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Quartier de Satory Ouest

Un potager ouvert sur le monde.

Le 13 mai 2019

Suite de nos échos à la Biennale d’Architecture et de Paysage d’Ile-de-France organisée à Versailles jusqu’au 13 juille 2019, à travers l’entretien qu’Antoine Jacobsohn, responsable du Potager du Roi a bien voulu nous accorder sur le vif.

– Si vous deviez pour commencer par définir votre fonction ?

D’ordinaire, j’aime me présenter comme le « responsable » du Potager du Roi. Ce mot me tient à cœur et je le préfère à celui de directeur. La seule personne habilitée à diriger ici est celle qui est en charge de l’établissement d’enseignement supérieur, l’ENSP (en l’occurrence Vincent Piveteau), dont relève le Potager. C’est d’ailleurs à cette personne que revient le pouvoir de déléguer la responsabilité de ce dernier.

– En quoi consiste la responsabilité sur un tel site ?

[Long silence] Désolé pour ce blanc, mais aussi curieux que cela puisse paraître, personne ne m’avait posé la question ainsi ! Maintenant, et pour y répondre, je dirai que ma première responsabilité est de garantir les moyens dont ont besoin les neuf jardiniers qui travaillent ici, en répartissant aussi équitablement le budget dont nous disposons. Elle est aussi de proposer une vision d’ensemble en maintenant un juste équilibre entre les exigences de l’entretien quotidien et le respect du caractère historique, patrimonial du site. Ou, pour le dire autrement, entre ce qu’on pense que le Potager doit être aujourd’hui et ce qu’il a été par le passé. Ce que j’aborderai précisément d’ici à quelques minutes, à l’occasion d’une visite programmée dans le cadre de la Biennale. Finalement, pour tenter de résumer, ma responsabilité est de conserver et de partager l’esprit du site, tel que conçu par La Quintinie et cultivé par des générations de jardiniers.

– Qu’est-ce que cela fait-il pour le responsable que vous êtes d’intervenir dans un environnement aussi chargé d’histoire ?

Icono AJ COUV-POTAGER-2701 - copie 2[Il réfléchit] De prime abord, c’est évidemment une grande chance que de travailler ici. J’ai la possibilité, le temps d’imaginer, de rêver d’une rencontre avec le créateur du Potager, Jean-Baptiste de La Quintinie, et de dialoguer avec lui autour de son état actuel et de son état passé. Une rencontre dont j’ai d’ailleurs fait un livre [Le Potager du Roi : Dialogues avec La Quintinie, aux éditions ArtLys, 2017]. Cela étant dit, travailler dans un tel site impose aussi un devoir d’exemplarité, non pas seulement parce que cela nous plaît à titre personnel, mais parce que ce devoir a animé le concepteur même du Potager, la question étant de savoir comment on peut l’être aujourd’hui dans le contexte qui est le nôtre.
Voici cependant un 3e élément de réponse. « Chargé d’histoire », avez-vous dit. Soit, le Potager du Roi l’est assurément. Mais après tout, n’est-ce pas le propre de tout site, qu’il soit « historique » ou pas ? Certes, des lieux sont plus exceptionnels que d’autres. Mais quand on est agronome ou historien, ou les deux à la fois comme c’est mon cas, on ne peut s’empêcher de considérer que le poids de l’histoire sinon du temps se fait sentir un peu partout de la même façon.

– Sans compter le dialogue possible qu’on peut établir d’un site à l’autre…

J’allais y venir car c’est un point essentiel quant à la manière d’envisager aujourd’hui le Potager du Roi. La responsabilité que j’évoquais ne saurait se limiter à lui seul, mais s’exercer en lien avec d’autres sites, qu’il s’agisse de potagers ou d’exploitations agricoles ou maraîchères. Le site est vivant, c’est du patrimoine vivant, et pour paraphraser le biologiste Marc-André Selosse, le vivant n’est jamais seul. Sa mise en relation avec d’autres sites est donc aussi une manière d’avancer vers une gestion durable.

– Allez-vous jusqu’à faire dialoguer ce Potager avec d’autres sites à travers le monde ?

Absolument ! Je corresponds avec les personnes qui restaurent le jardin fruitier et potager de Boadilla, près de Madrid. Un jardin qui a été créé au milieu du 18e siècle par les Bourbons d’Espagne avec une contribution du directeur du Potager du Roi. Mais nous avons aussi des échanges de semences avec des maraîchers de Kyoto, au Japon, et une collaboration pluri-annuelle avec la ville de Séoul, en Corée du Sud. J’espère pouvoir mettre en place un échange de jardiniers avec l’Oak Spring Garden Foundation, en Virginie, ou avec la Cornell University, dans l’Etat de New York. C’est une manière de continuer les échanges entre chercheurs qu’entretenait Jean-Baptiste de La Quintinie, au 17e siècle, ou l’Ecole nationale d’horticulture à la fin du 19e siècle. Aujourd’hui, ce dialogue permet de répondre aux enjeux du bien-vivre et du bien-manger tels qu’ils se présentent en ce début de XXIe siècle.

– Est-ce le fait que vous soyez de nationalité américaine, qui vous incite à cette collaboration à l’international ?

Etant né aux Etats-Unis, j’ai effectivement la nationalité américaine, en vertu du droit du sol. Mais je suis aussi Français par ma mère et Britannique par mon père. Je précise que la première était d’origine hongroise et le second d’origine allemande…

– Dont acte. Cela étant dit, cette généalogie ne fait que conforter mon interrogation en suggérant que c’est ce statut de « citoyen du monde » qui vous incline probablement à envisager le site dans une perspective internationale…

Est-ce que ce statut de citoyen du monde m’y incite ? Oui, sans doute. Mais je ne pense pas que ce soit le facteur explicatif le plus déterminant. Aussi curieux que cela puisse être, je crois que c’est mon désir de vivre en France, qui a davantage pesé dans cette volonté d’engager des collaborations avec d’autres jardins et potagers, dans le monde. Défenseur d’une culture française, je le suis par choix, au point d’être peut-être un peu plus royaliste que le roi ! Or, s’il est quelque chose qui caractérise cette culture, c’est cette croyance en l’existence de principes universels, à même de parler à tous, sous toutes les latitudes. Ce qui ne peut qu’inciter à se projeter au-delà des frontières. Autre chose a probablement aussi incliné le Potager du Roi à s’ouvrir de lui-même vers l’extérieur : c’est le fait que, depuis toujours, il a participé à une démarche pédagogique.

– Pouvez-vous préciser ce point ?

Par définition, une école a vocation à transmettre et à former. En cela, elle est un lieu de passage, au sens du rite de passage, mas aussi de transition vers un ailleurs. Cela a toujours valu pour le Potager dont le projet a été indissociable d’une démarche pédagogique. C’est dire si c’est tout sauf un site replié sur lui-même. On peut d’ailleurs le voir par-delà les murs.

– A vous entendre, on mesure combien il avait toute sa place dans une biennale comme celle qui vient de débuter…

Oui, d’autant plus que cette biennale a l’ambition de rayonner à l’échelle de toute l’Île-de-France et même bien au-delà, avec, sur ce site, une forte focale sur les enjeux agricoles et maraîchers. D’ailleurs, lors de son inauguration, quelqu’un a justement suggéré d’ajouter le mot « agriculture » à ceux d’architecture et de paysage. C’est en tout cas le parti pris de l’ENSP que de la mettre à l’honneur à travers l’exposition conçue par Alexandre Chemetoff, « Goût du paysage ». Le goût devant être entendu ici dans son double sens : le plaisir à faire quelque chose, mais aussi la saveur des choses que nous consommons et qui est d’autant plus grande qu’elles sont une expression du paysage qui les a vu naître. Concrètement, Alexandre Chemetoff met à l’honneur 25 agriculteurs et maraîchers, en fait 24 + 1 : 24 exploitants franciliens, le « + 1» étant le chef jardinier du Potager du Roi, François-Xavier Delbouis. Une manière de mettre en lumière ceux qui concourent à la ville nourricière, à l’échelle métropolitaine, celle du Grand Paris.

A lire aussi le récit de nos déambulations versaillaises le premier jour de la BAP!, le samedi 4 mai (pour y accéder, cliquer ici) et le compte rendu d’une table ronde organisée le lendemain, sur le thème de « la ville » (mise en ligne à venir).

Crédit photo : Guillaume Bodin.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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