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Science & Culture

Rencontre entre un physicien et un pianiste autour d’anagrammes.

Le 8 février 2012

L’un est physicien, l’autre pianiste et compositeur… Ils viennent de publier ensemble un ouvrage sur… les anagrammes (éditions Flammarion). Une rencontre improbable autour d’un sujet inattendu. L’un et l’autre ont bien voulu lever le voile sur cet art particulier. Voici l’entretien que nous avons eu avec Etienne Klein.

Son précédent ouvrage portait sur les nanotechnologies (Le Small bang des nanotechnologies, Odile Jacob, 2011). Comment l’illustre physicien en est-il venu à s’aventurer sur le terrain des anagrammes avec… un pianiste ? Réponse dans cet entretien qu’il nous a accordé à la fin du mois de janvier dernier, au Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière, à Saclay, juste avant de prendre le TGV pour rejoindre le Cern, le collisionneur de particules européen à la conception duquel il a participé. 

Comment s’est faite la rencontre avec Jacques Perry-Salkow ?

Par le plus curieux des hasards. En 2009, un journaliste d’Arte était venu chez moi pour me questionner sur le boson de Higgs : je me trouvais assis devant ma bibliothèque où figurait en bonne place Le Pékinois, le premier livre de Jacques, que j’avais moi-même trouvé par hasard (il s’agissait déjà d’un petit dictionnaire anagrammique des célébrités). Un des amis de Jacques voyant la vidéo l’a aussitôt prévenu sur le mode : « regarde, il y a un gars qui parle de physique et qui a ton bouquin ! » Quelques mois plus tard, je me rendis à Tours pour y donner une conférence, sans savoir que Jacques y habitait. A la fin, un homme s’approche de moi : « Bonsoir, je suis l’auteur du Pékinois…». Il était venu spécialement pour voir le « gars qui avait lu son livre ». On a aussitôt sympathisé et poursuivi nos échanges par e-mails.

Comment l’idée de faire un livre ensemble a-t-elle germé ?

Elle est venue assez naturellement alors que je rédigeais un livre intitulé Discours sur l’origine de l’univers (Flammarion, 2010). Jacques et moi échangions autour de cette idée d’origine, qu’elle s’appliquât à l’univers, à la matière, au langage… Il revenait vers moi avec des anagrammes que je trouvais particulièrement belles, par exemple l’accélérateur de particules qui donne « éclipsera l’éclat du créateur ». Je lui ai proposé que nous écrivions ensemble un livre un peu différent de son précédent, dans lequel on ne se contenterait pas de délivrer l’anagramme, mais où on ferait le lien avec l’expression initiale au travers de textes poétiques qui feraient la transition. Par exemple, « la chute du corps » donne «hors du spectacle ». Quelle relation peut-il y avoir entre ces deux expressions ? En vérité, un lien très profond les connecte l’une à l’autre, qui renvoie à Galilée : ce dernier avait défendu l’idée que les vraies lois de la physique ne sont pas directement visibles, qu’elles sont en quelque sorte cachées sous les phénomènes, et qu’elles peuvent même sembler les contredire.
Mais parfois, les anagrammes sont si puissantes qu’elles se passent de commentaires ou permettent de poursuivre une phrase avec l’expression initiale. Par exemple : « Et les particules élémentaires » donne un magnifique « tissèrent l’espace et la lumière ».

On imagine que l’éditeur a été séduit d’emblée par votre projet…

Ce ne fut pas aussi simple que cela. L’éditeur, qui a publié l’ouvrage, avait d’abord exprimé quelques doutes, craignant que cet ouvrage vire à l’OuLiPo de bas étage. Mais un argument acheva de le convaincre : « Les éditions Flammarion » donne « L’arôme des mots à l’infini », ce qui est fort flatteur ! Une fois le projet acté, on s’est mis à produire de nombreuses anagrammes en reprenant les expressions canoniques de la physique, mais aussi de la littérature ou de l’actualité économique.
L’ouvrage ne réunit qu’un échantillon de ce que nous avons trouvé. Parmi les anagrammes recalées, citons : le chat de Schrödinger qui donne « le choc d’hier est grand » ; le Médiator, « la mort idéale » ; last but not least, The Rolling Stones (le plus grand groupe du monde, n’est-ce pas ?) qui donne « Song to rest in hell ! », en lointain écho à leur chanson Sympathy for the devil…

Avez-vous recouru à un logiciel…

Non, et pour cause : les logiciels disponibles sur internet ne sont pas en mesure de combiner des anagrammes ayant du sens. D’ailleurs, en entrant nos propres expressions, nous nous sommes aperçu qu’aucun ne parvenait à nos trouvailles. Y compris pour Albert Einstein dont l’anagramme (« Rien n’est établi ») implique d’ajouter une apostrophe.
Mes talents personnels sont en la matière limités : comme tout le monde, je peux trouver les anagrammes de deux mots, voire trois, mais je cale au-delà. Jacques, lui, est capable d’en trouver qui sont aussi longues qu’une phrase, et cela assez rapidement ! J’imagine et même espère qu’un quotidien finira par le recruter pour fabriquer l’anagramme du jour et offrir à ses lecteurs un autre regard sur l’actualité.

La langue française se prête-elle plus facilement que d’autres à l’exercice ?

A priori, toutes les langues alphabétiques s’y prêtent, avec plus ou moins de bonheur. Mais au-delà de la langue, il y a ce goût prononcé des Français pour les jeux de mot et l’écriture à contrainte. Voyez le culte que nous vouons aux contrepèteries, un exercice encore différent de l’anagramme (la contrepartie s’appuie sur les sonorités et non pas sur les lettres).
Les anagrammes se pratiquent bien aussi avec les langues mortes, comme le latin. Le linguiste Saussure a d’ailleurs rédigé de nombreuses études sur les anagrammes qu’on trouve dans les œuvres de poètes grecs, études qui ont inspiré Jean Starobinski, auteur d’un livre superbe (Les mots sous les mots. les anagrammes de Ferdinand de Saussure éditions Gallimard, 1971).

De quand date la pratique de l’anagramme ?

Je suppose que cette pratique a l’âge de l’écriture alphabétique. Aux XVIe et XVIIe siècle, elle pénétra les cours d’Europe et le monde des savants. Galilée utilisait les anagrammes pour s’assurer la priorité de ses observations astronomiques tout en différant leur exposé complet et en se donnant le temps de les affiner. Par exemple, quand il croit avoir découvert que la planète Saturne est accompagnés de deux satellites (qui se révèleront être les anneaux de Saturne), il envoie à Kepler, sous forme d’anagramme en latin, la phrase suivante : « J’ai observé que la planète la plus haute est tri-jumelle ». Ce que Kepler traduira de façon erronée (toujours en latin) par « La planète Mars a deux satellites ». Or cette traduction fausse contenait elle aussi une vérité : les deux satellites de Mars furent découverts en 1877… Magie des anagrammes….
En 1667, le mathématicien et astronome Christian Huygens proposa à la Royal Society d’officialiser l’utilisation des anagrammes pour préserver, comme le voulait Galilée, les droits de propriété sur une découverte. Lui-même envoya quatorze anagrammes portant sur des découvertes qu’il avait faites sur le pendule et les lentilles. Mais l’idée ne séduisit guère…
Pour le physicien que je suis, les anagrammes peuvent avoir pour vertu de traduire de manière poétique des résultats scientifiques. A cet égard, certaines sont particulièrement troublantes comme le « boson scalaire de Higgs » qui donne l’«horloge des anges d’ici-bas »… Elle a un sens profond : dans l’univers primordial, avant d’interagir avec l’évanescent boson de Higgs, les particules élémentaires n’avaient pas de masse ; dès qu’elles en ont acquis une, elles se sont trouvées ici-bas affublées d’un temps propre, c’est-à-dire d’une sorte d’horloge portative…

Que dites-vous à ceux qui y verraient comme un sens caché ?

Qu’il faut se garder de sur-interpréter les anagrammes. Notre démarche relève de ce que les Anglais appellent le « cherry pîcking », c’est-à-dire de la cueillette des cerises : on ne prend que les bonnes… L’exercice relève surtout de la poésie, du jeu, et il sollicite notre faculté à l’émerveillement. Les illustrations à deux couleurs qui jalonnent notre ouvrage concourent à restituer cette dimension poétique. Elles sont dues à Donatien Mary, un jeune graphiste très talentueux.
L’histoire n’est jamais écrite à l’avance, même si de terribles anagrammes peuvent laisser penser le contraire. Comme Le Maréchal Pétain qui donne… « Place à Hitler, amen !»… On pense aussitôt à la visite du Maréchal à notre Dame de Paris, et cela fait froid dans le dos. Pour finir sur une note plus positive, je mettrai en exergue une autre des anagrammes qui m’émerveille particulièrement : la courbure de l’espace-temps = superbe spectacle de l’amour…

Pour accéder à l’entretien avec Jacques Perry-Salkow, cliquer ici.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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