A Paris-Saclay Invest, on croise toutes sortes de personnalités et pas seulement des investisseurs. Parmi elles, Jean-Louis Frechin, de la célèbre agence Nodesign.net et par ailleurs, depuis trois ans, Commissaire général de Futur en Seine, venu présenter le projet mené conjointement avec le skipper Ian Lipinski.
– Si vous deviez présenter Nodesign.net en quelques mots…
Comme son nom le suggère, Nodesign.net est une agence de design numérique, qui veille à articuler cet enjeu social et technologique au réel, tel qu’on le voit et le ressent, en prenant en compte le contexte, en puisant aussi dans l’histoire, pour mieux concevoir des « choses » utiles et simples et donc désirables. Nous nous adressons aussi bien à des entreprises – start-up ou grands groupes – qu’à des collectivités territoriales, des musées, des laboratoires de recherche, etc., pour co-construire des produits ou des services innovants et créatifs.
– Pourquoi êtes-vous, ici, à Paris-Saclay Invest ?
Pour faire connaître les projets menés avec l’entrepreneur et skipper Ian Lipinski : des bateaux destinés à participer à la Mini Transat, en association avec des partenaires qui trouvent là matière à fédérer leurs équipes en interne, tout en soutenant une démarche à la fois entrepreneuriale et innovante.
– On est loin du Plateau de Saclay…
L’attrait de la mer et des courses à la voile ne se limitent pas au littoral ! Tout le monde est sensible au défi qu’elles représentent. Pour les partenaires, c’est l’occasion d’incarner l’esprit des clusters et promouvoir une image positive de l’innovation auprès de leurs salariés et du grand public, de faire aussi du réseautage avec des représentants d’univers où elles ne seraient jamais allées d’elles-mêmes. Nombre d’entreprises installées ou créées à Paris-Saclay sont tournées vers l’innovation. Elles ne peuvent qu’être sensibles à notre démarche. De même que les écoles d’ingénieurs. D’ailleurs, nous avons reçu un très bon accueil à l’Institut d’Optique Graduate School (IOGS) où nous avons présenté, en mai dernier, la nouvelle étape de notre démarche, ou encore au 503, son centre d’entrepreneuriat, où nous sommes intervenus hier, dans le cadre de l’Innovation Summer Camp’14.
– Connaissiez-vous ce territoire auparavant ?
Oui, j’y suis connecté à plusieurs titres. D’abord, à travers mes enseignements à l’Ensci Les Ateliers qui y est impliqué à travers plusieurs partenariats. Ensuite, j’ai accompagné plusieurs projets d’étudiants qui portaient sur ce territoire. Enfin, j’ai mène des projets avec le CEA et l’Onera. Sans compter plusieurs contacts en lien avec les réseaux.
– Et puis le programme Making With du PROTO204 a été labellisé Futur en Seine dont vous êtes le Commissaire général.
Tout à fait. Notre festival du numérique mobilise 170 start-up à Paris intra-muros, mais c’est aussi 250 événements organisés à travers toute l’Ile-de-France, dont Paris-Saclay, qui a vocation à être un des pôles d’innovation technologique de ce qu’on appelle désormais la Région capitale.
– Que vous inspire la dynamique de cluster de Paris-Saclay ?
Je n’ignore pas les débats contradictoires autour de ce territoire, sur le thème densité versus campus urbain, ou quant à savoir s’il doit s’inspirer de la Silicon Valley ou se rapprocher plutôt du modèle de San Francisco. Ou celui qui oppose les tenants d’une recherche à la française, héritée de la période gaullienne, et ceux qui promeuvent au contraire une recherche foisonnante, collaborative, ouverte. Paris-Saclay semblant incarner la première tandis que Paris intra-muros incarnerait la seconde. Pour ma part, je me garderai de les opposer considérant que le véritable enjeu est de les articuler en leur permettant de vivre chacune avec ses particularités et de se concentrer sur les projets communs. C’est d’ailleurs pourquoi, je fais volontiers des navettes entre Paris où se trouvent l’Ensci Les Ateliers et mon agence de Nodesign.net, et Paris-Saclay…
– Au risque d’affronter les problématiques de transport ?
Pour avoir participé aux projets architecturaux proposés dans le cadre du Grand Paris, je crois savoir que ces problématiques ont été traitées, à travers notamment le projet de ligne automatique et les réseaux de bus en site propre. Certes, cela prendra encore du temps avant de se concrétiser [ la ligne automatique doit voir le jour en 2023 ], mais la situation est appelée à s’améliorer. En tant que professionnel de l’innovation, je serai tenté de dire que la priorité pour Paris-Saclay serait plutôt de faire un peu de rétro-innovation…
– C’est-à-dire ?
Commencer par une bonne vieille signalétique à la Suisse ! Cela m’aurait permis d’éviter de me perdre ce matin pour me rendre jusqu’ici [ à l’Ensta ParisTech ] ! Cela ne coûterait pas grand-chose. Et puis, c’est un moyen de doter le territoire d’une identité visuelle. Plusieurs projets ont vu le jour pour remédier aux problèmes de mobilité, plus sophistiqués les uns que les autres. Mais avant de les lancer, commençons par installer de beaux panneaux de signalisation indiquant l’emplacement de telle ou telle école, de tel ou tel laboratoire, etc.
– Mais nous sommes à l’ère du GPS ! En quoi une telle signalétique serait-elle utile ?
Même à l’heure du numérique, le réel résiste. Et c’est tant mieux, car on en a besoin. D’ailleurs, le numérique est aussi une réalité, quoi qu’on en pense. Il n’est pas que virtuel. Et puis faire de l’urbanité, c’est créer des endroits où on se puisse se perdre pour mieux se repérer. Pour l’heure, on se perd plus facilement qu’on ne se repère.
Au-delà de ce constat, j’ai la conviction qu’il est nécessaire de créer des objets communs. La signalétique y participe. Mais ce doit consister aussi en lieux partagés, mutualisés. Ici, on ne manque pas de lieux innovants de type FabLab, qui tendent à essaimer un peu partout au sein de Paris-Saclay, au 503, à l’Ecole Centrale… Nul doute que Polytechnique va se doter du sien. Tout cela est très bien. Mais ce dont on a besoin avant toute chose, ce sont de lieux communs, des lieux où on perd son temps ensemble et où on se sent bien. Ce peut être une simple pizzeria…
Paris-Saclay ne manque pas de ressources, d’intelligence, de compétences. Il lui manque cependant aussi de ces lieux symboliques, dans lesquels tout un chacun pourrait se reconnaître et se rendre. Ce peut être aussi un projet collectif autour d’un « truc » qui nous dépasserait tous, en nous faisant sortir de nos zones de confort, pour mieux vivre une expérience collective. A l’image du projet de Ian Lipinski, justement.
– En l’occurrence, il s’agit d’un bateau… Nous sommes loin du contexte géographique du Plateau de Saclay…
Certes, le bateau n’est pas une réponse à la problématique de transport qu’on évoquait tout à l’heure ! Sa vocation est ailleurs : fédérer les énergies. On a d’autant plus envie d’horizon marin qu’on en est frustré. Beaucoup d’ingénieurs font de la voile. Ils y trouvent le moyen de satisfaire un autre désir : non pas tant solutionner des problèmes, comme leur demandent de le faire les grandes firmes pour lesquelles ils travaillent, mais entreprendre. L’air de rien, ils renouent avec la tradition de nos ingénieurs du XIXe siècle et du début du XXe siècle, qui ont pris part aux grandes innovations (la photo, la radiodiffusion, la radioactivité, l’aviation, le cinéma, l’automobile…) en créant leur propre entreprise. Nous manquons de ces ingénieurs entrepreneurs. Mais j’ai bon espoir. L’autre jour, j’ai rencontré un jeune ingénieur de l’IOGS. Il a à peine vingt ans et aspire justement à être entrepreneur. « Moi, m’a-t-il dit, je veux vivre, et pas seulement survivre.» Créer son entreprise est pour lui le moyen de le faire.
– Justement, quel rapport le projet mené avec le skipper Ian Lipinski entretient-il avec l’entrepreneuriat, l’innovation ou encore le numérique ?
Les bateaux de « Classe Mini » (c’est-à-dire de 6,50 m de long) sont de véritables laboratoires d’innovation, de conception. Ils mobilisent des ingénieurs dont l’état d’esprit n’est pas sans rappeler celui de la communauté des hackers dans le numérique. Quant à la course elle-même, la Mini Transat, elle est un incubateur à champions (des Desjoyeaux et autres Autissier, Peyron, etc. ont débuté avec la Classe Mini). Y participer, c’est comme mener une entreprise. Ian se définit d’ailleurs lui-même comme navigateur ET entrepreneur.
– Où en est votre démarche ?
Elle avait débuté en 2012 avec un premier bateau conçu dans une logique multi-partenariale, avec notamment Cap Digital : un 6.50, donc, destiné à concourir a la Mini Transat, une course internationale, qui se déroule tous les deux ans. Aussi petit soit-il, il été un formidable vecteur de mobilisation en externe comme en interne, le point de départ de la constitution d’une filière industrielle, développée sur une culture, un milieu et un esprit proche des FabLabs. Il réunissait ses partenaires sous une même bannière : « Pas de futur sans le numérique ! »
Malheureusement, après un podium et une victoire, le bateau a chaviré en 2013 au large du Portugal. Il en a fallu cependant plus pour décourager Ian, qui participe à un autre projet placé, cette fois, sous la bannière « Entreprise(s) Innovantes » avec un nouveau bateau vraiment innovant avec pour objectif un nouveau podium cette année et un titre de champion de France et la victoire en Mini Transat, l’année suivante.
Au-delà des objectifs sportifs, ce projet se veut d’abord être un objet transitionnel, à même d’inscrire des partenaires d’horizons différents, dans une vraie dynamique d’innovation, en affrontant les risques inhérents à la démarche entrepreneuriale et ceux liés aux éléments marins face auxquels on ne peut pas tricher !
Suite avec un portrait de Ian Lipinski (cliquer ici).
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