« Elle fait pousser… des diamants. » C’est ainsi qu’Alix Gicquel, une chercheuse devenue startuppeuse nous a été présentée. Forcément, nous avons voulu en savoir plus. Ce qu’elle a accepté de bonne grâce malgré un emploi du temps bien chargé, entre le développement technologique, la quête de financement et le quotidien de tout entrepreneur innovant.
– Si vous pouviez, pour commencer, par pitcher votre start-up ?
Pour ce faire, permettez-moi de vous poser une question…
– Je vous écoute…
Avez-vous vu le film Blood Diamond [réalisé en 2006 par Edward Zwick ] ?
– Non, mais j’en ai entendu parler…
Eh, bien, l’histoire de Diam Concept part, en partie, de là, enfin presque. En dénonçant la dure réalité qui pouvait se cacher derrière le glamour associé aux pierres précieuses en général et au diamant en particulier – en l’occurrence les conditions de travail dans les mines, dont certaines recourent à l’exploitation d’enfants, sans compter les atteintes portées à l’environnement -, ce film, dans lequel Leonardo DiCaprio jouait, a eu un retentissement mondial. Lequel a été à l’origine d’une mobilisation en faveur d’une industrie diamantaire plus vertueuse et responsable, non sans interpeller le monde de la joaillerie. Pour ma part, le film m’aura confortée dans l’idée d’aller plus loin dans ma propre démarche, jusqu’alors restreinte à la recherche pour des applications de haute technologie, en créant une société à même de proposer des diamants de laboratoire, mais présentant les mêmes caractéristiques que les diamants naturels. Car la seule alternative au diamant issue de l’extraction minière, ce sont des diamants produits en laboratoire, étant entendu qu’il nous reste encore des verrous technologiques à lever pour parvenir à des diamants répondant aux besoins spécifiques de la joaillerie (des diamants suffisamment épais pour être taillés). Il nous a cependant paru pertinent de surfer sur la vague initiée par Blood Diamand, en commençant par créer une société à même de mobiliser les fonds nécessaires au développement d’un réacteur adapté.
– Mais comment procède-t-on pour produire du diamant artificiel ?
Rappelons pour commencer que le diamant n’est rien d’autre que du carbone pur, constitué selon une structure cristallographique très concentrée, qui le différencie d’une autre forme de carbone pur, le graphite. Le diamant exploité en joaillerie pousse naturellement dans le manteau terrestre, à des conditions de pression et de température (respectivement 60 000 atmosphères et entre 1 500-1 600 degrés), et dans un laps de temps suffisamment court pour qu’on puisse imaginer une production en laboratoire.
– A quand remontent les recherches dans ce domaine ?
Dès l’après Seconde Guerre mondiale, Américains et Russes s’étaient lancés dans une course pour accélérer la croissance des diamants produits en laboratoire. Les Américains y ont finalement renoncé, faute d’obtenir un rythme de croissance suffisant, tandis que les Soviétiques ont poursuivi en secret leurs efforts.
Il a fallu attendre le début des années 1980 pour assister à de nouveaux développements : en 1982, le Japon s’est lancé son tour dans la course, en explorant une solution à base de plasma, un gaz ionisé, donc. Concrètement, on condense du carbone dans un réacteur à plasma, couche par couche, atome par atome, de façon à susciter une croissance cristalline sans formation de graphite – on introduit pour cela de l’hydrogène.
– Depuis quand vous êtes-vous intéressée à ce domaine ?
Depuis 1987. Cette année-là, étant moi-même plasmicienne, je participais à un congrès sur les plasmas, qui se tenait au Japon. Y étaient présentés les premiers résultats de croissance de diamant, obtenus grâce à du plasma par une équipe japonaise. C’est à ce moment précis que j’ai décidé de consacrer mes propres travaux de recherche à la croissance de diamant en laboratoire. Par chance, j’avais déjà programmé de partir plusieurs mois aux Etats-Unis, l’année suivante, pour y poursuivre mes recherches, dans un laboratoire de Stanford. Trois sujets m’avaient été proposés dont un relatif au diamant, justement. Durant mon séjour, j’ai pu assister à toutes les conférences consacrées au sujet aux Etats-Unis. Je ne pouvais pas commencer mon nouveau programme de recherche dans de meilleures conditions. A mon retour en France, début 1989, j’ai rédigé un épais rapport, qui a manifestement eu assez d’écho pour justifier le lancement des premiers programmes de recherche sur ce thème dans notre pays. La même année, j’ai été nommée Professeure à l’Université de Villetaneuse, ce qui m’a permis de monter, avec le soutien du CNRS, la première équipe de recherche française sur la production de diamant par plasma.
Etant plasmicienne, j’avais cependant tout à découvrir des problématiques de recherche sur la croissance cristalline. J’ai été aidée en cela par un collègue professeur, Alain Vigne, et deux de mes étudiants. Avec une équipe de cinq personnes, nous avons poursuivi des travaux de recherche couvrant l’ensemble des aspects : la modélisation du plasma, la conception de réacteurs, la spectroscopie du plasma (ma spécialité), enfin, la croissance cristalline du diamant.
Dès 1993, j’ai pu participer à un projet européen porté par un spécialiste de la croissance cristalline du diamant. Ce qui m’a permis de faire, avec mon équipe, croître du diamant monocristallin. Soit le Graal pour tout chercheur dans ce domaine, car ses applications sont multiples.
– Quand avez-vous songé à franchir le pas de l’entrepreneuriat innovant ?
Très tôt, en réalité. Mais mes différents rôles de direction scientifique m’ont longtemps accaparée. Sans compter que je m’étais engagée par ailleurs à créer un Laboratoire d’Excellence (Science and Engineering for Advanced Materials – SEAM), et à m’en occuper pendant cinq ans. Ce qui a repoussé d’autant plus le projet de création de ma propre société. Celle-ci a cependant fini par voir le jour, en 2016. Je l’ai cofondée avec un associé, parti vivre depuis d’autres aventures.
Ainsi que je vous l’indiquais, la sortie du film Blood diamond a été décisive. Mais un autre changement majeur devait nous conforter, mes associés et moi, dans ce choix : c’est l’arrivée d’une nouvelle génération de consommateurs, ce qu’il est convenu d’appeler les « Milleniums », dont l’une des caractéristiques est de vouloir consommer responsable, en privilégiant l’achat de biens produits dans des conditions respectueuses des Droits de l’Homme et de l’environnement.
– Une fois votre société créée, comment vous y êtes-vous prise ?
Après l’acquisition du réacteur de grande dimension, adapté à nos besoins, il nous a fallu le valider et le caractériser. Ce à quoi nous sommes parvenus, non sans connaître des déboires ! Mais nous avons tenu bon.
Une 2e étape a débuté en juillet 2017, soit plus d’un an après la création de la société ; elle a consisté à procéder à la pousse de premières pierres, pour les besoins de la joaillerie, en partant de germes de diamant monocristallins achetés. Leur prix étant relativement prohibitifs, nous avons travaillé à l’élaboration de nos propres germes, ainsi qu’à la maîtrise de leur croissance. Ce qui nous a occupés encore une bonne partie de l’année 2018. Nous avons sorti plusieurs gammes de diamants réalisés dans notre laboratoire. Comme ceux-ci…
Elle nous présente un premier diamant puis d’autres…
Des diamants comme ceux-ci ont d’ores et déjà été commercialisés à un joaillier de la Place Vendôme, Courbet. Travaillant de surcroît avec de l’or recyclé, il était intéressé par notre offre. En voici un autre, qui n’est pas tout à fait blanc. Nous l’avons conçu quitte à aller à l’encontre de la demande – pour le gens, le diamant, ce ne peut qu’être blanc ! Pour ma part, je trouve intéressant de pouvoir explorer d’autres teintes.
Voici encore un diamant : c’est le plus gros que nous ayons produit. Il fait 2,38 carats. Au total, ce sont une quarantaine de diamants, que nous sommes parvenus à produire (sachant que notre réacteur pourrait nous permettre d’en fabriquer jusqu’à soixante voire plus).
– Vous êtes donc déjà parvenue à un stade avancé…
Oui, mais il nous faut encore gagner en taille. A la fin de l’année 2018, nous avons travaillé à améliorer la croissance des diamants et à la caractérisation des différents process de laboratoire et à leur certification.
– Où en êtes-vous actuellement en termes d’effectifs ?
Aujourd’hui, Diam Concept, c’est près d’une demi-douzaine de personnes : outre moi-même, Philippe Pradel, le directeur général, en charge du développement industriel et de la levée de fonds; deux docteurs trentenaires : Thomas, un spécialiste des plasmas, qui a fait un post-Doc sur les nano-diamants et qui collabore avec nous depuis la création de la société, et Olivier, ingénieur, qui a, lui, fait une thèse sur le graphène au CEA. En juillet 2019, nous avons recruté un technicien, Tangi, enfin le 1er janvier, nous avons recruté Carmen, spécialiste des plasmas.
– Au-delà des circonstances (la sortie de Blood Diamand et l’émergence de consommateurs plus exigeants), qu’est-ce qui vous a prédisposée à vous lancer dans l’entrepreneuriat innovant ?
En tant que chercheure, j’ai toujours été soucieuse de sortir des résultats de la recherche en laboratoire qui puissent contribuer au développement socioéconomique de notre pays – avec mon équipe, nous avons déposé plusieurs brevets. Il faut aussi reconnaître que nous y sommes encouragés, aujourd’hui plus que jamais.
J’ajouterai deux autres motivations. D’abord, je ne pouvais concevoir que la France, pays du Luxe, soit absente dans ce domaine d’innovation qu’est la production en laboratoire de diamants, d’autant que ceux-ci peuvent trouver des applications correspondant à des exigences sociétales. Ensuite, m’engager dans un projet entrepreneurial m’offrait l’opportunité de renouer avec de la recherche en laboratoire – dont m’avaient éloignée mes responsabilités de direction. Certes, il s’agit alors de R&D, mais au moins me place-t-elle en interaction avec des chercheurs et des expériences.
– Vous mettez en avant des exigences sociétales. Mais qu’en est-il du coût de production de diamants artificiels, au plan énergétique ?
D’après un audit récent, mais fondé sur des données partielles, le diamant extrait de mines représenterait 160 kg de CO2 par carat (en réalité, on se rapprocherait plutôt des 500 kg voire de la tonne). Le diamant obtenu par haute pression de température est également énergivore, mais moins que le premier. Enfin, celui obtenu en basse pression, par plasma, recourt à de l’énergie électrique. Son coût en émission de CO2 dépend alors de l’origine de celle-ci, du pays où elle est produite. Il est donc relativement faible en France compte tenu de la place du nucléaire dans son mix énergétique. Soit entre 20 et 50 kg de CO2 par carat.
– Au-delà de la joaillerie, quels sont les autres débouchés possibles de votre savoir-faire ?
Plusieurs industriels ont d’ores et déjà manifesté un intérêt, à commencer par ceux recourant à des outils de coupe de haute précision. Nous pouvons faire aussi profiter de notre savoir-faire les laboratoires de recherche qui ont des besoins en diamant, que ce soit en électronique de puissance, en magnétométrie, en information quantique – un domaine en plein essor, sur lequel nous comptons nous positionner.
Mais pour l’heure, nous concentrons nos efforts sur les besoins de la joaillerie. Les verrous technologiques sont pratiquement tous levés, mais il en reste encore assez pour nous occuper.
– Comment êtes-vous parvenue à financer votre développement ?
Avant la création de la société, j’ai bénéficié d’un financement d’Etat via le Laboratoire d’Excellence que j’ai évoqué, qui m’a permis de dessiner et de faire construire un premier réacteur. Depuis sa création, Diam Concept a totalisé de l’ordre de 2 millions d’euros de financement, au travers de Prix (nous avons été lauréats du concours I-Lab du ministère de la Recherche), d’un PIA (Paris Innovation Amorçage), de prêts d’honneur (auprès de Wilco – Scientipôle à l’époque – d’Airbus, et en 2018, du Réseau Entreprendre 93), de fonds d’investissement (des Business Angels, Luxury Tech Fund,…), sans oublier l’apport de proches sous forme de Love monney.
Manifestement, notre concept suscite un réel intérêt, chez nos partenaires, qui font plus que nous financer ou investir. Grâce à Luxury Tech Fund, par exemple, j’ai pu entrer en contact avec Banque Populaire Rives de Paris, qui devait à son tour me mettre en lien avec BPI France. Laquelle a convaincu Innov’Up de participer à un tour de table.
Aujourd’hui, nous sommes engagés dans une levée de fonds, en vue de financer l’acquisition de nouveaux réacteurs.
– L’entretien est réalisé à IncubAlliance. Comment vous y êtes-vous retrouvée ?
En 2016, je m’étais rendue à Techinnov, non pas tant pour présenter mon projet, que pour rencontrer des entrepreneurs, m’informer de ce qui était fait en faveur des porteurs de projets innovants. Bien m’en a pris. J’ai découvert toutes sortes de sociétés, plus intéressantes les unes que les autres. A quel point aussi un startupper avait l’embarras du choix en termes d’accompagnement et de financement. Je connaissais le principe de l’incubation pour avoir été incubée chez Agoranov. Mais nous arrivions au terme de la période (deux ans). IncubAlliance avait son stand. C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec Philippe Moreau. Etant à Villetaneuse, je ne me faisais pas d’illusion quant à la possibilité d’intégrer son incubateur. Il m’a fait espérer le contraire. Quelques jours plus tard, j’ai rencontré par François Many.
– Quel bilan tirez-vous à ce stade de votre incubation ?
Cette incubation, je la vis comme un apprentissage permanent. J’ai beaucoup apprécié la formation GenesisLab, particulièrement adaptée à mes besoins, moi, qui n’avais aucune expérience en création ou en gestion d’entreprise. Ce n’a pas été simple de faire tenir les « cours » dans mon agenda, mais ce fut profitable. Ensuite, j’ai apprécié le suivi mensuel, à l’occasion de points d’étape. Même si le temps n’est pas extensible, j’ai pu continuer à bénéficier des conférences Agoranov et du soutien du Réseau Entreprendre 93.
Aujourd’hui, nous sommes en phase de développement commercial. Il nous fallait donc progresser dans ce domaine. Nous sommes aidés en cela par Evan Pereira, tandis que François Many nous assiste sur la stratégie d’ensemble et que Nicolas Reynier nous accompagne pour l’identification de sources de financement. C’est encore en partie par IncubAlliance, avec Frédéric Capmas, qu’un lien avec Air Liquide a pu être établi et se concrétiser – nous sommes depuis accueillis dans son accélérateur, Accelair. Bref, j’ai le sentiment d’une mobilisation générale de toute l’équipe. Celle-ci a d’autant plus de mérite, qu’elle accompagne des dizaines d’autres projets.
– Preuve que l’innovation, c’est d’abord une histoire de relations humaines…
Ce n’est que cela !
Crédit de la photo du portrait d’Alix Gicquel : Marie-Hélène Le NY.
Journaliste
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