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Retour de Las Vegas. Témoignage d’une start-up orcéenne.

Le 1 février 2016

Un purificateur d’air efficace et intelligent, qui élimine automatiquement les sources d’allergies, les odeurs et les pollutions, et vous informe en temps réel sur votre mobile. C’est la solution innovante proposée par Air Serenity, une start-up orcéenne, qui était présente au dernier Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas, du 6 au 9 janvier 2016. Témoignage de son DG, Matthieu Coutière (à gauche, sur la photo).

– Si vous deviez pitcher Air Serenity ?

Cela pourrait se résumer en une phrase : « Air Serenity vous aide à mieux respirer ! ». Nous proposons un purificateur d’air capable d’éliminer aussi bien les pollutions microbiennes, que les sources d’allergies, d’asthme, de cancers, de mauvaises odeurs… Notre technologie, brevetée, repose sur une cartouche qui capture les particules fines et allergènes (poils de chats, acariens,…), grâce à un filtre, puis les composés organiques volatils (COV), grâce, cette fois, à des matériaux adsorbant ; enfin, elle compacte les polluants et détruit les microbes grâce à un plasma froid. Précisons que la cartouche est à changer tous les ans et ce, à un prix modique. Et, naturellement, l’ensemble est intelligent et connecté au sens où vous pouvez être informé en temps réel sur votre mobile. Ainsi nous répondons à plusieurs enjeux de société : on estime, en France, à 30% la proportion de la population allergique ; à 8% celle des asthmathiques et à au moins 20 000, le nombre annuel de victimes de polluants domestiques.

– Quelles compétences disciplinaires la conception de votre technologie a-t-elle requises ?

Joseph Youssef, fondateur de la société [ à droite, sur la photo ] est chimiste de formation, avec une spécialisation en physique (deux disciplines plus liées qu’on ne le pense). Il a fait sa thèse à l’X, puis il s’est formé à l’électronique pour les besoins du développement de la start-up. Pour ma part, qui viens de le rejoindre, j’apporte mes compétences en informatique, dans le traitement des données, désormais indispensable à l’heure des objets connectés. Entre nous deux, nous nous sommes répartis les fonctions : à lui, le développement de la techno ; à moi, le développement commercial. Précisons que l’équipe mobilise également un spécialiste en électronique et plusieurs designers.

– Comment êtes-vous devenu startupper ?

J’avais jusqu’ici une expérience plutôt dans de grands groupes, hormis quelques PME, avec à chaque fois pour mission d’accompagner l’innovation technologique vers de la création de valeur : chez Vivendi, d’abord, puis chez Alcatel Lucent, dans une branche, qui a fermé depuis. Avec le recul, force est de constater que j’entrais difficilement dans le moule : j’avais tendance à cultiver une certaine « impertinence » ou quelque chose qui pouvait apparaître comme tel. Quand je pense non, je dis non, avec, cependant, toujours le sentiment de servir mon employeur. Seulement, dire non, ça n’est pas très apprécié au sein d’un grand groupe. Après Alcatel-Lucent, je me suis tourné vers le conseil, auprès de start-up notamment. C’est comme cela que je me suis rendu compte que c’est dans ce genre d’entreprise que j’avais envie de travailler. J’en ai donc cherché une à laquelle je pouvais faire profiter de mon expérience.

– Un beau témoignage, au passage, du fait que l’on peut être startupper même après une longue expérience dans un grand groupe…

Tout à fait. C’est important de le rappeler. Et je suis loin d’être une exception. Parmi mes anciens collègues, la plupart me disent vouloir sauter le pas, comme moi. Je crois que c’est une tendance de fond : de plus en plus de personnes ont envie d’entreprendre, même après des années d’activité comme salarié. Mais, attention, la transition n’est pas simple. Alors même que j’avais identifié Air Serenity, j’ai hésité : le jour, je me disais que c’était bien ce vers quoi je voulais aller ; et la nuit, que c’était risqué, et que mon avenir était dans les grands groupes. Et cela a duré deux mois ! Par chance, le jour l’a emporté sur la nuit. Mais, après tout, quoi de plus naturel que d’hésiter ainsi : ceux de ma génération (j’ai 44 ans) n’ont pas été forcément préparés à une telle transition. Nous avons été formés pour intégrer une entreprise existante et en optimiser le fonctionnement. Par chance, les choses changent. Et, comme je le disais, de plus en plus de personnes ont envie d’entreprendre, ce qui créé forcément une certaine émulation.

– Comment aviez-vous identifié Air Serenity ?

Par hasard ! En faisant part de mon souhait de rejoindre une start-up, j’ai été très vite orienté vers Matthieu Somekh, qui, de par ses fonctions [ il est responsable du Pôle Entrepreneuriat et Innovation – PEI – de l’École polytechnique ], est en lien avec les start-up du campus de l’X [ voir l’entretien qu’il nous a accordé ; pour y accéder, cliquer ici ]. Je pouvais donc être rassuré. Quand une start-up se lance, on ne sait jamais trop si elle le fait sur de bonnes bases. Celles que me présentait Matthieu Somekh avaient été créées à partir de technologies issues de laboratoires de l’X, ce qui était le gage d’un réel potentiel.

– « Par hasard », dites-vous. Une illustration, cette fois, d’une caractéristique de l’écosystème de Paris-Saclay, de plus en plus favorable à des rencontres apparemment fortuites…

Oui, tout à fait !

– Où en êtes-vous avec Air Serenity ?

La start-up a été fondée officiellement en 2013. Après cinq ans de R&D, le produit est désormais prêt et même très attendu à en juger par les réactions des médias et du public que nous rencontrons. Nous allons donc passer à la phase d’industrialisation. Nous nous préparons pour ce faire à notre première levée de fonds.

– En quoi l’écosystème Paris-Saclay s’est-il révélé favorable ?

Il l’a été indéniablement, car c’est un véritable écosystème et pas seulement au sens économique du terme. C’est un concentré de cerveaux et de personnalités, qui n’ont qu’une envie : promouvoir l’innovation technologique, en n’hésitant pas à échanger et à s’entraider. Nous y avons bénéficié du soutien de plusieurs institutions. Je pense à Nova Green, notre premier client, qui nous a offert l’opportunité de tester notre technologie en situation réelle (ses locaux ont été équipés avec notre purificateur) en apportant de surcroît la démonstration de son efficacité au plan écologique.

– Air Serenity a-t-elle fait le choix de l’incubation ?

Oui, bien sûr. C’est indispensable pour ne serait-ce que prendre un peu de recul par rapport à la dimension proprement technologique du projet, peaufiner son modèle économique, intégrer les aspects commerciaux et marketing ou encore apprendre à pitcher. Comme beaucoup de start-up, Air Serenity a donc fait ce choix en intégrant IncubAlliance [ Orsay ], en 2012. Etant arrivé à l’issue de cette période d’incubation, je n’en ai pas personnellement profité. Mais, de par mon expérience professionnelle, je n’en avais pas spécialement besoin : j’avais acquis des compétences en matière marketing et commerciale. Et puis, je ne crains pas de pitcher devant des investisseurs ! Le bénéfice de l’âge sans doute… En revanche, elle a été semble-t-il très utile à Joseph Youssef comme à beaucoup de créateurs.

– Et la start-up est restée orcéenne…

Oui, il était important de rester à proximité du laboratoire de Polytechnique où la technologie a été développée. Et puis Joseph Youssef a gardé de nombreux contacts noués durant sa thèse. Enfin, avoir son siège social à Orsay offre aussi l’avantage d’être dans un endroit bien desservi par les transports en commun, sinon accessible en voiture. Il n’y a donc aucune raison de quitter la ville, dans l’immédiat.

– Passons sans transition d’Orsay à Las Vegas. Comment vous êtes-vous retrouvé à participer à cette édition 20216 du célèbre Consumer Electronic Show ? Une démarche individuelle ou à l’invitation d’une structure ?

Il était clair que c’est le lieu où il fallait être. Restait à bénéficier d’un accompagnement pour nous simplifier la tâche et nous rendre « visibles ». Par chance, courant l’été 2015, nous avons emporté deux concours, l’un de Business France, l’autre de La Poste, dont le prix était justement un accompagnement pour se rendre à cette manifestation. Avec donc, pour résultat, de disposer de deux stands.

– Deux stands pour une seule start-up dans le cadre de cette grande messe ? Incroyable !

C’est effectivement rare, mais nous ne sommes pas les seuls : d’autres start-up avaient par mesure de sécurité réservé un stand avant de gagner à leur tour un concours. Ce qui n’est pas plus mal : car plus vous êtes visible, dans un tel salon, mieux c’est.

– Y participer, était-ce un rêve d’enfant pour vous ?

Un rêve de startupper, sûrement ; mais un rêve d’enfant, ce serait beaucoup dire ! D’abord, parce que ce salon n’existait pas du temps de mon enfance. Ensuite, j’y étais déjà allé plusieurs fois comme simple visiteur, mais avec toujours le même plaisir de retrouver cet esprit start-up, un esprit très cool. C’est indéniablement l’endroit où il faut aller si on est passionné de technologies innovantes. En revanche, c’est la première fois que je m’y rendais comme startupper.

– Et alors ?

Pas de doute, c’est bien, pour une start-up, l’endroit où il faut être si elle veut se faire connaître et même reconnaître. Seul bémol : on y rencontre beaucoup de… Français [ la délégation française y était la plus importante après celle des Etats-Unis, avec 190 entreprises présentes dont 128 start-up de la French Tech ] qu’on pourrait tout aussi bien rencontrer en France, sans parcourir autant de kilomètres. Au point qu’on peut même se demander s’il n’y aurait pas lieu de faire l’équivalent d’un CES en France. Sur nos deux stands, nous avions même comme voisins des start-up issues de Paris-Saclay : FeetMe [qui développe des semelles connectées à capteurs de pression] et AuxiVia [qui propose des objets connectés santé pour accompagner les personnes âgées et leurs aidants]. Deux start-up que nous connaissions déjà : l’une et l’autre sont incubées à l’X. Mais, à la vérité, nous avions peu échangé jusque-là. C’est donc à Las Vegas que nous avons fait véritablement connaissance !

– Mais comment se déroule ce salon ? Décrivez-nous en un peu l’ambiance qui y règne. Avez-vous le temps d’aller au casino ?

(rire) Franchement, non ! Vous n’en avez tout simplement pas le temps. Le salon dure quatre jours. Les trois premiers (du mercredi au vendredi) sont destinés aux professionnels, le 4e – le samedi, donc – plutôt au grand public. Notons au passage que c’est la première fois que le CES se prolongeait jusqu’au début du week-end, une preuve supplémentaire de son succès grandissant. Ces quatre jours sont très intenses. Le CES est grand et si fréquenté, qu’on n’a guère le temps de faire autre chose que de répondre aux sollicitations. A fortiori quand on est, comme nous, sur deux stands ! La première fois que j’y suis allé, en 2006, comme simple visiteur, il était deux fois plus petit. Et pourtant, on avait déjà l’impression de parcourir des kilomètres dans les allées avec l’impression de ne pas pouvoir tout voir !

– Votre technologie a donc suscité l’intérêt ?

Oui, à en juger par la forte fréquentation de nos deux stands. Les premiers jours, les visiteurs étaient des Français, pour l’essentiel. Puis, les jours suivants, nous avons reçu la visite de pas mal d’étrangers : des Américains et des Européens, mais aussi de pays émergents ou en développement – des Asiatiques, des Indiens, des Iraniens… – particulièrement confrontés à la pollution de l’air dans leurs villes. Ils viennent avec curiosité, mais aussi des questions souvent très pertinentes. Forcément, cela vous redonne de l’énergie, surtout quand quelqu’un vous dit : « Je n’étais pas venu vous voir, mais vous êtes la meilleure rencontre que j’ai faite sur le salon ». Sympa, non ?

– Un exemple de sérendipité…

Exactement. Plusieurs sont restés longuement ou sont revenus nous voir pour des informations complémentaires.

– Très bien, mais pour quelles retombées durables ?

Nous rentrons tout juste de Las Vegas. Il est encore un peu tôt pour en juger. D’autant que, je ne vous le cacherai pas, je suis encore un peu sous l’effet du Jetlag. Cela dit, quelqu’un m’a d’ores et déjà écrit trois fois pour avancer sur le principe d’un contrat de confidentialité. Nous l’avons signé hier ! Nous avons reçu bien d’autres emails et cela ne s’arrête pas.

– N’est-ce d’ailleurs pas à cela que sert ce genre de manifestation pour une start-up : non pas tant à contractualiser en direct, mais à nouer de précieux contacts utiles pour la suite…

Tout à fait. Et comment pourrait-il en être autrement ? Au maximum, une discussion avec un visiteur ne dure qu’une dizaine de minutes. Si on s’échange ses cartes de visite, c’est pour se revoir le cas échéant afin d’approfondir la discussion.

– Le fait d’être venu en bénéficiant d’un accompagnement est donc utile pour gagner en visibilité, faire le buzz ?

Oui. Une start-up n’a pas les moyens d’investir dans de la communication, à cette échelle en tout cas. Par ailleurs, j’ai le sentiment que, si des gens sont venus nous voir, c’est en rapport avec ce sur quoi La Poste et le Business France ont communiqué. Sans oublier le label French Tech, très porteur…

– Celui-ci produit-il donc bien un effet en terme de visibilité ?

Bien plus : il a un effet mobilisateur en manifestant un réel soutien des pouvoirs publics. L’implication du Ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, présent au CES, est tout sauf quelque chose d’anecdotique. C’est quelqu’un d’abordable, qui, en plus accepte de se prêter volontiers aux selfies, sait communiquer son enthousiasme. C’est forcément motivant pour des startuppers. On se sent reconnus. Mieux : appartenir à une communauté dynamique.

– A vous entendre, nous ne percevons pas de regret d’avoir quitté l’univers des grands groupes…

Non, d’autant moins que je perçois mieux la différence avec celui des start-up. Autant, dans une grande organisation, vous avez peu d’influence sur le cours des choses et en avez d’ailleurs conscience au point de rester dans votre coin ; autant, dans une start-up, vous êtes maître de votre destin. Et puis, tout le monde tire dans la même direction, avec la conviction que la réussite de l’un dépend de celle des autres et vice versa. Un état d’esprit on ne peut plus sain.

– Reste que la concurrence reste une réalité dans l’univers des start-up…

Dans notre cas, la question ne se pose pas : Air Serenity détient sa technologie propre. Cela étant dit et de manière plus générale, des start-up ont beau être concurrentes, elles n’en cultivent pas moins un sens de l’entraide, ne serait-ce que pour faire vivre la communauté dont le succès ne peut que rejaillir sur chacune d’elles. Entre startuppers, nous avons l’habitude de nous côtoyer à l’occasion de manifestations et autres concours, ou au sein d’incubateurs, et d’échanger autour du plaisir à innover. D’ailleurs, si nous n’étions que concurrents, nous ne partirions pas ensemble pour participer à un événement comme le CES.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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