mieux ensuite dégager des objectifs qui permettent à chacun d’avancer dans le même sens, dans l’intérêt général ou, pour le dire autrement, dans une logique gagnant-gagnant. Car, c’est important de le redire, on ne peut avancer dans un projet sans s’assurer que chaque partenaire – industriel, académique,… – y retrouve aussi son compte.

– Que dites-vous à ceux qui craignent pour le devenir de la recherche fondamentale, qui pourrait être délaissée au profit d’une démarche d’innovation permanente ?

Cette inquiétude existe. Mais la recherche fondamentale peut et doit même continuer à être promue, y compris dans le cadre de thèses soutenues par des industriels. Stanford est exemplaire à cet égard avec sa culture de la recherche fondamentale soutenue par de grandes entreprises. Sans doute revient-il aussi au bureau de créer les conditions de ce type de collaboration. Le domaine énergétique s’y prête d’ailleurs a priori. Le jour où des programmes pluridisciplinaires se monteront naturellement avec des industriels, avec nos spécificités institutionnelles et culturelles, nous pourrons dire que nous avons gagné notre pari !

* A lire aussi l’entretien que nous a accordé Jean-Guy Devezeaux – pour y accéder, cliquer ici.

Légendes des photos : session sur l’énergie solaire du workshop scientifique des 4 et 5 octobre 2016, à EDF Lab (en illustration de cet article) ; lauréats de la session posters du même workshop en présence du conseil scientifique (carrousel du site web). Crédit : Jean-José Wanègue.

 

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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