Nous avions déjà eu l’occasion de l’interviewer quand il a pris les rênes de la MSH Paris-Saclay. Arrivé au terme de son mandat, André Torre avait bien voulu témoigner des enseignements personnels qu’il tire de cette expérience. Nous nous apprêtions à publier son témoignage quand… la pandémie du Covid-19 est survenue. Voici donc deux entretiens en un : un premier dans lequel il témoigne de son expérience du confinement, mais aussi des actions mises en place avec des collègues pour mobiliser la recherche sur la pandémie au regard de ses enjeux territoriaux et spatiaux, suivi de l’entretien prévu initialement dans lequel il souligne l’intérêt d’une interdisciplinarité entre SHS et sciences exactes ou de l’ingénieur.
– Comment vivez-vous le confinement ?
A la différence de beaucoup, je ne le vis pas trop mal. En tant que chercheur, qui publie régulièrement, j’ai une longue pratique du confinement, ne serait-ce que pour les besoins de mes publications, qui m’obligent à passer de longues heures devant mon ordinateur, ou des échanges avec des collègues en visioconférence ou par téléphone. Si quelque chose me pèse, c’est de ne pouvoir me livrer à la sortie quotidienne que j’ai l’habitude de faire. Etant quelqu’un de plutôt discipliné, je respecte les consignes et sors juste le temps de faire mes courses. Cela étant dit, je prends mon mal en patience. Loin d’avoir réduit mon activité de recherche, la crise du coronavirus l’a maintenue à un niveau élevé en m’amenant à mettre en place un certain nombre d’actions.
– Ce dont vous vous êtes fait l’écho sur twitter. Pouvez-vous y revenir plus en détail ici ?
Passé le premier mouvement de sidération, nous nous sommes demandés, avec des collègues, qui travaillent comme moi sur les questions de proximité, en quoi nous pouvions être utiles. En tant qu’intellectuels, nous ne pouvions rester passifs, observer la crise et ne faire que la commenter. Certes, n’étant ni médecins ni épidémiologues, nous n’étions pas a priori en première ligne de la recherche sur les questions de pandémie. Mais peut-être pouvions nous apporter d’utiles éclairages sur ses enjeux au plan territorial, spatial et de la proximité. C’est ainsi que l’idée est venue de lancer une consultation nationale auprès des chercheurs pour les inviter à proposer des contributions sur le coronavirus. Ces contributions sont disponibles depuis un site, CORTE Covid-19, mis en place au milieu du mois de mars. Chaque jour, vous pouvez y trouver des points de vue, des informations sur les avancées de la recherche. Nous avons mis au point le même système au niveau européen.
Par ailleurs, nous avons lancé des enquêtes. Personnellement, j’ai participé à deux d’entre elles. L’une sur les changements d’habitudes et de modes de vie en temps de confinement, lancée par Lise Bourdeau-Lepage ; une autre sur les restrictions de mobilité, toutes deux d’abord à l’échelle de la France, puis de l’Europe. Ces enquêtes ont rencontré un vif succès à en juger par le nombre de questionnaires retournés (près de 9 000 rien que pour la première). Nous avons également répondu à des appels d’offres. Voilà comment le coronavirus s’est invité dans mon activité de recherche, non sans en bouleverser l’agenda car, il y a encore un mois, j’ignorais tout de ce virus. J’ai laissé en suspens plusieurs des thématiques et de mes projets qui m’ont paru moins urgents du coup.
– Merci pour ce témoignage qui illustre l’agilité du chercheur. N’en demeure pas moins une certaine continuité avec vos travaux car s’il est bien un enjeu qui reste d’actualité, c’est celui qui est au cœur de vos sujets de recherche, je veux parler de la proximité…
De fait, et ainsi que je le souligne dans un texte à paraître prochainement, la proximité s’est, avec les mesures de confinement, violemment imposée à nous. Elle, qui d’ordinaire, connote plutôt positivement parce que propice à la diffusion de l’information et des connaissances, à l’innovation, se révèle source de désagrément, en plus d’être une condition de diffusion de la pandémie. En dehors du confinement, la question de la proximité se pose aussi au travers des formes de distanciation sociale et spatiale imposées par les fameux gestes barrières. Bien que connus des épidémiologues, depuis au moins un siècle, ceux-ci n’en restent pas moins difficiles à mettre en place, ainsi qu’on peut le constater. C’est qu’ils heurtent les modes de distanciation sociale et spatiale, qui régissent d’ordinaire nos relations interpersonnelles et interactions sociales, ainsi que l’a bien montré la proxémie développée par l’anthropologue culturel Edward Hall, dans les années 60, ou les géographes Moles et Rhomer, à la fin des années 70. Si changement notable il y a, il réside dans l’apport supposé d’applications numériques, dites de proximity testing, censées permettre d’identifier via son smartphone les personnes affectées qui se trouveraient dans son environnement immédiat. Ce qui n’est pas sans soulever de nombreuses questions d’ordre éthique et juridique.
– Voyez-vous des évolutions durables à attendre de cette période de confinement ?
Tout porte à croire que ce que nous avons été contraints de faire à distance (à travers le télétravail, la télémédecine…) et sans grande préparation, est appelé à un grand avenir. Car forts de plusieurs semaines d’expérience du confinement, il n’est pas sûr que nous puissions tous recouvrer des modes de vie antérieurs, que beaucoup ne continuent pas à surinvestir leur domicile, à échanger davantage à distance. En disant cela, je ne suis pas en train de dire que nous assisterions à moins de relations de proximité. Ainsi que je le précisais dans un précédent entretien, celle-ci recouvre au moins deux formes : d’une part, les proximités géographiques ou physiques, d’autre part, les proximités organisées, qui peuvent tout autant se dérouler à distance, le paradoxe n’étant qu’apparent : tout le monde peut faire l’expérience de se sentir proche d’une personne pourtant située loin de soi, parce qu’on se connaît, partage les mêmes connaissances, fait partie d’une même organisation. C’est dire d’ailleurs si cette proximité à distance n’est pas nouvelle.
Cependant, on peut se demander si cette longue période de confinement ne va pas inscrire durablement cette mobilité-ci dans les habitudes. Une telle perspective, si elle se confirmait, ne manquerait pas alors de soulever une autre question : comment faire encore société quand les interactions se font principalement à distance, via nos ordinateurs, nos écrans et nos réseaux sociaux ? Ne dit-on pas que l’Homme est un animal social en suggérant par là qu’il existe aussi en tant qu’il fait société avec d’autres, à travers des interactions sociales, qui supposent un minium de contacts physiques ? Il est sans doute encore trop tôt pour tirer des enseignements de notre expérience collective du confinement, mais une chose est sûre : il nous faudra rester vigilants dans le suivi de ses effets dans le temps au niveau individuel et de la société tout entière.
– A vous écouter, on entend bien plus qu’un chercheur…
Un chercheur ne saurait se limiter à faire de la recherche. C’est aussi un intellectuel qui, à ce titre, se doit, quand les circonstances l’exigent, de s’engager dans l’action. C’est le sens de la tribune que j’ai publiée sur le site de Médiapart. Naturellement, sauf à être médecin, il n’a aucune compétence pour soigner des patients. Il n’en a pas non plus pour trouver des solutions techniques, sauf à être ingénieur. En revanche, il peut et se doit de nourrir le débat public. Car la crise soulève des questions sur les causes de la pandémie, la manière de se prémunir contre les risques qu’elle fait courir, mais aussi la société dont nous voulons.
L’actualité de CORTE Covid-19 peut être suivie depuis son compte Twitter : @CORTE_Covid19
Voici maintenant l’entretien prévu initialement, lequel reste plus que jamais d’actualité : en plus de témoigner de son expérience à la tête de la MSH Paris-Saclay, qu’il a contribué à créer, il souligne l’intérêt d’une interdisciplinarité entre SHS et sciences exactes ou de l’ingénieur.
– Vous avez dirigé la MSH deux ans durant. En introduction de l’ouvrage que vous avez consacré au 5e anniversaire de cette institution, vous avez dressé un bilan complet de l’action menée par vous et vos prédécesseurs (Claude Didry et Stefano Bosi). Mais d’un point de vue plus personnel, que retiendriez-vous de cette expérience ?
J’en retiens au moins trois enseignements. Le premier, concerne la pluridisciplinarité. Je ressors de ces années, conforté dans l’idée que la confrontation avec d’autres disciplines est un exercice particulièrement fécond. A fortiori quand cette confrontation met en présence des chercheurs relevant des SHS, comme moi (je suis économiste de formation), à d’autres relevant des sciences dites dures. On gagne à s’y risquer, surtout dans un contexte comme Paris-Saclay, à vocation plutôt scientifique et technologique, car contrairement à ce qu’on a pu parfois penser, les SHS n’y sont pas aussi marginales. D’après le recensement établi par la MSH Paris-Saclay, l’écosystème compte pas moins de 1 200 chercheurs et doctorants dans ces disciplines. Un dialogue sérieux peut ainsi s’établir avec les autres sciences et produire des résultats précieux. Les SHS peuvent même avoir un rôle moteur dans la conduite d’un projet de recherche et non venir en simple appoint. C’est en tout cas ce à quoi nous nous sommes employés de convaincre, en incitant des chercheurs des SHS à prendre l’initiative de projets interdisciplinaires, avec des « scientifiques ». Emblématiques à cet égard ont été les appels à projets « Excellence ». Le premier projet retenu, lancé dans le domaine de l’environnement a permis d’impliquer fortement des sciences dures aux côtés de SHS. Le second, lancé l’automne dernier, en partenariat avec l’Institut Dataia, et dont la sélection sera assurée par la nouvelle équipe, vise à croiser ces mêmes SHS avec les sciences du numérique.
– Pluridisciplinarité que vous ne découvriez pas pour autant : vous la pratiquiez déjà de longue date à travers les programmes de recherche que vous avez pu porter…
Effectivement. Economiste à l’Inrae et AgroParisTech, j’ai toujours travaillé avec d’autres chercheurs, dont des spécialistes du vivant ou de la terre. Cela étant dit, l’expérience de la MSH Paris-Saclay m’a permis de repousser les limites de cette pluridisciplinarité, en me confrontant davantage, comme je le disais, avec les sciences dites dures comme à d’autres disciplines. Je pense à l’exemple du design, pour lequel nous nous sommes interrogés, lorsque nous ont été soumises les premières demandes de financement de projets, si cela relevait bien de la recherche au sens académique du terme. La question a donné lieu à de forts intéressants débats, d’aucuns considérant que le design relevait davantage de la R&D. Finalement, nous avons pris la décision de soutenir des projets portés par des chercheurs designers. Tout cela pour dire que notre effort n’a pas seulement consisté à faire davantage dialoguer SHS et sciences dures, mais à questionner les frontières du monde de la recherche. Un débat qui est tout sauf clos.
Pour en rester au design, je regrette d’autant moins notre décision que j’ai pu découvrir à quel point cette discipline va bien au-delà de l’idée que je m’en faisais. C’est plus qu’un travail sur la forme des produits, mais bien une méthode à part entière, qui aide à organiser la pensée, dans une démarche d’intelligence collective.
De manière générale, et c’est le deuxième enseignement que je tire de ces années à la tête de la MSH Paris-Saclay, j’ai eu plaisir à découvrir des champs d’études que je ne connaissais pas ou si peu comme, par exemple, celle de l’histoire des Amériques et des relations trans-atlantiques, objet de plusieurs propositions lauréates des appels à projets que nous avons lancés.
– Un mot sur l’équipe de la MSH Paris-Saclay avec laquelle vous avez été amené à travailler ?
J’allais y venir, car c’est un autre motif de satisfaction : avec Eric Valdenaire (chargé de communication), Anne-Sophie Décriaud (en charge de l’édition), Géraldine Thouvay (gestionnaire) et Laurent Baratin (coordination scientifique), nous avons travaillé dans un réel esprit d’équipe, au point que les relations professionnelles ont parfois pu virer aux relations d’amitié. Et de l’esprit d’équipe, dieu sait s’il en a fallu pour poursuivre la dynamique impulsée par mes prédécesseurs et installer durablement la MSH dans le paysage de Paris-Saclay et des MSH en général. Heureusement, le travail paie toujours et c’est le 3e enseignement que je retiens de mon expérience à sa tête.
Personnellement, j’aime quand un plan se déroule sans accrocs, à la manière de l’ « Agence tous risques », pour reprendre la référence que je plaisais à citer à mon équipe. Ce qui suppose beaucoup de travail en amont, de prendre le temps de tout vérifier et revérifier, de bien préparer jusqu’au moindre détail (y compris les powerpoints des intervenants à nos séminaires et workshops). A défaut de pouvoir me rendre plus de deux jours par semaine dans les bureaux de la MSH (hébergés par l’ENS Paris-Saclay, à Cachan), j’ai passé beaucoup de temps à communiquer avec l’équipe et Eric tout particulièrement, par email, sms, ou téléphone, au moins une quinzaine de fois par jour. Ainsi, nous avons pu être aussi réactifs que possible, toujours dans ce souci de simplifier la vie des chercheurs dans la conduite des projets dont ils étaient lauréats.
C’est en procédant ainsi, dans cette culture du travail bien fait, que nous sommes arrivés jusqu’à la 5e année et permis à la nouvelle direction, assurée collégialement par Maryse Bresson et Pierre Guilbentif, de poursuivre l’aventure dans les meilleures conditions, en leur transmettant le témoin.
– A vous entendre, la direction de la MSH a été aussi affaire de management…
Management, c’est bien le mot, en tout cas je l’assume. Je considère qu’il s’applique aussi quand il s’agit d’animer des équipes de recherche. Mais c’est un management conçu dans l’intérêt des chercheurs, en créant les conditions pour qu’ils puissent mener à bien leurs projets.
– Venons-en au concept de « proximité » sur lequel vous travaillez depuis des années – pour mémoire vous avez contribué à constituer une « Ecole de la proximité » (école au sens de courant de recherche), dont un livre fêtait récemment les vingt-cinq ans d’existence*. Dans quelle mesure votre expérience à la tête de la MSH Paris-Saclay vous a-t-elle permis d’en vérifier les différentes dimensions ?
J’ai pu effectivement vérifier la pertinence des deux grandes catégories de proximité que je propose de distinguer : d’une part la proximité géographique, fondée sur la co-présence, d’autre part, la proximité qu’on peut qualifier d’organisée, au sens où elle repose sur l’appartenance à une même organisation, car on peut éprouver un sentiment de proximité, quand bien même on n’est pas en coprésence.
Les appels à projets mis en place à l’initiative de Stefano Bosi, le précédent directeur, et que nous avons renforcés, se sont révélés efficaces pour favoriser ces deux formes de proximité en ce sens qu’ils rapprochaient des chercheurs non seulement de disciplines différentes, en sciences dures et en SHS, mais encore d’établissements différents, sans être rattachés à un lieu fixe.
Au début, forcément, des chercheurs ont pu se montrer un peu récalcitrants [sourire]. Ils candidataient, mais avec des projets conçus dans une perspective mono-disciplinaire, sinon avec des chercheurs d’un même laboratoire, certains faisant valoir que, dans leur discipline, la pluridisciplinarité n’allait pas de soi (un argument entendu dans la bouche d’économistes aussi bien que de sociologues ou d’historiens !). Nous avons donc dû faire œuvre de pédagogie, en les incitant à essayer encore, tandis que nous nous engagions à les aider (en les mettant en contact avec tel ou tel chercheur, tel ou tel laboratoire). Nous avons été aidés en cela par l’annuaire des chercheurs en SHS de Paris-Saclay, que nous avons créé et mis à leur disposition. D’eux-mêmes, des chercheurs ont pris l’initiative de se contacter. Il y eut ainsi des « mariages » que nous n’avons pas eu besoin de forcer, et d’autres que nous avons suggérés et qui se sont révélés de vrais succès !
Depuis, les chercheurs se sont pris au jeu des appels à projets, plusieurs ayant même re-candidaté avec des propositions plus ambitieuses (ce que l’appel à projets Excellence avait l’ambition de susciter en mettant davantage de moyens à disposition). Les retours ont été d’autant plus positifs que le fait d’être lauréat d’un appel à projets de la MSH Paris-Saclay s’est révélé être un levier pour obtenir d’autres financements, par exemple pour l’ANR – la mention « MSH » est une garantie de sérieux pour des entreprises.
– Rappelons que les projets lauréats consistent aussi en des séminaires ou d’autres moments de rencontres (comme les petits déjeuners Durkheim) qui concourent à leur manière à créer de la proximité, en coprésence, cette fois…
J’allais y venir, car c’est une autre particularité de la MSH Paris Saclay, comparée à d’autres, qui prennent le parti d’héberger des équipes dans de mêmes locaux et de manière permanente. Notre option a été toute autre, non seulement parce que cela aurait supposé des moyens autrement plus substantiels, en plus de poser la question de savoir quelles équipes privilégier, étant entendu que nous n’aurions pu toutes accueillir dans nos locaux de l’ENS Paris-Saclay. Nous avons fait le choix de démultiplier les moments de rencontres en organisant des workshops et des séminaires. Dans la mesure du possible, nous avons fait en sorte qu’ils se tiennent dans nos locaux. Dans le même esprit, nous avons organisé des journées de présentation des projets lauréats, dans l’esprit de fertiliser un peu plus la recherche. A chaque fois, nous prenons tout en charge au plan de l’organisation : de la conception d’affiche au relai sur les réseaux sociaux en passant par tous les autres aspects logistiques, y compris la restauration autour d’un buffet, de façon à créer une ambiance à la fois studieuse et conviviale. Il importe que ces événements ne soient pas vécus comme une charge supplémentaire dans l’agenda des chercheurs mais comme des moments précieux, et un peu spéciaux. Je tiens d’ailleurs à rendre de nouveau hommage à l’équipe, qui n’a jamais rechigné à mettre la main à la patte pour simplifier la vie de ces derniers, en mettant un point d’honneur à créer aussi les conditions d’une bonne rencontre. Car la recherche, c’est aussi cela…
– … un savant équilibre entre les ressources du numérique et les ingrédients d’une vraie sociabilité, le tout avec un vrai sens de l’accueil…
Oui et c’est quelque chose à laquelle je suis sensible. Il faut travailler sur les deux dimensions : d’une part, la mise en contact les chercheurs, par un effort de communication et d’information sur l’actualité de la MSH, les résultats de projets lauréats, leur éventuel prolongement ; d’autre part, la coprésence, temporaire, le temps des divers RDV que j’évoquais, dans des conditions rendues propices à de vraies rencontres.
– En faisant l’hypothèse que les informations sont d’autant plus relayées sur les réseaux sociaux, qu’elles reposent sur une expérience vécue par les chercheurs…
C’est une hypothèse qu’on peut faire effectivement. J’irai plus loin en considérant que c’est ainsi que notre MSH s’est forgée une réputation en aussi peu de temps au sein du réseau des MSH et au-delà. Les chercheurs lauréats d’appels à projets s’en sont fait d’autant plus les ambassadeurs qu’ils peuvent témoigner des moyens mis à leur disposition pour mener à bien leurs projets et des liens qu’ils ont pu nouer avec d’autres chercheurs, par notre intermédiaire.
– Au terme de votre mandat de directeur de la MSH Paris-Saclay, comment envisagez-vous la suite de votre carrière ?
La suite, pour moi, c’est un retour à la recherche. Entre-temps, j’ai été professeur invité à l’Université de Quito pendant tout le mois de janvier, une opportunité que j’ai vécue comme une période de transition, en plus de me permettre de lancer des projets de recherche en Equateur.
De retour dans mon laboratoire, je renoue avec mes thématiques de recherche, et je reprends des travaux que j’avais mis en stand-by, à commencer par la finalisation d’un Handbook sur les relations de proximité à paraitre chez Edward Elgard. Je suis par ailleurs régulièrement consulté sur les questions de conflits (au titre du séminaire mensuel Conflits & Territoires, que j’ai mis en place il y a maintenant quatorze ans). A peine rentré d’Equateur, j’étais à Porto pour la conférence inaugurale du congrès des économistes portugais, pour intervenir précisément sur cette problématique des conflits. Un défi pour les économistes pour qui c’est un impensé, du moins pour les tenants de la théorie standard, qui tendent à raisonner davantage en termes de concurrence, en supposant celle-ci régulable par la loi de l’offre et de la demande…
Je constate que le fait de m’être consacré à la direction d’une institution n’a pas desservi ma notoriété auprès de mes pairs. J’en suis pratiquement à 11 000 citations de mes travaux, avec un indice H de 46 (je doute que cela parlera à tous vos lecteurs, mais sachez que c’est plutôt appréciable).
L’Inrae m’a également demandé de piloter jusqu’à la fin de l’année le programme de recherche PSDR (Pour et Sur le Développement Régional), soit plus d’une trentaine de projets de recherche-action, multidisciplinaires et partenariaux avec des acteurs territoriaux, menés dans une dizaine de régions françaises et dont j’avais eu l’occasion de vous parler dans le précédent entretien. En parallèle, je continue à assumer des responsabilités plus institutionnelles – je préside l’European Regional Science Association (ERSA) et pilote la revue d’Economie Régionale et Urbaine. Enfin, récemment, les ministères de l’Enseignement supérieur et des Affaires étrangères m’ont nommé président du Cofecub, le Comité Français d’Evaluation de la Coopération Universitaire et Scientifique avec le Brésil, toutes disciplines confondues, les sciences exactes comme les SHS. Je renoue là encore avec ce que je sais et aime faire : l’évaluation de la recherche.
– Qu’est-ce que cela vous fait-il de quitter la MSH Paris Saclay au moment où elle va intégrer les locaux du bâtiment flambant neuf de l’ENS Paris-Saclay ? En éprouvez-vous un regret ?
Oui, bien sûr ! Elle y sera à compter de début avril. Mais ce n’est pas dans ma nature de me retourner trop longtemps vers le passé. Je me réjouis avant tout à l’idée qu’une nouvelle équipe ait été mise en place. Cela atteste de la pérennité du projet. Au bout de cinq années d’existence, il était sain d’insuffler un nouveau souffle : les trois premiers directeurs, Claude Didry, Stefano Bosi et moi-même, avions participé dès le début à l’aventure, à des titres divers. Je pense que nous avons transmis un outil en bon état. A la nouvelle équipe d’écrire la suite comme elle le souhaite.
* Vingt-cinq ans de proximité, André Torre et Damien Talbot (dir.), Revue d’Economie Régionale & Urbaine / Armand Colin, 2018.
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