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Science & Culture

Un photographe explorateur.

Le 24 avril 2014

Depuis des années, Jacques de Givry arpente la Plaine de Versailles avec son appareil photo. De proche en proche, il en est venu à explorer le Plateau de Saclay, auquel il vient de consacrer un ouvrage en forme d’inventaire avant travaux… Précisions dans cet entretien réalisé en avril 2014.

– Comment en êtes-vous venu à photographier les paysages de Paris-Saclay ?

Depuis les années 80, en dehors de mes activités d’ingénieur dans l’aérospatial que j’ai poursuivies jusqu’en 2000, j’ai pris l’habitude de faire des photos le week-end, en arpentant le territoire de la Plaine de Versailles. Très vite, j’ai eu envie de partager le résultat de ce qui n’était encore qu’un hobby, plutôt que de garder mes photos dans une boîte à chaussures. C’est ainsi que j’ai commencé à les publier, chez divers éditeurs puis, principalement, comme auteur-éditeur.

– Pour l’essentiel, il s’agissait de photos de Versailles et de ses alentours immédiats…

En effet, le parc de Versailles et la Plaine de Versailles ont longtemps constitué mon principal terrain d’exploration et d’édition. Je dis « exploration » car je me considère à ma façon comme un explorateur, mais de territoires très proches. Pour photographier, je ne vais ni à Bornéo ni vers d’autres destinations exotiques de ce genre. Cependant il m’est aussi arrivé de prendre des photos et de produire des ouvrages – une trentaine – sur d’autres coins de France, par exemple du côté de Saint-Émilion, de Belle-Île, des parcs des Hauts-de-Seine… Ou de sites européens, de parcs et jardins notamment et ce, à la demande de divers éditeurs (le fait de m’auto-éditer ne m’empêche pas de continuer à travailler pour d’autres).

– Comment l’idée de l’ouvrage sur le Plateau de Saclay vous est-elle venue ?

Dans les années 80, j’avais déjà publié deux livres sur le Parc de Versailles. Puis, dans les années 90, j’ai réalisé un reportage sur la Vallée de la Bièvre, de sa source à Paris, qui a donné lieu à deux ouvrages successifs. De proche en proche, j’étendais ainsi mon périmètre d’exploration. Il se trouve par ailleurs que je connaissais bien l’ancien Inspecteur des sites des Yvelines, Yves Périllon, aujourd’hui administrateur de l’Association que je préside, « les Amis du Grand Parc de Versailles » (AGPV). En juillet 2000, il avait classé la Vallée de la Bièvre et la Plaine de Versailles. C’est lui qui m’avait recommandé d’aller explorer plus avant la Plaine et le Plateau de Saclay. « Tu verras, m’avait-il dit en substance, c’est intéressant, mais encore méconnu des Versaillais. » Le fait est : on y trouve les traces d’un patrimoine partie intégrante de l’ancien domaine royal, plus étendu que Paris, à savoir quelques vestiges de son enceinte et le réseau des étangs et des rigoles qui avait vocation à alimenter en eau les fontaines du Parc du Château. C’est ainsi que j’ai pris la mesure de la superficie du Grand Parc, immense réserve de chasse. Sur le plateau, dans sa partie sud-est, il s’étend jusqu’à Châteaufort, Toussus-le-Noble, Buc, Guyancourt,… Moi-même, je vis à sa lisière. D’ailleurs, le lieu-dit que vous pouvez deviner depuis ma fenêtre s’appelle le « Rendez-vous du Roy » sur le cadastre. Bien que m’éloignant du parc actuel du château, je n’avais donc pas l’impression de le quitter vraiment.

En 2003, avec Vincent Maroteaux, Chartiste spécialiste des domaines royaux, actuel directeur des archives départementales de Seine-Maritime, je publiai, en coédition avec le Château, un premier livre sur le Grand Parc. Ce fut le point de départ d’un engagement plus important dans le milieu associatif du Plateau. L’année suivante, Gérard Delattre me sollicitait pour participer à la création d’une Association des Étangs et Rigoles du Plateau de Saclay (l’Ader). Peu après, en 2006, nous avons fondé, sous l’égide de l’union régionale Ile-de-France Environnement (IDFE), COLOS, un collectif d’une centaine d’associations impliquées sur le territoire de l’OIN Paris-Saclay (dont notamment l’UASPS), opération qui venait d’être décidée par l’État, l’année précédente. Parmi nos premières réalisations concrètes, il y eut une carte qui dressait l’inventaire de son patrimoine historique et naturel. C’est ainsi que petit à petit, tout en restant très actif sur la Plaine de Versailles, j’en suis venu à me rapprocher des problématiques du Plateau. Or, pour rendre compte des problématiques d’un lieu, rien de tel que des cartes, mais aussi des images. De là, l’ouvrage sur le Plateau de Saclay.

– Il est donc le fruit d’une longue gestation…

D’une longue gestation et de beaucoup de promenades ! La rencontre avec Terre et Cité a été décisive. La carte que nous avions réalisée avec Gérard Delattre avait convaincu son président, Thomas Joly, de l’intérêt de communiquer au moyen de cartes mais aussi d’images pour donner à voir l’identité du Plateau. Si la carte était un excellent outil pour affirmer son identité géographique, les images permettaient d’aller encore un peu plus loin en révélant l’existence d’une communauté humaine. Autant il peut être facile de définir géographiquement le plateau, autant il était difficile de partager une vision commune entre ceux qui habitent du côté de St Aubin et ceux qui habitent du côté de Jouy-en-Josas, par exemple. Avant l’édition du livre, une exposition a été l’occasion pour les habitants des différentes communes de mieux se connaître, de se convaincre qu’ils participaient d’un même territoire.

Pour les besoins de cette exposition comme du livre, je ne souhaitais pas m’en tenir à mes seules photos. Il me paraissait important, au contraire, de croiser les regards. C’est pourquoi j’ai proposé à plusieurs personnes d’y prendre part dans la limite des contraintes du statut d’auteur-éditeur, lequel impose que l’essentiel du travail soit réalisé par moi (sans quoi, je basculerais dans la logique de l’éditeur stricto sensu). C’est ainsi que j’ai sollicité deux photographes Bucois, que je connaissais et appréciais depuis plusieurs années : Marie-Louise Bernard et Francis Tack. J’avais déjà travaillé avec ce dernier, sur les deux ouvrages consacrés à la Vallée de la Bièvre. Comme il avait appris à piloter des aéronefs, il a pu faire des photos aériennes, fut-ce de manière un peu acrobatique… Trois autres photographes ont aussi contribué à ce reportage.

– « Identité » avez-vous dit. Comment caractériseriez-vous l’identité du Plateau de Saclay ?

Mon propos n’est pas tant de définir une identité du territoire, que de mettre en valeur tous ces acteurs qui mouillent un peu leur chemise pour sauvegarder le paysage. Une vraie solidarité existe sur ce plateau et c’est aussi cela que je souhaitais mettre en évidence. Au plan paysager ou architectural, on pourrait penser qu’il n’y a pas d’identité autre que celle d’un élément significatif et immuable du Hurepoix. Au contraire, ce territoire a connu des évolutions et sa richesse réside dans sa diversité.

– Comme le montre Elizabeth Trimbach dans sa contribution, c’est un paysage, qui n’a cessé d’évoluer du Néolithique à nos jours…

En effet, et il continue encore d’évoluer avec, notamment, le retour de pratiques de maraîchage. Ce n’est donc pas tant un paysage qu’il s’agit de figer, mais son évolution harmonieuse qu’il nous faut préserver, en respectant ce qui en fait la qualité : ses activités agricoles, son patrimoine, ses fermes, ses châteaux, etc.

– Encore un mot sur l’agriculture pratiquée sur le Plateau de Saclay : une agriculture pour l’essentiel intensive…

Certes, l’agriculture du Plateau de Saclay, à dominante céréalière, est intensive. Mais est-ce aux urbains de dicter ce que doivent faire les agriculteurs ? Sans doute cela se concevrait-il si ceux-ci faisaient preuve d’immobilisme. Mais ce n’est pas le cas. On a la chance d’avoir de jeunes agriculteurs qui sont loin de garder les deux pieds dans le même sabot. Ils innovent, cherchent à se diversifier pour mieux répondre aux débouchés qu’offrent les populations environnantes, tout en maintenant une agriculture d’exportation dont on a encore besoin.

Ils sont d’autant plus incités à investir dans de nouvelles pratiques, que grâce au décret qu’on évoquait tout à l’heure, ils ont désormais l’assurance de pouvoir exploiter leur terre dans la longue durée. Un décret qui, ceci dit en passant, en ne « sanctuarisant » pas 12 % des terres cultivées, en déleste certains de plusieurs dizaines d’hectares. Cela semble peu à l’échelle du Plateau. Ça l’est moins à l’échelle d’une exploitation.

Reste à savoir en quoi peuvent consister ces nouvelles pratiques agricoles. Je doute qu’on puisse mettre en maraîchage l’ensemble des surfaces agricoles du Plateau et que la population ait d’ailleurs envie qu’il se couvre de serres. Déjà des voix s’élèvent contre celles qui ont vu le jour ! Nos agriculteurs ont en outre besoin de produire sur de grandes surfaces pour pouvoir adhérer à une coopérative. A moins de 2 000 ha, ils ne pourraient optimiser l’usage de leurs matériels. Il leur faut donc atteindre une masse critique. Et puis, au vu du niveau des cours mondiaux des céréales, on peut comprendre qu’ils ne soient pas pressés à se convertir à d’autres agricultures. Au-delà du maraîchage, on peut imaginer de nouveaux métiers comme l’entretien des zones paysagères.

La question se pose néanmoins : comment concilier leur exigence de rendement avec la préservation de la biodiversité et la qualité de l’eau ? Si on veut pleinement restaurer les fonctionnalités du réseau des étangs et des rigoles, il est clair qu’on devra limiter l’usage d’intrants chimiques, pour éviter de drainer jusqu’à Versailles des eaux polluées par les phosphates. Je doute que les touristes apprécieraient.

– Où en êtes-vous dans la réhabilitation du réseau des étangs et des rigoles ?

Avec Gérard Delattre, nous nous battons pour qu’il soit un élément structurant du Plateau de Saclay, ne serait-ce que pour la préservation de la fertilité des sols et la prévention contre les inondations. Celles intervenues ces dernières années à Villers le Bâcle, à Gif, à Châteaufort ou au Val d’Albian ont montré ce qu’il en coûtait à ne pas entretenir le réseau.

Dans l’ensemble, il est bien conservé. Sa réhabilitation n’en demande pas moins beaucoup d’efforts, notamment au Syndicat intercommunal de  l’Yvette et de la Bièvre (dit SYB) : il faut déboucher les buses, niveler les rigoles, s’assurer qu’il y ait suffisamment d’eau pour qu’elles fonctionnent, qu’elles ne soient pas polluées par les ruissellements des parkings… Ce qui impose une approche globale dans la gestion des eaux.

Les entreprises installées sur le Plateau ont conscience de l’intérêt à le remettre en état. Les grandes écoles y sont aussi sensibles. L’Agence de Bassin Seine-Normandie a prévu le budget pour sa réfection. Reste à en consolider un pour l’entretien. Une autre difficulté tient à la diversité des parties prenantes et des ministères concernés, entre celui de la défense et celui de la culture notamment. Il y a pourtant là une belle opportunité de lien avec le classement du Domaine de Versailles au Patrimoine Mondial par l’Unesco. Et de prestige pour Paris-Saclay !

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Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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