Un comité éthique et scientifique pour éclairer les politiques publiques
Créé le 22/10/2025
Modifié le 22/10/2025
Entretien avec Sylvie Retailleau, présidente du Comité Éthique et Scientifique Territorial de Paris-Saclay
Le 26 juin dernier, l’Agglomération Paris-Saclay lançait officiellement la création d’un Comité Éthique et Scientifique Territorial en en confiant la présidence à une personnalité qu’on ne présente plus, Sylvie Retailleau. Laquelle a bien voulu nous en dire plus ce 7 octobre 2025, juste avant la première réunion que ce Comité s’était engagé à programmer pour préciser ses modalités d’organisation.
- Si vous deviez « pitcher » le Comité Éthique et Scientifique Territorial…
Sylvie Retailleau : Ce comité a pour vocation d’accompagner les élus et les décideurs dans l’élaboration de politiques publiques, en s’appuyant sur une expertise indépendante et pluridisciplinaire. Il contribuera à anticiper les mutations scientifiques, technologiques, environnementales et sociales ; à éclairer des choix opérationnels sur des enjeux majeurs ; à garantir l’intégrité, la transparence et l’acceptabilité des projets auprès des citoyens. Pour cela, il tirera bien sûr profit des ressources dont recèle le territoire de Paris-Saclay en termes d’expertises scientifiques et d’innovations, sans exclure cependant de se positionner sur des enjeux nationaux et internationaux.
- Un mot sur le profil de ses membres ?
S.R. : D’autant plus volontiers qu’ils justifient pleinement l’ambition de ce positionnement tout à la fois « local », national et international que j’évoquais. Les membres sont des personnalités reconnues, issues du monde académique, d’experts techniques, de représentants du territoire et de la société civile.
Tous bénévoles et nommés pour un mandat de deux ans, ils sont répartis entre quatre collèges complémentaires : Xavier Apolinarski, Jamal Atif , Élisabeth Crépon, Isabelle Demachy, Rodolphe Fischmeister et Jean-François Roch pour le Collège des partenaires académiques ; Alexandra Bensamoun, Jane Lecomte et Thomas Le Goff pour le Collège des experts techniques thématiques ; Sandrine Gelot, Stéphanie Gueu, Grégoire de Lasteyrie et Rafika Rezgui pour le Collège des représentants de l’Agglomération Paris-Saclay ; enfin, Fabrice Baron et Isabelle Flory pour le Collège de la société civile.
- Comment appréhendez-vous ce dialogue entre scientifiques et élus ?
S.R. : Un tel dialogue ne se décrète pas, il s’apprend. Les scientifiques n’ont pas forcément l’habitude de s’adresser directement aux élus, aux décideurs. En sens inverse, ceux-ci ne savent pas forcément formuler leur demande de façon à ce qu’elle puisse être comprise des scientifiques.
Il est vrai aussi que les uns et les autres ne s’inscrivent pas dans les mêmes temporalités. Les scientifiques ont l’habitude de s’inscrire dans le temps long et n’ont donc pas forcément l’habitude de répondre dans des délais courts aux sollicitations d’élus. Ceux-ci doivent cependant admettre que la recherche exige du temps long. La science n’est pas toujours à même de donner une réponse immédiate. Mais dans le monde de l’immédiateté qu’est devenu le nôtre, la capacité à s’inscrire dans du temps long peut devenir un atout. Elle ménage la possibilité de laisser sa place au doute, d’expérimenter, d’explorer d’autres hypothèses. Au final, le processus de décision gagne en transparence ; l’acceptabilité par la population des politiques publiques s’en trouve elle-même renforcée.
- Comme on l’imagine, l’ancrage des expertises et des élus dans un même territoire devrait faciliter leur apprivoisement réciproque. Les membres de votre comité se connaissent d’ailleurs pour la plupart de longue date…
S.R. : Exactement, la plupart ont eu l’occasion de se rencontrer et d’échanger, ce qui ajoute à la force de notre Comité. Nul doute qu’ils sauront approfondir leur dialogue en prenant part ensemble à la construction des demandes et des études auxquelles elles pourront éventuellement donner lieu pour leur apporter une réponse. L’inscription territoriale du Comité est donc tout sauf une limite : en plus de concentrer un niveau d’expertises exceptionnel, ce territoire est aussi d’une grande richesse sur le plan économique, social, environnemental avec ses espaces à la fois urbain, naturel, agricole et forestier. Il est propice à des expérimentations dont les résultats peuvent être utiles à d’autres territoires.
- Plusieurs thématiques seront possiblement abordées, dont l’IA…
S.R. : L’IA, et à travers elle la transition numérique, est bien sûr une des thématiques que nous serons amenés à traiter. L’IA est désormais partout. Elles soulève des questions sur ses usages quotidiens dans les entreprises, les administrations, les territoires, la recherche…
Notre Comité pourra cependant être saisi ou se saisir de bien d’autres enjeux comme les transitions écologiques et énergétiques ; la santé et le bien-être ; l’innovation responsable et frugale ; l’acceptabilité et la cohésion de politiques publiques, etc.
À chaque fois, il s’agira d’aborder une thématique sous un regard à la fois éthique et scientifique, en tirant profit, encore une fois, des expertises scientifiques présentes sur le territoire, tant du côté de l’Université Paris-Saclay que de l’Institut polytechnique de Paris et des organismes de recherche en liens avec eux (CEA, CNRS, INRAE, INRIA, INSERM…).
- On peut noter au passage la contribution possible de ce Comité à l’approfondissement des interactions entre les deux grands pôles académiques de l’écosystème Paris-Saclay…
S.R. : Tout à fait ! Il s’agira pour nous d’exploiter tout le potentiel d’expertise sans privilégier l’un plutôt que l’autre. La science ne connaît pas de frontière. L’expertise scientifique sur tel ou tel sujet, nous la prendrons donc là où elle est.
- Comment envisagez-vous de mobiliser ces expertises à même d’éclairer les politiques publiques ?
S.R. : Selon les cas, un simple travail bibliographique, sur l’état de l’art, pourra suffire, des études existant déjà sur de nombreux sujets. Dans d’autres cas, quand la connaissance n’est pas établie, un travail plus approfondi, à plus long terme, sera nécessaire. Concrètement, nous pourrions mobiliser un laboratoire à travers, par exemple, une recherche doctorale.
Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’apporter des éclairages à partir de résultats de recherche scientifique, existants ou à produire, en assumant dans ce cas – j’y reviens – de s’engager dans le temps long de la recherche scientifique. À cet égard, il faut garder en tête la distinction entre, d’un côté, la science, le savoir établi, validé par des travaux, des expériences ; de l’autre, la recherche, autrement dit la science en train de se faire.
- Iriez-vous jusqu’à financier des thèses ?
S.R. : Ce n’est pas le rôle direct du comité. En revanche, nous pourrions accompagner les laboratoires retenus pour la conduite d’une thèse vers des sources de financement existant : l’Agence nationale de recherche ou des entreprises dans la perspective de thèses Cifre. L’Agglomération Paris-Saclay s’est dite prête à aller chercher des financements par exemple auprès de fonds Feder [Fonds européen de développement régional] de la Région Île-de-France.
Le Comité ne dispose pas de budget prévu à l’avance. Un mal pour un bien en définitive, car ce sont les questions posées qui détermineront les besoins de financement.
Voilà pour la vision que je me fais de ce Comité à l’instant « t ». Sans équivalent, il nous faut encore le co-construire avec les acteurs du territoire : les élus, mais aussi les citoyens. C’est dire s’il sera probablement amené à évoluer.
- À vous entendre, ce comité s’apparenterait à, si je puis dire, un « Oieni » – un objet institutionnel encore non identifié – qui, en cela, correspond bien à la scientifique que vous êtes, soucieuse d’interdisciplinarité et de dialogue avec les acteurs de la société. Comment, d’ailleurs, avez-vous réagi quand le président de l’Agglomération, Grégoire de Lasteyrie vous a proposé de présider ce comité ? Avez-vous hésité compte tenu de vos autres engagements ?
S.R. : Pas longtemps ! Je me suis toujours battue pour que la science soit une clé d’entrée des décisions politiques, que les politiques s’intéressent à alimenter, éclairer leurs décisions à l’aune des expertises scientifiques. Sans doute que nous-mêmes, les scientifiques, avons encore des progrès à faire pour mieux appréhender les attentes, les besoins des élus comme du reste de la société. Chacun doit faire un pas vers l’autre. Ce comité est une formidable opportunité de contribuer à ce rapprochement. Pouvoir le faire à l’échelle d’un territoire qui m’est d’autant plus cher que j’y habite, est une chance. Donc, non, je n’ai pas hésité bien longtemps !
- Ce doit être d’autant plus motivant pour vous que nous sommes dans un contexte marqué par les attaques lancées contre la Science elle-même, outre-Atlantique comme dans d’autres parties du monde…
S.R. : En effet. En cela, la création de notre Comité arrive à un moment opportun. Quand on voit comment des dirigeants politiques, y compris au sein de démocraties où on s’y attendrait le moins – les États-Unis ! -, parlent de la Science, la remettent en cause, la décrédibilisent, il y a de quoi s’interroger. Il est vrai que la Science est « gênante » ; elle dérange de par sa propension à questionner des idées toutes faites, à en appeler à l’esprit critique et au doute. Dans ce contexte, la création d’un comité comme le nôtre est salutaire. D’autant plus que, il convient de le souligner encore, il est indépendant : ses membres, je l’ai dit, sont bénévoles et donc libres ! Seul un contrat moral les lie à ce comité. Ils n’ont aucun compte à rendre, hormis leur intégrité scientifique. On ne pourra donc leur dicter quoi que ce soit.
Cette indépendance scientifique n’exprime rien d’autre que ce qu’on appelle en France la « liberté académique ». Elle sera le gage de la qualité des avis qui seront produits. Pour autant, il ne s’agira pas de dicter les politiques publiques, mais bien d’éclairer les élus sur leurs possibles effets, tant positifs que négatifs, leurs avantages et leurs inconvénients, en nous appuyant exclusivement sur des expertises scientifiques. Tout au plus pourrons-nous formuler des recommandations.
- Elles comme vos avis seront-ils rendus publics ?
S.R. : Oui, et c’est quelque chose à laquelle je tiens. J’ai d’ores et déjà proposé des restitutions orales et pas seulement sous forme de rapports, au siège de l’Agglomération. Restitutions au cours desquelles les élus pourront nous interpeller, nous poser des questions. Cela peut participer à cet apprentissage des politiques et des scientifiques que j’évoquais. Un apprentissage nécessaire, dans la mesure où un minimum de culture scientifique peut être requis pour être en mesure d’apprécier des ordres de grandeur, la portée et la signification d’évolutions.
- Quel est l’enjeu de la réunion qui doit se tenir dans la foulée de cet entretien ?
S.R. : Suite au lancement officiel du comité en juin dernier, nous avions annoncé deux grands rendez-vous d’ici la fin de l’année pour concrétiser son action. Nous y sommes avec cette première réunion qui se veut une étape de co-construction de nos principes de fonctionnement : notre méthodologie de travail, les modalités de saisine, le type de restitutions que nous voudrions proposer, etc.
La prochaine réunion se tiendra autour de thématiques sur les Data / IA. Seront présentés à cette occasion les problématiques associées, une note d’état des lieux, et l’accompagnement de la mise en œuvre de projets structurants comme Urba(IA), le jumeau numérique territorial développé pour une planification urbanistique durable et intelligente.
Journaliste
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