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Un parcours passé au laser… (1)

Le 13 février 2017

Responsable des Services Techniques du CEA de Saclay, Philippe Elias est par ailleurs le Secrétaire général de Polvi, une association créée dans l’idée de faire entendre le point de vue des entreprises et organismes de recherche présents sur le Plateau de Saclay. Un territoire qu’il connaît bien pour y avoir poursuivi ses études d’ingénieur avant d’y élire domicile. Il témoigne à ce triple titre de l’évolution du cluster. Rencontre en deux parties.

Tout le monde ne peut se targuer de pouvoir résumer sa carrière, avant même son achèvement, par un mot clé, susceptible, de surcroît, de faire sensation. C’est le cas de Philippe Elias, responsable des Services Techniques du Commissariat à l’Energie Atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Saclay. Son mot clé à lui est assurément laser. Il suffit de le prononcer pour le rendre intarissable. « Toute ma carrière a été jalonnée par l’utilisation des lasers : aussi bien scientifiques (pour les besoins de mesures), qu’industriels (pour faire, par exemple, de l’enrichissement d’uranium) ou encore pour des applications plus courantes (la soudure de carrosserie de voitures, de moteurs d’avion, etc.). »

Spécialiste du laser, il l’est devenu à partir d’une formation poursuivie sur le Plateau de Saclay, à l’Institut d’Optique, qu’il intègre en 1979, puis à travers une thèse de Doctorat, à la faculté des sciences d’Orsay, soutenue en 1988. Il ignorait alors que la suite du cursus l’amènerait à intégrer un autre acteur du cluster en émergence : le CEA de Saclay. Sa carrière professionnelle, il la débute au CEA de Vaujours, un site militaire, où il restera treize années.

Du Centre Laser Franco-Allemande au CEA

Il renoue une première fois avec le Plateau de Saclay, en intégrant le CEA pour faire de l’enrichissement par laser selon, précise-t-il, le procédé Silva (pour « séparation isotopique par laser de la vapeur atomique »). « J’utilisais des systèmes optiques pour faire transiter le laser de façon à éclairer la vapeur atomique d’uranium et l’enrichir en isotope 235, lequel est fissile dans les réacteurs nucléaires actuels, à la différence de l’isotope 238, mais disponible en moins grande quantité que lui » – d’après notre spécialiste, nous disposerions encore pour deux siècles de stocks d’uranium 235 contre de l’ordre 10 000 ans dans le cas de l’uranium 238. « De là, l’enjeu des recherches autour d’une nouvelle génération de réacteurs à même de transformer l’uranium 238 en plutonium, également fissible, avec pour résultat, à la fin du chargement, de disposer de plus de combustible qu’on en avait au départ. » Soit le principe de ce qu’il est convenu d’appeler les surgénérateurs.
Dans les années 2000, nouvelle affectation : Philippe Elias se voit confier la direction du Centre Laser Franco-Allemand, situé à Arcueil (Val-de-Marne). Une autre aventure professionnelle qui durera huit autres années et dont il garde manifestement un très bon souvenir. « Quoique relevant de la Délégation Générale de l’Armement (Ministère de la Défense), j’étais en autonomie complète, gérant ce centre, fruit d’un GIP (Groupement d’Intérêt Public), comme une PME. »
En guise d’autre fil rouge, Philippe Elias aurait aussi pu mettre en avant le mot de chercheur. Quelles que soient les activités professionnelles qu’il ait exercées, il en a manifestement gardé l’âme. S’il s’éloigne de l’activité de recherche fondamentale, il ne rompt pas tous ses liens avec elle. « Je m’occupais de toutes les tâches périphériques et néanmoins essentielles à sa valorisation. »
Ce faisant, le même reconnaît avoir développé une aptitude à parler aussi bien à des chercheurs qu’à des partenaires industriels. Ses « clients » sont de grands noms de l’industrie française et allemande : Safran, EADS, Peugeot, Renault, Areva, Air Liquide, ArcelorMittal, Trumpf, Kuka… « Mes interlocuteurs n’étaient autres que leurs directrices et directeurs de recherche respectifs. Des personnes de très haut niveau. » Depuis, il dit avoir gardé un intérêt pour ces partenariats publics/privés et l’orientation de la recherche vers l’industrie. Et vice versa. « J’étais autant soucieux de faire en sorte que nos activités de recherche soient utiles aux industriels qu’à ce que ceux-ci valorisent les résultats de la recherche. » Un rôle d’interface que son parcours lui permet d’assumer. « Je connaissais déjà bien le monde de la recherche pour avoir été chercheur moi-même, tandis que mes années au sein du Centre Laser Franco-Allemand m’auront permis de mieux appréhender le monde industriel, ses ressources en termes de compétences et d’expertises. J’ai pu ainsi percevoir les étapes par lesquelles il fallait passer pour d’un résultat de recherche parvenir à un produit industriel. » En guise d’illustration, il donne l’exemple de l’application industrielle d’un faisceau laser dans une usine automobile (celle de Renault, à Flins, en l’occurrence). « Pour éviter que les tôles d’acier constituant les carrosseries ne rouillent, il faut leur apposer une fine couche de zinc protectrice. Seulement, celle-ci perturbe le fonctionnement du laser… » La solution ? Elle sera trouvée moyennant justement une capacité à se placer à bonne distance des exigences de la recherche fondamentale et des contraintes de l’application industrielle. Avec le recul, il dit encore avoir le sentiment « d’avoir glissé de la recherche fondamentale vers une recherche plus appliquée ».
Le système de mesure TRL (Technology Readiness Level) n’a plus de secret pour lui. Pour mémoire, il a été mis au point dans l’industrie aéronautique, pour déterminer le niveau de maturité d’une innovation technologique à partir d’une échelle allant de 1 (correspondant à la recherche de base, au démarrage de l’étude) à 9 (la production industrielle). « Au début de ma carrière, je me situais aux niveaux 1 à 3. Mon expérience au Centre Laser Franco-Allemand m’aura permis de me positionner aux niveaux 4, 5 et 6. » Il se garde cependant d’aller au-delà car, dit-il, « on entre alors dans le domaine des industriels. » On comprend surtout que ces niveaux intermédiaires exigent des aptitudes peu répandues, à commencer par celle de savoir dialoguer tout à la fois avec des chercheurs et des industriels. Aptitude manifestement acquise dans son cas lors de ces années au Centre Laser où il dut déployer des talents de managers.

De la recherche fondamentale à la recherche appliquée

On mesure au passage combien l’opposition entre recherche fondamentale et recherche appliquée est réductrice. Philippe Elias : « L’enjeu n’est certainement pas de les opposer, mais de les articuler. » Ce qui paraît cependant plus simple à faire sur le papier que dans la réalité. Il en convient : « Chercheurs et industriels ne parlent pas le même langage. Le chemin est donc long et compliqué avant de parvenir à les accorder. » C’était pourtant bien son rôle, auquel il se prêtait avec succès. « Il s’agit de faire confiance aux chercheurs, en les laissant investiguer des domaines auxquels on ne penserait pas a priori, sans perdre de vue les besoins de l’industriel, en développant des maquettes ou des démonstrateurs à partir des aspects les plus intéressants de la recherche fondamentale. » Fut-ce au prix d’allers et retours réguliers : « aussi bien vers les chercheurs que vers l’industriel pour s’assurer de n’avoir rien omis ou fait qui aille à l’encontre de lois physiques ou des contraintes du fonctionnement en usine. »
En soulignant les vertus de ce chaînon manquant entre recherche fondamentale et une recherche plus appliquée, exclut-il la possibilité pour le chercheur de s’engager directement dans la voie de l’entrepreneuriat ? Comme on le devine, la réponse est non. « Il y est même encouragé à travers la création d’une spin-off. » Le même prévient cependant : « Il importe qu’il se garde de s’occuper de tout ce qui pourrait le détourner de la recherche – comptabilité, communication, marketing, etc. – en sachant s’entourer d’une équipe de gens compétents dans ces domaines. Avoir une idée géniale ne suffit pas. Encore faut-il qu’elle rencontre un marché. »
C’est en 2009 qu’il rejoint pour sa part, le CEA de Saclay comme Responsable des Services Techniques, en charge notamment de ses approvisionnements extérieurs. Non sans y avoir été, là encore, prédisposé par ses activités antérieures.

Suite de notre rencontre avec Philippe Elias à travers l’entretien qu’il nous a accordé (pour y accéder, cliquer ici).

En illustration : NeuroSpin, l’infrastructure de recherche sur le cerveau, construit sur le site du CEA de Saclay.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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