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Un réseau qui ne fait pas ni chaud ni froid

Le 16 septembre 2024

Entretien avec Nicolas Eyraud, chargé du projet Réseau de chaleur et de froid, à l’EPA Paris-Saclay

Vous êtes étudiant à CentraleSupélec ? Normalien, à l’ENS Paris-Saclay ? Vous logez dans une des résidences étudiantes du quartier de Moulon ? Saviez-vous que votre confort thermique est assuré par un réseau de chaleur et de froid de 5e génération ? Chargé du projet au sein de l’EPA Paris-Saclay, Nicolas Eyraud revient sur ses caractéristiques qui en font une référence en France et même en Europe.

- Pouvez-vous pour commencer nous rappeler les principes d’un réseau de chaleur et de froid ?

Nicolas Eyraud : Ce type de réseau, appelé aussi réseau de chauffage urbain, est une infrastructure conçue à l’échelle d’une ville ou d’un quartier de façon à en alimenter des bâtiments et équipements en chaleur ou en froid issus d’énergies renouvelables. Concrètement, il est constitué de canalisations souterraines, qui partent d’installations de production de chaleur et de froid et se prolongent jusqu’à ces bâtiments et équipements dont elles récupèrent le cas échéant la chaleur fatale.

- Le réseau de chaleur et de froid du plateau de Saclay est qualifié de « 5e génération ». Qu’est-ce qui en fait la spécificité ?

N.E. : C’est effectivement un réseau de 5e génération et cela tient au fait qu’il est bâti autour de ce qu’on appelle une « boucle tempérée » : l’eau, puisée au niveau de la nappe de l’Albien, y circule à environ 30°, soit une température inférieure à celle de réseaux de chaleur classiques où elle peut circuler jusqu’à 90° voire plus. Pour pallier cet écart, notre réseau fonctionne au plus près des besoins, à l’échelle d’îlots de quartier, de zones d’aménagement (ZAC), d’une part ; il capte des sources d’énergie renouvelable complémentaires, d’autre part. Parmi ces sources, il y a notamment le supercalculateur Jean Zay : installé au centre national de calcul du CNRS, il émet de la chaleur fatale à hauteur d’environ 35°. Jusqu’alors, cette chaleur était rejetée dans l’atmosphère. Désormais, nous la valorisons et ce, avec d’autant moins de difficulté que ces 35° correspondent à quelques degrés près au régime de température de notre boucle de chaleur – une trentaine de degré ainsi que je l’ai dit.

- On comprend à vous entendre que ce réseau a été conçu en fonction du contexte et de ressources énergétiques locales…

N.E. : En effet, le réseau a été conçu sur mesure pour les besoins de ce territoire particulier qu’est le plateau de Saclay. Pour cela, nous avons pris soin d’analyser préalablement les besoins en chaleur et en froid, d’une part, et les sources d’énergie locale disponibles, d’autre part, en cherchant à concevoir le meilleur système possible pour optimiser les deux. Du côté des besoins, le cluster présente une particularité : du fait de la présence de nombreux laboratoires, il y a de forts besoins de froid, de surcroît en continu. Une particularité par rapport aux quartiers de type résidentiel, caractérisés, eux, par des pics de besoins – de chaleur en hiver, de froid, l’été.
Du côté des sources énergétiques locales, plusieurs ont été identifiées avec cependant pour caractéristique d’être, je l’ai dit, à basse température – de l’ordre de 30°. Outre le supercalculateur Jean Zay, on peut citer le Synchrotron Soleil, avec lequel l’EPA Paris-Saclay a récemment signé une convention prévoyant d’en valoriser l’énergie fatale d’ici deux ans, le temps de réaliser les travaux de raccordement. Je précise que la température est dans ce cas de l’ordre de 25°. Nous prévoyons donc de recourir à une pompe à chaleur pour la rehausser au niveau de la température du réseau – une trentaine de degré, donc.

- Pour autant, ce réseau n’a pas été conçu dans le huis clos de l’écosystème de Paris-Saclay. Sa conception et son développement se sont inscrits dans le cadre d’un projet européen impliquant d’autres réseaux de chaleur de villes européennes…

N.E. : En effet, notre réseau a été un des démonstrateurs du projet européen Intereg NWE [North West Europe] D2GRIDS [Demande-Driven Grids], destiné à déployer de nouvelles boucles énergétiques locales de 5e génération dans le Nord-Ouest de l’Europe. Quatre autres sites pilotes y ont été associés – Bochum (Allemagne), Brunssum (Pays-Bas), Glasgow et Nothingham (Royaume-Uni). Notre réseau est le plus important des cinq au regard de la superficie couverte et du nombre de bâtiments et d’équipements raccordés. Nous avons pu bénéficier d’une technologie mise au point par des partenaires belges du projet européen, l’Institut VITO Elle permet de résoudre la quadrature du cercle entre la production du réseau, continue, et la demande, marquée par des pics de consommation notamment le matin et le soir, du fait de la présence de logements. Concrètement, cette technologie, qui en est encore au stade de démonstrateur, permet de lisser ces pics en les anticipant ou en incitant les usagers à décaler leur consommation, sans ce que cela nuise pour autant à leur confort thermique.

- Rappelons une autre particularité de ce réseau de chaleur et de froid : il a été initié et porté depuis ses débuts par l’EPA Paris-Saclay… Le portage aurait-il pu être assuré par un autre acteur ?

N.E. : Peut-être. Une chose est sûre : en tant qu’aménageur, l’EPA Paris-Saclay est pleinement dans son rôle car créer un réseau de chaleur et de froid participe à la viabilisation d’un territoire. De même qu’il revient à un établissement comme le nôtre d’aménager la voirie, de tirer les réseaux d’électricité et d’assainissement, il lui revient d’assurer l’approvisionnement en énergie, si possible renouvelable. D’un point de vue technique, notre réseau était la solution la plus pertinente dans le cadre des ZAC du Campus urbain. Le fait de travailler à l’échelle d’un quartier permet de valoriser des sources de chaleur, ce qui n’aurait pas été rentable à l’échelle d’un seul bâtiment ou équipement – il n’y aurait pas de sens à creuser à plusieurs centaines de mètres de profondeur en dessous de chacun d’eux. Donc, oui, il était normal que l’EPA Paris-Saclay prenne le lead dans la création et le développement de ce projet, le porte jusqu’à ce qu’il atteigne une maturité suffisante avant un éventuel transfert de sa gestion à un opérateur privé ou à une collectivité.

- L’engagement d’un EPA ne se justifiait-il pas aussi par le fait qu’il s’agissait d’un démonstrateur avec tout ce que cela signifie en termes de prise de risque et d’inscription dans le long terme ? Rappelons que le projet a été lancé en 2015…

N.E. : La durée dans laquelle nous projettent la conception et construction d’un tel réseau rendait effectivement nécessaire son portage par une institution qui, par définition, s’inscrit elle-même dans le temps long. À quoi s’ajoute le fait que l’EPA Paris-Saclay a pour lui de maîtriser le calendrier d’arrivée des lots immobiliers. En ayant ainsi la main sur la maitrise d’ouvrage, nous avons pu adapter le calendrier d’investissements au regard des lots effectivement réalisés. Un projet de l’ampleur de celui de Paris-Saclay, lancé sur vingt ans, connaît nécessairement des aléas ; il est donc important de pouvoir s’adapter rapidement.

- Où en est aujourd’hui le développement du réseau ? Quelles en sont les performances au plan énergétique ?

N.E. : L’EPA Paris-Saclay avait pris l’engagement d’atteindre au moins 50% de part d’énergies renouvelables dans la chaleur livrée sur le Campus urbain. Objectif que nous avons atteint en 2023. Nous espérons aller maintenant au-delà, notamment avec le raccordement du Synchrotron Soleil. Voilà pour l’aspect environnemental. D’un point de vue économique – autre objectif du projet -, nous avons pu démontrer que, pour un ménage, la solution du réseau de chaleur et de froid n’était pas plus chère qu’une solution gaz, qu’elle était même nettement moins chère qu’une solution électrique de type pompe à chaleur sur air – la solution concurrente directe. Aujourd’hui, le projet suit sa trajectoire vers l’équilibre économique : le résultat d’exploitation permet de commencer à amortir les investissements réalisés.

- Lesquels s’élèvent à combien ?

N.E. : À ce stade, nous avons réalisé de l’ordre de 70 millions d’euros d’investissement sur un total prévu pour l’ensemble des ZAC de 120 millions. Reste à réaliser les raccordements aux bâtiments à venir, notamment dans celle de Corbeville où une partie substantielle du réseau est encore à développer, des installations de production à ajouter.

- Est-ce l’EPA Paris-Saclay qui assure l’exploitation du réseau au quotidien ?

N.E. : Non, nous avons confié l’exploitation et la maintenance du réseau à Veolia dans le cadre d’un marché de performances, avec pour objectif, comme son nom l’indique, d’en optimiser les performances et de réduire par là même le coût de la chaleur et du froid pour les abonnés.

- Quel intérêt le réseau suscite-t-il en dehors de l’écosystème Paris-Saclay ? Est-il l’objet de visites d’autres EPA, de collectivités ?

N.E. : Le réseau a acquis une notoriété certaine. Les innovations auxquelles il a donné lieu suscitent beaucoup d’intérêt en France comme en Europe. Nous sommes régulièrement sollicités pour des visites, par des opérateurs privés ou publics, mais aussi des universitaires et des étudiants. J’espère que cela inspirera d’autres innovations. L’erreur serait de chercher à transposer notre réseau tel quel. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, il a été conçu spécifiquement pour les besoins et les ressources de l’écosystème Paris-Saclay. À chaque territoire de se demander quelle est l’infrastructure la plus adaptée aux siens. Nous-mêmes savons que, si l’intérêt ne fait aucun doute d’en créer un dans nos autres ZAC, celles de Versailles-Satory et Guyancourt en l’occurrence, leurs architectures seront probablement très différentes. Une étude de faisabilité est en cours dans la ZAC de Guyancourt. D’ores et déjà, on perçoit que la solution qui s’imposera sera différente de ce que nous avons pu imaginer dans les ZAC du Campus urbain.

- Dans quelle mesure avez-vous mobilisé les expertises de l’écosystème Paris-Saclay, de ses laboratoires de recherche, de ses chercheurs et ingénieurs ?

N.E. : A priori, nous sommes tenus par le code des marchés publics à solliciter les expertises sur la base d’appels d’offre. Cela étant dit, des expertises du cluster ont été mobilisées indirectement : je pense à celles de chercheurs de l’Université Paris-Saclay, spécialistes de géothermie. Nous avons par ailleurs mené une étude en commun avec l’École polytechnique, qui a son propre réseau de chaleur, en vue de renforcer les synergies avec le nôtre. Investis ou pas directement dans sa conception, les acteurs du plateau de Saclay se montrent particulièrement concernés par les enjeux du changement climatique et, donc, intéressés par le réseau de chaleur et de froid..

- Et vous, qu’est-ce qui vous a personnellement prédisposé à vous engager dans cette aventure ? À poser votre candidature à l’offre d’emploi émise il y a sept ans par l’EPA Paris-Saclay ?

N.E. : J’avais déjà l’expérience des réseaux de chaleur pour avoir travaillé chez un opérateur. Ce qui m’a motivé à rejoindre l’EPA, c’est l’ambition du projet de par la taille et son caractère innovant. Un important travail de préfiguration avait été réalisé par mon prédécesseur. Restait à entreprendre les importants travaux de raccordement. Au-delà, j’ai été motivé par l’ambition de l’ensemble du projet de Paris-Saclay, un pôle scientifique et technologique de classe mondiale. Un projet dans lequel je me retrouve en tant qu’ingénieur.

- Sept ans plus tard, vous vous apprêtez néanmoins à quitter l’EPA Paris-Saclay pour de nouvelles aventures professionnelles… Partez-vous avec le sentiment du devoir accompli ?

N.E. : Je me garderai de parler de devoir accompli. Ce serait immodeste. Et puis, le réseau n’est pas à proprement parler achevé ; il est ainsi conçu qu’il peut connaître de nouveaux développements. Cela étant dit, une étape décisive a été franchie. Tout naturellement, j’en suis arrivé au stade où j’ai éprouvé le besoin de vivre une autre aventure professionnelle, de relever un autre défi en travaillant sur un autre projet, histoire aussi d’élargir mes compétences au-delà du chauffage urbain, de travailler sur d’autres problématiques en lien néanmoins avec l’environnement. J’avais aussi envie d’explorer un autre territoire sans pour autant m’éloigner du plateau de Saclay ! Il m’importe de pouvoir suivre l’évolution de l’écosystème et de son réseau de chaleur et de froid !

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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