Rencontre entre un physicien et un pianiste autour d’anagrammes.
L’un est physicien, l’autre pianiste et compositeur… Ils viennent de publier ensemble un ouvrage sur… les anagrammes (éditions Flammarion). Une rencontre improbable autour d’un sujet inattendu. L’un et l’autre ont bien voulu lever le voile sur cet art particulier. Voici l’entretien que nous avons eu avec Jacques Perry-Salkow.
Pianiste et compositeur, on lui doit également deux recueils d’anagrammes (Le Pékinois et Anagrammes pour sourire et rêver, publiés au Seuil, respectivement en 2007 et 2009) et des lettres à décoder (Mots d’amour secrets, avec Frédéric Schmitter, éditions Points, 2011). Il a bien voulu lever le voile sur ses secrets de fabrication en matière d’anagrammes. Tout un art…
Comme procédez-vous pour trouver des anagrammes ?
J’écris le nom, la formule ou la phrase qu’on me soumet et je laisse venir à moi, surgir les mots. Je ne force rien. Je procède plus par méditation que par une recherche systématique des combinaisons possibles, comme le ferait un joueur de scrabble. Un peu à la manière du peintre chinois qui, avant le premier geste, contemple longuement le vide de sa toile. C’est dire que l’intuition entre pour une bonne part dans la découverte.
Un exemple ?
Albert Einstein, ma première anagramme. Au bout d’un moment, j’ai vu qu’il y avait « rien ». Or « rien » appelle une négation. Elle y était. « Rien n’est… » Et qui dit Einstein pense spontanément à relatif. Quelques secondes plus tard, la solution était complète. « Rien n’est établi. »
Vous procédez donc aussi suivant la logique syntaxique en plus de l’intuition…
En effet, j’ai comme un pressentiment de la syntaxe fluide, ce qui m’est très précieux. C’est d’ailleurs toute la différence qu’il y a entre l’esprit humain et un logiciel de recherche anagrammatique.
Un nom ou une formule peut-il/peut-elle donner plusieurs anagrammes ?
Oui, bien sûr. Le nombre de solutions est même parfois astronomique. Mais pour moi, il n’en existe qu’une. Celle que j’appelle L’anagramme et qui s’impose comme l’ombre à la lumière. Par acquis de conscience, je m’emploie à chercher d’autres combinaisons. Mais j’arrive rarement à trouver quelque chose de meilleur.
Quelle est la part de l’imagination ?
Je me borne à révéler une chose qui existe déjà. Les anagrammes sont des phrases endormies, qu’il s’agit d’éveiller à notre attention. On n’invente pas une anagramme, on l’invite, on la découvre. Le découvreur doit mettre de côté son « vouloir dire ». Sans quoi il s’enferme dans un registre donné, alors que l’anagramme, bien souvent, demande à le faire basculer dans un autre, différent. Prenez, par exemple, « La courbure de l’espace-temps ». M’ingéniant à lui faire dire quelque chose de scientifique, aurais-je vu « Superbe spectacle de l’amour » ? Voilà un registre inattendu qui éclaire autrement les notions du physicien. Cette courbure prend tout à coup une dimension sensuelle, capable d’émouvoir, voire de modifier le regard du physicien. Il faut lire le texte d’Étienne, qui éclaire magnifiquement cette anagramme. « Aider l’anagramme à naître », voilà le maître mot.
Combien de temps la révélation de l’anagramme peut-elle prendre ?
C’est variable. Les énoncés les plus longs ne prennent pas nécessairement plus de temps que les plus brefs. Tout dépend de l’état dans lequel vous êtes. Cela dit, cela peut aller vite. Avec le temps, le cerveau cultive une aptitude à percevoir rapidement des solutions, pour peu qu’on soit dans le lâcher prise. L’important, c’est le mot libérateur, le mot qui va permettre aux lettres de se mettre en place. « Le boson scalaire de Higgs », par exemple : l’expression resta silencieuse aussi longtemps que je ne voyais pas le mot « horloge » endormi dans le lit de l’énoncé. Ce mot, c’est la clef. Un mécanisme se libère, des engrenages se mettent à tourner et bientôt sonne « L’horloge des anges ici-bas ».
Parmi les anagrammes, beaucoup révèlent comme un sens caché. Que dites-vous à ceux qui seraient enclins à une surinterprétation ?
Les anagrammes sont à considérer pour ce qu’elles sont : des motifs d’émerveillement. Pourquoi leur demander plus ? Pourquoi vouloir y déceler des intentions cachées, comme si une volonté supérieure y avait mis quelque malice ? Certes, les anagrammes ont été un moyen de communiquer des messages secrets. Mais c’étaient des hommes. Galilée, par exemple, communiqua sous forme d’anagrammes certaines de ses découvertes ; c’était là un moyen de s’assurer la priorité de ses observations tout en les entourant de mystère.
Mais revenons sur l’émerveillement. L’émerveillement n’est pas rien. En lisant des articles d’Étienne, j’ai remarqué qu’il évoque ce sentiment comme un moyen de relancer l’attrait des sciences auprès des jeunes.
Comment s’est noué le dialogue avec un physicien inscrit a priori dans une tout autre rationalité que celle du musicien que vous êtes ?
Saclay a son triple A !
À l’issue de l’entretien qu’il nous a accordé, nous n’avons pu résister à la tentation de soumettre à Jacques Perry-Salkow quelques formules et autres acronymes relatifs au Plateau de Saclay. Exercice auquel il s’est livré de bonne grâce. C’est ainsi que « le cluster de Saclay » donne « Le lac sacré du style ». Ou, si vous préférez, « La clé du style sacré ».
« L’Établissement public Paris-Saclay » (EPPS) devient, pour le plus grand bonheur du paysagiste Michel Desvigne : « Parc sublime, c’est l’insatiable pays ».
« Science et innovation » ont, elles, l’« Onction avec Einstein ». Mais elles donnent aussi : « On sonne ici et ça vient. » Ou encore, impératif : « Viens, Cité ! Annonce-toi ! » Juste pour le « Klein » d’œil, relevons encore : « Convaincs-toi… Étienne ! »
À tout seigneur tout honneur, la dernière, « A Pierre Veltz » (président de l’EPPS), est parfaitement en adéquation avec la quête d’excellence du cluster, puisqu’elle donne : « Rêvez triple A ! »
Aussi improbable soit-il, notre duo a fonctionné à merveille. Une vraie alchimie s’est opérée entre nous. À la manière d’un Montaigne, Étienne est quelqu’un qui se méfie beaucoup des certitudes assénées à la hâte et autres fables aux allures de « bouche-trous cognitifs », je cite. Il est rigoureux dans ses raisonnements, tout en faisant preuve de beaucoup de sensibilité, d’humour. Il faut le voir s’emballer devant une anagramme ! Et puis Étienne est un poète qui s’ignore.
J’ai toujours pensé que le physicien et le poète (ou appelons-le l’amoureux des mots) avaient un point commun : l’un et l’autre cherchent à nommer le réel, ou du moins à dire quelque chose de lui. Le premier l’exprime au moyen d’équations, le second par des mots. Proust lui-même le dit dans la Recherche du temps perdu. Proust sent qu’il ne va pas au bout de son impression, que quelque chose est caché derrière la réalité, quelque chose qu’elle semble contenir et dérober à la fois. Et cette chose, je cite, c’est une « jolie phrase ». De fait, quand il a fini d’écrire, Proust se trouve heureux, comme si l’écriture l’avait parfaitement débarrassé de la réalité et de ce qu’elle cachait derrière elle.
Bien que non scientifique de formation, je trouve qu’il y a beaucoup de poésie dans la physique. Et, inversement, quelque chose de la rigueur de la physique dans la poésie. Peut-être devrions-nous nous garder de cloisonner les univers. Ils communiquent plus qu’on ne le pense.
Comme avez-vous travaillé ensemble ?
Étienne me soumettait des noms ou des expressions de physique. Charge à moi de les traduire en anagrammes. Je dirais plutôt de les transmuter, car l’opération n’est pas sans évoquer l’alchimie.
Vous êtes par ailleurs pianiste, cela prédispose-t-il à cet art ?
Ce sont a priori deux univers distincts. Les périodes où j’écris, je ne joue pas de piano ! En réalité, là aussi les vases communiquent. La pratique de la musique cultive la sensibilité à la musicalité, au rythme de la phrase. J’ai toujours présent à l’esprit le vers de Verlaine : « De la musique avant toute chose ». Ou bien la musique de Bach. Bach est l’équilibre parfait entre la forme savante et le cours naturel d’un ruisseau (d’ailleurs Bach signifie « ruisseau »). L’anagramme, c’est pareil. Il faut qu’elle soit sensée mais aussi qu’elle coule.
Pour accéder à l’entretien avec Etienne Klein, cliquer ici.
Saclay a son triple A !
À l’issue de l’entretien qu’il nous a accordé, nous n’avons pu résister à la tentation de soumettre à Jacques Perry-Salkow quelques formules et autres acronymes relatifs au Plateau de Saclay. Exercice auquel il s’est livré de bonne grâce. C’est ainsi que « le cluster de Saclay » donne « Le lac sacré du style ». Ou, si vous préférez, « La clé du style sacré ». « L’Établissement public Paris-Saclay » (EPPS) devient, pour le plus grand bonheur du paysagiste Michel Desvigne : « Parc sublime, c’est l’insatiable pays ». « Science et innovation » ont, elles, l’« Onction avec Einstein ». Mais elles donnent aussi : « On sonne ici et ça vient. » Ou encore, impératif : « Viens, Cité ! Annonce-toi ! » Juste pour le « Klein » d’œil, relevons encore : « Convaincs-toi… Étienne ! » À tout seigneur tout honneur, la dernière, « A Pierre Veltz » (président de l’EPPS), est parfaitement en adéquation avec la quête d’excellence du cluster, puisqu’elle donne : « Rêvez triple A ! »
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