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Entrepreneuriat innovant

Scientipôle Capital, un fonds d’investissement au service du territoire

Le 13 avril 2016

Contribuer au développement économique de l’Ile-de-France en investissant dans des start-up franciliennes. Telle est la vocation de Scientipôle Capital, un fonds d’investissement créé en 2006 au sein du 503, le célèbre Centre entrepreneurial de l’IOGS. Sa cofondatrice et directrice générale, Nathalie Ricoeur-Nicolaï (deuxième en partant de la gauche) nous en dit plus.

– Si vous deviez « pitcher » Scientipôle Capital ?

Scientipôle Capital est né en 2006, il y a dix ans donc, à partir du constat suivant : si, à son démarrage, une start-up ne rencontrait aucune difficulté pour se financer – entre les prêts d’honneur, les subventions, les dotations de prix – en revanche, les choses se compliquaient, au moment de procéder à la commercialisation et aux premiers recrutements. A ce stade, il était encore trop tôt pour solliciter des prêts bancaires ou faire une grosse levée de fonds. Scientipôle Capital est donc né de la volonté de combler un vide en se positionnant comme un fonds d’amorçage. Nous intervenons au moment de la première commercialisation voire un peu avant comme avec Innov +, l’une des dernières start-up dans laquelle nous ayons investi, en juillet dernier. Nous intervenons après les plateformes de prêts d’honneurs ou les 3F (Family, Friends, Fool) en investissant dans le capital. A nos débuts et par la force des choses, Scientipôle Capital ne représentait encore qu’un « petit » fonds, mais il a grandi petit à petit avec l’ambition d’adopter un modèle différent de ceux des fonds d’investissement classiques. Un modèle qui soit au service du développement économique du territoire francilien. Nos premiers partenaires ont été, outre Scientipôle Initiative, la Caisse d’Epargne Ile-de France et la Région Ile-de-France. Nous avons été depuis rejoints par des structures ayant des préoccupations d’intérêt général ou ayant un intérêt direct au développement local ou au soutien à l’innovation : CDC Entreprises (BPI France), Alizé Innovation, Revital’Emploi, le Crédit Agricole d’Île-de-France, La Banque Populaire Val de France, la Banque Populaire Rives de Paris et Malakoff Médéric.

– Où en est-on aujourd’hui, en France, du financement au stade de l’amorçage ?

La situation s’est améliorée. D’autres acteurs sont apparus sur ce créneau : les Business Angels, le crowdfunding… Nous n’en conservons pas moins une spécificité qui tient au fait que nous sommes, de par la composition de notre capital, un acteur institutionnel.

– Vous considérez-vous en concurrence avec ces nouveaux venus, Business Angels et crowdfunding ?

Non. Nous ne sommes pas encore assez nombreux sur ce créneau pour les considérer comme des concurrents. Au contraire, nous les voyons comme des partenaires potentiels. Déjà, nous co-investissons avec les principaux réseaux de Business Angels, dans plusieurs start-up. Nous avons aussi songé à le faire avec une plateforme de crowfunding. Nous co-investissons également avec d’autres fonds d’investissement. En bref, tous les cas de figures sont possibles : investir seul (c’est ce que nous avons fait dans le cas d’Innov + ou de Numscale, par exemple) ou en co-investissement, une ou plusieurs fois, y compris avec des fonds d’investissement classiques (CEA Investissement, par exemple pour Kronosafe et Pegastech). Il nous est même arrivé d’être sollicités au titre de fonds de proximité. Notre structure est suffisamment souple pour envisager tous les scénarios. Nous avons opté d’ailleurs pour une structure juridique particulière – la Société de capital-risque – qui nous permet de fonctionner comme une entreprise, avec toute la réactivité que cela suppose. C’est une autre différence avec les autres fonds, qui, eux, dépendent d’une société de gestion ou ont des contraintes fiscales. Tant que nous restons dans notre objet social, nous gardons toute latitude dans les modalités de nos investissements.

– Quel est l’ordre de grandeur de vos investissements ?

Nos investissements oscillent entre 150 000 euros et 300 000 euros au premier tour. Comme n’importe quel autre fonds d’investissement, Scientipôle Capital accompagne ensuite les startuppers, pour les aider à se structurer, mais en se donnant le temps et sans exigences trop fortes en termes de retour sur investissement. C’est une autre de nos spécificités. Ce à quoi nous sommes attentifs, c’est que la start-up ait un réel projet de croissance et contribue au développement économique du territoire. Pour autant, Scientipôle Capital n’a pas vocation à rester dans le capital. Passé un certain stade de développement, nous cédons nos parts, ne serait-ce que pour pouvoir investir dans d’autres start-up.

– Quels sont aujourd’hui vos liens avec Scientipôle initiative ?

Nous nous sommes naturellement émancipés. Tandis que d’autres structures nous apportaient des projets d’investissement, Scientipôle Initiative orientait ses lauréats vers un nombre grandissant d’investisseurs. Chacune des structures mène désormais sa propre vie. En décembre 2015 Scientipôle Initiative a fait le choix de quitter le 503 (pour se rapprocher du WAI BNP Massy-Saclay).

– Dix ans après, quel est le bilan de Scientipôle Capital ?

Concernant, pour commencer, le nombre de start-up accompagnées, j’aurais aimé vous en annoncer 30, un chiffre rond, mais pour l’heure nous en sommes à 29. Parmi nos réussites : Léosphère, le leader mondial dans le domaine du Lidar (observation atmosphérique) ; Dotemu (retro gaming) ; Buzzaka (agence interactive) ; Eos Innovation (robotique) ; Plug’n surf (box mobile) ou encore Krono-Safe (OS temps réel), actuellement en plein développement.
Précisons que, sur ce total, nous avons cédé nos parts dans 5 start-up et que 6 autres ont disparu. Ce qui fait un ratio plus qu’honorable quand on sait le moment critique que constitue l’amorçage d’une start-up.
Au plan méthodologique, nous avons apporté la démonstration de l’intérêt de notre modèle aux côtés des fonds d’investissement classiques et de son utilité au développement du territoire.

– Comment se fait la sélection des dossiers ?

Les entrepreneurs que nous retenons nous ont été a priori recommandés par un partenaire : le représentant d’un incubateur ou d’une pépinière, un Business Angel (une autre illustration, au passage, du fait que nous sommes bien en recherche de complémentarité avec ce type d’investisseur), etc. Ce qui constitue un avantage non négligeable. Dès la première rencontre, le porteur de projet sait ce qu’il peut attendre de nous, tandis que nous avons déjà une idée précise de son potentiel.
Le premier entretien peut durer d’une à deux heures. Suite à quoi nous faisons savoir aussi vite que possible – en moins d’une semaine – si nous voulons aller plus loin ou pas, de façon à ne pas faire perdre de temps à notre interlocuteur. Dans cette dernière éventualité, nous prenons la peine de l’orienter vers des financeurs plus adaptés, toujours dans ce souci d’agir en faveur du développement économique du territoire.
En cas d’intérêt, s’en suit une période d’instruction avec le concours d’experts, susceptibles de nous conseiller sur la technologie. Nous nous enquérons du travail déjà fait par des organismes intervenus en amont : incubateur, plateforme de prêts d’honneur,… Parallèlement, nous nous assurons que la technologie réponde à un vrai besoin. Non pas en refaisant une étude de marché, mais, et c’est une autre de nos particularités, en contactant des clients potentiels, y compris des prospects déjà identifiés par le porteur de projet.
Les start-up qui ont a priori notre préférence sont celles qui ont déjà mis au point un prototype ou un pilote avec une entreprise pour tester leur technologie. Au moins, cela atteste d’un certain pragmatisme, d’une aptitude à traiter avec un client en prenant en considération ses besoins. De nombreux porteurs de projet sont convaincus d’avoir mis au point le bon produit, sans même l’avoir testé.

– Une fois que vous avez investi, combien de temps accompagnez-vous la start-up ?

C’est variable. Comme je l’ai indiqué, nous procédons à des cessions de parts et ce, quelques années seulement après avoir investi. Mais nous ne nous interdisons pas de rester bien plus longtemps. Parmi nos 29 start-up, il y en a une que nous suivons depuis une dizaine d’années ! Nous avons estimé que cela valait la peine de l’accompagner dans la durée. C’est un autre avantage de notre structure, comparé aux fonds traditionnels qui sont enclins à attendre un retour rapide sur investissement. Il est vrai aussi, et c’est à mon sens leur limite, qu’ils ont des contraintes légales liées à la durée de leur période d’investissement.
En outre, nous consacrons beaucoup plus de temps à accompagner nos start-up. Nos comités stratégiques se réunissent tous les trois mois. Mais nous les voyons autant que nécessaire. Au début, les échanges sont formels, puis très vite, nos startuppers comprennent qu’ils peuvent nous solliciter à tout moment. Certains, et c’est naturel, ont traversé des moments difficiles. Nous les avons donc rencontrés chaque semaine. A l’inverse, d’autres ont déjà pris leur envol. Nous ne les voyons plus qu’une fois par trimestre.

– Combien êtes-vous pour assurer ce suivi ?

En dehors des experts que j’évoquais, nous sommes quatre permanents : Frédéric Zampatti, qui nous a rejoints récemment pour assurer la direction d’investissement. Il a dix ans d’expérience dans le financement, l’accompagnement (au sein du Genopole) et la gestion d’entreprises innovantes. Pour avoir déjà travaillé avec lui – nous avions été ensemble au comité stratégique de deux investissements – nous avions pu apprécier sa bonne compréhension de l’entrepreneuriat innovant, ce que nous considérions préférable à un profil strictement financier.
Une autre personne, Florence Cadereau est en charge du back office. La 4e n’est autre que Jean-Pierre Humbert, cofondateur et président de Scientipôle Capital, qui a fait sa carrière chez Hewlett-Packard France, où il est entré comme ingénieur pour finir comme DRH après avoir été responsable commercial. Il a aussi l’expérience du management (il a fondé Agilent Technologies France) et de l’accompagnement de dirigeants de PME. C’est dire si ses conseils sont avisés. Ils sont d’ailleurs appréciés de nos startuppers.

– Et vous-même, comment vous êtes-vous retrouvée au sein de Scientipôle Capital ?

A priori rien ne me prédestinait à accompagner des start-up. J’ai fait une thèse en économie, en l’occurrence sur le change du rouble (sous la direction de Marie Lavigne et de Jean-Charles Asselain). Suite à quoi, j’ai intégré la Caisse des Dépôts comme économiste puis comme directrice-adjointe de la recherche de CDC IXIS où j’ai développé, à partir de 1995, le risque-pays et la recherche sur les marchés émergents, pour les besoins des différents métiers de la banque. J’ai eu grand plaisir à construire une belle équipe et échanger avec celles des marchés, des financements structurés ou des projets d’infrastructures. Cependant, il avait beau y avoir 130 pays à couvrir, est venu le moment où j’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour de la question. J’ai donc demandé une mise à disposition. C’est ainsi que j’ai rejoint Scientipôle Initiative, dès 2003, l’année suivant sa création. En 2005, j’ai définitivement quitté la Caisse des Dépôts. L’année suivante, je participais à la création de Scientipôle Capital.

– Votre expérience professionnelle vous incline-t-elle à inciter les start-up à se projeter à l’international ?

Oui, bien sûr. C’est même un de nos critères de sélection. On peut avoir de bonnes raisons de commencer par la France, mais c’est important de se projeter dès que possible à l’international.

– Aviez-vous déjà des attaches avec le territoire de Paris-Saclay avant de créer Scientipôle Capital ?

Oui, mais indirectement, par le truchement de mon mari, qui est polytechnicien. J’ai également transformé une maison sur le plateau de Saclay pour accueillir des chercheurs étrangers, en mettant à profit un diplôme parallèle d’architecte d’intérieur…

– ???

– Oui, je conviens que c’est inattendu, mais mes premières expériences professionnelles ont éveillé en moi le goût du développement. C’est dire, d’ailleurs, si mon activité actuelle au sein de Scientipôle Capital me comble : il n’y est question que de création et d’innovation.

– Au point de vous avoir donné envie de créer une start-up, à votre tour ?

Scientipôle Capital est en quelque sorte une startup ! Mais le langage de la finance ne suffit pas. Créer une start-up, ce n’est pas simple. Pour qu’elle réussisse, il faut une somme de conditions, de heureux hasards, de compétences (technologiques, commerciales) à réunir… Je conçois que les startuppers puissent, dans ces conditions, ne pas être toujours faciles à vivre ! Leur entreprise est encore fragile quand il leur faut débuter la commercialisation de leur technologie, ils n’ont pas de fonds propres… Ceux qui réussissent le font parfois en partant de rien.
Je tiens à préciser que ce n’est pas le fait d’être une femme qui me dissuaderait à me lancer dans la création d’une start-up. Au contraire, puisque – c’est le constat que j’ai pu faire – les femmes, qui se lancent, réussissent plus souvent que les hommes. Pourquoi ? Je l’ignore. Peut-être sont-elles plus pragmatiques. Malheureusement, elles sont moins nombreuses à sauter le pas de la création d’entreprise.

– Quel territoire couvrez-vous aujourd’hui ?

Scientipôle Capital se projette toujours à l’échelle de la Région Ile-de-France (un de nos actionnaires), mais, de fait, avec une focale sur l’écosystème de Paris-Saclay où nous sommes d’ailleurs implantés. Nos locaux se trouvent dans le 503, un lieu emblématique s’il en est.

– Pourquoi avez-vous fait le choix d’y rester ?

Tout simplement parce que c’est un lieu formidable ! Y cohabitent des entrepreneurs, aux différents stades du développement entrepreneurial : des étudiants de la Filière Innovation-Entrepreneurs (FIE), qui ne sont qu’au début de l’aventure, des startuppers déjà bien avancés dans leur projet, des entreprises innovantes ayant déjà plusieurs années d’existence. A quoi s’ajoutent diverses structures d’accompagnement ou de financement : Nova Green, INNOECO,… Bref, un concentré de l’écosystème de Paris-Saclay.
Et puis, le 503 est, avec son charme suranné et son vieux cadran solaire, un bâtiment que j’apprécie beaucoup. Avec mes collègues, il n’y a pas eu de débat quand s’est posée la question de savoir s’il fallait y rester ou pas. S’il donne l’impression d’être resté dans son jus, il a été progressivement rénové, assez en tout cas pour y accueillir dignement nos interlocuteurs. En janvier dernier, nous avons pu organiser un bel événement, dans l’amphithéâtre du 503 puis dans une des salles réaménagées du rez-de-chaussée.

– Sauf que c’est un lieu peu accessible…

Le fait est. Nous sommes d’ailleurs contraints de nous déplacer principalement en voiture. Certes, un bus passe à proximité, mais pas à des fréquences suffisantes. J’imagine combien c’est peu commode pour de jeunes étudiants et salariés d’entreprises.

– Comment, a contrario, expliquez-vous que ces jeunes entrepreneurs soient aussi nombreux à rester au 503 ?

Tout simplement par le fait que c’est un lieu très agréable à vivre : on y croise toutes sortes de gens, dans les couloirs, à la cafét’. Les entrepreneurs disposent de vrais espaces professionnels pour accueillir leurs interlocuteurs. Certes, il n’y a pas tout l’arsenal de services d’une pépinière ou d’un incubateur, mais, ici, règne un vrai esprit d’entraide. C’est une autre caractéristique du lieu, dont nous bénéficions nous-mêmes. Un jour que nous étions privés de connectique, nous avons pu utiliser le wifi d’une start-up. Autant de choses qui font oublier les éventuels inconvénients.

– Etre ici, au milieu d’entrepreneurs, n’est-ce pas d’ailleurs une autre des spécificités de Scientipôle Capital ?

Je ne sais si c’est encore une autre de nos spécificités. En tout cas, nous avons été parmi les premiers à nous implanter au plus près des porteurs de projet, même si nous investissons au-delà du 503. Nous en mesurons tout l’avantage.

– Au fait, avez-vous un lien de parenté avec Paul Ricoeur ?

Oui, c’était mon grand-père ! En l’évoquant, on ne quitte pas Paris-Saclay et ses problématiques. Le mois dernier, une conférence a traité de son éthique au regard de l’Usine du futur, un sujet d’actualité s’il en est.

En illustration de cet article : l’équipe de Scientipôle Capital (de gauche à droite : Florence Cadereau, Jean-Pierre Humbert, Nathalie Ricoeur-Nicolaï et Frédéric Zampatti) ; en Une grand format : le Win Cube de Léosphère.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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