Bien que maire d’une ville située en dehors du périmètre de l’OIN, Thomas Joly, décédé le 2 juillet dernier, a été un acteur majeur de Paris-Saclay au travers d’un engagement constant en faveur de l’environnement, qui a débuté avec la construction d’une Maison des Arbres et des Oiseaux.
Qu’ajouter aux nombreux témoignages d’amitié et de reconnaissance qui ont été adressés à Thomas Joly, trop tôt disparu le 2 juillet dernier des suites d’un lymphome, à l’âge de 58 ans ? Si ce n’est l’évocation de l’entretien qu’il nous avait accordé voici plus de six ans pour Paris-Saclay Le Média [pour y accéder, cliquer ici]. Cet élu avait été une des premières personnalités à s’être prêtées au jeu des entretiens de ce dernier, au titre de président de Terre et Cité (merci à Dorian Spaak, son coordinateur général, qui avait alors décliné l’invitation considérant que c’était à son président que devait revenir cet honneur – si c’en fût un).
Un acteur de Paris-Saclay
De « Paris-Saclay », avons-nous écrit, et peut-être touchons-là au caractère le plus paradoxal de son engagement protéiforme. La ville de Verrières-le-Buisson dont il était le maire depuis 2013 (en remplacement de Bernard Mantienne, puis après son élection comme tête de liste, l’année suivante) ne faisait pas partie de l’OIN de Paris-Saclay (elle a rejoint la Communauté Paris-Saclay, mais sans s’inscrire dans le périmètre de l’écosystème en construction). Au vu de son attachement particulier à cette ville (il y vivait depuis son enfance), on aurait pu craindre qu’il ne l’érige en village gaulois contre l’ « invasion » ou ce qui pouvait être vécu comme telle, du Plateau de Saclay, par des « hordes » de chercheurs, d’étudiants,… qui, pour être civilisés, n’en incarnaient pas moins un projet susceptible de heurter les ambitions que notre élu avait pour son territoire au plan environnemental (on y reviendra).
Et pourtant, acteur de Paris-Saclay, Thomas Joly l’a été de toute évidence. Un acteur d’autant plus apprécié qu’il n’eut de cesse de démontrer sa capacité à faire du lien, à mobiliser des acteurs de différents horizons professionnels autour d’un intérêt commun (on y reviendra aussi).
Il l’aura été ne serait-ce qu’en tant que… maire de sa ville. Un périmètre n’étant pas une frontière étanche, Verrières-le-Buisson n’a cessé d’interagir avec l’écosystème de Paris-Saclay. Et pas seulement parce qu’y résident des chercheurs, des étudiants, des enseignants et entrepreneurs, qui adhèrent à ce projet, mais parce que son maire arpentait ou sillonnait le territoire ne serait-ce qu’au titre de ses autres fonctions électives (il a été conseiller général du Canton de Bièvres, de 2001 à 2015, puis, à partir de 2016, vice-président de la Communauté Paris-Saclay) ou de ses nombreux engagements associatifs.
On pense bien sûr à Terre et Cité, mais il y eut d’abord, entre 1979 et 1981, la vice-présidence des Amis de la Vallée de la Bièvre, association de protection et de défense de la vallée de la Bièvre.
Plus de dix ans d’engagement à Terre et Cité…
Président de Terre et Cité, il le devint en 2008. Sa contribution à la reconnaissance de la ZPNAF (Zone de Protection Naturelle, Agricole et Forestière), instituée par décret en 2013, fut majeure. La préservation de 2 300 (« 2 315 ha et peut-être bientôt 2 350 » comme il s’était plu à nous reprendre dans l’entretien), lui doit beaucoup. Loin de s’arrêter en si bon chemin, il sut impulser une nouvelle étape, consistant à impliquer davantage le monde de la recherche, jusqu’à faire de Paris-Saclay un Living Lab. D’une association qui a pour objectif de promouvoir et développer une agriculture de qualité sur le Plateau de Saclay, ses vallées et le patrimoine associé, il fit encore un espace d’échanges entre des acteurs du territoire (agriculteurs, élus, chercheurs, habitants…). Comme il se plaisait à le dire, « le temps où des chaises volaient par dessus les tables » était révolu. Un changement de mœurs, qui, encore une fois, doit beaucoup à sa persévérance à faire dialoguer des acteurs plus enclins à se regarder en chiens de faïence (les agriculteurs et l’aménageur, au début du projet de Paris-Saclay).
Aujourd’hui, Terre et Cité est pleinement reconnue comme un acteur majeur de l’agriculture urbaine, à l’échelle de la Région Ile-de-France, et même de l’Europe (en 2015, c’est à elle qu’a été confié la mise en œuvre d’un programme Leader, pour six ans) ou dans d’autres parties du monde (en septembre 2018, l’association était invitée par la Santa Clara Open Space Authority, une structure de l’Etat californien très impliquée dans la préservation des espaces naturels et agricoles, à témoigner de son expérience). Sans doute que l’intéressé s’étonnerait-il qu’on lui reconnaisse autant de mérites, soucieux qu’il était de reconnaître lui-même l’implication de l’équipe de permanents, coordonnée par Dorian Spaak.
Aider la biodiversité à reprendre ses droits
En 2013 (l’année où il remplace Bernard Mantienne à la fonction de maire), il est élu président du Syndicat Intercommunal d’Assainissement de la Vallée de Bièvre (SIAVB). Une structure originale, présentant une particularité unique en France : la gestion dynamique des précipitations à travers un réseau de mesures en temps réel des flux hydrauliques. Dans le sillage de son prédécesseur, Thomas Joly contribuera activement à mieux réguler l’eau de façon à éviter des inondations au territoire, comme celle qu’il connut en 1982. Il veilla à « reméandrer » les rivières (« un parcours plus sinueux de nos cours d’eau permet de gagner en capacité de stockage »), mais aussi à aider la biodiversité à reprendre ses droits. Le syndicat devait développer ainsi un savoir-faire dont Thomas Joly sut faire profiter d’autres territoires, y compris d’Asie (la région d’Angkor, au Cambodge).
Malgré un emploi du temps déjà bien rempli, Thomas Joly s’impliquait au point de répondre régulièrement présent aux repas-rencontres organisés par Terre et Cité, que ce soit à Bièvres ou à Orsay (c’est à l’occasion de l’un d’eux, consacré aux enseignements du voyage d’études en californie, que nous l’avions vu d’ailleurs la dernière fois).
Amis de la Vallée de la Bièvre, Terre et Cité, SIAVB,… Tous dans ses engagements associatifs, manifestaient, on l’aura compris, un même intérêt pour les enjeux environnementaux. Lequel fut particulièrement précoce comme l’illustre cette première réalisation concrète : la Maison des Arbres et des Oiseaux (MAO), qu’il fonde alors qu’il a à peine 16 ans, avec des amis proches, dont Jean Baptiste de Vilmorin ou encore un certain Philippe Van de Maele, l’actuel DG de l’EPA Paris-Saclay.
Un engagement protéiforme
Il n’est pas jusqu’à son activité professionnelle, qui ne fût dédiée à l’environnement – il dirigea l’Office français de la Fondation pour l’Education à l’Environnement en Europe (Of-FEEE). La mise en place de la seconde campagne du célèbre Pavillon Bleu, c’est lui, de même que l’organisation l’Année Européenne de l’Environnement présidée par Simone Veil… Autant d’engagements qui lui valurent, en 2018, d’être élevé au grade de Commandeur de l’Ordre National du Mérite.
Acteur de Paris-Saclay, Thomas Joly l’a donc bel et bien été, fût-ce avec un regard critique, non seulement dans le bon sens du terme, mais encore avec sa manière bien à lui de pointer les contradictions de ses interlocuteurs, qu’il ne désespérait pas pour autant de convaincre de transformer d’apparentes contraintes en opportunités (il invitait aussi « à faire d’un atout de ce qui pouvait sembler être une faiblesse »).
Faire travailler ensemble des points de vue contradictoire
On touche-là un autre trait commun de ses engagements, aussi déterminant que son intérêt pour l’environnement : un souci de faire travailler ensemble des hommes et des femmes, qu’ils soient partisans ou détracteurs. Thomas Joly avait des dons d’orateur qui en imposaient. Loin de chercher à illusionner, il entendait manifestement par là restaurer toute sa vertu à la parole publique de l’élu : aider à dépasser les affrontements au profit d’une démarche d’intelligence collective, faite d’un sens de l’écoute mutuelle.
Terre et Cité en fournit, on l’a vu, une première illustration. A la suite de ces prédécesseurs, il n’eut de cesse de faire dialoguer agriculteurs et aménageur, sans craindre cependant d’exprimer ses exigences en matière d’agriculture durable. Ceci acquis et reconnu, il sut élargir le dialogue aux chercheurs et leur organisme de recherche. Même état d’esprit au sein du SIAVB : lui, dont on pouvait penser que la sensibilité aux enjeux de la biodiversité l’avait rendu rétif au dialogue avec les industriels, n’hésita pas à nouer un partenariat avec un grand opérateur de l’urbain, Veolia, pour mettre en place un système permettant d’optimiser le volume des bassins par renaturation de la Bièvre.
Le temps des alliances inédites
Parmi les autres acteurs de Paris-Saclay, Jean-Guy Henckel, auquel on doit la fondation du Réseau Cocagne, considère que le temps est venu de promouvoir ce qu’il appelle des « alliances inédites », en l’occurrence entre les pouvoirs publics, le milieu associatif et les grandes entreprises. Seul moyen selon lui de permettre à des initiatives de monter en généralité et de mieux répondre ainsi aux défis de notre temps.
« Alliances inédites » : cette perspective motivait-elle Thomas Joly ? Malheureusement, nous n’avons pas eu l’occasion ou l’intelligence de saisir l’opportunité de le croiser pour lui poser la question. Tout dans son parcours indique cependant cette capacité non seulement à travailler avec des personnes d’autres horizons que le sien : les agriculteurs, les chercheurs (qu’il connaissait néanmoins par le truchement de sa femme), les entreprises, sans oublier l’EPA Paris-Saclay.
Au final, s’il est encore quelque chose qui semble caractériser fondamentalement cet homme, c’est celui d’assumer des rêves jusqu’à les réaliser sans s’arrêter en si bon chemin, une fois qu’ils sont exaucés.
Dans le texte qu’il a lu le jour des obsèques, Philippe Van de Maele, qui intervenait d’abord au titre d’une indéfectible amitié, pointa un rêve en particulier, que Thomas Joly eut alors qu’il n’était encore que collégien : celui de devenir maire, non pas pour le seul plaisir d’être maire, mais de l’être de sa ville : Verrières-le-Buisson. On imagine l’émotion qui dut l’étreindre le jour où il reçut l’écharpe tricolore, la première fois, en 2013. Lui dont les interventions assumaient la solennité de la fonction au nom de laquelle il intervenait. Loin de s’en tenir à la réalisation de son rêve d’enfant, il mit à profit ses nouvelles responsabilités pour mener à bien de nouveaux projets, dans l’intérêt de bien plus que de sa seule ville. Ce dont, à voir la foule réunie le jour de ses funérailles, le 8 juillet dernier, on était très nombreux à lui être reconnaissant. Qu’on fût de Verrières-le-Buisson, de Paris-Saclay ou d’ailleurs.
Journaliste
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