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Science & Culture

Un TEDxWomen avec des Men

Le 24 février 2025

Entretien avec Assya Van Gysel, cofondatrice de TEDxSaclay

Après TEDxSaclay et TEDxYouth@Saclay, voici donc TEDxSaclayWomen dont la première édition se déroulera le 6 mars prochain. Assya Van Gysel, qu’on ne présente plus, revient sur la genèse de ce projet et l’esprit dans lequel il a été conçu.

- Vous lancez TEDxSaclayWomen. Pouvez-vous commencer par en rappeler le principe ?

Assya Van Gysel : Comme son nom l’indique, cette conférence s’inscrit dans la série des conférences TED. Pour mémoire, ces dernières ont été inventées en 1984 par deux Américains [Richard Saul Wurman et Harry Marques], avec l’ambition de réunir des professionnels de trois domaines différents : la Technology, les loisirs (Entertainement) et le Design – de là le nom TED – et de les faire intervenir dans un format court – 18 mn – dans l’idée d’en faire connaître les dernières tendances. Une innovation quant on sait qu’à l’époque les conférences classiques étaient censées durer au moins une heure, traiter d’un même domaine, sans qu’on en sache réellement l’impact sur la société. Pourquoi 18 mn, me direz-vous ? Parce qu’ils avaient fait le constat que c’était la durée de concentration optimale d’un cerveau humain.
Depuis, en 2009, le concept a été décliné dans le monde entier à travers les TEDx relatives à des territoires ou des institutions. Puis de nouvelles licences ont été proposées : TEDxYouth@ et, donc, TEDxWomen@, destinée elle à aborder toutes les problématiques relatives aux femmes, dans différents domaines : scientifique, social, artistique, etc.
Comme vous le savez, nous avons commencé en 2015 avec un TEDx pour l’écosystème Paris-Saclay. En 2020 nous proposions un TEDxYouth@Saclay organisé par les jeunes eux-mêmes – ils choisissent leurs intervenants. Et cette année, nous proposons donc également un TEDxSaclayWomen. Je m’empresse de préciser que cette licence est encore peu exploitée (en France, seule TEDxChampsElysées l’avait fait) et que nous sommes parmi les rares organisateurs de TEDx à proposer autant de déclinaisons.

- Qu’est-ce qui vous a amenée vous-même à proposer ce TEDxSaclayWomen ?

A.V.G. : C’est encore une histoire de sérendipité ! [Rire]. Il y a deux ou trois ans, deux femmes avaient interpellé Christian [Van Gysel] en lui demandant pourquoi il n’y avait pas de TEDxWomen à Paris-Saclay. Vous connaissez Christian, c’est un accélérateur de sérendipité ! En en discutant ensemble, nous nous sommes dit pourquoi pas. Deux ans se seront écoulés. C’est que, si nous nous engagions à en faire un, il fallait être au clair sur ce que nous voulions. Une chose était sûre : nous ne voulions pas nous inscrire dans une certaine approche du féminisme qui, dans sa volonté de défendre les droits des femmes, tend à s’engager dans une lutte contre les hommes. Loin de moi de vouloir juger ce féminisme radical. Ce que je peux en dire en revanche, c’est que ce n’est pas ma conception du féminisme et certainement pas l’orientation que je voulais donner à notre TEDxWomen. Cette conférence devait d’abord être l’occasion de dresser des constats et de formuler des propositions, pour susciter de nouveaux référentiels, sans exclure les hommes, mais, au contraire, en les y associant.

- Comment en êtes-vous venus à la conception de la première édition ?

A.V.G. : Ce TEDxWomen est le fruit des nombreux échanges que nous avons eus, Christian et moi, ainsi qu’avec trois autres personnes, cofondatrices de fait : Pascale Ribon, Corinne Borel et Pauline Plisson – trois femmes d’horizons différents [ elles sont respectivement directrice Deeptech à Bpifrance ; Cheffe du service de la stratégie de la recherche et de l’innovation au Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ; directrice du pôle Innovation & Conseil de Naldeo, une société d’ingénierie et de conseil indépendante spécialisée dans la transition écologique ]. À l’issue d’un brainstorming, nous avons dégagé trois axes thématiques. Le premier s’est imposé de lui même : valoriser les femmes dans les sciences (nous sommes à Paris-Saclay !) ; le second aborde les initiatives pour un développement durable – un développement qui, à notre sens, repose sur des valeurs féminines, ce qui n’exclut donc pas que ces initiatives puissent être portées aussi bien par des femmes que par des hommes.
Enfin, le 3e axe explore le leadership autrement : peut-on en imaginer un qui ne repose pas sur une vision patriarcale, un rapport dominant/dominé, mais davantage sur des principes de coopération, d’émulation ?
Trois axes, donc, auxquels nous avons ajouté un 4e, sur une suggestion de Julie Crédou qui nous a rejoints – elle se définit comme une «Facilitatrice de Collaboration, d’Innovation & de Transformation ». En nous évoquant une femme DJ, elle a inspiré l’idée d’un axe consacré aux sujets qui ne relèveraient pas de l’un des trois autres.
À la différence du TEDxSaclay, il n’y a donc pas de thématique abordée par différents profils d’intervenants.

- Un mot sur votre slogan : WoMen change everything…

A.V.G. : Oui, d’autant plus que c’est le résultat d’une drôle d’histoire. Nous avions phosphoré des heures avec toute l’équipe de TEDxSaclay. Les propositions avaient fusé ; nous les avions consignées dans un fichier Excel, mais sans parvenir à en dégager une. Pendant ce temps là, Christophe Trottier, notre bienaimé designer, s’appliquait tranquillement à concevoir l’identité visuelle. De lui-même, il avait intégré une des propositions, et quand nous avons vu le résultat, nous avons tous été convaincus ! Comme quoi, brainstormer c’est bien, mais il suffit parfois qu’une personne extérieure intervienne pour mettre tout le monde d’accord [Rire].
Le M majuscule est une manière de suggérer que les hommes ne sont pas exclus. L’idée est née d’une discussion avec la fondatrice du Club WoMen and Broad de chez Kaufmann & Broad. Une idée que j’ai adorée, car c’était une belle manière de signifier que les hommes n’étaient pas exclus. Je l’ai donc proposée à l’équipe et elle a été acceptée à l’unanimité. Nous étions donc tous au clair quant à l’ambition de ce TEDxSaclayWomen : non pas en faire le cheval de bataille d’un féminisme radical, mais au contraire le lieu d’un réel dialogue entre femmes et hommes ou, pour le dire avec mes mots, de valorisation des valeurs féminines, lesquelles, comme chacun sait, s’observent aussi bien chez les hommes que chez les femmes.

- Soit, mais qu’en est-il de TEDxSaclay ? La représentation des femmes ne risque-t-elle pas de s’en trouver réduite ?

A.V.G : Non, et pour une bonne et simple raison : nous veillerons toujours à respecter la parité entre les femmes et les hommes. En sens inverse, et comme je l’ai dit, si TEDxSaclayWomen fera intervenir principalement des femmes, des hommes pourront y participer dès lors que leur proposition entre dans l’un ou l’autre des quatre axes… D’ailleurs, la première édition comptera deux hommes sur les neuf intervenants.

- Deux TEDx complémentaires donc, qui offrent de surcroît plus d’opportunités aux femmes d’intervenir…

A.V.G. : En effet, elles peuvent participer à l’un ou l’autre. Et même à l’un et à l’autre. Une femme s’est inquiétée de savoir si TEDxSaclayWomen n’en serait pas moins une sous-catégorie de TEDxSaclay. Non, les deux sont organisés de la même manière ; les intervenants bénéficient du même coaching ; tous les talks seront réalisés en direct, dans un lieu magnifique – le Danone Research & Innovation Paris-Saclay, dans le cas du TEDxSaclayWomen -, et pourront être suivis à distance, ensuite en replay.

- En sens inverse, pourrait-on imaginer un TEDxSaclayMen ?

A.V.G. : [Rire]. À ma connaissance, il n’y a pas de licence TEDxMen. Cela dit, pourquoi pas… Mais je crois que dans le monde actuel, l’urgence est de remettre les valeurs féminines au goût du jour, de résister au maintien voire au retour du patriarcat !

- Dans quelle mesure l’écosystème de Paris-Saclay a-t-il inspiré, justifié, un TEDxSaclayWomen ? Aurait-il encore à progresser dans la place des femmes dans la recherche et l’innovation ?

A.V.G. : [Elle réfléchit]. Il est clair que je me serais pas lancée dans cette aventure sous le seul effet de cette rencontre sérendipienne avec ces femmes qui s’interrogeaient sur l’absence d’un tel TEDxWomen à Paris-Saclay. Il ne s’agissait pas de lancer un énième événement pour le plaisir d’en créer un autre. Avec le recul, je pense que ma motivation à le faire a d’abord à voir avec mon histoire familiale : j’ai deux sœurs et je suis mère de deux filles. Autrement dit, j’ai toujours vécu dans un milieu à dominante féminine. Par chance, je pense avoir échappé ainsi au patriarcat.
Malheureusement, ce que j’observe en suivant de près l’actualité géopolitique, c’est un recul des conditions des femmes y compris dans des pays qu’on pouvait croire avancés de ce point de vue. Voyez les Etats-Unis où le droit à l’avortement est remis en cause, la Pologne où il est là aussi menacé. Voyez encore ces pouvoirs autoritaires qui s’imposent ici et là et, avec eux, un patriarcat poussé à l’extrême. J’y vois un risque de recul aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Car les acquis au plan de l’égalité ont profité à tous, aux hommes comme aux femmes. C’est pourquoi d’ailleurs, je le répète, je ne veux pas m’inscrire dans un combat contre les hommes. La virulence qu’il peut revêtir sur des réseaux sociaux ne me convient pas du tout. À un point qui m’a fait d’ailleurs quitter Twitter à titre personnel et ce, voici quelques années déjà. Cette année, c’est TEDxSaclay, qui l’a quitté. Un choix unanime de l’équipe. Nous ne souhaitions pas cautionner des échanges fondés sur une logique d’affrontement.
Pour en revenir à Paris-Saclay, c’est a priori un environnement favorable aux femmes : elles sont nombreuses à trouver leur place dans le monde de la recherche scientifique et de l’innovation, à diriger des établissements de recherche ou d’enseignement supérieur, à créer des start-up. Il reste que la proportion des filles engagées dans des cursus d’ingénieur est en net recul. À Polytechnique, elles ne représentent que 16% des admis. Nous étions à 10-15% au Maroc (mon pays d’origine) durant mes études. C’était il y a une trentaine d’années… Et les choses ne s’arrangent pas avec les sciences du numérique qui attirent plus massivement les garçons que les filles. Des pays font mieux que la France. Contre toute attente, c’est le cas du Portugal où la proportion de femmes qui s’orientent vers les sciences du numérique est supérieure à la moyenne européenne.
Quant on pense aux risques de biais introduits par les concepteurs d’algorithmes, il y a de quoi s’inquiéter de cette tendance. Je crains que les valeurs du patriarcat ne trouvent ainsi à se perpétuer à travers l’IA. Un comble quand on y pense. On risque de créer une société faite par les hommes pour les hommes… Une perspective qui n’est bonne pour personne ni même eux.
Dans les années 1995, du temps où je travaillais chez Alcatel, dans la partie mobile des télécoms – un domaine qui était alors nouveau – je n’ai pas ressenti le poids du patriarcat. Les nouvelles technologies semblaient propices à des évolutions positives. Et puis Lucent, l’entreprise américaine avec laquelle nous avions fusionné en 2006, nous avait fait profiter de ses acquis dans la lutte contre les discriminations dont les femmes pouvaient être victimes. Une autre époque…

- Vous m’offrez l’occasion de témoigner de l’initiative de l’IOGS qui accueillait ce 6 février dernier des filles dans le cadre de ses 5emes Rencontres lycéennes & femmes scientifiques, sous la houlette de Sylvie Lebrun, maîtresse de conférences…

A.V.G. : Comme je l’ai dit, je n’entends pas me lancer dans un combat avec les hommes. Je veux juste contribuer à construire d’autres référentiels. Et je pense que ce genre d’initiative peut y aider, de même que TEDxSaclayWomen. Nous vous donnons donc rendez-vous le 6 mars avec tous les autres membres de l’équipe TEDxSaclay.

Pour en savoir plus sur cette édition TEDxSaclayWomen et s’y inscrire, cliquer ici.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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