Suite de notre présentation du colloque d’Ile de France du 21 mars 2017 sur « les nouveaux espaces de la créativité », à travers, cette fois, l’entretien avec Jakob Puchinger, titulaire de la Chaire Anthropolis (IRT SystemX et Laboratoire Génie Industriel de CentraleSupélec), qui interviendra sur le thème de l’humain dans la mobilité urbaine.
– Pouvez-vous, pour commencer, présenter cette Chaire Anthropolis ?
Portée par l’IRT SystemX et CentraleSupélec, et financée par cinq partenaires industriels ou opérateurs de transport (Alstom, Engie, RATP, Renault et la SNCF), cette chaire a vocation à placer l’humain au centre de la conception de systèmes et de services de mobilité urbaine. Elle se propose de mieux comprendre le comportement des utilisateurs en travaillant sur la base d’une typologie des activités et de nouvelles méthodes d’innovation. Elle comportera aussi une dimension prospective pour anticiper sur les innovations de rupture, susceptibles de changer les mobilités urbaines. Ces innovations de rupture seront entre autres l’objet de mon intervention au colloque d’Ile de Science.
– En mettant en avant la dimension humaine des mobilités urbaines, y a-t-il une volonté de croiser le regard des sciences de l’ingénieur, dont vous relevez, et celui des sciences humaines et sociales ?
Oui. De nombreuses personnes s’intéressent aux mobilités urbaines, que ce soit les urbanistes, les architectes, les ingénieurs du transport, les designers (notamment de constructeurs automobiles…), mais force est de constater que, si on parle beaucoup de pluridisciplinarité, celle-ci est encore peu effective dans les faits.
A travers cette chaire, nous voulons, donc, porter un regard différent sur les mobilités urbaines en réunissant des spécialistes de la modélisation, de l’informatique et des algorithmes, mais aussi des personnes, qui se livreront plutôt à un travail de terrain, pour mieux comprendre les usages des gens, dresser des typologies, susceptibles d’enrichir nos modèles informatiques.
Pour l’heure, la chaire compte encore principalement des ingénieurs de génie industriel, de recherches opérationnelles, de conception,… Je trouverais bien de pouvoir coopérer avec un sociologue et un psychologue. L’équipe serait alors au complet !
– Gageons que le message passera à travers cet entretien !
(Rire) En attendant, nous pouvons nous appuyer sur d’autres projets portés par l’IRT SystemX. Je pense en particulier au projet MSM (pour Modélisation des Solutions de Mobilité) : un projet de recherche en ingénierie et en avancement technologique, lancé l’an passé pour une durée de quatre ans, avec pour ambition d’apporter des solutions permettant d’améliorer et de fluidifier les déplacements des usagers en zone urbaine. Une personne travaille à la fois sur ce projet et au sein de notre chaire, et fera ainsi le lien.
Par ailleurs, en tant que professeur à CentraleSupélec, j’encadre une thèse sur la modélisation des transports, orientée sur les véhicules autonomes. Quoique réalisée dans le cadre du projet MSM, elle peut bien évidemment intéressée les travaux de notre chaire.
– Dans quelle mesure intégrez-vous les défis du Big Data ?
C’est bien sûr un enjeu important, que nous suivons à travers les projets qui lui sont dédiés au sein de l’IRT SystemX. Et ce, d’autant plus qu’ils peuvent être l’origine de ces innovations de rupture, auxquelles nous nous intéressons au sein d’Anthropolis.
– Dans quelle mesure appréhendez-vous l’écosystème de Paris-Saclay ? Comme un terrain de jeu pour déployer des expérimentations ?
Pour l’heure, le Plateau de Saclay est d’abord un terrain d’observation et d’échange autour des projets qui ont déjà été planifiés et ce, en vue d’en étudier l’impact au plan des mobilités. Par exemple, nous avons proposé de prendre pour sujet d’étude scientifique le déménagement de CentraleSupélec, de Châtenay-Malabry vers le quartier de Moulon, dans l’idée d’en évaluer les effets sur la mobilité du personnel en particulier. Un premier échange a été organisé au sein de notre laboratoire avec des membres de ce personnel, d‘autres sont envisagés. En plus d’étudier l’impact sur les mobilités, à partir d’une comparaison avant/après, nous souhaitons évaluer les craintes suscitées par la perspective de ce déménagement. Au-delà du diagnostic, l’enjeu est de co-constuire, à l’occasion de workshops, des propositions pour surmonter ces craintes et accompagner les personnels dans leur changement de pratiques en matière de mobilité quotidienne. Nous ne sommes qu’au début de la démarche. Il sera encore trop pour donner de premiers résultats, même lors du colloque du 21 mars prochain.
Sans doute serons-nous amenés à élargir notre démarche à d’autres projets. Nous venons d’ailleurs d’être conviés par l’EPA Paris-Saclay à participer à des ateliers autour d’un programme urbain innovant, Le Central.
– Comptez-vous capitaliser sur l’expérience des déménagements déjà effectués (je pense à ceux de l’ENSTA ParisTech, de l’Estaca et d’EDF) ?
Oui. Un de nos thésards vient d’ailleurs de nouer de premiers contacts auprès de personnels d’établissements membres de l’Université de Paris-Saclay, implantés à Gif-sur-Yvette. Mais nous souhaitons élargir notre démarche à d’autres établissements, à commencer par EDF Lab.
– Venons-en au colloque d’le de Science sur les nouveaux espaces de créativité, auquel vous allez participer, le 21 mars prochain. En quoi cette problématique vous intéresse-t-elle ? Dans quelle mesure la créativité est-elle soluble dans la modélisation et les sciences de l’ingénieur ?
La modélisation concerne plutôt les flux de transports. Intégrer dans nos modèles des pratiques qui ne sont encore qu’en émergence, c’est difficile. Mais à défaut de modéliser la créativité, on peut développer des méthodes à même de diriger l’intelligence collective de façon à rester dans une certaine faisabilité des initiatives.
– La notion même de créativité est-elle pertinente dans le champ des mobilités urbaines ?
Oui, bien sûr. D’ailleurs, force est de constater la volonté croissante des gens de prendre part à la transformation de leur environnement quotidien en faisant preuve de beaucoup de créativité, a fortiori quant ils se mettent à travailler ensemble, à l’échelle d’un quartier. C’est vrai en matière de mobilité, mais aussi en matière d’alimentation, de lien social, etc. Certes, il s’agit bien souvent d’initiatives très locales, mais qui n’en attestent pas moins d’une volonté d’être acteur, dans une logique collaborative. Tout se passe comme s’il y avait une envie de restaurer un dialogue en réduisant les distances avec les autres, à travers une dynamique de projet.
– Un constat que vous faites aussi sur le Plateau de Saclay ?
Reconnaissons que, sur le Plateau de Saclay, ce n’est pas encore gagné ! L’EDF Lab, pour ne prendre que cet exemple, s’est doté d’une brasserie, que je peux voir depuis mon bureau. On peut s’y rendre à pied, mais pas encore dans des conditions confortables. Les choses devraient s’améliorer avec l’aménagement du site. Rien n’empêcherait cependant de se réunir pour réfléchir ensemble à la manière de remédier à cette situation, dans cette logique de co-création que j’évoquais tout à l’heure.
– Est-ce à dire que le Plateau de Saclay est à envisager autant à travers ses contraintes que les opportunités qu’il offre de réfléchir ensemble à des solutions innovantes, certes localisées mais satisfaisantes pour ceux appelés à y travailler et/ou y vivre ?
Oui, certainement. A condition toutefois de capitaliser sur cette dynamique de co-création. Autant le dire : ce n’est pas simple, car beaucoup de personnes, qui travaillent sur le Plateau de Saclay, ont tendance à repartir chez elles dès leur journée de travail terminée. Il n’y a pas encore assez de lieux propices à des afterworks, qui les inciteraient à s’y attarder pour partager des moments d’échanges plus informels sur les problématiques qui se posent et la manière de les résoudre collectivement.
Mais nul doute que c’est juste une question de temps ! Des événements permettent déjà de faire plus ample connaissance avec des acteurs de l’écosystème. Pour avoir déjà participé à une conférence qui s’y déroulait, j’ai eu l’occasion de découvrir l’EDF Lab et nouer de premiers contacts. Nul doute que le colloque du 21 mars sera, comme je l’espère, l’occasion d’en nouer d’autres pour les besoins de l’étude que j’évoquais sur les effets du déménagement de son personnel.
A lire aussi les entretiens avec :
– Laure Reinhart, présidente d’Ile de France (pour y accéder, cliquer ici) ;
– Albert Meige, fondateur et DG de Presans, par ailleurs directeur de l’Executive MBA « Leading Innovation in a Digital World » de Télécom Ecole de Management (pour y accéder, cliquer ici).
Crédits photos : Gil Lefauconnier/IRT SystemX ; Istock
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