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Aménagement & Architecture

Une grande école ouverte sur la ville.

Le 3 octobre 2012

En octobre 2012, Aurélie Cousi et Céline Tignol étaient respectivement à la Direction de l’immobilier et des infrastructures et à la Direction de l’Aménagement de l’EPPS. Elles témoignent ici de la genèse du concours mixte et de la richesse des propositions qu’il a permis, non sans ouvrir des perspectives intéressantes pour d’autres projets.

– Pouvez-vous rappeler le contexte dans lequel s’inscrit le projet de l’ECP ?

Céline Tignol : L’implantation de cette école est prévue dans le projet urbain du Moulon marqué par une très forte présence des programmes Campus puisqu’ils comptent pour plus d’un tiers de la programmation totale (environ 300 000 m2 sur un total de près de 800 000 m2). Une autre caractéristique forte était la taille très importante de ces programmes (entre 60 000 et 100 000 m² à chaque fois).

En réfléchissant sur l’aménagement de ce quartier, à ses grands principes d’organisation, nous nous sommes rapidement dit qu’il fallait éviter un travail des urbanistes indépendamment des projets des établissements appelés à s’y installer ou déjà présents.

Deux parcours parallèles

Est-ce une explication à leur capacité de travailler et, comme ici, de dialoguer ensemble ? Toujours est-il qu’Aurélie Cousi et Céline Tignol ont suivi le même parcours à quelques petites années d’intervalle. Elles sont toutes deux diplômées de l’Ecole Polytechnique et ingénieurs du Corps des Ponts et Chaussées (où elles ont suivi respectivement la filière ville-environnement-transport et aménagement). Elles ont également toutes deux eu des expériences professionnelles à l’EPA Seine-Arche et à la Direction régionale de l’Equipement d’Ile-de-France.

Le campus urbain que nous souhaitions faire ne devait pas commettre l’erreur de juxtaposer de grands établissements les uns à côté des autres.

Aurélie Cousi : Dans le quartier du Moulon, les établissements au premier rang desquels l’ECP ont très tôt mis en avant le souhait de créer de réelles synergies entre eux (qui peuvent prendre la forme d’alliance comme celle de Centrale-Supélec) en les matérialisant par des proximités physiques et des possibilités renforcées d’aller et venir les uns chez les autres. Ils ont donc travaillé à la mutualisation des équipements (restauration, sport, bibliothèques…), et à la répartition de leur programme plus dans une logique urbaine que strictement architecturale à l’intérieur d’un bâtiment autonome et clos. Le contexte urbain déjà très bâti mais peu dense a renforcé la pertinence de cette approche.

– Cela revient à repenser le principe même de conception des grandes écoles…

Céline Tignol : En effet, nous souhaitions faire valoir qu’une grande école, comme une université, ce n’est pas nécessairement qu’un bâtiment, mais des bâtiments répartis dans un espace urbain. Cela offre l’intérêt de favoriser les échanges que ce soit au sein des bâtiments mais aussi dans les espaces publics, de faire jouer à plein les synergies. Si c’est un défi pour les architectes, c’en est un aussi pour les urbanistes qui ne peuvent réfléchir de leur côté, en décrétant a priori une organisation urbaine indépendamment de la réflexion sur la programmation des bâtiments universitaires.

– Aurélie Cousi : Cela revient à repenser les établissements sur le modèle des anciennes universités, construites en plein centre-ville, et non plus de ces grands ensembles universitaires construits en périphérie de la ville. Il importe que les bâtiments soient ouverts sur la rue, qu’on puisse s’y rendre avec la possibilité de croiser d’autres personnes que ses seuls collègues ou camarades de promotion.

– Qu’est-ce que cela impliquait-il au niveau de la méthode de travail ?

Céline Tignol : Les établissements concernés étaient eux-mêmes engagés dans une réflexion sur leur avenir au travers de leurs études de programmation. Nous avions donc tout intérêt à mener un travail de concert, à travers des workshops, en mettant tout le monde autour de la table. Il importait que les programmistes et les urbanistes échangent entre eux. Nous avons procédé ainsi avec l’ECP, mais aussi Paris-Sud, Supélec et l’ENS Cachan. La richesse des échanges qui en a résulté a permis de déboucher sur un schéma tout sauf classique, identifiant des principes de mixité, de proximité et d’articulation entre les programmes mais sans que soit délimitée en amont une parcelle pour chacun d’entre eux.

Aurélie Cousi : En effet, selon la démarche classique, les établissements auraient dû en principe lancer leur propre concours d’architecture sur un terrain identifié et délimité par avance. Ce qui les aurait conduits très probablement à se recentrer sur eux-mêmes et à perdre l’intérêt de la dynamique d’ensemble. On a donc voulu poursuivre cette démarche en phase de conception en veillant à garder ce double regard urbanistique et architectural de façon à ménager la logique d’ouverture des établissements sur l’espace urbain.

– Cela a-t-il été simple ?

Céline Tignol : Les grandes écoles déjà existantes sur le Plateau – Supélec, et l’Ecole Polytechnique – ont été conçues dans les années 70 selon le principe d’un établissement autonome et clos. L’enjeu de nos échanges était donc d’amener les nouveaux venus à sortir de ce modèle pour aller vers une inscription dans une trame urbaine, avec une ouverture sur les espaces publics. Il a fallu les convaincre de l’intérêt de pouvoir ne serait-ce que traverser une rue pour rencontrer un collègue, que cela n’altère pas les conditions de travail, mais peut être, au contraire, une source d’échanges.

– Venons-en à l’ECP, la plus concernée dans l’immédiat. Comment s’est instauré le dialogue avec elle ?

Aurélie Cousi : Nous avons eu la chance d’avoir avec le directeur de l’ECP, Hervé Biausser, un interlocuteur qui, tout en étant attaché à l’identité de son école, était désireux de s’ouvrir sur la société et le monde. Le programmiste retenu par l’ECP (Pro-Développement) a su l’accompagner dans sa réflexion sur la manière de mieux articuler les bâtiments dédiés à la recherche et à l’enseignement.

– Comment le principe du concours mixte s’est-il imposé ?

Aurélie Cousi : En échangeant avec l’ECP qui avait engagé sa propre réflexion, on s’est aperçu que nous avions convergé vers des notions très similaires : la densité, la mixité, la diversité, la sérendipité, etc.

Précisons que l’EPPS intervient à un double titre : en tant qu’aménageur, responsable du projet urbain, d’une part, en tant que conducteur d’opération pour l’ECP, d’autre part. Nous avons naturellement eu le désir de pousser un cran plus loin la réflexion au stade de conception pour réussir ce pari d’ouvrir l’école sur son quartier, de faire en sorte que l’urbanisme et l’architecture soient pensés en même temps. C’est par ces échanges-là et par la capacité que nous avons en interne de faire le croisement entre les deux dimensions, que nous en sommes venus conjointement à l’idée de ce concours.

– En optant pour un concours mixte, pensiez-vous réaliser une première ?

Céline Tignol : Dans son principe, le concours mixte n’est pas une complète nouveauté. Nous en avions identifié plusieurs exemples à Nancy ou encore à Nantes.

Aurélie Cousi : Un tel concours reste cependant une pratique peu courante. D’ordinaire nous procédons à un travail d’urbanisme en parallèle à un travail de programmation sur le projet immobilier. Ce n’est qu’une fois que les deux sont mûrs, qu’on lance un concours d’architecture.

– En quoi cela a-t-il représenté un défi pour les professionnelles que vous êtes, dans vos pratiques respectives ?

Céline Tignol : Lancer un concours sur un bâtiment sans identifier par avance sa localisation, ce n’est pas courant et, pour tout dire, cela n’a pas été sans certaines difficultés ou incompréhensions.

Aurélie Cousi : Il a fallu relever deux défis. D’une part, dans la façon de produire la méthodologie et les documents destinés aux candidats. Nous avons dû déterminer ce sur quoi nous leur donnions des éléments précis (le programme architectural, certaines ambitions urbaines et paysagères…) et ce sur quoi nous leur laissions la possibilité de jouer (les logiques d’implantation des bâtiments les uns par rapport aux autres, les principes d’organisation des espaces publics…).

Le deuxième défi concerne la relation de confiance à instaurer entre les parties prenantes, l’ECP et l’EPPS, pour lesquels le projet représentait un enjeu majeur. Pour l’ECP, il s’agit ni plus ni moins de réussir son nouveau déménagement (le 3e de son histoire ?) et par là même son projet pédagogique. Pour l’EPPS, le quartier du Moulon est celui où il pourra donner à voir les premières réalisations concrètes du projet de campus urbain sur le plateau de Saclay. En bref, c’est une aventure qui se base sur des ambitions convergentes et implique d’avancer ensemble dans une relation de confiance. C’est pourquoi, nous n’avons cessé de communiquer entre nous, dans la transparence, quitte à devoir faire part de nos doutes, et dans le souci de parvenir à des solutions de compromis.

– Quand avez-vous eu le sentiment que le pari du concours mixte avait été gagné ?

Aurélie Cousi : Dès que nous avons découvert les cinq dossiers ! En termes de richesse de propositions, le résultat est proprement incroyable. Il n’y en a pas eu deux semblables.

Céline Tignol : Au niveau urbain comme au niveau architectural, ces propositions ont été indéniablement plus riches que si nous avions agi dans le cadre d’un concours classique d’un bâtiment sur une parcelle, assortie de règles urbaines (un alignement, des hauteurs, etc.). Toutes ont bien compris l’enjeu et combiné les deux dimensions architecturale et urbaine, sans en privilégier l’une sur l’autre. Si tel n’avait pas été le cas, on aurait pu craindre pour la relation de confiance qui avait été jusqu’ici entre l’EPPS et l’ECP.

Aurélie Cousi : Cette richesse n’a pas été sans nous inquiéter non plus car, entre les propositions déroutantes, pour certaines, enthousiasmantes pour d’autres, nous aurions pu craindre une incapacité à trouver le projet qui fasse consensus tout en conservant des ambitions très fortes. Par chance, le projet d’OMA nous fait sortir par le haut de ce problème. C’est aussi en ce sens que le pari a été gagné : nous avons un projet qui répond aux attentes de tous, sans les niveler par le bas.

Céline Tignol : Le choix final est en effet tout sauf une solution de compromis. Il s’agit de faire un bâtiment ville – un Lab City comme le définit l’équipe Oma – autrement dit un bâtiment à l’échelle urbaine qui contribue à faire la ville tout en s’ouvrant à elle.

Aurélie Cousi : On peut même dire que l’équipe a retourné la proposition en introduisant l’urbanité dans le bâtiment même. Elle a respecté les principes de densité, de diversité, etc. auxquels étaient attachés l’ECP, mais a résolu la question de l’ouverture à travers la structuration interne du bâtiment.

– Quel est le statut de l’esquisse produite par OMA. Cela reflète-t-il bien ce qui sera le résultat final ?

Aurélie Cousi : Oui, l’esquisse architecturale du premier bâtiment, en forme de halle, préfigure bien ce qui sera réalisé. Précisons que, et c’est la deuxième complexité du projet de l’ECP, l’opération immobilière comporte une deuxième partie, que l’on devine dans les perspectives plus grisées des rendus. Elle doit être lancée dans la foulée pour être livrée au même moment, à la rentrée 2016. C’est pourquoi nous avons demandé à l’équipe OMA d’indiquer les grandes lignes de la seconde partie pour que l’ECP ait une vision d’ensemble de son implantation.

Cette seconde partie sera retravaillée par un autre architecte, mais en répondant à un cahier des charges qui sera défini précisé dans le cadre de la mission que l’équipe OMA a pour le compte de l’EPPS, qui permettra de donner les grands invariants en termes de gabarit, de liaison avec la première partie.

Céline Tignol : Il en ira de même pour la proposition urbaine relative à la programmation de logements, d’équipements, des bâtiments de l’ENS Cachan, qui seront réalisés par d’autres concepteurs. Ainsi, au stade du concours, l’équipe OMA n’est pas allée aussi loin que pour la définition du projet architectural.

– Quelle capitalisation comptez-vous faire de l’expérience acquise à travers ce concours mixte ?

Aurélie Cousi : Cela aurait du sens de dupliquer la méthode à certains autres projets, comme celui du Learning Center, par exemple, qui est un projet d’équipement à la fois pour le campus et la ville.

Il s’agit là encore d’un objet complexe en termes de programmation, qui nécessitera de réfléchir en amont dans le cadre des études urbaines pour fixer un certain nombre de prescriptions, et je suis persuadée que ce serait aussi intéressant de laisser des marges de manœuvre au concepteur et de se laisser surprendre par ses réponses au double défi architectural et d’insertion urbaine.

– En quoi cela modifie-t-il vos propres manières de faire ?

Aurélie Cousi : En fait, l’organisation même de l’EPPS nous prédisposait au principe du concours mixte. A peu près toutes les directions (Développement économique, Aménagement et Immobilier) ont pris part aux réflexions que ce soit sur les aspects de programmation ou sur les aspects plus opérationnels. Dès le début, nous avons appris à travailler ensemble.

– Y-a-t-il un effet cluster dans cette alchimie, la convergence des points de vue ?

Céline Tignol : Le fait est, on travaille ici avec des objets spécifiques – des établissements d’enseignement supérieur ou de recherche – tout en ayant le souci de les intégrer dans un territoire qui fasse ville.

Aurélie Cousi : C’est d’ailleurs cela qui m’a personnellement conduite à rejoindre l’EPPS. Quand on réfléchit au programme immobilier et à l’architecture d’une université ou d’une grande école, on ne peut pas le faire indépendamment du reste du quartier. On est sur de telles échelles de programme que, forcément, la question se pose de son insertion dans un tissu urbain. On ne peut pas réfléchir en vase clos et c’est précisément cela qui fait la richesse de la programmation de Paris-Saclay. Sans compter qu’on articule cette réflexion au développement économique, à travers des programmations mixtes intégrant les besoins d’incubateurs et d’entreprises. Au-delà de l’effet cluster, il y a un effet EPPS qui tient au fait qu’il dispose des compétences en interne et que ses équipes ont appris très tôt à fonctionner en mode projet, à la manière d’une agence, en amont sur la programmation.

Deux parcours parallèles

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Sylvain Allemand
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Journaliste

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