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« Un cluster n’a de sens que s’il reste ouvert sur d’autres écosystèmes. »

Le 9 mars 2020

François Molho a effectué la première partie de sa carrière comme journaliste économique (c’est d’ailleurs à ce moment que nous avons fait sa connaissance) avant de rejoindre le siège le groupe EDF comme directeur adjoint des relations avec les médias. À l’appel de Bernard Salha, il rejoint en 2010 la R&D du groupe comme directeur de la Communication, fonction qu’il occupe pendant neuf ans avant de prendre en octobre dernier, toujours au sein de cette même R&D, la tête d’une toute nouvelle direction de l’Action régionale et de la Coordination Paris-Saclay. Il vient par ailleurs de succéder à Laure Reinhart à la présidence d’Île de Science. Retour sur un parcours on ne peut plus original quand on sait, de l’aveu même de l’intéressé, qu’il n’est ni scientifique ni ingénieur de formation.

– Commençons cet entretien, en rappelant que j’ai eu l’occasion de faire votre connaissance, il y a plusieurs années de cela, alors que vous étiez journaliste – je faisais un stage au sein du magazine où vous travailliez alors. Je vous retrouve aujourd’hui dans votre bureau, sur le site de la R&D EDF de Paris-Saclay… Nous nous sommes croisés entretemps à maintes reprises sur le Plateau, mais c’est enfin l’occasion pour moi de faire découvrir votre parcours ainsi que votre regard sur la dynamique de l’écosystème dont vous êtes désormais un acteur…

J’ai effectivement débuté ma carrière comme journaliste dans la presse sociale, économique puis financière. A priori, rien ne me prédestinait donc à rejoindre le groupe EDF, en 2005, si ce n’est mon intérêt pour le monde de l’entreprise sous ses différents aspects et le suivi, entre autres, du secteur de l’énergie dans les dernières années de mon parcours journalistique. D’ailleurs, ce sont ces connaissances qui se sont révélées utiles, au moment où j’ai intégré le groupe, comme directeur adjoint Médias – c’était en 2005. Près de six années passionnantes marquées notamment par la transformation du statut et l’ouverture du capital de l’entreprise et de grandes opérations d’acquisition à l’étranger. Cela étant dit, c’est bien avec l’impression étrange de passer de l’autre côté de la barrière, que j’ai exercé mes nouvelles fonctions. Un temps d’adaptation a été nécessaire…

– Dans quelle mesure ?

Au cours des premières conférences de presse ou des rencontres avec des dirigeants que j’organisais pour les journalistes, je devais me réfréner pour ne pas poser un flux de questions… Très vite, cependant, mon expérience du journalisme s’est révélée très utile. Car le propre du journaliste, c’est de savoir où chercher l’information. Or, dans ma fonction de relations avec les médias, l’information vient rarement à vous, il vous faut « enquêter » pour la trouver au sein de l’entreprise. Tant et si bien que je n’ai jamais manqué par la suite d’inviter mes équipes à se comporter en journalistes pour aller chercher l’information en interne et se l’approprier. Et puis, en tant que journaliste, j’avais été amené à m’intéresser à plusieurs problématiques qui sont au cœur des défis et enjeux de la R&D d’un groupe comme EDF.

– Soit. Il reste cependant que journalisme et communication sont deux domaines différents…

Absolument et heureusement ! Mais les qualités du journaliste se révèlent là encore fort utiles, a fortiori quand cette communication traite de la R&D et que l’on n’est pas soi-même un scientifique. Un journaliste, c’est forcément quelqu’un de curieux, capable de traiter de sujets variés, de sentir les sujets qui montent, qui sont dans l’air du temps… Sans fausse modestie, je dirai même que sur différents sujets, mon expérience du journalisme m’a permis d’apporter un regard différent par rapport à l’approche que peuvent en avoir des chercheurs et des ingénieurs.

– Avec le recul, quel autre enseignement tirez-vous de ces années au titre de directeur de la Communication de la R&D ?

Bernard Salha, le Directeur e la R&D d’EDF, m’a donné les moyens financiers et humains de réaliser de nombreuses choses. Si je devais en retenir un seul résultat, ce serait l’importance du territoire et de l’Action régionale, dont j’ai très tôt pris la mesure. D’abord, parce que nous recevions de plus en plus de demandes de R&D émanant des différentes régions, par le truchement des délégués régionaux, en charge de la représentation transverse du groupe sur les territoires, et qui étaient eux-mêmes de plus en plus sollicités dans le cadre de partenariats de recherche ou industriels, autour de démonstrateurs, de pôles de compétitivité, etc. Au-delà de actions concrètes, la R&D s’est révélée être un atout d’image et de marketing pour le groupe. Naturellement, nous ne pouvions répondre à toutes les sollicitations. Il nous fallait faire des choix, nous assurer qu’elles entraient bien dans la stratégie globale de la R&D et celle du groupe, et pour cela disposer d’une organisation au plus près des contextes régionaux. J’ai donc suggéré assez rapidement à Bernard Salha, de la régionaliser, en affectant à chaque membre du comité de direction, une ou deux régions qu’il suivrait tout particulièrement, en faisant l’interface avec le délégué régional. La proposition fut actée et devenue effective deux ans plus tard. Moi-même, au-delà de ma fonction de Directeur de la Communication, je me suis vu confier deux régions à suivre en particulier : l’Aquitaine (puis Provence-Alpes-Côte d’Azur) et la Région Centre. Très vite, nous avons recruté un chargé de mission Action régionale pour assurer le lien permanent entre notre équipe de direction et les délégations régionales du groupe. Cela sous la supervision de notre Directeur financier et innovation de l’époque.
Depuis, l’évolution du contexte législatif a placé les Régions toujours plus au cœur de la transition énergétique. Bernard Salha a donc souhaité y amplifier l’action de la R&D en créant à l’automne dernier une nouvelle direction de l’Action régionale dont il m’a confié la responsabilité.

– Quel rôle l’écosystème Paris-Saclay a-t-il eu dans votre prise de conscience de l’importance de la dimension territoriale pour la R&D…

Un rôle majeur, auquel j’allais revenir justement. Très vite, suite au transfert du site de Clamart sur le Plateau de Saclay, l’écosystème m’a beaucoup mobilisé dans le cadre de ma direction de la Communication, au point de m’amener à assumer une fonction informelle de coordination. Je travaillais avec l’ensemble des entités du groupe EDF présentent dans l’écosystème – outre la R&D, le campus de formation, la direction commerce, les différentes filiales intervenant dans le domaine de l’énergie (Dalkia), de la mobilité électrique (Izivia), etc. – et ce, dans une démarche de veille, d’alerte. Dans la foulée de notre arrivée sur le Plateau de Saclay, j’ai été notamment à l’initiative de la création d’un club des dircoms d’entreprises et d’institutions académiques. Naturellement, la dimension du cluster, tant en termes de superficie que de R&D (il doit concentrer 20% de la R&D française), son ambition (figurer dans le top 10 des clusters mondiaux) sans oublier le montant des investissements qui y ont été consentis par EDF pour y implanter sa R&D et son centre de formation (de l’ordre de 400 millions d’euros), tout concourrait à plaider pour la création d’une coordination Paris-Saclay. J’ai fait cette proposition à la fin 2017 à Bernard Salha et à Catherine Lescure, Déléguée régionale Ile-de-France d’EDF, qui l’ont approuvée. Je suis ainsi devenu Directeur de la Communication d’EDF R&D et Directeur de la coordination Paris-Saclay d’EDF SA puis, comme je l’indiquais, Directeur de l’Action régionale de la R&D en conservant ma fonction de coordination sur Paris-Saclay pour EDF SA. Cela, pour ce dernier aspect, sous le double pilotage de Bernard Salha et de Catherine Lescure. Au final, mes nouvelles fonctions traduisent des convictions que je suis parvenues à partager en interne, quant à l’importance de la territorialisation de la R&D au plan des Régions.

– Faut-il voir aussi dans cette double fonction le souci d’envisager le cluster Paris-Saclay aussi ouvert que possible, en interaction avec les écosystèmes d’autres régions ?

Absolument. S’il a semblé important à Catherine Lescure comme à Bernard Salha de créer une coordination spécifique pour le cluster, cette coordination n’en interagit pas moins, à travers différents comités, avec l’ensemble des entités et directions intervenants à l’échelle de l’Ile-de-France, mais aussi les autres délégations régionales R&D. Certes, de prime abord, un cluster se définit par sa vocation à renforcer les synergies entre les acteurs de l’innovation sur un même territoire. Mais un cluster n’a de sens que s’il reste ouvert sur d’autres écosystèmes. Une vision que reflète bien la conception même de notre site de R&D de Paris-Saclay : tout en ménageant des espaces de confidentialité pour nos activités de recherche, de nombreux espaces sont en accès libre. Nous y accueillons régulièrement des événements – colloques, workshops, expositions – les uns organisés par le groupe EDF et ses différentes directions, les autres avec ou par des acteurs du Plateau, auxquels nous mettons à disposition nos différents espaces (amphithéâtre, auditorium, salles de créativité, etc.). Au sein même du cluster, nous participons à pas moins de six instituts communs avec d’autres établissements de recherche ou d’enseignement supérieur, dans des domaines très variés – le photovoltaïque, l’internet des objets, les réseaux intelligents, les mathématiques, l’intelligence artificielle, les matériaux… Bref, notre site se veut un lieu ouvert à l’image de ce qu’est notre R&D, qui repose par ailleurs sur pas moins de 300 accords de recherche partenariale à travers le monde.
Je saisis l’occasion de rappeler qu’au-delà du cluster Paris-Saclay, EDF R&D a bien d’autres engagements en Ile-de-France en appui de la délégation régionale et des métiers du groupe. Les partenariats noués dans le cadre des JO 2024, en plus de permettre au groupe de mettre en avant ses innovations technologiques, en seront une illustration parmi d’autres. Ils témoignent de notre volonté d’inscrire Paris-Saclay dans une vision globale, à l’échelle du Grand Paris. Naturellement, quand des arbitrages se présentent, j’ai personnellement tendance à pousser en faveur de Paris-Saclay, mais sans perdre de vue les autres pôles de développement de la Région.

– Restent les problématiques de transport et d’accessibilité qui, aux yeux de beaucoup, questionnent la réussite du cluster… Quel est votre point de vue sur cet enjeu ?

C’est effectivement un enjeu majeur. Les incertitudes autour de la ligne 18 du Grand Paris Express ont été définitivement levées. On annonce désormais son arrivée pour l’année 2026 avec un premier tronçon. Certes, et j’en conviens, d’ici là, les difficultés d’accès vont demeurer, malgré des améliorations introduites avec le bus en site propre et la mise en place de navettes. Mais, et c’est un constat paradoxal partagé par plusieurs confrères…

– Confères ?

(Sourire). Je voulais dire interlocuteurs industriels… Le constat paradoxal que nous partageons, donc, est que cette situation incite à être créatifs et à trouver des solutions alternatives, que ce soit en matière de mobilité partagée, électrique et/ou autonome. Déjà des initiatives prometteuses ont vu le jour. Je pense bien sûr à la plateforme Move in Saclay, aux expérimentations de véhicules autonomes entre la gare Massy-Palaiseau et quartier de Polytechnique, ou encore au projet de véhicules électriques partagés. Naturellement l’arrivée de la ligne 18 reste indispensable à la réussite du cluster, mais il convient de souligner cette effervescence, propice à des formes inédites de partenariats et de solidarité entre les acteurs présents sur le terrain.

– Pour notre part, nous avons pu constater que les contraintes d’acheminement jusqu’au Plateau pouvaient aussi avoir pour effet d’induire une plus grande implication des participants aux événements qui s’y déroulent : vu les efforts consentis pour s’y rendre, on se garde d’en repartir trop précipitamment… Est-ce quelque chose que vous avez vous-même observée ?

Il est certain que lorsqu’on vient sur le Plateau, ce ne peut être pour y rester juste une heure. On s’attarde effectivement à la manifestation à laquelle on assiste. D’ailleurs les événements académiques qui s’y déroulent sont souvent d’un format d’une demi-journée : on peut y voir un effet des contraintes liées au transport, mais aussi du contexte dans lequel ils se déroulent, celui d’un cluster, qui incline à traiter des sujets de fonds, en prenant le temps nécessaire pour le faire. Mais à trop focaliser sur les conditions d’accessibilité, il ne faudrait pas sous-estimer les déplacements infra-Plateau. Un enjeu qui m’apparaît aussi voire plus important que celui de l’accessibilité. Car le cluster de Paris-Saclay, c’est l’occasion de le rappeler, s’organise autour de plusieurs pôles, qu’il a vocation à faire interagir. Ce qui signifie des réunions à différents endroits. Certes, les moyens de télécommunications permettent d’y participer à distance, mais le propre et l’intérêt d’un cluster, c’est aussi de valoriser les échanges informels, en face à face. Et tout porte à croire que plus les déplacements seront facilités, à l’intérieur de l’écosystème, plus le cluster sera vécu comme une réalité. Car l’appropriation d’un territoire passe aussi et peut être d’abord par la mobilité.

– Venons-en à un autre point de votre actualité : Ile de Science, dont vous venez de prendre la présidence…

Laure Reinhart, ayant fait valoir ses droits à la retraite, a estimé ne plus pourvoir en assumer la présidence (en principe confiée à une personne ayant des responsabilités au sein d’une entreprise). A l’origine, c’est à Jean-Paul Chabard, directeur scientifique de la R&D qu’avait été proposé de lui succéder. Mais compte tenu de son implication déjà forte dans de multiples instances, celui-ci a préféré décliner. Du fait de mon implication sur le Plateau de Saclay, Bernard Salha m’a alors suggéré de me présenter à la présidence. Autant vous dire que je n’ai pu alors m’empêcher, pour reprendre une expression de la tradition bouddhiste, d’arborer un sourire intérieur : moi, le non scientifique de l’étape, me voilà présider une association, Ile de Science, reconnue dans le domaine de la médiation scientifique.

– Sauf à admettre que la fréquentation du Plateau de Saclay ne vous ait rendu, par imprégnation successive, plus scientifique que vous ne le pensez…

(Sourire) Vous ne croyez peut-être pas si bien dire ! Quoique non scientifique, j’ai pu constater, au fil de mes participations à de nombreuses réunions, séminaires, colloques, au milieu de chercheurs et d’ingénieurs, que j’avais acquis une certaine maîtrise sur des sujets scientifiques ou techniques. J’ai d’ailleurs été, avec Jean-Paul Chabard, à l’initiative du lancement d’une nouvelle collection d’ouvrages scientifiques et techniques, destinée à un plus large public aux éditions Lavoisier, qui abrite la collection historique d’EDF R&D.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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