Entretien avec Zuzanna Stamirowska, CEO de Pathway
À l’origine de cette start-up actuellement hébergée au sein de La Fibre entrepreneur – Drahi – X Novation Center, il y a l’ambition de fournir un cadre de programmation permettant de gérer automatiquement les mises à jour de données dans les architectures de streaming. Les premiers usages sont dans le monde de la logistique où l’analytique est désormais possible en temps réel. Mais bien d’autres domaines d’application sont envisageables avec cet outil conçu pour l’ensemble des développeurs. Précisions de sa cofondatrice et CEO, Zuzanna Stamirowska, auteure d’une thèse CNRS en science de la complexité.
- Si vous deviez, pour commencer, pitcher Pathway ?
ZS : Nous avons fait le constat que le monde du Machine Learning propose des modèles prometteurs pour des données ponctuelles et statiques. Chez Pathway, nous avons entrepris de développer des modèles à même de fonctionner sur des données en constante évolution, reflétant de nouveaux événements et des mises à jour des processus, en temps réel et à la milliseconde près pour le secteur financier. Conçu pour les développeurs, notre outil s’adresse à tous les acteurs qui génèrent des données et ont besoin de les traiter en temps réel. Pathway leur permet de développer et déployer des applications liées à des données d’event stream, c’est-à-dire des flux de données d’événements, générées par différents systèmes. Concrètement, notre produit est installé dans le cloud privé du client et permet un traitement des données pour fournir une analyse en temps réel et des informations à haute valeur ajoutées grâce au Machine Learning.
- Sur quels cas d’usage avez-vous travaillé ?
ZS : Nous avons commencé par nous intéresser à la logistique. Nos partenaires industriels ont pour noms le Groupe La Poste ou DB Schenker, le 3e transitaire au monde. Pourquoi ce domaine ? Parce que, de manière générale, les chaînes d’approvisionnement nécessitent une logique complexe de traitement des données pour déterminer ce qui est « normal », « anormal » et « la nouvelle normalité ». Une réalité que le Covid-19 et d’autres événements comme le blocage du canal de Suez ont mis récemment en lumière. Mais aussi curieux que cela puisse paraître, beaucoup de mystère entoure le fonctionnement des chaînes logistiques. Il manque encore aujourd’hui une compréhension des processus réels au regard des données.
- Comment l’expliquez-vous ?
ZS : Les grands acteurs de la logistique se sont développés à partir d’acquisitions d’entités, ayant leurs propres bases de données plus ou moins interopérables. C’est un univers très chaotique, du fait de la diversité des flux de données relatives aux événements. On retrouve des événements relatifs à des activités physiques pour lesquelles on dispose de données spatio-temporelles; d’autre part, on observe des événements relatifs aux transactions commerciales. La logistique combine ainsi un double processus physique et business et, donc, des données de différentes natures, qui rendent sa compréhension d’autant plus complexe. Les volumes de données sont si massifs qu’il devient très difficile de suivre les processus au niveau global, de savoir où orienter son attention.
- Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à ce domaine ?
ZS : Je m’y suis intéressée à l’occasion de la thèse que j’ai menée au CNRS en science de la complexité. Elle portait précisément sur la prévision du commerce maritime, ce qui m’a permis de me familiariser avec le secteur dont une première caractéristique est son haut degré de concentration. Avant même la soutenance de ma thèse, j’ai pu élaborer le modèle qui sert aujourd’hui de référence pour la prévision du commerce maritime – il a été publié par l’Académie nationale des sciences américaine (PNAS).
Pour rappel, 80% du commerce international est assuré par des navires, au point de parler du commerce maritime comme du poumon de l’économie mondiale. Force est cependant de constater que la numérisation du secteur de la logistique a été ralentie par l’absence d’une infrastructure logicielle capable d’effectuer un raisonnement automatisé sur des flux de données, en temps réel. Pourtant, une meilleure compréhension des processus qui en sous-tendent le fonctionnement est critique pour identifier les points d’amélioration – avant même d’imaginer des outils d’optimisation. Le fait, par exemple, de changer des processus, de faire travailler un acteur de la chaîne autrement, d’améliorer la gestion d’actifs, permet de réduire le nombre de jours de transport, ou d’éviter l’acquisition de conteneurs supplémentaires en optimisant la flotte existante. Les problèmes rencontrés par des armateurs viennent parfois non pas d’un manque de capacité, mais d’une flotte mal gérée, avec des conteneurs sous-utilisés ou stockés quelque part sans qu’on sache où exactement !
- Au regard du rôle de la logistique dans le processus de mondialisation et de son poids économique, on imagine que d’autres start-up se sont positionnées sur ce marché de l’analyse des données en temps réel. En quoi vous différenciez-vous ? Quelle est votre valeur ajoutée ?
ZS : Notre vocation n’est pas de nous positionner sur ce seul marché de la logistique. Notre outil se veut horizontal et de nombreuses applications sont envisageables. Car d’un secteur à l’autre, la même difficulté est rencontrée : la capacité à raisonner à partir de flux d’événements et, donc, de comprendre à quoi ressemble le processus. Tout cela avant même de parler d’optimisation ou de prévision. Il s’agit de partir des processus à l’œuvre, de cas d’usage concrets pour mieux en comprendre d’abord la logique. Nos « concurrents » sont davantage des moteurs de traitement de données comme Spark ou Apache Flink. Notre ambition est de faire de notre technologie la référence en Business Intelligence pour les données en temps réel et que Pathway permette la création de Data Products innovants, bien au-delà de ce que nous avions imaginé. Nous avons ouvert pour cela notre code source à nos utilisateurs et utilisatrices, qui peuvent ainsi se concentrer sur le développement de la logique du code, sans avoir à se soucier de la façon dont les données évoluent dans le temps.
- Au final, comment envisagez-vous l’IA ? Que dites-vous à ceux qui y voit un risque de substitution aux tâches aussi bien physiques que cognitives effectués par des humains ? Jusqu’à quel point articulez-vous l’IA à de l’expertise humaine ne serait-ce que pour interpréter de manière pertinente des données massives ?
ZS : Il faut distinguer le Machine Learning en temps réel et les applications dites réactives, au sens où elles permettent des boucles de rétroaction avec leurs utilisateurs. On l’a vu avec la logistique. Ce type d’applications s’impose dans des environnements dont la complexité ne permet pas d’intégrer toutes les informations. L’IA telle que nous la concevons n’est donc pas là pour se substituer à de l’intelligence humaine, mais pour la valoriser. La vocation de Pathway est d’aider les professionnels à rester « on the top of the flow », à faire en sorte qu’ils maîtrisent le mieux une situation dans un contexte mouvant. Pour cela, Pathway n’impose aucune décision, mais permet d’informer la décision.
- De quelles expertises vous êtes-vous entourée ?
ZS : Pathway a été cofondée avec Jan Chorowski notre CTO qui est une référence dans l’IA. Il a pour particularité d’avoir aussi des compétences dans le hardware (il a fait une licence en génie électrique), et a ainsi une connaissance fine du fonctionnement des capteurs qui collectent les données ! Je l’ai rencontré alors que je terminais ma thèse ; il revenait en Europe, après avoir travaillé pour Google Brain [l’équipe de recherche d’apprentissage profond de Google]. L’opportunité d’un engagement dans un projet entrepreneurial tombait pour lui à pic.
Quant à notre chef de produit, Adrian Kosowski, je l’ai rencontré lors d’un stage que j’avais fait dans la start-up qu’il avait créée en 2004 – Spoj.com, la première plateforme pour les programmeurs compétitifs [des programmeurs qui se livrent à de la programmation compétitive pour améliorer leur performance dans l’apprentissage de la programmation informatique]. Cette expérience entrepreneuriale lui a permis de connaître les meilleurs programmeurs à travers le monde. Il est d’ailleurs reconnu comme une des personnes ayant contribué au développement de la discipline et par là même de la communauté. Ce qui a été fort utile pour le lancement de Pathway. Professeur à l’X, il coache aussi l’équipe des programmeurs compétitifs de l’école.
Enfin, ma co-fondatrice et COO, Claire Nouet, est diplômée d’HEC Paris et de Sciences Po où j’étais sa professeure il y a quelques années. Originaire du Havre, elle a acquis dès son plus jeune âge une compréhension des enjeux de la première verticale à laquelle nous nous adressons – la logistique.
- Où en est Pathway en termes de croissance. Une invite à dire un mot de votre récente levée de fonds…
ZS : Nous avons en effet procédé à une première levée de fond en pré-amorçage d’un montant de 4,5 millions de dollars. Au-delà du montant, elle témoigne de la confiance des investisseurs dans le potentiel de Pathway. Notre produit est d’ores et déjà disponible en version bêta. Depuis le mois de janvier 2023, on peut y accéder depuis notre site pathway.com et utiliser le code pour développer ses propres applications. Il nous faut désormais faire connaître plus largement ce produit auprès des développeurs, architectes de solutions et ingénieurs data ; leur permettre de tester Pathway avec l’ambition qu’ils l’intègrent dans leurs projets. Une étape que la levée de fonds va permettre de franchir.
- Qu’est-ce qui vous a motivée vous-même à franchir le pas de l’entrepreneuriat innovant ?
ZS : Je me suis soumise à des tests de personnalité, réalisés par la Banque Publique d’Investissement lors du concours I-lab, présent sur le site de La Fibre Entrepreneur. Il en est ressorti que j’étais faite pour l’entrepreneuriat innovant ! À défaut de m’être formée à cela, j’ai suivi, à l’X, des cours en théorie des jeux. Certes, l’entrepreneuriat innovant confronte à beaucoup d’incertitudes, mais pour moi, ce n’est pas un problème en soi. Je considère que c’est même une situation normale. Le chaos est plutôt fait pour me mettre à l’aise. Je ne cherche pas à le réduire, mais à le contenir. Un état d’esprit adapté aux fonctions de CEO !
- Soulignons que l’entretien est réalisé à la Fibre entrepreneur - Drahi - C Novation Center que vous avez intégrés. Dans quelle mesure vous sentez-vous redevable à l’écosystème Paris-Saclay ?
ZS : Je suis reconnaissante à l’École polytechnique et l’AX, l’association des anciens élèves et diplômés, pour leur soutien, de m’avoir permis de faire en sorte que mes travaux de recherche trouvent un prolongement utile à travers Pathway. L’AX m’a très vite mise en relation avec CMA CGM pour tester la pertinence de mes premières intuitions. Depuis, j’ai bénéficié d’un véritable coaching, quelque chose de précieux quand vous vous lancez dans l’entrepreneuriat innovant. En 2020, nous avons intégré La Fibre Entrepreneur. Nous sommes également incubés à Agoranov à Paris. Pour autant, Pathway reste une start-up de l’écosystème Paris-Saclay. J’habite d’ailleurs moi-même à une dizaine de minutes à pied de la Fibre Entrepreneur.
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