TerriBio ou comment valoriser les productions alimentaires locales.
Suite de nos échos aux cinq ans de la MSH Paris-Saclay, avec le témoigne de Romain Melot, sociologue, directeur de recherche INRA à l’UMR SAD-APT dont il co-dirige l’équipe Proximités, et qui s’est spécialisé dans l’étude de différents enjeux en lien avec les droits de propriété : l’aménagement du territoire, l’expropriation, l’environnement. En 2017, il a été lauréat d’un appel à projets Émergence avec le projet TerriBio – pour TERRItoires d’interface et BIOdiversité urbaine en Ile-de-France – centré sur l’analyse de la biodiversité urbaine comme vecteur de représentations sociales et comme objet pour l’action publique locale dans les projets d’aménagement. Plus récemment, en 2019, il a été lauréat avec Emmanuelle Baudry (UMR Écologie, Systématique et Évolution / université Paris-Sud-CNRS-AgroParisTech) du plus important appel à projet de la MSH, l’appel à projet Excellence, pour un projet qui s’inscrit dans la continuité du précédent, TerriBio Saclay.
– Un mot pour commencer sur la nature de vos travaux, au croisement de la sociologie et du droit…
Je suis en effet un sociologue du droit, au sens où je m’intéresse aux questions du foncier et des droits de propriété. Je traite de ces enjeux aussi bien sur le plan de la mise en œuvre du droit administratif (les contentieux de l’urbanisme et de l’environnement, les pratiques réglementaires en matière de planification) que sur le plan des litiges de droit privé (les contentieux du bail et de l’expropriation). En tant que chercheur à l’INRA, j’en suis venu à m’intéresser plus spécifiquement aux problématiques liées à l’usage des terres agricoles.
– Comme dans le projet TerriBio, pour lequel vous avez été lauréat de l’appel à projet Emergence. Pouvez-vous nous en rappeler la genèse et l’ambition ?
Depuis 2016, dans le cadre du programme PSDR Ile-de-France, je coordonne avec ma collègue Ségolène Darly, géographe à l’université Paris VIII, un projet intitulé « Cap-IDF ». Ce projet se propose d’étudier les différentes facettes de la production agricole – les exploitations professionnelles intervenant sur de grandes surfaces – mais aussi tout ce qui va se loger dans des interstices, entre les espaces bâtis et non bâtis, entre l’urbain et le rural – les micro exploitations des territoires périurbains, les jardins potagers de particuliers, etc. Retenu dans le cadre d’un appel à projets Emergence, TerriBio permet d’explorer plus précisément cette notion d’interstices urbains. Pour le sociologue du droit que je suis, ces espaces sont intéressants du fait même de leur ambiguïté sinon complexité, mais aussi des questions de gouvernance et de gestion juridique qu’ils soulèvent : les uns sont la propriété d’une collectivité (commune ou intercommunalité), les autres de particuliers, qui n’ont pas les mêmes motivations au regard de la préservation de l’environnement. Les uns sont régis par des règles de droit public, leur gestion s’inscrivant dans des schémas d’aménagement (de type PLU ou PLUI), les autres (jardins de particuliers, espaces verts de co-propriété…) relèvent du droit privé.
Pour y voir plus clair, nous produisons une cartographie détaillée de ces différents espaces. L’analyse de leur gouvernance et de la structuration de l’espace du territoire s’accompagne de recherches auprès des usagers du territoire, sur leur perception des aménités environnementales produites par les espaces ouverts. Des enquêtes ont porté également sur les trajectoires personnelles des utilisateurs du territoire, pour mieux cerner leurs motivations, leur rapport à la nature, ainsi que leur inscription dans les réseaux d’échange informels à l’échelle du voisinage.
– On devine l’enjeu au regard de la question de la densification de la ville…
En effet. C’est d’ailleurs pourquoi, avec ma collègue Ségolène Darly, nous travaillons étroitement avec des urbanistes et des architectes, qui ont une sensibilité aux sciences sociales. Je pense notamment à Béatrice Mariolle, qui a récemment codirigé l’ouvrage Densifier/Dédensifier, avec Jean-Michel Léger [Parenthèses, 2018]. Ouvrage auquel Ségolène et moi-même avons d’ailleurs contribué.
– A quelle suite a donné lieu ce premier projet ?
Le projet TerriBio a d’abord fait l’objet d’un séminaire organisé en juin 2018 sur le thème « Jardins cultivés et biodiversité urbaine en Ile-de-France ». Puis, en 2019, j’ai été lauréat d’un appel à projet Excellence, pour le projet TerriBio Saclay, que je porte conjointement avec Emmanuelle Baudry, professeur à l’université Paris-Sud et spécialiste d’écologie urbaine. Comme son intitulé le suggère, il s’inscrit dans le prolongement du précédent avec, cette fois, une focale sur le Plateau de Saclay, un territoire intéressant s’il en est : en plus de faire l’objet d’une importante opération d’aménagement, il compte de nombreux espaces agricoles, naturels et forestiers préservés dans le cadre de la ZPNAF, et d’importantes zones pavillonnaires, parsemées d’espaces non bâtis et, donc, cultivables.
– Comment s’est déroulé le dialogue avec cette chercheure d’un tout autre domaine disciplinaire que le vôtre ?
Il se trouve que nous connaissions déjà : nous étions responsables d’un projet PSDR (Pour et Sur le Développement Régional). Pour mémoire, ce type de projet, porté par l’INRA est décliné dans les Régions, avec le soutien de celles-ci, en vue de mobiliser des chercheurs sur des enjeux de développement territorial et avec l’ambition de déboucher sur des préconisations, des résultats utiles aux acteurs socio-économiques, les agriculteurs notamment. Emmanuelle coordonne également un projet de ce programme, intitulé « Dynamiques », sur la biodiversité dans les espaces périurbains. Elle et moi avions déjà été amenés à discuter ensemble, mais nous ne serions probablement pas allés aussi loin de notre collaboration s’il n’y avait eu la MSH de Paris-Saclay et cet appel à projet Excellence.
– Quel intérêt retenez-vous des appels à projet de la MHS comme ceux dont vous avez été lauréat ?
Leur principal intérêt est de nous inciter, nous autres chercheurs en SHS, à nous rapprocher d’autres sciences, en l’occurrence, dans le cas des projets TerriBio, des sciences de la vie, et à dialoguer ainsi avec d’autres chercheurs ayant d’autres méthodes, d’autres concepts. En plus de favoriser une interdisciplinarité forte (entre SHS et sciences de la vie ou sciences exactes) et inter-établissement (entre l’INRA AgroParisTech, le CNRS, l’université Paris-Sud et le Labex Basc), les appels à projet de la MSH ont encore ceci d’intéressant qu’ils incitent les SHS à être à l’initiative des projets et pas seulement à venir en appui de projets initiés par les autres sciences.
Un autre intérêt de ces appels à projet est leur déclinaison en fonction du degré de maturation de l’idée. Tandis que l’appel à projets Emergence permet à des collectifs de chercheurs de tester des idées, d’explorer un nouveau champ, de nouvelles thématiques, les appels à projets Maturation et Excellence font bénéficier de moyens plus importants, dès lors que les premiers résultats sont probants. Cela permet d’inscrire des travaux de recherche dans la durée, en disposant de moyens à la mesure de la montée en puissance de ces travaux. Tandis que le projet labellisé Emergence a permis d’initier des enquêtes, le second projet, labellisé Excellence, permet d’en mener à une plus grande échelle, sur le Plateau de Saclay.
– Dans quelle mesure l’inscription de la MSH Paris-Saclay dans un territoire à forte composante agricole et maraîchère constitue un plus ?
Non seulement la MSH est inscrite dans un territoire qui correspondait aux enjeux de nos deux projets, mais encore elle est attachée à ce que nous poursuivions des recherches en lien avec les acteurs de ce territoire, le Plateau de Saclay en l’occurrence. C’est ainsi que nous nous sommes rapprochés de Terre et Cité, une association qui œuvre notamment à l’animation de la ZPNAF (Zone de préservation des espaces agricoles, naturelles et forestiers). La collaboration a été d’autant plus fructueuse qu’elle a déjà une expérience dans l’implication de chercheurs dans ses propres projets. Nous l’avons impliquée dans la réalisation des enquêtes à base de questionnaires que nous souhaitions mener auprès de tous ceux qui concourent à la production alimentaire sur le Plateau de Saclay, qu’ils soient professionnels ou non professionnels – exploitants agricoles, propriétaires de micro-fermes, de jardins potagers, partagés ou autres – mais aussi des résidents du territoire, qui ne sont pas directement impliqués dans la production alimentaire, mais sont susceptibles d’avoir des choses à dire sur leur rapport avec ces espaces agricoles.
– A vous entendre, vous n’avez pas attendu la MSH pour pratiquer l’interdisciplinarité. Dans quelle mesure celle-ci vous a-t-elle néanmoins non seulement permis de l’approfondir, mais encore convaincu de son intérêt ?
Etant chercheur à l’INRA, j’ai effectivement l’habitude de travailler avec des agronomes en particulier. L’intérêt des appels à projet de la MSH est de m’avoir permis de travailler pour la première fois avec une écologue de l’urbain. Ces mêmes projets ont permis de solliciter d’autres personnes au parcours souvent atypique. Outre Emmanuelle Baudry, qui a elle-même travaillé avec des chercheurs au profil alliant plusieurs compétences, comme Anne-Caroline Prévot, une psychologue de l’environnement, je pense à Caroline Petit, une agronome et géographe, qui travaille sur les questions d’écologie territoriale et d’autonomie alimentaire locale ; ou à Pauline Frileux, de l’ENSP de Versailles, qui se définit comme « ethno-écologue » (elle est l’auteur d’un ouvrage récent sur les jardins pavillonnaires).
– Quels sont les résultats les plus significatifs produits par ces projets ?
Il est encore trop tôt pour communiquer dessus. Ce que l’on peut d’ores et déjà dire, c’est que le protocole des enquêtes directes par questionnaires que nous avons construit en commun se révèle a priori un bon support à une approche interdisciplinaire, en ce sens qu’il permet d’aborder aussi bien les pratiques que les représentations ou encore les trajectoires de vie. Autant de choses qui intéressent aussi bien les sociologues que les géographes. Les enquêtes ont aussi pour objectif de dresser un inventaire de la biodiversité présente sur le territoire, les pratiques culturales, etc. D’autres choses susceptibles d’intéresser cette fois les écologues, les agronomes et les autres spécialistes des sciences de la vie.
Je précise que notre projet permet de traiter d’un sujet d’actualité, à savoir l’entrée en vigueur, depuis le début de cette année, de la loi interdisant aux particuliers, propriétaires de jardins potagers, d’utiliser les pesticides. Or, souvent, dans les territoires périurbains, les jardiniers amateurs ont pour voisins des agriculteurs. Naturellement, les uns et les autres échangent sur l’impact de cette interdiction. Pour le sociologue que je suis, il est intéressant d’observer les conséquences que peuvent avoir ces changements contraints de pratique sur les échanges de voisinage avec les agriculteurs des environs.
Pour accéder aux autres entretiens réalisés à l’occasion des cinq ans de la MSH Paris-Saclay, cliquer ici.
Journaliste
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