Entretien avec Julie Credou
Suite de nos échos à l’édition 2024 du Brainathon avec, cette fois, le témoignage de Julie Credou, contributrice au sein des Pôles Intervenants et Partenariats de TEDxSaclay.
- Si vous deviez vous présenter…
Julie Credou : Aîe aie aïe… Ce que je peux vous dire avec certitude, c’est que je crois être détentrice d’un super pouvoir, celui de connecter des personnes d’univers différents pour susciter du nouveau. En tout cas, c’est ce que j’aime faire et cela peut prendre différentes formes en termes de métiers. Je vous laisse donc deviner à quoi ressemblera le prochain. Personnellement, je ne le sais pas encore et cela me va très bien ! (Rire). L’important est qu’il puisse s’inscrire dans ce fil rouge qui a caractérisé mes activités que ce soit dans l’univers des sciences où j’aime évoluer – ce qui explique d’ailleurs pourquoi je traine encore mes guêtres sur le plateau de Saclay – ou celui de la facilitation.
C’est ce goût pour la connexion qui m’a d’ailleurs amenée à rejoindre TEDxSaclay comme bénévole et ce, dès 2015, lors de sa première édition. Je le suis de nouveau cette année car j’aimerais contribuer à faire éclore le TEDxSaclay Women. Bonus du jour : j’interviens comme facilitatrice auprès d’une des équipes du Brainathon.
- Qu’est-ce qui vous a prédisposée à cette appétence pour la mise en connexion de personnes ?
J.C. : Je ne saurais dire… (elle réfléchit). Peut-être tout simplement le fait d’être une chercheuse dans l’âme – j’ai fait une thèse en chimie à l’École polytechnique. Un exercice qui m’est très bien allé car, au cours d’une thèse, on est amené à formuler plus de questions que de réponses. De fait, plus j’avance dans mes recherches, plus j’apprends et moins j’ai l’impression de savoir. Ce peut être parfois déroutant, mais c’est aussi très excitant.
- À vous entendre, vous assumez donc de vous confronter à l’inconnu. Ce que je trouve remarquable à l’heure où on a plutôt tendance à s’accrocher à des certitudes, des convictions…
J.C. : En effet. Et cela vaut aussi pour la manière d’envisager mon métier futur. En quoi consistera-t-il ? Je ne le sais pas encore, comme je vous l’ai dit. Ce qui ne me fait pas plus peur que cela. Au contraire, je trouve cette situation plutôt réjouissante. Naturellement, il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps (rire). Mais ce temps d’incertitude me va. Il faut dire aussi que je ne suis pas dépourvu de bagages. Je l’ai dit, j’ai fait une thèse, une expérience enrichissante, qui apprend à se confronter à l’inconnu, à le dissiper avec méthode et à force de persévérance. La recherche n’aurait rien d’aussi excitant si on en connaissait les résultats avant même d’explorer son sujet !
Mais comme on dit dans le monde des startuppers, j’ai quand même essayé de définir ma proposition de valeur…
- Et alors ?
J.C. : C’est d’être une « chatouilleuse de certitudes » (sourire).
- Waouh…
J.C. : Franchement, je ne vois pas comment mieux me caractériser. Des amis m’ont d’ailleurs dit que cela m’allait bien. Cela suggère quelqu’un ayant l’esprit à la fois de chercheur et un peu rebelle – ce que je crois être effectivement. Les certitudes ont plutôt le don de m’ennuyer sinon de m’inquiéter. À quelqu’un qui m’assène les siennes, je ne peux m’empêcher de réagir par un « Mais comment peux-tu en être aussi sûr ? » ou un « As-tu vérifié les informations sur lesquelles tu t’appuies ? » Si j’ai une conviction, c’est qu’on apprend mieux en assumant de se poser des questions. Cela ne signifie pas qu’il faille douter de tout. Je dis juste qu’il faut veiller à ne pas s’arrêter sur des certitudes au risque sinon de ne plus être en mesure d’apprendre et de passer à côté de belles découvertes. Les questionnements ont au moins le mérite d’ouvrir sur de nouvelles pistes de réflexion.
Je ne dis pas autre chose aux participants du Brainathon. Forcément, certains viennent avec leurs certitudes y compris sur un sujet comme l’IA générative. D’autres, au contraire, sont encore vierges de toute certitude, au point d’hésiter à poser des questions. Je les encourage donc à prendre la parole, car c’est aussi des questions naïves en apparence, qui peuvent faire avancer la réflexion.
- En passant d’une équipe à l’autre, je suis frappé par l’appétence que les participants ont à s’écouter malgré les degrés inégaux d’expertise, justement. Il faut voir d’ailleurs leur posture corporelle, leur gestuelle, l’attention avec laquelle ils s’écoutent mutuellement. Ce que je trouve fascinant à l’heure où on parle d’IA, de distanciel, de virtuel…
J.C. : Cette dynamique d’intelligence collective qui passe par des prises de parole, l’écoute réciproque, etc., est en effet intéressante à observer. J’avoue ne pas avoir été aussi attentive que vous à la gestuelle, mais j’y prêterai davantage attention à l’avenir. En revanche, j’ai été sensible à la dynamique, aux flots de paroles qui circulent au point de m’inspirer, pour caractériser le travail de la facilitatrice que je fais, l’image d’un capitaine de navire, qui s’emploie à maintenir le cap tout en composant avec les éléments marins !
- Précisons que nous faisons l’entretien pendant que votre équipe est en plein brainstorming. Manière de dire que facilitatrice, cela consiste aussi à laisser le groupe en autonomie…
J.C. : C’est important de le souligner car j’estime que la facilitatrice/le facilitateur doit évier de peser sur la dynamique de l’intelligence collective. Il importe que les participants puissent échanger sans être trop orientés dans leur discussion. Bien sûr, la tentation est grande d’intervenir pour rebondir sur une idée. D’ailleurs, j’ai déjà vu un sujet poindre que j’adorerais voir retenu. Mais je dois laisser l’équipe en décider seule !
- De quel sujet s’agit-il ?
J.C. : En fait, il est venu du lapsus d’un participant : au lieu d’IA générative, il a parlé d’IA regénérative… Ce lapsus, je le trouve juste « trop » beau. J’ai espéré que les autres participants rebondissent dessus et creusent cette idée. J’y vois une belle opportunité de croiser le numérique et la question du vivant. On verra ce que va donner la suite de leur brainstorming.
- Si cette idée était retenue, ce serait une belle illustration du fait que l’intelligence humaine collective peut être encore plus créative que l’IA générative, du fait de ses apparentes imperfections… ChatBot ou Bard sont battus à plate couture, faute de pouvoir commettre des lapsus et d’en percevoir le potentiel…
J.C. : J’aimerais le croire, mais n’étant pas encore assez experte de cette IA générative, je me garderai de m’avancer sur le sujet. Une chose est sûre, ce qui fera la différence, c’est la part d’intuition dont les participants sauront faire preuve. Pour le dire autrement, il faut que le sujet qu’ils choisissent de creuser les prenne aux tripes, qu’il ne soit donc pas trop abstrait au risque de ne mobiliser que leur intellect. À TEDxSaclay, on vient pour défendre des idées qui valent la peine d’être partagées. Autant donc qu’elles embarquent le public en le faisant entrer en résonance…
- Avant de vous laisser regagner l’équipe, un mot sur ce lieu, le Centre international de recherche et d’innovation de Danone, où nous réalisons l’entretien confortablement installé dans l’atrium…
J.C. : De prime abord, je l’ai trouvé un peu froid, à cause, peut-être, de ce parti pris du bois qui évoque une grande marque nordique de mobilier… Désolé pour ma franchise… Mais moi, je préfère les boiseries style pub anglais, chaleureuses à force d’être patinées. Cela étant dit, je trouve que c’est un lieu particulièrement adapté à l’intelligence collective : on y a de l’espace, on peut circuler facilement d’un endroit à l’autre. Et puis, quelle luminosité !
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