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Enseignement & Recherche

Retour sur un dialogue design & science autour d’IA & Création.

Le 27 mai 2019

Le 21 mars 2019, le Design Spot accueillait son premier dialogue Design & Science (avec la designer Constance Guisset et le mathématicien Marc Schoenauer). En voici un premier écho à travers les impressions que son directeur, Vincent Créance, a bien voulu nous livrer à chaud, non sans dire aussi quelques mots de la cérémonie de clôture du Prix Design & Science, organisée la semaine précédente.

– Quelles sont vos impressions à l’issue de ce premier dialogue Design & Science ?

En écoutant Constance et Marc échanger comme ils le faisaient (avec la complicité d’Olivier Hirt, co-responsable de la recherche à l’ENSCI – Les Ateliers, qui intervenait au titre de modérateur), je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que nous aurions tout aussi bien pu diffuser leur conversation – car c’est bien sur ce mode-là qu’ils échangeaient – en direct sur France Culture ! Je n’osais espérer autant d’interactions entre eux, qui ne se connaissaient pas avant de venir ici. Qu’ils soient remerciés de s’être autant prêtés au jeu.

– De fait, il s’est passé quelque chose de différent par rapport à ces tables rondes où se succèdent des « discours » ou « exposés », mais sans réelles interactions entre les intervenants…

Initialement, notre intention était pourtant bien de faire une table ronde ! Mais très vite, nous nous sommes dit que ce n’était pas forcément le bon format : les intervenants y sont souvent en représentation ; dans l’obligation de dire quelque chose de plus intelligent ou différent que ceux qui les ont précédés, mais sans chercher à interagir et quitte à digresser par rapport à la question à débattre ! Il m’a alors semblé que le fait de mettre les intervenants en situation de dialogue et, donc, de se limiter à deux personnes, permettait, en plus d’échanges plus naturels, de les inciter à cheminer ensemble dans une réflexion plutôt qu’à exposer un propos déjà construit, qu’ils pourraient tout aussi bien tenir ailleurs. Et j’ai l’impression que c’est bien à un cheminement à deux voix auquel nous avons assisté.

– Comment ont-ils réagi à l’idée de dialoguer sans avoir eu l’occasion d’échanger avant, de surcroît en évoluant l’un et l’autre dans des domaines très différents ?

C’’est l’autre chose à laquelle nous étions attachés : faire dialoguer deux personnes d’horizons professionnels et disciplinaires très différents. Bien qu’ils se rencontraient pour la première fois, Constance et Marc avaient manifestement plaisir à échanger, de façon spontanée. Nous leur avions d’ailleurs bien précisé qu’ils n’y avaient rien à préparer, ni exposé ni powerpoint. Nous leur avons juste indiqué le sujet général sur lequel ils étaient invités à échanger – IA & Création, donc – et quelques autres thèmes sous-jacents qu’ils pourraient aborder.

– Quelles idées-forces retenez-vous de ce dialogue sur ce le thème IA & Creation ?

Ce que j’en retiens d’abord, c’est la désacralisation de l’IA à laquelle s’est livrée en préambule Marc – un spécialiste s’il en est de ce domaine. Désacralisation que j’ai trouvée salutaire. Ensuite, j’ai été très intéressé par cette question de la temporalité abordée par Constance, une question critique dans le processus créatif. De fait, et faut-il le rappeler, le processus créatif s’inscrit dans le temps et ce, dans tous les sens du terme : le temps de la maturation bien sûr, mais aussi « l’air du temps » ou le temps d’une époque, qui fait évoluer ce processus créatif sous l’effet des nouveaux besoins et aspirations des gens, mais aussi sous l’effet de l’arrivée de nouvelles techniques. Tant et si bien que le processus créatif est en mutation permanente. On peut donc en conclure que l’une des difficultés majeures que l’IA rencontrera probablement dans son ambition de proposer des tâches non plus seulement automatisées mais créatives, est précisément, au-delà du caractère très intuitif et émotionnel du processus créatif, cette mutation permanente de l’environnement dans lequel il se déploie. Pour le dire autrement, la machine aura beau réussir un jour à créer quelque chose de nouveau à notre service, des femmes et des hommes créatifs seront déjà passés à autre chose ! Bref, il se pourrait que l’IA ne soit condamnée à toujours courir après nous ! Ce qui n’est pas forcément une mauvaise nouvelle.

– Néanmoins, cette IA peut être aussi utile au processus de création. En tout cas, il me semble que c’est un autre enseignement qu’on peut tirer du dialogue entre Constance et Marc….

Effectivement, et c’est quelque chose qui m’avait échappé jusqu’alors. Le dialogue entre Marc et Constance a révélé une possible hiérarchisation créative entre une IA pourvue de capacités productives d’assez bon niveau, à même de répondre un jour économiquement à des besoins créatifs courants ou simples, et une création « haut de gamme », humaine, qui continuerait à faire appel à des ressorts émotionnels et intuitifs, lesquels, loin d’être condamnés à disparaître, seraient au contraire revalorisés. Ce ne serait pas le moindre paradoxe de l’IA : loin de remettre en cause ou remplacer les industries créatives, elle pourrait contribuer à leur donner une seconde jeunesse.

– Profitons de cet entretien pour recueillir votre premières impressions sur la première édition du prix Design & Science organisée par The Design Spot, le 14 mars dernier [au Palais de la découverte]…

De l’avis général, nous avons eu à faire un très bon millésime, probablement le meilleur, depuis que le prix Design & Science a été créé. Ce n’est pas moi qui le dit, mais les membres du jury – auquel je participais – et qui ont eu de grandes difficultés à départager les lauréats des trois prix qui étaient à décerner : le prix Design & Science de l’Université Paris-Saclay; le prix spécial de la Région Ile-de-France, enfin, le prix spécial Laval Virtual. Même si les trois distinctions pouvaient aller à une seule et même équipe, il s’est trouvé qu’au moins trois sur les neuf incarnaient l’esprit d’un prix en particulier. Il s’agit donc des équipes de Prisme (prix Design & Science Université Paris-Saclay)*, de La Butinerie (Prix Spécial Ile-de-France) et de Eye Care (Prix Spécial Laval Virtual)**.

– Que retenez-vous d’autre de cette édition ?

Le bonheur à voir travailler ensemble des élèves ingénieurs et des élèves en design, la manière dont les a priori des uns à l’égard des autres tombent peu à peu, l’enrichissement mutuel qui finit par s’opérer. Le prix Design & Science n’a pas d’autre objectif que celui-là : faire en sorte que des jeunes formés à des approches et des méthodes de travail différentes réunissent malgré tout à travailler ensemble autour d’un même projet pour parvenir à quelque chose qu’aucun d’entre eux n’aurait pu imaginer seul. Et, une fois encore, cet objectif a été atteint, à en juger par la qualité des propositions. Certes, cela ne se fait pas sans difficultés. Il faut que les élèves apprennent à se connaître. Autant le dire, les premières étapes de recherche sont parfois douloureuses ! Mais, à la fin, c’est toujours le même petit miracle qui se produit, avec de vraies équipes ayant réussi à hybrider les talents et compétences des uns et des autres.

– Il est vrai que vous donnez le temps à la rencontre de se faire : les équipes sont réunies durant plusieurs mois…

En effet, les équipes disposent de cinq mois pour concevoir leur projet, ce qui leur laisse le temps de dépasser les éventuels antagonismes, d’apprendre à travailler en mode collaboratif. Précisons encore qu’elles se réunissent à intervalle régulier en étant encadrées par une équipe composée d’enseignants des écoles d’ingénieurs et de design partenaires, qui contribuent grandement à rendre ces rencontres si productives.

A lire aussi les entretiens avec :

– * Philomène Desjonquères (ENSTA ParisTech), Annouk Voisin et Amine Alaoui (de Strate. Ecole de design), les lauréats du prix Design & Science, qui ont conçu « Prisme », une application qui permet de rendre le lecteur plus actif dans sa lecture de la presse (pour y accéder cliquer ici) ;

– ** Jean Vassoyan (Télécom ParisTech), Louis Billotte (Strate. Ecole de design) et Philippe Martin (ENSTA ParisTech), les lauréats du prix Laval Virtual, qui ont conçu Eye Care, une application permettant de valoriser toutes les informations fournies par nos rétines sur notre état de santé (cliquer ici) ;

Christian David Rodriguez, élève-ingénieur de Télécom ParisTech, qui, avec son équipe, a mis au point « Serge », une application destinée à aider les citadins à mieux vivre la richesse de leur ville, en mettant mieux à profit l’offre multimodale (cliquer ici) ;

Sarah Fdili Alaoui, enseignante-chercheure au Laboratoire de Recherche Informatique (LRI)-Université Paris-Sud, qui assistait à ce premier dialogue Design & Science du Design Spot (cliquer ici) ;

A lire aussi l’entretien que Vincent Créance nous avait accordé en amont de la cérémonie de clôture du prix Design & Science (cliquer ici).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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