Les 10 et 11 octobre 2017, la Cité de l’Innovation de Nokia Paris-Saclay accueillait la 4e édition de son événement dédié à la 5G. Nous y étions. En voici des échos plutôt prometteurs, y compris en termes de création d’emplois sur le territoire.
La 5G, dont on parle de plus en plus ? C’est des capacités de télécommunication mobile de plusieurs gigabits de données par seconde et, donc, 1 000 fois plus rapides que les réseaux mobiles introduits en 2010 et jusqu’à 100 fois plus que ce que la 4G peut garantir (d’après Wikipédia). De quoi faire face à l’essor des smartphones et d’en susciter de nouvelles générations, plus performantes encore, et de répondre aussi aux besoins de l’Internet des Objets (d’aucuns parlent même déjà de l’Internet of Everything – où tous les ordinateurs et périphériques pourraient communiquer entre eux), des Smart grids et bien plus : de rendre nos villes plus intelligentes, car plus à même d’optimiser des flux de toutes sortes. Sans oublier les possibilités offertes en matière d’imagerie 3D, de traduction automatique, etc. C’est que, bien évidemment, c’est aussi la promesse de temps de latence fortement réduit au point de procurer la sensation du temps réel. Bref, la 5G, c’est la promesse d’un monde si nouveau qu’on peine en réalité à en anticiper toutes les potentialités et les impacts multiples sur la société, l’organisation des entreprises, de quel que secteur que ce soit, nos modes de travail, de recherche et d’innovation. Une promesse dont on peut avoir plus qu’un avant goût aux Etats-Unis et surtout en Asie. Partout en Europe et donc en France, il faut encore patienter. Un retard dû aux discussions encore en cours sur la définition des standards.
Une Cité dédiée à la 5G
Partout ou presque avons-nous dit… En France, quelques territoire, comme Belfort ou Rennes, y sont déjà dans le cadre d’expérimentations et de tests… Sans oublier, au sein même de l’écosystème de Paris-Saclay : Nozay–Villarceaux, où la Cité de l’innovation de Nokia vit déjà à l’heure de cette nouvelle génération de réseau. On pouvait s’en rendre compte à l’occasion de la 4e édition du Nokia 5G Smart Campus, organisée les 10 et 11 octobre dernier (la première journée étant dédiée aux chercheurs et aux professionnels, la 2e aux étudiants – le personnel ayant eu droit à sa propre journée, la veille). Au programme : pas moins d’une cinquantaine de « démos », qui étaient l’occasion de prendre la mesure du potentiel de la 5G, mais aussi la vocation du site d’être le centre de R&D dédié au sein du groupe Nokia.
Il est vrai qu’avec celui de Lannion, il ne manque pas d’atouts. A commencer par son histoire : le site abrite les fameux Bell Labs, auxquels on doit des contributions majeures à l’invention du laser et de la communication satellitaire. Le même site a déjà contribué au développement de la 4G, grâce à ses expertises en mathématiques, algorithmes, téléphonie mobile et sécurité. Il dispose aujourd’hui de toutes les compétences requises dans le domaine de la 5G, mais aussi de la cybersécurité, des applications et des analyses de données, enfin de l’Internet des Objets.
Un site pourvu en atouts
Des précisions apportées par pas moins de trois cadres dirigeants et non des moindres : Thierry Boisnon, Président de Nokia France ; Jean-Luc Beylat, directeur des Bell Labs France, Vice-Président Ecosystème et Innovation Hub, et Pascal Agin, directeur de la R&D 5G au niveau mondial, au cours d’une rencontre avec les médias, à laquelle nous avions été conviés.
Et ce dernier, de préciser encore : le site couvre l’ensemble de la chaîne, de la recherche fondamentale à la conception et fabrication des cartes (dans lesquelles il est déjà engagé sans attendre l’issue du processus de standardisation et quitte à les adapter en conséquence une fois les normes définies) en passant par le développement de logiciels applicatifs, etc. A ses clients (entreprises, collectivités), il offre la possibilité de tester des applications ou met à disposition des opérateurs (dont Orange) des plateformes pour démontrer l’intérêt de cas d’usage.
Last but not least, le site est inséré dans un écosystème dynamique et prometteur, composé d’établissements de recherche et d’enseignement supérieur réputés : Paris-Saclay. Insertion assurée par la participation à divers réseaux et institutions que Jean-Luc Beylat liste : Systematic (qu’il préside), l’IRT SystemX, le III-V Lab (laboratoire de recherche conjoint avec Thales et le CEA/Léti), sans oublier des relations privilégiées avec Essonne Développement.
Des atouts qui ont su manifestement convaincre les professionnels du secteur. Thierry Boisnon : « Nokia France a pour elle de fournir les quatre principaux opérateurs de télécommunication français, de gérer des centres de commande, d’assurer un rôle de supervision dans le secteur public. » Et l’avenir est plus que prometteur.
Destructions créatrices d’emplois
Actuellement, le site compte près de 3 800 employés dont 1 700 ingénieurs-chercheurs, répartis en plusieurs pôles : 5G, cybersécurité, Internet des objets, analyse de données,… Pour se donner les moyens de ses ambitions, il compte recruter encore : pas moins de 500 ingénieurs R&D d’ici fin 2018, dont 300 jeunes diplômés (y compris les recrutements sur le site de Lannion).
Naturellement, au vu de l’actualité récente de Nokia France, la question ne manque pas d’être posée : comment expliquer alors l’annonce du plan de sauvegarde censé affecter le site. Pour mémoire, le 6 septembre dernier, la direction de Nokia France annonçait la suppression de 597 emplois en 2018 et 2019, ces suppressions devant affecter les fonctions centrales et supports des filiales basées sur le campus de Paris-Saclay (Essonne) et à Lannion (Côtes-d’Armor), les fonctions recherche-développement n’étant pas concernées.
Réponse fournie conjointement par Thierry Boisnon et Jean-Luc Beylat : les suppressions évoquées dans les médias participent d’une redéfinition de fonctions, qui passent par des destructions de postes, mais aussi la création et la reconfiguration de nouveaux. En somme, nous serions face à un processus de destruction-créatrice comme le milieu de l’innovation en connaît aussi, avec néanmoins un solde positif dans le cas de Nokia-France. Les mêmes soulignent les besoins que le site continuera à avoir en techniciens et exécutants, à l’interface des clients. Le site en compte déjà de nombreux et c’est d’ailleurs ce qui fait sa particularité par rapport à d’autres centres R&D, ainsi que l’avait déjà pointé Fatima Bakhti, lors de la visite qu’elle nous avait faite. Leur présence assure un continuum avec les clients et partenaires dont les demandes et besoins remontent ainsi plus facilement jusqu’aux chercheurs-ingénieurs.
Paris-Saclay, facteur d’attractivité
Reste la question – posée par une journaliste – de savoir comment le groupe peut prétendre trouver les compétences dans un secteur hyperconcurrentiel. C’est à ce stade des discussions qu’un mot clé déjà invoqué prend tout son sens : l’écosystème, en l’occurrence celui de Paris-Saclay, qui offre des perspectives particulièrement intéressantes pour un centre de R&D comme celui de Nozay-Villarceaux, compte tenu de la proximité d’établissements d’enseignement supérieur réputés, y compris dans le domaine du digital et des télécommunications. Jean-Luc Beylat : « De fait, nous ne rencontrons pas de difficulté à convaincre de jeunes diplômés ou même des professionnels confirmés à venir travailler ici. » A leurs yeux, c’est un site qui fait référence, aujourd’hui plus que jamais depuis qu’il s’est engagé dans la 5G. Le site offre la garantie de travailler dans de bonnes conditions, avec des équipements de qualité et à la pointe. Outre les Bell Labs et des bâtiments de recherche, il peut s’enorgueillir de compter en son sein Le Garage (sur lequel on revient plus loin, car il a été l’objet d’une visite). A quoi s’est ajoutée la Nokia Innovation Platform, abritée dans le bâtiment Chappe, un espace ouvert, équipé d’un système de climatisation naturelle (en dehors des périodes de fortes chaleurs…), dans lequel sont mobilisés des robots et des logiciels libres pour apprendre aux ingénieurs-chercheurs à travailler dans de nouveaux environnements, aux côtés de start-up et d’autres partenaires. Sans compter tout ce qui a été entrepris pour améliorer le cadre de vie : le site compte désormais une conciergerie, un drive – le premier du genre sur un site d’entreprise -, du commerce, une salle de sport…
Une journaliste, qui a crapahuté depuis Paris, ose cependant : « Reste, qu’ici on est au bout du monde… ». A quoi Vincent Boisnon réagit avec flegme en rappelant les efforts qui ont été faits pour faciliter l’accès par les salariés, à commencer par la mise en place de navettes au départ notamment de la Porte d’Orléans (et dont nous avons pu nous-même bénéficier). Quoi qu’il en soit, pour Jean-Luc Beylat, le problème d’accessibilité n’est pas un handicap à l’attractivité du site. « Nous recevons des candidatures des quatre coins de France et du monde. Beaucoup de spécialistes du digital ne demandent qu’à travailler ici.» Bref, le mythe des Bell Labs opère manifestement encore.
En préambule de la visite des stands, les échanges peuvent revenir sur le vrai motif de la rencontre – la 5G et la contribution du site à son développement – et nos trois interlocuteurs partager leur enthousiasme. Pascal Agin confirme les ordres de grandeur énoncés plus haut. « La 5G, c’est un débit de plus 10 Giga-octet (de plus de 100 en laboratoire). Et donc la possibilité de faire de l’ordre de 10, 100, 1000 fois plus et plus rapidement, ce qu’on faisait en 4G. » Le même : « En temps normal, la sensation de temps réel est assurée par une transmission à moins de 7 millisecondes. Or, avec la 5G, nous en sommes à 1 milliseconde… » C’est donc bien plus qu’une simple évolution de la 4G. « Elle permettra des applications qui jusqu’à alors n’étaient pas même concevables ». Jean-Luc Beylat ne cache pas son sentiment de vivre une nouvelle révolution : « Au début de ma carrière, nous en en étions à 2 Gigabit par seconde… ». Le même : « Comme pour Internet, dont la constitution du réseau a précédé l’émergence des services, l’avenir de la 5G passe d’abord par l’investissement dans les infrastructures. C’est alors qu’on assistera à l’émergence de nouveaux services, dont il est encore trop tôt de se faire une idée précise. Les services ne précèdent pas les infrastructures. On ne sait pas encore sur quoi débouchera le basculement dans le service en temps réel (grâce à la réduction du temps de latence). Bref, avec la 5G nous basculerons dans un monde qu’il nous faudra découvrir. » On a cependant quelques idées de ce à quoi il pourra ressembler. Il est probable que la voiture autonome, en rendant le passager-conducteur plus disponible, justifiera de nouveaux services pour occuper son temps. Et Jean-Luc Beylat de donner un autre exemple : « Dans dix ans, on sera sans doute en mesure de guider un aveugle dans la rue ».
Il n’est pas jusqu’aux réseaux qui changeront de nature et de puissance et, avec eux, les modalités de stockage des données. Compte tenu du volume de ces dernières, il sera illusoire de les concentrer en un même endroit. C’est la fin du réseau centralisé et probablement des Data Centers ou du moins de leur recours systématique.
Une ville dans la ville
Les questions des journalistes ayant été épuisées, la présentation de démos peut commencer. En circulant d’un lieu à l’autre, on redécouvre par la même occasion la Cité de l’Innovation. Que de changements intervenus depuis la visite que nous en avions faite en compagnie de Fatima Batkti du temps où il était encore placé sous la bannière d’Alcatel-Lucent [pour accéder à l’entretien qu’elle nous avait accordé à cette occasion, cliquer ici]. La conciergerie et le drive in annoncés ont bel et bien vu le jour.
Si sa vocation à être une sorte de ville dans la ville a pu nous laisser perplexe lors de notre première visite (effectuée il est vrai à l’époque à une heure où les salariés étaient censés être à leur poste, dans un laboratoire ou en réunion), en ce jour d’octobre, la formule paraît justifiée. Comme dans une ville, on peut même y croiser des têtes connues (magie de la sérendipité…), en l’occurrence celle de Christian Van Gysel. Et beaucoup d’autres qui nous sont étrangères. Et pour cause, ce jour là, les spécialistes sont venus en nombre assister au 5G Nokia Smart Campus Event. Au total, pas moins d’une cinquantaine de démos. Nous n’en visiterons qu’une demi douzaine, mais qui donnent un bon aperçu du spectre.
La première porte sur un système de communication de deep learning entièrement basé sur un réseau neuronal. Surprise. La personne en charge de nous l’exposer n’est autre que Jakob Hoydis (à droite sur la photo ci-dessus), ancien startupper qui avait cofondé Spread et que nous avions interviewé à ce sujet [pour accéder à l’entretien, cliquer ici]. Nous sommes épatés par l’aisance avec laquelle il nous explique les enjeux de travaux de recherche, avec force courbes et graphes dynamiques.
Autre démo (photo ci-dessus) : Future (Trust+Spaces), un système, encore au stade de l’expérimentation, permettant de sécuriser l’accès à des objets connectés selon le degré de risque. Une belle illustration de la manière dont la 5G questionne encore un peu plus la frontière entre sphère professionnelle et sphère privée…
A l’extérieur, une Mustang cabriolet dont l’intérêt ne réside plus seulement dans ses lignes et performances mécaniques, mais un système permettant à son loueur (le système a été conçu en partenariat avec une grande marque de la location) de bénéficier de multiples services, du stationnement au paiement en passant par l’agrément sonore, etc.
De la Mustang au Garage…
Puis halte au Garage, pas celui de la Mustang, mais celui conçu pour les besoins de l’innovation. Nous y sommes accueillis par Bertrand Marquet en personne (qui a participé à l’aventure depuis ses débuts). Que de chemin encore parcouru depuis la toute première visite I Ledit Garage s’apparentait plus à un FabLab, réservé de surcroît aux ingénieurs et chercheurs maison pour les acculturer à d’autres méthodes d’innovation, créatives et collaboratives. C’est désormais aussi un lieu de résidence pour start-up aussi bien internes qu’externes en l’occurrence : Drone Hive (qui met a profit le site pour développer un drone d’alerte d’incendie) ; Bilberry (qui promet de réduire de 80% le recours aux herbicides) ; GreenFLOPS Technologies (une plateforme de deep learning),… Bertrand Marquet : « Entre elles et nous, c’est un jeu gagnant-gagnant : nous leur apportons les briques technologiques dont elles ont besoin ; elles nous apportent de nouveaux use cases.» Depuis l’initiative a aussi été déclinée sur d’autres sites du groupe Nokia, à travers le monde. Parallèlement, Nokia s’est inscrit dans la logique plateforme, en proposant la sienne aux partenaires extérieurs : Nokia innovation Platform.
Le temps a passé vite. On prend celui d’assister aux ultimes échanges avec nos interlocuteurs de Nokia, toujours prompts à répondre aux questions, même les plus éloignées du sujet… Pour notre part, nous nous en tenons à ce sentiment : si un industriel comme Nokia parvient à nouer autant de partenariats au sein de Paris-Saclay, y compris avec des collectivités, c’est précisément parce qu’il est ancré dans l’écosystème. Forcément, cela l’incite à garantir la qualité des équipements et services proposés au risque sinon d’écorner la relation avec des clients qu’on est susceptible de côtoyer. Réaction de Vincent Boison, à qui on livre à haute voix notre sentiment : « Vous prêchez des convaincus ! »
Engagement est pris de poursuivre les échanges à travers des interviews. En attendant, il nous faut partir (nous devons être d’ici quelques heures sur le site AgroParisTech de Massy pour assister à la demi journée de Terre et Cité). Nous nous y rendrons comme d’habitude par les transports en commun, histoire de bien éprouver le territoire, en l’occurrence un bus, dont l’arrêt se trouve à deux pas de l’entrée du site de Nokia. Une personne s’approche et y patiente à son tour. Nous engageons spontanément la conversation. Nous nous découvrons des connaissances communes. Une nouvelle illustration des rencontres fortuites qu’un écosystème parvient à susciter. Avec ou sans 5G !
Journaliste
En savoir plus