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Rencontre avec l’ambassadeur japonais… de Beyond Lab.

Le 17 mars 2016

Nous l’avions rencontré à l’occasion de la soirée organisée au WAI Massy-Saclay, par Beyond Lab (avec Start in Saclay), dont il est un des « ambassadeurs ». Nous nous étions promis de revoir Toshiyuki Tabata, un Japonais, qui a fait un post-doc en France, avec désormais la volonté de tisser des liens entre les startuppers de ses pays d’origine et d’adoption.

– Pour commencer, pouvez-vous nous rappeler ce qui vous a amené à poursuivre des études en France ?

En 2013, j’ai soutenu une thèse à l’Université de Tokyo, sur les nouveaux matériaux qui entrent dans la composition des semi-conducteurs. Suite à quoi j’ai voulu faire un post-doc. C’est ainsi que je me suis retrouvé en France, à partir d’octobre 2013, au Cea Leti précisément. Toujours en lien avec les sciences des matériaux, j’ai travaillé au développement de nouveaux composants électroniques.

– Le Japon est connu pour être à la pointe dans le domaine de l’électronique. Qu’est-ce qui vous a donné envie de poursuivre un post-doc en France ?

Je conçois que ce peut paraître curieux. En fait, il y a deux raisons qui m’ont rendu naturel ce choix de venir en France. D’abord, j’avais envie de sortir du Japon, un pays insulaire avec tout ce que cela suppose. A priori, j’aurais pu y faire ma carrière, mais cela m’aurait privé de la possibilité de découvrir d’autres cultures, ce à quoi j’aspirais beaucoup.
Ensuite, j’avais envie de connaître l’ensemble de la filière des semi-conducteurs, de la recherche proprement académique jusqu’à l’entreprise, en passant par le cluster combinant recherche privée et publique, fondamentale et appliquée et jouant à plein sur les synergies entre entreprises et laboratoires académiques pour développer de nouvelles technologies. Or, les plus importants clusters dédiés aux semi-conducteurs se trouvent aux Etats-Unis (le célèbre Common Platform d’IBM, GlobalFoundries et Samsung Electronics ainsi que SEMATECH) et en Europe, en Belgique (autour de l’Institut de recherche imec) et en France, (à Grenoble, autour du Cea Leti, précisément).

– Pas au Japon ?

Le pays a essayé de créer un cluster équivalent, mais sans succès. C’est pourquoi, j’ai très tôt décidé de partir à l’étranger à l’issue de ma thèse. Je voulais mener des recherches au plus près d’entreprises, dans une logique d’innovation. C’est ainsi que j’ai postulé en France, auprès du Cea Leti, mais aussi aux Etats-Unis.

– Qu’est-ce qui a fait pencher la balance en faveur de la France ?

Le Cea Leti a été le plus rapide à répondre en se disant prêt à m’accueillir pour un post-doc.

– Avec le recul, avez-vous été satisfait de poursuivre vos recherches dans ce cluster grenoblois ?

Oui, cela correspondait bien à mes attentes. Le milieu de l’innovation y est très actif. L’esprit cluster imprègne toute la ville. Des lieux innovants y ont fait leur apparition. Je pense notamment au Cowork, un espace de coworking pour startuppers.

– Et le cadre de vie, y avez-vous été sensible ?

Oui, j’ai bien aimé la proximité avec la nature, la possibilité de faire des randonnées en montagne avec mes collègues du Cea Leti.

– Comment en êtes-vous venu à rejoindre Beyond Lab ?

Au sein du Cea Leti, j’ai occupé le même bureau que Xavier Blot, le co-fondateur [pour accéder à l’entretien que celui-ci nous a avait accordé, cliquer ici]. C’est l’une des toutes premières personnes avec qui j’ai échangé. Il était justement en train de développer Beyond Lab, avec Raphaël Meyer, l’autre co-fondateur. J’ai pu ainsi prendre part à leur réflexion en vue de faire évoluer le projet. En décembre 2013, ils m’ont invité à faire un pitch. A l’époque, je ne parlais pas du tout français. Je l’ai donc fait en anglais.

– Mais votre français est remarquable ! Comment l’avez-vous appris aussi vite ?

Baignant au milieu de Francophones, je m’y suis naturellement mis. Avec la plupart de mes collègues, j’aurais pu continuer à échanger en anglais. Mais à force de les entendre échanger dans la bonne humeur, le matin au café et le midi à la cantine, j’ai voulu parler dans leur langue d’autant que d’autres étrangers la parlaient. Et puis c’était très important de bien se faire comprendre des ingénieurs en charge des manipulations en salle blanche. Bref, si je voulais que mon projet avance vite, il me fallait parler français. Ce que je n’ai pas vécu comme une contrainte. En réalité, j’ai toujours eu envie d’apprendre une langue étrangère et de la parler au quotidien. Au Japon, j’avais donc appris l’anglais au lycée et à l’université, pendant une dizaine d’années, mais sans pouvoir le pratiquer. Le fait d’être en France, je l’ai vécu comme l’occasion de parler une autre langue et pas seulement dans le cadre de mes recherches.

– Est-ce en France que vous avez découvert l’univers des startuppers ?

Non. L’Université de Tokyo, où j’ai fait mes études doctorales, compte une importante communauté de startuppers. C’est d’ailleurs un de mes amis qui y a créé le Todai to Texas, un événement qui vise à sélectionner des start-up qui participeront au South By South West (SXSW), le grand rendez-vous de la communauté de l’innovation, de la musique et du cinéma, organisé chaque année, aux Etats-Unis. Pour autant, je ne me suis pas engagé dans cette voie car je souhaitais aller au bout de ma formation de chercheur.

– Votre post-doc terminé, qu’est-ce qui vous a décidé à rester en France ?

La question se pose en effet car vivre à l’étranger, y compris dans un pays comme celui-ci, n’est pas toujours simple. Suite à mon post-doc, j’ai d’ailleurs été au chômage. Forcément, je me suis demandé s’il n’était pas temps de retourner au Japon. Ce qui m’a incité, finalement, à rester, c’est le sentiment qu’il aurait été dommage d’être resté en France juste le temps de mes études doctorales. Xavier et Raphaël m’avaient fait découvrir la communauté des start-up françaises. Par ailleurs, j’avais gardé des contacts avec celle du Japon. J’avais donc le sentiment que j’avais plus intérêt à mettre à profit ma connaissance des deux pour tisser des liens entre elles. Ce que Beyond Lab m’a permis de faire en assumant un rôle d’ambassadeur.
Et puis, j’ai rapidement trouvé un emploi au sein d’une entreprise franco-japonaise, toujours dans le domaine des semi-conducteurs.

– Dans quelle mesure le contexte français a-t-il joué dans votre décision de rester ? Pour les besoins de l’interview, vous m’avez donné rendez-vous dans un quartier typiquement parisien, à deux pas de la Fontaine Saint-Michel, dans une brasserie tout aussi typiquement parisienne. Etiez-vous vous attaché à ce cadre de vie ?

J’apprécie beaucoup ce cadre de vie, mais ce n’est pas ce qui a déterminé ma décision de rester. En fait, je connaissais déjà Paris pour m’y être rendu deux fois, en vacances. J’ai donc déjà eu le loisir de découvrir le Paris touristique. Aujourd’hui, c’est avant tout cette volonté de faire du lien entre les deux communautés de startuppers, qui a motivé ma décision de rester à Paris où, je le précise au passage, se situe le siège de l’entreprise pour laquelle je travaille.

– Quel peut être l’intérêt de l’écosystème français pour un startupper japonais ?

De manière générale, le Japon est un pays particulièrement friand des idées qui viennent de l’étranger. Depuis au moins l’après Seconde guerre mondiale, il a importé nombre d’idées venues de l’Occident, des Etats-Unis et de l’Europe. Ce souci de s’ouvrir à l’extérieur reste fort, même si, depuis, le Japon est devenu une grande puissance et est en avance dans de nombreux domaines technologiques. Certes, c’est aussi un pays encore très marqué par le poids des traditions et des hiérarchies, mais les Japonais sont en règle générale des gens curieux, intéressés par les technologies étrangères, y compris françaises. Je n’ai donc aucune inquiétude quant à la possibilité de susciter l’intérêt de mes compatriotes pour des start-up françaises (et vice versa). La French Tech suscite déjà l’attention des startuppers japonais.

– Retournez-vous de temps à autres au Japon ?

Oui, je m’y rends en moyenne 4 à 5 fois par an pour ne serait-ce que rendre visite à mes parents et des motifs professionnels. J’en profite déjà pour organiser des rencontres entre startuppers français et japonais.

– Qu’avez-vous déjà entrepris comme ambassadeur ?

Lors de la soirée Beyond Lab du 10 février dernier, au cours de laquelle nous nous sommes rencontrés, je n’étais pas encore en mesure de vous annoncer grand-chose. Depuis les choses sont allées très vite. Je peux même vous annoncer un Kick-off qui se tiendra à Tokyo le 25 mars prochain, en partenariat avec FrenchTechHub Tokyo, ScienceScope et EURAXESS Japon [ Pour en savoir plus sur cet événement et vous inscrire, cliquer ici]. Une annonce est parue dès le 1er mars. L’événement, qui vise à faire mieux connaître les écosystèmes français et japonais, est gratuit. Il suffit de prendre en charge son billet d’avion et son hébergement.

– Mais comment un tel événement a-t-il pu se monter si vite ?

L’Ambassade de France au Japon s’est montrée très réactive en manifestant un réel intérêt pour notre projet tout en prenant le temps de comprendre nos attentes. Un échange par Skype avec le responsable du bureau de la French Tech a suffi pour finaliser les choses. Nous comptons déjà plusieurs inscrits. L’événement a aussi intéressé des représentants de venture capital américains et japonais. Avec un ami, celui-là même qui organise le Todai to Texas, nous comptons organiser par ailleurs un Beyond Lab, dans le café où nous avions fait connaissance (le Lab Cafe).
En réalité, nous ne partons pas de rien. Startuppers français et japonais ont déjà des occasions de se rencontrer et d’échanger. Je repense par exemple au South By South West. La French Tech et son équivalent japonais ont commencé à y participer activement à peu près au même moment, à partir de 2013-14.

– Percevez-vous des points communs entre startuppers français et japonais ?

Oui, il y a des points communs, mais aussi des spécificités. Au Japon, le poids de la tradition et de la hiérarchie se fait encore sentir. Même les startuppers ne sont pas toujours enclins à dire ouvertement les choses, en tout cas avec autant de spontanéité que leurs homologues français ou anglo-saxons. Au cours d’une rencontre Beyond Lab, les participants s’écoutent, mais sans hésiter à intervenir, voire à interrompre pour donner leur avis. Non pas par manque de politesse, mais parce qu’ils ont intégré l’esprit collaboratif. Au Japon, il faudrait insister pour que quelqu’un en fasse autant. On cherchera d’abord à ne pas froisser plutôt qu’à dire ce qui ne va pas. Certes, c’est une marque de politesse, mais cela ne fait pas forcément avancer les choses. Une discussion franche permet de débloquer une situation et donc de gagner du temps.
Cela dit, je vois aussi beaucoup de points de ressemblance. En fait, tout dépend des générations. Longtemps, les jeunes ont pu être dissuadés par leurs aînés ou des cadres d’entreprises qui ne percevaient pas l’intérêt de certaines innovations. Mais aujourd’hui les jeunes japonais ne cherchent plus systématiquement à faire carrière dans des entreprises traditionnelles et préfèrent aller au bout de leurs idées. Ils sont aussi motivés que les jeunes français à l’idée de créer une start-up. Ils n’hésitent plus à prendre des risques, à accepter l’échec, à emprunter d’autres chemins que ceux déjà programmés. Comme en France, les exemples de Google, Facebook, Twitter, Airbnb ont encouragé des jeunes à se lancer. Ils se disent que ce qui a été possible aux Etats-Unis devrait l’être autant au Japon. Pourquoi pas nous, en somme. Après tout, nous avons des technologies développées, des informaticiens et des électroniciens bien formés, compétents et créatifs.

– Et vous, ne comptez-vous pas créer un jour une start-up ?

Si bien sûr…

– En France ou au Japon ?

Entre les deux ! Distinguer la France et le Japon n’aurait guère d’intérêt de mon point de vue.

– Bonne réponse ! Pour l’heure, vous êtes donc salarié. N’est-ce pas une illustration du fait que salariat et entrepreneuriat ne s’opposent pas, qu’on peut devenir entrepreneur après avoir été salarié ou l’inverse ?

En effet, je n’opposerais pas les deux. L’important est d’être heureux dans ce qu’on fait. Pour l’heure, je trouve mon bonheur dans cette entreprise franco-japonaise. Je concevrais même de le trouver dans une entreprise classique. L’important est de pouvoir choisir à tout moment de sa vie, ce qu’on a envie de faire. Au sein de mon entreprise, j’ai déjà beaucoup appris au plan du commerce, de la communication. Et puis elle ne m’empêche pas de faire d’autres choses à côté, comme promouvoir le rapprochement entre startuppers français et japonais !

Légendes des photos : l’affiche Beyond Lab (en illustration de l’article) ; le « Todai to Texas » (en Une, grand format) ; Toshiyuki Tabata (en Une, petit fomat).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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