Suite de nos découvertes des start-up d’IncubAlliance avec Spraed, dont l’application mobile en forme de carte de visite numérique, se propose de redonner à chacun la maîtrise de son réseau social. Témoignage de son jeune président, François Mériaux.
Rien ne remplace le contact en face à face pour faire vraiment connaissance avec autrui. Même à l’heure des Facebook et autres Twitter. Surtout, devrions-nous ajouter, à l’heure de ces réseaux sociaux qui permettent de nouer contact avec tout un chacun, sans la moindre rencontre réelle préalable, et avec le résultat que l’on sait : des réseaux qui s’étoffent en contacts, qui n’ont bien souvent d’« amis » ou de « followers » que le nom. Certes, les gens, dit-on, finissent toujours par se voir, mais une relation virtuelle n’est-elle pas d’autant plus solide, plus sûre et plus durable qu’elle a été amorcée à partir d’une rencontre avec son interlocuteur, en chair et en os ?
C’est en partant de cette hypothèse que François Mériaux et son associé, Jakob Hoydis, ont eu l’idée de développer… une application mobile. Un paradoxe, mais en apparence seulement, puisque justement, elle permet de partager les contenus qu’on aime avec les personnes qu’on rencontre « dans la vraie vie », comme à l’occasion de cet entretien que François nous a accordé dans les locaux d’IncubAlliance.
Une carte de visite « augmentée »
Pour les besoins de la démonstration, il a, prévoyant, créé un compte pour l’auteur de ces lignes sur un portable mis à disposition le temps de l’échange. En bon professionnel, il est même allé jusqu’à incruster notre photo… L’un et l’autre pouvons ainsi, pour commencer, échanger nos profils respectifs comme nous échangerions nos cartes de visites. Pour ce faire, il a suffi d’appuyer sur une touche pour scanner le code qu’il a pris soin de générer. De part et d’autre, l’échange est donc volontaire : l’un doit générer le code, l’autre doit scanner. François : « C’est désormais la rencontre en face à face qui génère la possibilité de l’échange virtuel et non l’inverse. » Et le même d’insister : « Notre application mobile ne vise pas un dialogue par écrans interposés, mais se veut être le support à une vraie rencontre. Dès lors que les personnes se sont rencontrées, elles peuvent se recommander à d’autres, plus facilement que si elles ne se connaissaient que virtuellement. »
Une carte de visite numérique avons-nous dit. Augmentée, devrait-on ajouter. Car en plus de leurs coordonnées, les interlocuteurs peuvent échanger des contenus comme, par exemple un article relayé par l’indication de son html.
Bien plus, l’application adapte le bon vieux bouche à oreille aux moyens de la communication moderne : coordonnées et contenus peuvent ensuite se répandre (spread en anglais, de là, comme on l’aura deviné, le nom de la start-up) à travers une chaîne humaine, en privilégiant le qualitatif sur le quantitatif. Car, comme le précise François, « il ne s’agit pas de constituer une chaîne infinie, mais de la restreindre à des personnes de confiance. » Rien de ce que l’on en reçoit ne l’a été sans son assentiment. Une solution au trop plein d’informations auquel on doit faire face à l’heure du numérique. « Aux Etats-Unis, rappelle François, l’utilisateur moyen des réseaux sociaux voit passer 54 000 mots par jour, soit l’équivalent d’une nouvelle littéraire. Or, une nouvelle chaque jour, de surcroît mal rédigée, c’est difficile à digérer ; trop de partage finit par tuer le partage… »
Autre avantage de l’application : elle permet de dynamiser son réseau en évaluant la qualité des contacts qui le composent. « Jusqu’à présent, des personnes nous recommandaient sans qu’on le sache. Désormais un historique des flux permet d’identifier celles nous ayant recommandé et de les en remercier le cas échéant. » Une manière astucieuse d’entretenir son réseau…
Un parti pris radical
Devant l’intérêt évident de l’application, on s’interroge cependant : d’autres n’y avaient-ils pas penser avant ? François : « Notre application est la première à prendre le parti radical de faire reposer l’échange sur une relation en face à face. » Spraed, reconnaît-il, ne s’en inscrit pas moins dans une tendance générale. « Aux Etats-Unis, un réseau social, Path en l’occurrence, limite le nombre d’amis à 150. Comme ses promoteurs, nous considérons que ce qui compte effectivement, ce sont les personnes rencontrées au cours de la vraie vie. »
Au vu du potentiel, on se risque à demander si deux personnes ayant une connaissance commune pourraient nouer contact sur cette base, en se croisant dans la rue ou dans les transports en commun (moyennant l’émission d’un signal). On songe notamment à ces applications apparues au Japon. François : « Techniquement, ce serait possible, mais philosophiquement, ce serait contraire à l’esprit de cette application qui entend redonner à utilisateur la maîtrise de ses flux d’échanges. »
Soit. Mais que faire quand votre interlocuteur ne dispose pas de l’application ? François : « Fort de mon expérience des jeux vidéos, je sais combien il est important de ne pas créer de frustration chez l’utilisateur. » Il suffira donc à ce dernier de scanner le code de son interlocuteur de façon à être redirigé vers une page Web où il pourra retrouver son profil et ses contenus.
Une application… de la théorie des jeux
Pour parvenir à concevoir une telle application, on devine que François et son comparse ont dû combiner une bonne compréhension des ressources du numérique à celle, quasi anthropologique sinon sociologique, de la communication interpersonnelle. Tant et si bien que on ne peut s’empêcher d’interroger notre startuper sur l’influence de l’ENS Cachan, dont il est issu et qui a justement pour particularité de traiter des enjeux scientifiques et techniques par le prisme des sciences sociales. Sans nier cette influence, il met davantage en avant son intérêt pour… la théorie des jeux, appliquée aux réseaux de télécommunications, sujet de sa thèse, menée de 2010 à 2013 au Laboratoire des signaux et des systèmes (L2S), une Unité Mixte de Recherche CNRS/Supélec et Paris-Sud. Cette théorie aide précisément à comprendre les logiques de coopération entre des individus aux intérêts pas forcément convergents. En l’occurrence, l’enjeu pour Spraed est d’inciter les personnes à partager, malgré la contrainte posée par la proximité physique, en instaurant des mécanismes de gratification.
A quoi il ajoute un motif plus personnel, lié à sa propre relation aux réseaux sociaux et virtuels : « Avant de passer ma thèse, j’étais un hardcore gamer, j’ai passé en cumulé une année complète de ma vie à jouer à World of Warcraft. Je suis donc bien placé pour dire que le virtuel, c’est bien, que cela permet d’apprendre beaucoup, mais que cela ne remplacera jamais les relations humaines ! Dans notre vie aussi bien personnelle que professionnelle, on a besoin de rencontrer les personnes de visu, et c’est lors de ces rencontres que des informations de qualité s’échangent. »
Pourquoi pas moi ?
De là à créer une start-up, il y a plus qu’un pas… Qu’est-ce qui l’a donc décidé à les franchir ? La réponse ne serait pas à chercher du côté d’un déterminisme familial. « Je n’ai pas de parents entrepreneurs, tout au plus un grand-père self made man. » C’est en réalité au cours de sa thèse que la vocation entrepreneuriale s’est affirmée. « Elle m’a permis de me confronter à des étudiants étrangers et de me rendre compte que l’étudiant français que j’étais n’était pas plus mauvais qu’eux ! Jusqu’alors, je pensais que les Facebook, Google et autres Twitter ne naissaient qu’aux Etats-Unis. Là où la promesse de nos entrepreneurs consiste le plus souvent à créer des emplois, les entrepreneurs américains ne s’engagent-ils pas à changer le monde, ni plus ni moins ? C’est ce que je croyais jusqu’à ce que mes échanges avec des étudiants, américains en particulier, me fassent changer d’avis. S’ils étaient capables d’innover, d’entreprendre, je ne voyais plus pourquoi je n’en serais pas moi aussi capable ! » De l’émulation à l’esprit de compétition, il n’y a qu’un pas qu’il franchit d’autant plus volontiers que le système des classes préparatoires, dit-il, le cultive.
Tout aussi décisif sera le stage effectué en Allemagne, dans un laboratoire et non des moindres puisqu’il s’agit de Bell Labs. « Il fut l’occasion de rencontrer des doctorants du monde entier dont mon futur associé, qui avait fait aussi sa thèse à Supélec. »
Et la suite, en cas… d’échec ?
Créée en octobre 2013, leur start-up compte déjà une première levée de fond à son actif. « Elle nous permet d’avoir de la visibilité jusqu’à fin 2014. » Avec franchise, il annonce cependant la couleur : « En cas d’échec de la suivante, Spraed mourra. » Le défi est de taille puisque les fondateurs de Spraed évaluent à un million d’euros leur besoin.
On ne manque donc pas de lui poser la question : comment vit-il la perspective d’un tel scénario ? « Sur un plan personnel, elle ne me fait pas peur. Lancer l’application juste après ma thèse a d’ores et déjà été une expérience enrichissante. Je l’ai de surcroît fait au bon moment : je n’occupais pas encore de poste confortable, ce qui m’aurait sans doute fait réfléchir à deux fois avant de me lancer dans l’aventure. » Même un échec ne le ferait pas renoncer à retenter sa chance dans le monde des start-up « A défaut de créer ma propre entreprise, je travaillerais pour une jeune pousse. Car, dans ce genre de structure, on peut acquérir des responsabilités très rapidement sans être soumis au poids exorbitant d’une hiérarchie. On sait instantanément ce qu’on doit faire et à quoi cela sert. C’est plus valorisant. » Il n’exclut pas pour autant d’en créer une autre, mais à condition d’avoir une idée à laquelle il croit. « Une idée non pour le simple plaisir de faire du business mais qui, fondamentalement, serait utile à la société. » Et le même d’ajouter cependant : « Maintenant, que les choses soient claires : il est hors de question d’échouer avec Spraed ! »
Les premiers tests organisés à l’occasion de soirées ou de sorties avec des amis se sont révélés concluants. « Spraed est pratique pour faire connaître ce qu’on aime, un restaurant, une exposition, un livre, etc. » Au moment de l’entretien qu’il nous accordait, François et son associé s’employaient à finaliser le développement de l’application sur Android et iPhone. Parallèlement, ils mettaient en place un site Web pour en accompagner le lancement. Lequel était prévu courant mai dans une phase de bêta-test. Aux dernières nouvelles, l’échéance a été tenue.
Le choix d’IncubAlliance
Comme nombre de start-up, Spraed a fait le choix de l’incubation. « Mon associé et moi sont à la base des scientifiques. Nous avons donc dû tout apprendre, à commencer par développer un business model. » Et puis savoir communiquer auprès d’investisseurs potentiels. « Faire une conférence devant un parterre de chercheurs, est une chose, à laquelle je suis rompu. Convaincre des investisseurs en quelques minutes, en est une autre. C’est tout l’art du pitch. » A voir comment il change de ton pour présenter son concept, on devine qu’il apprend vite !
En plus des formations d’IncubAlliance, il a intégré le Challenge + d’HEC. Deux options qu’il juge complémentaires : « Tandis qu’IncubAlliance nous dote des outils pratiques pour la gestion au quotidien, la seconde nous procure une culture entrepreneuriale, tout en nous faisant bénéficier, autant le reconnaître, de la force du réseau d’HEC ».
D’ores et déjà François songe à un développement à l’international : « Mon associé est allemand, ce qui facilite les choses. » L’application sera disponible en trois langues : en plus du français et de l’anglais, elle le sera dans la langue de Goethe. Cependant, pour l’heure, compte tenu de la taille de la société, la communication se limitera dans un premier temps à l’Hexagone. Selon les résultats de la levée de fond, Spraed communiquera au-delà.
Paris-Saclay, un écosystème favorable
Et le territoire de Paris-Saclay, en quoi a-t-il/est-il favorable ? François : « C’est un territoire que je connaissais déjà pour avoir fait ma classe prépa au lycée Blaise Pascal d’Orsay, avant d’intégrer l’ENS Cachan (en 2006), puis de faire thèse en télécommunications à Supélec – une école d’ingénieurs déjà présente sur le Plateau. Un environnement dont il garde un bon souvenir. « De par la proximité de l’Université de Paris-Sud et des grandes écoles, il est très facile d’y rencontrer des personnes portées sur les sciences et l’innovation. »
La création de sa start-up dans cet écosystème s’est imposée d’elle-même. « Les premières personnes à qui j’ai pu parler de mon projet n’étaient autres que le directeur du L2S, et le directeur de la recherche de Supélec. Ils ont su en percevoir le potentiel et me mettre en contact avec les bonnes personnes. Dès lors, l’idée de la créer ailleurs ne m’a même pas effleuré l’esprit. »
Et aujourd’hui, en quoi l’écosystème de Paris-Saclay l’incite-t-il à y rester ? « C’est un écosystème plus que favorable, d’abord par les possibilités qu’il offre au stade de la preuve du concept : les étudiants et élèves constituent un public captif. Les manifestations et conférences qui se déroulent sur le campus sont autant d’opportunités de faire connaître notre application. » Parmi les lieux de démonstration, François a déjà identifié le PROTO2004. Il y fera d’ailleurs une présentation lors du programme Making With conçu en juin dernier dans le sillage de Futur en Seine.
Un conseil : de la vigilance !
Naturellement, il encourage les jeunes à se lancer dans l’innovation entrepreneuriale, mais avec un point de vigilance. « Le climat actuel est très favorable aux start-up. Au point qu’en créer une aujourd’hui, c’est devenu tendance. Pour autant, ce n’est pas un jeu. Il faut savoir assumer des risques et accepter des rémunérations dérisoires pendant au moins un an ou deux. » Attention donc à ne pas engager ses proches. « Pour ma part, je ne suis pas encore marié, je n’ai pas d’enfants. C’était donc l’occasion où jamais. »
Au moment de nous quitter, nous esquissons un mouvement d’hésitation… On se « spraede » ? Manque de chance, notre portable ne dispose même pas de quoi scanner le code de notre interlocuteur. Mais François est quelqu’un de prévoyant : il nous tend sa carte de visite…
Post-scriptum : depuis notre entretien avec François Mériaux, la lancement de l’application a bien eu lieu et même rencontré un succès. Spraed s’est distingué dans des concours. Elle a été lauréate du prix AEF Docteurs Entrepreneurs lors des Rencontres Universités Entreprises 2014 et du prix du troisième meilleur Business Plan à l’issue de la formation Challenge + à HEC.
Journaliste
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