Regards croisés Design & Science sur Agriculture & Mégapoles.
Le 27 février 2020, une quarantaine d’élèves designers et scientifiques, issus d’une dizaine d’écoles d’ingénieurs et de design, présenteront au Palais de la Découverte leurs solutions imaginées plusieurs mois durant sur le thème « Agriculture et Mégapole », à l’occasion de la finale du Prix Design & Science. Lui-même lauréat de la première édition, avant d’en devenir le responsable, Bastien Perdriault nous en dit plus sur l’originalité de ce prix et ses prolongements.
– Si vous deviez, pour commencer, pitcher le Prix Design & Science ?
Ce Prix, qui a été créé en 2016, a vocation à permettre à une quarantaine d’élèves, pour moitié designers, pour l’autre scientifiques, et de différents établissements, de travailler autour d’un projet innovant en lien avec une thématique donnée. La finale qui se déroulera le 27 février prochain est l’aboutissement de six mois de travail, à raison d’un atelier hebdomadaire, chaque jeudi, à la Cité des sciences et de l’industrie. Répartis par équipe, les élèves sont encadrés par des enseignants des différents établissements partenaires. Durant une première phase d’observation et d’analyse, ils sont invités à aller à la rencontre d’interlocuteurs pour définir une problématique relative à la thématique. Deux séances sont programmées pour une présentation de leur travail au Palais de la Découverte. Une première à mi parcours (en général, le dernier jeudi du mois de décembre), la seconde en public, le jour de la finale, le 27 février donc, juste avant la remise des Prix. En plus d’une intervention sur scène, ils peuvent répondre sur un stand aux questions des visiteurs.
Précisons encore que ce Prix Design & Science prolonge le programme ArtScience, créé en 2009 par David Edwards, professeur à Harvard. Dirigé par l’école de design Strate jusqu’en 2018, il est depuis porté par l’Université Paris-Saclay, par l’intermédiaire du Design Spot, en bénéficiant du soutien de plusieurs autres partenaires : la région Ile-de-France, Universcience, Engie, Laval Virtual, la Maison des Sciences de l’Homme, IncubAlliance, l’APCI (Agence de promotion de la création industrielle), et depuis cette année, du Conseil Economique de Singapour (EDB Singapore et Design Singapore).
– En quoi consiste le soutien de ce partenaire plutôt inattendu ?
C’est un partenaire très précieux puisqu’en plus d’inviter un membre de chaque équipe à rencontrer des acteurs locaux intéressés par la problématique (un séjour qui a été effectué en novembre), il offre ensuite la possibilité à l’équipe lauréate de mettre en œuvre sa solution sinon de la tester en condition réelle.
– A vous entendre, il s’agit de bien plus qu’un concours, mais d’une formation, y compris à de l’innovation entrepreneuriale…
C’est effectivement une autre caractéristique de ce prix, qu’il est important de souligner : le Prix Design & Science est un programme pédagogique. Les encadrants, présents le jeudi après-midi, sont d’ailleurs tous des enseignants des différentes écoles partenaires. Durant la dernière demi heure de chaque atelier, nous faisons par ailleurs intervenir un conférencier en lien avec la thématique. Au total, sur l’ensemble des séances, c’est donc une dizaine de conférenciers différents, que les élèves ont l’opportunité de rencontrer pour nourrir leur réflexion.
A dessein, ils sont placés dans une sorte de cocon, de façon à ce qu’ils puissent laisser libre cours à leur imagination, sans avoir à se préoccuper de considérations matérielles, qui pourraient inhiber leur créativité. Ce que nous leur demandons, c’est de ne surtout pas se placer dans les contraintes des institutions ou entreprises qui traiteraient des mêmes problématiques, mais bien de sortir des sentiers battus. C’est la force du Prix Design & Science, que de leur permettre d’adresser des solutions que des institutions ou entreprises mettraient des années à identifier.
– Est-ce à dire que les prix remis lors de la finale ne sont que la cerise sur le gâteau ?
Dans une certaine mesure oui, au sens où toutes les équipes ressortent enrichies d’une expérience à la fois formatrice et susceptible de déboucher sur un projet entrepreneurial. Qui plus est, nous ne cherchons pas à les mettre en concurrence. Le plus important est que chaque équipe arrive à formuler une solution innovante, en tirant profit de ce mix d’élèves de différents horizons disciplinaires et géographiques (certains viennent de l’étranger, de Tunisie, du Mexique, d’Inde, du Luxembourg…). Force est d’ailleurs de constater que les équipes jouent la carte de l’entraide. La phase d’observation et d’analyse, que j’évoquais, est commune à tous les élèves, de sorte qu’elle nourrit l’intégralité des projets. Après, chaque équipe est appelée à se lancer dans sa propre direction. Chercher à faire mieux que les autres n’est pas le but du jeu. L’important est d’aller au bout d’une démarche, pour répondre au mieux à la problématique qui aura été retenue. Et cela marche ! Pour m’impliquer dans l’organisation du prix depuis plusieurs années (je l’ai rejoint en 2012), je peux témoigner du fait que des solutions innovantes proposées par des entreprises et leur R&D, ne sont rien moins que des intuitions ou idées que nos étudiants avaient eues quelques années plus tôt…
Cela étant dit, les prix remis à cette occasion sont quand même bien plus qu’une cerise sur le gâteau : les lauréats du Prix Design & Science de l’Université Paris-Saclay se verront offrir la possibilité de tester leur solution à Singapour, ceux du prix spécial Laval Virtual pourront exposer leur solution durant la totalité du salon (tous les autres, les deux derniers jours). Précisons que deux autres prix seront remis : le prix spécial MSH (Maison des Sciences de l’Homme Paris Saclay) et le prix du public.
– Que prévoyez-vous pour que vos candidats puissent valoriser leurs idées, au-delà de la durée du Prix, ne serait-ce qu’au regard des droits d’auteur ?
C’est une vraie question qui est l’occasion pour moi de souligner une différence avec les hackathons organisés à l’initiative de structures privées, qui imposent le sujet à traiter. Nos élèves sont libres de choisir la problématique de leur équipe – il faut juste qu’elle soit en lien avec la thématique. Ensuite, ils sont libres de développer leur projet, au-delà de la durée du concours, en faisant le nécessaire pour protéger leurs idées. Plusieurs l’ont fait d’ailleurs, en allant jusqu’à fonder une start-up ou une entreprise innovante. Parmi les exemples qui me viennent en tête : Glowee, qui a mis au point une solution de bioluminescence sous forme de stickers, à partir d’organismes vivants ; Energy Square, qui propose un système de recharge de smarthophone sans fil (elle expose chaque année au CES de Las Vegas, depuis trois ans) ; ou encore Eonef, qui a conçu un ballon solaire permettant d’embarquer des antennes de communication dans des zones reculées ou sinistrées… Autant de start-up à part entière, en plein développement et créatrices d’emplois.
– Comment s’est fait le choix de la thématique, « Agriculture et Mégapoles » ?
La thématique se doit d’être a priori un sujet aussi actuel sinon prospectif que possible, sans être spécifiquement design ou scientifique. Cette année, avec les encadrants, il nous a paru intéressant de confronter les candidats aux défis de l’agriculture urbaine, tels qu’ils se posent en Europe et en Asie.
– Reste que ce n’est pas une thématique qu’on n’associe spontanément au design…
Je souris en entendant votre question, car je me rends compte que je ne me l’étais pas posée. Tout simplement parce que, pour moi qui suis issu du monde du design, il est clair pour ne pas dire évident que l’agriculture est un domaine où le design a plus que son mot à dire.
– D’ailleurs comment envisagez-vous le design ?
Pour moi, le design, c’est d’abord une méthodologie, une manière de traiter d’une problématique, quelle qu’elle soit, consistant à faire évoluer les points de vue des parties prenantes d’un projet (ingénieurs, scientifiques, etc.) pour les faire converger et faire en sorte qu’elles s’accordent sur une vision partagée, en s’appuyant bien sûr sur leurs savoir-faire et compétences propres. Elle a pour elle de savoir exploiter les ressources du langage visuel, en étant aussi en mesure de comprendre les tenants et aboutissants de la problématique. Au final, la démarche design ne débouche pas nécessairement sur du design produit, expérience ou autre. Elle est un peu tout cela à la fois, avec pour objectif premier d’améliorer le quotidien de l’usager.
– Cela fonctionne-t-il toujours ?
Non, bien sûr ! Pour être designer, ingénieur, scientifique, etc., on n’en reste pas moins des humains, confrontés à de possibles incompatibilités d’humeur. D’ailleurs, entre nos étudiants, le courant ne passe pas d’emblée. Il leur faut apprendre à se connaître. Et quand cela marche, quand l’alchimie opère, comme c’est le cas généralement (en six mois, les élèves parviennent à travailler en équipe), cela produit des résultats plus qu’intéressants et même incroyables. Y compris au plan de la communication. Comme vous avez pu déjà le constater l’an passé, les équipes sont, à l’issue de leur formation, en mesure de donner forme à leurs idées et ce, sous diverses formes : des maquettes, des visuels animés, sans oublier leur stand ni le site internet et la charte graphique, qu’ils sont aussi appelés à concevoir. C’est un autre apport précieux du design, qui permet de donner aux résultats de son travail un aspect cadré, finalisé.
– Dans quelle mesure le fait que le Design Spot se trouve sur le Plateau de Saclay a pu, par imprégnation, inspirer la thématique de cette édition (rappelons que le Plateau est riche d’espaces naturels, forestiers et agricoles) ?
De fait, le Design Spot est directement confronté aux problématiques agricoles et n’y est pas indifférent… Grâce au concours de Patrick Cheenne, que je remercie au passage, nous avons été mis en relation avec des agriculteurs, qui se sont lancés dans des productions locales pour une alimentation saine. Pour autant, la vocation du Prix n’est pas de traiter des enjeux spécifiques du Plateau. Les ateliers hebdomadaires que j’évoquais sont organisés à l’extérieur, à la Cité des sciences et de l’industrie, et les séances de présentation au Palais de la Découverte…
– Autant de lieux prestigieux, mais pourquoi ne pas le faire au Design Spot ?
D’abord par commodité : nos élèves viennent des quatre coins de l’Ïle-de-France. Les réunir à Paris restreint les problématiques d’accessibilité. Et puis, notre volonté est qu’au cours des six mois de la formation, ils puissent s’ouvrir sur le monde, ni plus ni moins, en rencontrant le plus d’interlocuteurs possible.
– Comment en êtes-vous venu vous même à participer à cette aventure ?
Il se trouve que j’ai fait partie de l’équipe gagnante de la première édition. Suite à quoi, j’ai créé une structure directement inspirée du projet, qui a vécu depuis sa propre vie. J’ai ensuite tenu à m’impliquer dans l’organisation du Prix. Pour le Designer produit que je suis à l’origine, c’est l’opportunité de faire un vrai travail de veille. J’en suis devenu le responsable, en l’aidant à évoluer comme nous incite à le faire l’esprit design. C’est aussi en cela que c’est une aventure passionnante.
Pour plus d’information sur le Prix Design & Science, cliquer ici.
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