Entretien avec Sébastien Moisan, chef de projets à l'EPA Paris-Saclay
En 2013, des communes du plateau de Saclay ont été le théâtre d’inondations qui ont marqué les esprits, entretenant une crainte que le phénomène ne se reproduise sous l’effet de l’urbanisation et du changement climatique. Depuis, d’importants efforts ont été consentis pour améliorer la gestion des eaux pluviales. Chef de projets à l’EPA Paris-Saclay, en charge notamment de la gestion des eaux pluviales dans le quartier de Moulon, Sébastien Moisan nous en dit plus sur les solutions mises en œuvre et le rôle de l’aménageur.
- Pour commencer, pouvez-vous rappeler les problématiques que recouvre la gestion des eaux pluviales dans le contexte de l’écosystème de Paris-Saclay ?
Sébastien Moisan : La gestion des eaux pluviales, à Paris-Saclay, est un très vaste sujet, à la fois complexe et source de beaucoup d’inquiétude pour la population. Il est vrai que les pluies ont provoqué voici quelques années d’importantes inondations dans des communes du plateau de Saclay. L’urbanisation en cours a naturellement renforcé les craintes quant aux risques que d’autres inondations surviennent. Aussi l’EPA Paris-Saclay s’est dès le début saisi de la question en travaillant étroitement avec les services techniques des communes et de l’agglomération Paris-Saclay, accentuant l’effort de communication sur ce qui est entrepris en matière de gestion des eaux pluviales.
L’approche que nous en avons s’inscrit pleinement dans l’esprit du dossier Loi sur l’eau – un document que toute personne ou institution qui souhaite réaliser un projet en lien direct ou indirect avec un milieu aquatique est tenu de soumettre à l’application de la Loi sur l’eau [laquelle, adoptée en janvier 1992 vise à garantir une gestion équilibrée des ressources hydrauliques]. Dans notre cas, le dossier a été constitué dès la création de l’une des premières ZAC de l’OIN Paris-Saclay, la ZAC de Moulon. Précisons qu’il y a même un DLE propre à la rigole de Corbeville qui en souligne ainsi le caractère spécifique.
- En quoi consiste ce dossier précisément ?
S.M. : Dans ce dossier, nous nous engageons à coordonner nos actions avec celles de l’État et des opérateurs privés en prenant en considération les particularités du territoire au regard des eaux pluviales, du niveau des précipitations. Lequel tend à s’élever sous l’effet de la multiplication d’orages violents – une manifestation parmi d’autres du changement climatique. L’enjeu est de rallonger le temps de ruissellement de l’eau de pluie pour éviter les risques d’inondation. Les engagements principaux visent à prévoir les volumes de stockage pour maintenir un débit de 0,7 litre par seconde et par hectare : débit qui peut être revu à 3 litres maximum, selon la taille de la parcelle concernée – a priori les plus petites disposent de moins de place pour le stockage. La règle du jeu est la suivante : les parcelles privées doivent pouvoir gérer une vingtennale (un événement pluviaux qui revient avec une fréquence d’une fois tous les vingt ans). L’espace public, quant à lui, doit gérer une cinquantennale ainsi que le delta des parcelles privées entre la vingtennale et elle.
- Est-ce cela qui justifie l’intervention de l’EPA Paris-Saclay ?
S.M. : Oui. Les aménagements publics doivent être en capacité de répondre aux besoins de stockage. C’est pour cela que le parti pris pour la ZAC de Moulon a été d’adopter le principe des noues : de petits fossés aménagés le long des voies de circulation. Elles permettent à la fois de faire circuler l’eau d’un point A à un point B et de la stocker. Une solution qui présente aussi l’avantage de produire un aspect paysager intéressant.
Dans la ZAC de Moulon, les noues sont « pentées » soit vers la rigole de Corbeville (au nord), soit vers la route de Versailles (côté est). Du côté de la rigole, l’eau de ruissellement est stockée dans de grands bassins aménagés en amont, l’ensemble constituant ainsi une zone tampon entre l’endroit où l’eau tombe sur le sol, la voirie ou les toits des bâtiments, et son point d’arrivée, la rigole, qui fait ainsi office d’exutoire. Allongé, le temps de l’écoulement permet d’éviter une concentration trop forte d’eau.
- Les rigoles sont de création ancienne, de même que les noues…
S.M. : De fait, la gestion des eaux pluviales peut se satisfaire de solutions « basiques ». Nul besoin de technologies sophistiquées. Une autre illustration en est donnée par les routes départementales : pour recueillir l’eau qui ruisselle sur la chaussée et reprendre les drains agricoles, il a suffi de creuser des fossés de chaque côté. Le principe est donc le même.
- Si les noues ne sont pas une spécificité du plateau de Saclay, en revanche le système des rigoles et des étangs l’est – et pour cause, il a été conçu au XVIIe siècle par Thomas Gobert pour résoudre le problème d’approvisionnement des fontaines du parc de Versailles. Dans quelle mesure constitue-t-il un atout dans la mise en œuvre de la gestion des eaux pluviales ?
S.M. : C’est un atout indéniable ! Il constitue en lui-même un vaste exutoire naturel qui, en plus de son volet hydraulique, présente lui aussi un aspect paysager des plus intéressants. La volonté de l’EPA Paris-Saclay a été naturellement de mettre à profit cet héritage du passé et de l’embellir.
- Dans quelle mesure prenez-vous en compte les usages de l’eau par les différentes catégories d’acteurs présents sur le plateau de Saclay, que ce soit les habitants, les agriculteurs, les entreprises, etc. ? Autrement dit, la gestion des eaux pluviales passe-t-elle aussi par leur sensibilisation à d’autres usages, l’adoption de comportements plus adaptés ?
S.M. : Lorsque nous avons proposé la mise en place de noues et de fossés, des communes ont manifesté des réticences du fait des craintes qu’ils ne soient transformés en « nids à déchets » par les passants. Au final, cela ne s’est pas produit. La végétation qui y pousse joue manifestement un rôle dissuasif. On a a priori plus de scrupules à jeter un mégot ou une bouteille en plastique dans un tel endroit que sur la chaussée. Le retour que nous font les communes est finalement positif. Au-delà du plus au plan paysager, les noues participent à la formation d’îlots de fraicheur.
- On mesure à vous entendre le rôle de l’EPA Paris-Saclay dans la mise en place d’une gestion « durable » des eaux pluviales, en devinant cependant qu’il ne prétend pas agir seul. Pourriez-vous préciser les profils de vos interlocuteurs ?
S.M. : Effectivement, l’EPA Paris-Saclay n’a pas la prétention d’agir seul. Nos interlocuteurs sont divers. En premier lieu, il y a, déjà citées, les communes, propriétaires des ouvrages – des noues, par exemple – ; les agglomérations, qui sont en charge de leur entretien ; le SIAHVY [Syndicat intercommunal pour l’Aménagement Hydraulique de la Vallée de l’Yvette], propriétaire et gestionnaire du foncier de la rigole de Corbeville. Une convention a été signée avec eux ; couvrant la partie sud du plateau, elle nous permet d’intervenir, de réaménager, d’adapter les ouvrages aux nouveaux volumes et fréquences de précipitations enregistrés sur le territoire. Nous sommes pour cela accompagnés par l’Agence de l’eau Seine-Normandie. Une fois que nous aurons achevé nos interventions, le SIAHVY en reprendra la gestion.
Voilà pour nos interlocuteurs institutionnels. Nous nous appuyons par ailleurs sur l’expertise d’un groupement de maîtrise d’œuvre avec, à sa tête, l’Atelier de Paysages Bruel & Delmar, et du bureau d’études Confluences, qui nous accompagne depuis le début. Son approche hydro-écologique est des plus intéressantes : elle vise à revaloriser les cours d’eau – ruisseaux, rivières –, que ce soit dans les territoires périurbains ou dans les villes mêmes. Si la tendance a longtemps été de les recouvrir, à les canaliser, elle est désormais à les rouvrir et à restaurer par là même des espaces naturels.
Ici, la problématique ne s’est pas tout à fait posée dans les mêmes termes : la rigole de Corbeville n’a pas été couverte. En revanche, elle n’était pas valorisée, pire, elle a même été sectionnée par la RN118. Il est vrai qu’elle s’apparente à un petit fossé, peu visible, a fortiori si on ne les entretient pas. Depuis les années 2010, les rigoles ont été l’objet d’un regain d’intérêt. Il faut à cet égard rendre hommage à l’ADER, une association locale qui s’est employée à réhabiliter le système de rigoles et d’étangs situé en Essonne. L’EPA Paris-Saclay prend sa part : avec nos aménagements en cours dans les ZAC du sud plateau nous avons pour objectif de rendre les rigoles au public tout en en faisant, comme je l’ai dit, un des outils de notre gestion des eaux pluviales.
- Cette gestion a-t-elle néanmoins donné lieu à des innovations ?
S.M. : Oui, tout à fait. En 2023, dans le cadre de la ZAC de Moulon, nous avons entrepris, avec le bureau d’études Artelia, un travail de modélisation à travers la mise au point d’un système d’information géographique (SIG). Pour cela, nous avons recueilli les données relatives aux volumes, aux débits ou encore aux modes de régulation des eaux pluviales – qu’elles soient publiques ou privées, anciennes ou nouvelles – construits dans le cadre de l’OIN. Les résultats sont encourageants : les débits de fuite sont plus faibles que si nous étions sur un champ du plateau de Saclay. En effet, dans ce cas, les terres limoneuses ne permettent pas l’infiltration, et les volumes ne sont donc pas stockés et régulés.
- Comment l’expliquez-vous ?
S.M. : Ces résultats démontrent la pertinence de nos aménagements : nous avons installé assez de bassins de stockage, d’ouvrages de régulation naturelle – via les noues et les rigoles que j’évoquais – pour ralentir le ruissellement de l’eau et, donc, leur rejet dans les cours d’eau. C’est rassurant pour la population comme pour les agriculteurs dont la hantise est de voir leurs parcelles couvertes de grandes flaques d’eau.
En bref, ce travail de modélisation nous permet de disposer d’un outil qu’il nous revient désormais d’exploiter au mieux. La mise à jour de nos données permettra de détecter les parcelles qui présenteraient encore des risques. D’ores et déjà, il nous permet de rassurer les communes au regard des risques d’inondations et des moyens d’y faire face, de démontrer le sérieux du travail accompli par l’EPA Paris-Saclay et ses partenaires.
- Dans quelle mesure avez-vous mis à profit les compétences techniques et scientifiques du cluster scientifique et technologique dans ce travail de modélisation ?
S.M. : Nous avons eu des échanges avec l’Institut Diversité, Écologie et Évolution du Vivant (IDEEV) de l’Université Paris-Saclay. Il poursuit des recherches en lien direct avec les problématiques du changement climatique. Nos échanges portent notamment sur des sujets hydrogéologiques – la mise en place de mares, ou de zones humides, par exemple.
La conception d’un SIG correspond cependant à un souhait de l’EPA Paris-Saclay de disposer d’un outil d’évaluation aussi objective que possible de la situation pour, encore une fois, rassurer les élus et leurs administrés, tout en s’inscrivant aussi dans une démarche pédagogique. C’est un outil suffisamment simple dans sa conception – les SIG sont désormais largement répandus – pour être appropriable par les collectivités, qui peuvent en saisir les données pour les entrer dans leurs propres SIG.
- Précisons que l’intérêt de ces SIG est de fournir une représentation d’un territoire par la juxtaposition de plusieurs couches de données relatives. Ce qui en fait bien un outil particulièrement opérationnel…
S.M. : Oui et ce, d’autant plus que les données sont géolocalisées. Dans le cas de notre SIG, on peut y trouver représentés la moindre canalisation, sa longueur et son diamètre, le moindre cours d’eau, son débit, etc.
- À vous entendre, vous vous employez à coller au plus près de la réalité du territoire. Quelle est néanmoins la part de benchmarking dans votre démarche ? Autrement dit, dans quelle mesure observez-vous ce qui se fait sur d’autres territoires ?
S.M. : Naturellement, nous observons ce qui se fait ailleurs ne serait-ce qu’au travers de nos échanges avec l’Agence Seine-Normandie. En dehors du fait d’observer ce qui se fait sur d’autres territoires, d’autres opérations d’aménagement, nous prenons le temps d’évaluer les travaux que nous réalisons, de tirer des enseignements sur ce que nous faisons, dans une démarche qui se veut réflexive à l’échelle de l’OIN.
- Je perçois dans vos propos un sentiment de fierté. Tient-il au fait de pouvoir démontrer que l’EPA Paris-Saclay ne fait pas que contribuer à l’urbanisation du territoire avec ce que cela peut signifier en termes d’imperméabilisation des sols et, donc, de risques accrus d’inondation. Il aide aussi à le rendre plus résilient face aux effets du changement climatique…
S.M. : Un sentiment de fierté ? En effet, je suis fier de participer à un projet d’aménagement de territoire comme celui mené dans le cadre de l’OIN Paris-Saclay. Même s’il peut être décrié sur certains de ses aspects, en revanche, sur d’autres, comme la gestion des eaux pluviales, je trouverais injuste qu’on lui adresse des reproches. Non seulement nous appliquons à la lettre les exigences d’un dossier Loi sur l’eau, en nous entourant d’experts, mais encore, nos actions produisent des résultats tangibles tant au regard des risques que de l’embellissement du paysage. Fierté donc, et plaisir, ajouterai-je, à travailler dans un tel établissement où on a la chance de pouvoir traiter de très nombreux sujets et de les approfondir. Celui de l’eau, je l’ai dit, a été traité très tôt par l’EPA Paris-Saclay et son engagement ne s’est pas démenti. Il s’est même renforcé au fil du temps. Au début, c’était pour prévenir les risques d’inondation comme celle intervenue en 2013. Depuis, la gestion des eaux pluviales s’est imposée comme un levier de l’aménagement paysager et une réponse au changement climatique, ne serait-ce que par la création d’îlots de fraîcheur. Elle participe d’un cercle vertueux, qui produit des résultats que l’on peut mesurer objectivement, données à l’appui. Ce que les habitants reconnaissent eux-mêmes, à en juger par le retour qu’ils nous font lors des concertations, comme celle organisée l’hiver dernier au quartier de Moulon. Ils nous encouragent même à aller encore plus loin. Preuve s’il en est qu’ils ne doutent pas de nos capacités ni de notre engagement.
- Qu’est-ce qui, à titre personnel, vous a prédisposé à vous saisir d’un tel dossier ?
S.M. : Après un DUT en génie civil et construction durable, j’ai intégré une école d’ingénieur, l’UTC [Université Technologique de Compiègne]. Plusieurs cours portaient sur cet enjeu des eaux pluviales et de leur gestion tant du point de vue technique que paysager. Mon premier stage de milieu d’études d’ingénieur, je l’ai fait chez… Artelia dont l’un des clients n’était autre que l’EPA Paris-Saclay. Deux ans après, j’ai repris contact avec ce dernier pour les besoins, cette fois, de mon stage de fin d’études. C’était en 2020. La perspective de participer à un projet comme celui du cluster de Paris-Saclay, un concentré de problématiques très diverses, me plaisait, de même que celle de pouvoir les traiter dans toutes leurs dimensions, aussi bien technique que politique, économique, sociale, humaine. J’y ai finalement été recruté, mais avec cette impression d’y poursuivre des études toujours plus supérieures !
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