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Regards croisés sur les entreprises dans la mondialisation.

Le 21 janvier 2019

Les 28 et 29 août 2018 se déroulaient les Entretiens Enseignants-Entreprises (EEE) avec pour thème cette année « les entreprises dans la mondialisation ». Malheureusement, nous n’avions pu y assister. L’engagement avait été pris cependant d’y revenir avec Béatrice Couairon, la directrice du Programme Enseignants-Entreprises, en charge de l’organisation de cette université d’été. Voici l’entretien qu’elle a bien voulu nous accorder, peu avant les fêtes, non sans se projeter déjà dans la préparation de la prochaine édition.

– Pourquoi ce thème des « entreprises dans la mondialisation » ? Je pose la question même si on devine l’enjeu pour l’Institut de l’entreprise et qu’il figure au programme de plusieurs enseignements du secondaire.

Les thèmes traités dans le cadre des EEE sont choisis au sein de notre comité stratégique, présidé par Patrick Artus (Chef économiste chez Natixis). Pour cette édition 2018, c’est Marc Montoussé, Inspecteur général du groupe « Sciences économiques et sociales », qui nous l’a soufflé. Sachant qu’il est effectivement au programme de différents enseignements (une condition sine qua non pour qu’un thème soit retenu).
J’ajoute que c’était déjà celui de la toute première édition des EEE, qui s’était tenue en 2003, il y a donc quinze ans. L’occasion était trop belle de rendre compte des évolutions intervenues depuis, de la manière dont se posaient désormais les termes des débats. En me replongeant dans les actes qui avaient été produits par la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire], j’ai pu de fait mesurer le chemin parcouru.

– En quinze ans, quels ont été justement les principaux changements dans la manière de traiter des entreprises dans la mondialisation ?

En 2003, la focale avait été mise sur les grandes entreprises, considérées a priori comme les principaux acteurs de cette mondialisation, aux côtés des Etats et des organisations internationales. L’édition 2018 des EEE a été, elle, l’occasion de souligner le rôle de la société civile, mais aussi des petites et moyennes entreprises. Au-delà, elle s’est attachée à rendre compte de la mondialisation dans sa complexité et des divers questionnements qu’elle soulève. Des questionnements auxquels on n’a pas encore toujours de réponse. C’est ce qui d’ailleurs différencie les EEE de colloques ou de séminaires où on s’emploie d’abord à mettre en avant ce qu’on croit savoir de cette mondialisation, les théories et les connaissances qu’on en a. A travers les EEE, nous avons d’abord voulu nous poser les bonnes questions, les défis théoriques mais aussi éthiques que représente cette mondialisation au regard des entreprises notamment.

– Pouvez-vous donner un exemple de question ayant nourri vos débats ?

La question des inégalités a été, comme vous vous en doutez, largement débattue. Dans quelle mesure les entreprises concourent-elles à les réduire ? Si les chiffres semblent indiquer un recul au plan mondial, l’économiste Gaël Giraud nous a utilement rappelé que cette réduction doit principalement au rattrapage de la Chine, dont la situation, comme on s’en doute, pèse sur la moyenne mondiale. Force est de constater que dans d’autres parties du monde, les inégalités persistent voire se creusent. Et cette tendance vaut aussi pour des pays anciennement industrialisés. La question se pose donc de savoir que faire en direction des populations pour lesquelles la mondialisation est d’abord synonyme de perte d’emplois et donc de revenus. Une question qu’on doit d’autant plus se poser que l’aggravation de la crise sociale peut nourrir le populisme. Une illustration, au passage, de la manière dont la mondialisation qu’on avait tendance à considérer comme un phénomène essentiellement économique, a des répercussions sur bien d’autres plans, social et politique, donc. Ce que la politologue américaine Susanne Berger, que nous avons eu la chance d’avoir parmi nos intervenants, a bien montré. Je ne saurais trop vous inviter à visionner son intervention sur YouTube.

– En quoi l’écosystème de Paris-Saclay est-il entré en résonance avec cette thématique des entreprises dans la mondialisation ?

Naturellement, avec ses centres de R&D, ses grandes écoles, ses lieux d’innovation, etc., il était plus que jamais en phase avec les problématiques de l’édition 2018 de nos EEE. Comme les années passées, nous y avons organisé des visites. Cette année, EDF Lab s’est associé à nous, en ouvrant grand ses portes – les enseignants ont pu y voir les installations et, au travers d’une conférence, la manière dont l’innovation transformait les métiers et les compétences attendues dans un groupe comme EDF. Pour l’an prochain, j’aspire à ce que le CEA s’engage à son tour à accueillir nos enseignants.

– Gageons que le message soit entendu par le truchement de cet entretien. Quelles ont été les autres nouveautés par rapport aux années précédentes ?

La principale concerne les « regards croisés » : des débats avec des spécialistes, préparés en amont par deux enseignants de disciplines différentes, que nous avons voulu élargir à d’autres disciplines que celles, classiques, des EEE – les sciences économiques et sociales, d’une part, et économie et gestion, d’autre part. Des enseignants en histoire et géographie se sont déjà joints à nous depuis plusieurs années. Pour cette édition 2018, nous avons voulu aussi associer les Sciences et technologies, du vivant, de la santé et de la terre (STVST) à nos groupes de travail. Un regard croisé a ainsi été préparé conjointement par un enseignant de ces matières avec un enseignement en sciences économiques et sociales.

– En quoi cela s’est-il révélé pertinent pour appréhender les entreprises dans la mondialisation ?

Des enjeux comme ceux de la santé ou de l’alimentation concernent tout autant les entreprises. C’est dire si les enseignants en sciences économiques et sociales, ou en économie et gestion ne sauraient avoir le monopole de la connaissance sur ces dernières et s’ils gagnent au contraire à échanger avec leurs collègues d’autres disciplines. Les STVST sont donc désormais bien présentes dans notre organisation, au travers de Bertrand Pajot, doyen du groupe permanent et spécialisé de l’Inspection générale de l’Education nationale, et membre du comité exécutif de notre programme de formation.
Au-delà de ce croisement des disciplines, les EEE ont, cette année plus que jamais, assumé leur volonté d’être un lieu où on peut échanger avec franchise, sans langue de bois. Rappelons que ces EEE se déroulent fin août, à quelques jours de la rentrée. Nous devons autre chose que de simples cours, à tous ces enseignants qui font l’effort d’y assister, en venant des quatre coins de France. Il importe de leur permettre d’échanger entre eux et avec les intervenants, d’une manière aussi directe que possible. Et ce qui me réjouit, c’est de voir à quel point tout le monde, les intervenants compris, joue le jeu. En plus d’une information de grande qualité, il en résulte beaucoup de sincérité et de bienveillance dans les échanges.

– On vous sent très attachée à faire des EEE un vrai lieu de débat…

L’enjeu est d’apporter des ressources pédagogiques utiles aux enseignants pour illustrer les notions qu’ils ont à enseigner. C’est dire si cette franchise dans les débats est une condition nécessaire pour ensuite transmettre aux élèves des exemples au plus près de la « réalité du terrain ».

– Quels sont les retours des participants ?

Des retours très positifs : d’après les résultats de notre questionnaire d’évaluation adressé aux enseignants un mois après la tenue des EEE, plus de 93% de ceux qui ont répondu ont jugé les conférences d’un niveau « excellent ou très satisfaisant » ; plus de 80% ont porté le même jugement sur les « regards croisés » ; 100% ont dit vouloir recommander l’événement à un collègue. Moi même, j’ai été impressionnée par l’intelligence collective qui se dégageait des échanges.

– Comment comptez-vous faire mieux la prochaine fois ?

En définissant, pour commencer, un thème qui n’ait pas été déjà archi-débattu, mais puisse au contraire susciter une excitation intellectuelle. De ce point de vue, je pense que nous pouvons être rassurés puisque pour l’année prochaine, le choix s’est porté sur le thème des « risques et opportunités ».

– Un thème particulièrement vaste…

De fait, le risque fait partie intégrante de la vie – rien n’est écrit à l’avance. Il faut donc aussi savoir saisir les opportunités qui se présentent, ce qui suppose de savoir observer, d’être à l’écoute de ce qui se passe autour de soi. Et cela vaut aussi bien pour les individus que les organisations, dont les entreprises, non sans questionner aussi la manière d’envisager les politiques publiques, le rapport aux technologies, les risques sociaux, la protection sociale, etc. Il ne reste plus qu’à élaborer le programme car, au moment où je vous parle, nous sommes encore devant une page blanche. Mais nul doute qu’elle devrait se remplir rapidement, avec toujours cet objectif d’aborder des enjeux qui peuvent intéresser nos enseignants au regard de leur programme.

– Dans quelle mesure l’écosystème Paris-Saclay a-t-il pu vous inspirer ce thème : ici, risques et opportunités sont le quotidien de nombreux de ses acteurs, à commencer par les chercheurs, les entrepreneurs innovants et les startuppers…

Paris-Saclay est l’une des composantes d’un pari qu’avait fait le président Sarkozy en lançant le Grand Paris, avec tout ce que cela signifie en termes de prise de risque. Le pari est en passe d’être gagné, en tout cas pour ce qui concerne Paris-Saclay. Ceux qui y vivent – c’est mon cas – peuvent témoigner qu’un cœur commence à y battre. Certes, il y a encore des problématiques à résoudre – du côté de l’accessibilité, notamment – mais la dynamique est enclenchée. C’est d’autant plus stimulant que les jeunes y prennent leur part : j’en vois beaucoup arriver sur le Plateau de Saclay pour y poursuivre des études dans les grandes écoles et universités qui s’y sont installées. Des jeunes aux profils très divers, ce qui ne peut que concourir à enrichir l’écosystème. Sans doute y manque-t-il encore des lieux de sociabilité, où ces jeunes pourraient se retrouver, mais on voit que ça commence à prendre, avec l’ouverture de lieux de vie novateurs. Une illustration du fait qu’une prise de risque peut être propice à de nouvelles opportunités.

Pour accéder…

… à l’intervention de Susanne Berger, cliquer ici.

… aux ressources des EEE 2018, cliquer ici.

Crédit photo : Nicolo Revelli-Beaumont / Sipa / EEE.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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