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Un champion olympique très… inspirant

Le 10 février 2025

Entretien avec Karim Laghouag, vice-champion olympique d’équitation par équipe 2024

On ne compte plus les conférences et autres keynotes annonçant des intervenants « inspirants »… À force, on en vient à espérer ne pas finir « aspiré » ! C’est avec cette idée en tête que nous nous sommes rendu ce 23 janvier 2025 à la Terrasse Discovery +x pour assister à sa conférence annuelle – « une soirée inspirante » annonçait-on… Et effectivement, elle le fut ! Ce soir-là, Karim Laghouag, vice-champion olympique d’équitation par équipe 2024, était invité à échanger sur le thème sport et management avec le tout aussi inspirant Thomas Houy, maître de conférences à Télécom Paris. À l’issue de quoi, nous n’avons pas résisté à l’envie de nous précipiter avec notre enregistreur pour recueillir le témoignage à chaud d’un médaillé olympique !

- Vous vous êtes prêté à l’exercice consistant à témoigner de votre expérience de sportif de haut niveau devant un parterre de managers et de chefs d’entreprise. On a pu voir que c’est effectivement intéressant, que ces derniers gagnent à s’inspirer de la manière dont un sportif « gère » son stress, se motive, prépare et vit des compétitions, seul ou par équipe, etc. Mais jusqu’où peut-on pousser ce parallèle quand ce sportif concourt avec un animal – un cheval en l’occurrence ? Est-ce que cela ne change pas la donne ?

Karim Laghouag : Évidemment, c’est différent : de prime abord, un humain et un cheval n’ont a priori rien à voir. Cependant, nous avons aussi beaucoup de points communs. Voyez sa physiologie. Elle ressemble à la nôtre en différents points : il a un corps, une tête, un cerveau – certes, développé différemment, mais un cerveau quand même, qui en fait un animal très intelligent -, il a un cœur, etc. Et puis, chaque cheval a son propre caractère, ses particularités, sa sensibilité… Tout comme nous ! Bien sûr, je me garde de faire de l’anthropomorphisme. Un cheval n’est pas un humain et vice versa. Je ne commettrai donc pas cette erreur consistant à traiter un cheval comme on le fait avec n’importe quel autre animal domestique – un chien, un chat, etc. Ce sont des animaux et il faut les considérer comme tels. On gagne cependant à essayer de se mettre à leur place. C’est ainsi qu’eux-mêmes se sentent bien en notre propre compagnie. Quitte à ce qu’on finisse par s’identifier un peu à eux. Je ne cache pas que, moi, à force de me mettre ainsi à la place de mes chevaux, je me demande parfois si je ne deviens pas à mon tour un peu cheval [sourire]. Pour autant, je ne pousserais pas trop loin l’analogie. Je crois surtout qu’en tant qu’être humains, il nous faut juste garder la part de l’enfant qui sommeille en nous. Cette part qui nous incline à apprécier la compagnie des animaux, les liens qui nous lient à eux d’une façon ou d’une autre. Et c’est heureux, car c’est aussi ces liens qui nous lient à la nature en général. Certes, nous pouvons avoir tendance à oublier ces liens, habitués que nous sommes à vivre au milieu du béton, dans des villes minérales. Mais justement, il nous faut garder à l’esprit que ce qui fait de nous un être humain, c’est aussi ce rapport à la nature, lequel passe par une proximité avec les animaux domestiques ou de compagnie – dans mon cas, des chevaux de compétition. On a beau ne pas pouvoir parler avec un cheval, on n’en communique pas moins avec eux. Il faut voir le sourire de ces enfants autistes qui font de l’équitation ! Cela a été démontré : la simple présence des animaux procure des sensations positives. Elle est importante pour le bien-être aussi bien individuel que collectif, pour la bonne marche d’une organisation. C’est dire si c’est aussi un enjeu pour les managers.

- Mais si vous avez des choses à nous apprendre en management, vous en avez aussi sur l’art de « cohabiter » avec les vivants non humains - j’entends ici cohabiter au sens où l’envisage le philosophe Baptiste Morizot. Mais peut-être vais-je un peu trop loin…

K.L.: Non, non, nous autres humains devons en effet apprendre à cohabiter avec les animaux, dans l’intérêt de notre propre équilibre – je l’ai dit -, mais aussi de celui de la nature. Il importe d’y prêter attention, tout simplement. Certes, les vies qu’on mène à cent à l’heure concourent à nous faire passer à côté. Tâchons donc de prendre du temps pour soi sans chercher à relever toujours des défis. C’est important de pouvoir se poser, car c’est aussi comme cela qu’on est plus enclin à prendre soin des autres. Pour cela, rien de tel que de se promener dans la nature, au milieu des arbres, des végétaux, des animaux ; cela a quelque chose d’apaisant. On a le sentiment de renouer avec des racines profondes. Qu’on le veuille ou non, on est lié à la nature ! J’ai pour ma part la chance de vivre à la campagne. Je rencontre des gens en quête d’un havre de paix, qui font le choix d’y vivre à leur tour pour rompre avec un rythme de vie effréné. Comme si nous avions ça dans nos gènes : ce besoin de proximité avec la nature.

- Nous réalisons l’entretien à la Terrasse Discovery +x, sur le territoire de Paris-Saclay, qui compte justement d’importantes zones naturelles, agricoles et forestières, et qui se trouve être aussi un important pôle scientifique et technologie. Ce qui m’amène à vous interroger sur vos éventuels échanges avec le monde de la recherche et de l’innovation. Travaillez-vous avec des scientifiques et des innovateurs pour améliorer vos performances, l’ergonomie de vos équipements ?

K.L.: Oui ! Curieux de nature, je m’intéresse beaucoup aux nouvelles technologies. Bien sûr, il y a à prendre et à laisser. Toutes les nouvelles technologies ne sont pas indispensables. Mais je ne ferme pas a priori la porte. Je ne demande qu’à voir, essayer, tester. Depuis quelques temps, je m’intéresse à l’apport de la data. Elle ouvre des perspectives intéressantes pour le suivi de l’état du cheval, de ses mouvements, quand il tourne à droite ou à gauche, saute sur Vertical [un obstacle dont les différents éléments se présentent dans la même vertical ] ou sur Oxer [deux obstacles droits disposés l’un derrière l’autre]. Cela permet de repérer les moments où il fait faute et ajuster l’entraînement en conséquence. Mais la data, c’est aussi des possibilités d’évaluation de son alimentation et de son environnement – la qualité de l’herbe, la composition du sol, etc. En traitant ce genre de data, des applications permettent de nous éclairer et d’enrichir ainsi notre propre perception. Donc, oui aux nouvelles technologies quand elles permettent ce genre d’avancées. Depuis une huitaine d’années, je travaille déjà avec des cardiofréquencemètres et une application pour en traiter les données. Je n’ai plus besoin de faire des piqûres au cheval, après un entraînement, pour, par exemple, relever son taux en lactates et savoir s’il a dû consentir un gros efforts ou pas. Depuis huit ans, j’utilise une application dont j’ai pu vérifier la fiabilité après l’avoir testée.

- Nous sommes encore à la période des vœux - votre intervention s’inscrivait d’ailleurs dans la soirée de ceux de la Terrasse Discovery +x. Quel est celui qu’on peut vous faire ? De participer aux prochains JO même s’ils n’auront lieu que dans quatre ans ?

K.L.: Bien sûr, il y a les prochains J.O. Mais au risque de vous surprendre, je n’en fais pas une obsession. Ma philosophie de vie est d’être heureux, là maintenant, de prendre soin des miens et des autres. Le fait de rester poli, aimable, malgré les médailles accumulées, de tendre la main y compris à des gens que je ne connais pas, cela m’a plutôt réussi : on me l’a souvent rendu au centuple. Je suis d’autant plus enclin à rester dans cet état d’esprit. Après tout, on ne fait qu’un passage sur cette terre. Autant qu’il soit le plus agréable possible pour soi et pour les autres.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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