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Aménagement & Architecture

Récit d’une déambulation versaillaise au ryhme de la BAP!

Le 3 juin 2019

En ce début de mois de mai était inaugurée à Versailles la toute première Biennale d’Architecture et de Paysage d’Ile-de-France, déjà plus connue par son sigle : BAP! Nous nous y sommes rendu une première fois, le vendredi 3 mai, en fin de journée, pour assister à l’ouverture officielle du Pavillon Horizon 2030, dédié aux projets du Grand Paris Express. Avec aussitôt l’envie d’y retourner dès le lendemain puis le surlendemain. Récit d’un week-end riche de découvertes et de rencontres plus ou moins fortuites.

BAP2019affiche-1Jusqu’au 13 juillet 2019, se déroule la toute première Biennale D’architecture et de Paysage d’Ile-de-France (BAP!), inaugurée en ce tout début du mois de mai. A défaut d’avoir pu assister à la cérémonie de lancement en présence de l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, et de plusieurs autres personnalités, dont la présidente de la Région Ile-de-France, Valérie Pécresse, nous avons assisté à l’ouverture officielle du pavillon Horizon 2030 conçu comme un « atelier de réflexion et d’expérimentation sur les futurs du Grand Paris Express », sous la direction de pas moins de huit architectes. Et ce dans un lieu particulièrement adapté, puisqu’il s’agit de l’ancienne poste de la ville, dans un état de friche qui accentue l’ambiance de chantier.

Le Grand Paris Express comme si vous y étiez

Le visiteur aura ainsi l’occasion de découvrir les quelques 68 gares devant sortir de terre, mais aussi les logements, bureaux et commerces devant être construits autour. Le tout est replacé dans une perspective historique (à l’entrée, une fresque rappelle les travaux dont Paris a déjà fait l’objet depuis le XIXe siècle). Vérification faite, la Ligne 18 figure bien dans le plan du Grand Paris Express, de même que les différents projets de gares. Ouf… Histoire sans doute de vous faire éprouver ce qui va advenir, des expériences immersives sont également au programme. Un tas de remblais est entreposé dans une salle. Un oubli des organisateurs ayant du travailler à l’arrache ? Non, c’est pour témoigner des réflexions engagées sur la meilleure manière d’exploiter les terres issues de l’excavation des sols.
BAP2019grand paris express2 copieMalgré le jour et l’horaire choisis (un lendemain de 1er mai que beaucoup auraient pu mettre à profit pour faire le pont). le public a répondu présent. Naturellement, on reconnaît plusieurs visages. Celui de Dominique Boré, ancienne directrice de la communication de l’EPA Paris-Saclay et qui se consacre désormais pleinement à la présidence de la Maison de l’Architecture d’Ile-de-France. Tiens, là c’est Philippe Beaud, qu’on ne présente plus ! Nouvelle surprise quelques pas plus tard quand nous nous retrouvons nez à nez avec Marie Ros-Guézet, à laquelle on pensait quelques heures plus tôt (à l’occasion de la finalisation d’un article sur notre journée du 21 mars, qui s’était achevée par la conférence qu’elle avait donnée sur le thème de la naturopathie, dans le cadre d’un atelier du WAWlab – mise en ligne à venir). Elle est venue avec son fils que nous avions eu l’occasion d’interviewer à l’issue de son stage à l’EPA Paris-Saclay (pour y accéder, cliquer ici). Il nous avait fait part de son désir de devenir architecte. Manifestement, sa vocation s’est confirmée depuis.
Tout d’un coup, la foule se dirige comme un seul homme vers l’extérieur. Valérie Pécresse va y inaugurer l’exposition, aux côtés de Thierry Dallard, président de la Société du Grand Paris. L’un et l’autre se réjouissent de l’état d’avancement du projet. Nous avec eux, non sans nous étonner qu’il ne fasse pas davantage le buzz, ne soit pas plus médiatisé. Après tout, c’est le quotidien de millions et de millions d’hommes et de femmes, usagers des transports en commun, qu’il vise à améliorer, en veillant à combiner fonctionnalité et exigence artistique sinon esthétique (un artiste est associé à chaque projet de gare pour y réaliser une œuvre). D’autant que, comme indiqué, les projets ne se limitent pas à la construction de stations et au creusement de tunnels.
Il se fait tard. Sans attendre le « gigot bitume », nous nous reprenons le chemin du retour, avec déjà la ferme intention de revenir dès le lendemain tant le programme est riche. Nous ignorons alors que nous y retournerons même le surlendemain.

Retrouvailles avec VEDECOM

Samedi 4 mai, début de l’après-midi. Nous voilà dans le RER C qui nous mène à Versailles Chantier. De là, nous entreprenons de gagner l’ENSA-V où plusieurs tables rondes sont programmées. Première surprise : arrivé au niveau de la mairie, nous voyons, comme cela nous a été annoncé, le véhicule autonome de VEDECOM, mais avec à intérieur le directeur général de l’IRT, en personne, Philippe Watteau, que nous avons eu l’occasion d’interviewer lors de l’édition 2019 de mobilité@VEDECOM (pour accéder à l’entretien, cliquer ici). On se prend à rêver d’un tour d’essai. Malheureusement, l’autorisation de circulation n’a pu être accordée à temps. Qu’à cela ne tienne, nous apprenons que Philippe Watteau participera à une des tables rondes programmées dans l’école d’architecture. RDV est donc pris. En attendant, direction cette école, qui se trouve à deux pas.
Malgré notre retard, nous nous surprenons à ralentir le pas, une fois franchie l’entrée : l’ENSA-V occupe désormais les bâtiments de l’ancienne Petite Ecurie du Château de Versailles. C’est tellement magnifique ! L’entrée dans l’auditorium nous réserve le même effet waouh qu’on se garde cependant d’exprimer de manière sonore. C’est qu’une table ronde a commencé depuis longtemps et est même sur le point de s’achever…
Nous avons juste le temps d’entendre le paysagiste Michel Péna militer pour une « ville lente », où on prend le temps de marcher – lui même est un grand marcheur : dans sa jeunesse, apprend-on, il a fait le tour de France à pied. La lenteur ? L’animateur évoque alors aussitôt les ouvrages du sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa sur l’accélération en croyant utile de préciser que le même militerait en guise d’antidote pour une décélération. Ce qui n’est pas tout a fait exact. Dans son dernier livre, traduit en 2018, aux éditions de La Découverte – Résonance. Une sociologie de la relation au monde – il regrette d’ailleurs qu’on lui impute cette solution. Lui recommande plutôt de renouer avec une « relation résonante au monde ». Mais laissons-là ce débat. Nous aurons l’occasion d’y revenir, car nous comptons bien chroniquer ce livre dans la perspective de la prochaine édition de TEDx Saclay qui a retenu les « résonances » comme thématique.
En attendant, nous levons l’ancre, en quête de la sculpture d’Éva Jospin, artiste invitée de la BAP!, sur le point d’être inaugurée. Nous disposons d’une petite demi heure avant le début de la prochaine table ronde. Peine perdue : dépourvu d’un sens de l’orientation, nous ne l’avons tout simplement pas trouvée. Il s’agit pourtant d’un « grand tronc de béton sculpté surplombé d’un entrelacs de lianes en bronze et envahi de fins tissages de cordes et de fils de cuivre entremêlés » ainsi qu’il est précisé dans le programme. C’est partie remise.

Déambulations dans le Potager du Roi

Sans nous en rendre compte, nous avons dérivé du côté de la Cathédrale Saint-Louis, où se déroule pendant deux jours « Esprit Jardin », un vaste marché à ciel ouvert, où on peut trouver tout le nécessaire pour cultiver son potager et/ou l’ornementer, en plus d’ateliers, d’animations, de spectacles…
BAP2019Esprit jardin - Versailles.3 copieBien nous en a pris : on tombe par hasard sur Antoine Jacobsohn, le responsable du Potager du Roi, que l’on connaît depuis sa participation à un colloque de Cerisy sur « Le renouveau des jardins : clés d’un monde durable » (2012). Il nous invite aussitôt à assister aux conférences qui sont programmées dans le bâtiment principal de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage (ENSP) de Versailles. Une première à 15 h 30, donnée par Jean-Christophe Bailly, sur le thème : « Dévorer les paysages » ; une seconde à 17 h 30 en forme de « conversations paysagères » entre les paysagistes Jacques Coulon et Jean-Pierre Clarac, sur le thème « transmettre ». Nous disposons encore d’un peu de temps. Nous en profitons pour micro-interviewer Antoine Jacobsohn sur son métier, le Potager du Roi et le programme de l’exposition « Le goût du paysage », conçue par l’urbaniste-paysagiste-architecte Alexandre Chemetoff. L’entretien terminé (et prochainement mis en ligne), nous prenons le temps de contempler ledit Potager, depuis le banc où nous sommes installés. Nous : « Comme c’est beau ! ». Lui : C’est vrai que c’est beau ! Y étant chaque jour, j’ai tendance à l’oublier ! »
Puis on se dirige vers le Jardin Hardy (du nom d’un ancien responsable du Potager, qui y développa la botanique), rebaptisé « Jardin des Suisses » à la faveur du réaménagement provisoire proposé par le même Alexandre Chemetoff. Quel changement par rapport à la dernière fois où nous l’avons vu ! C’était alors un espace où les jardiniers entreposaient leurs outils, avec des arbres fruitiers comme laissés à l’abandon. Désormais, c’est une parcelle encore vierge, qui donne d’autant mieux à voir l’ancien Pavillon des Suisses, situé au fond, également réhabilité par Alexandre Chemetoff, pour en faire un espace d’expositions. Un bâtiment rectiligne et humble serait-on tenté de dire (en ayant à l’esprit qu’humilité et humus partagent la même racine étymologique), tant il s’inscrit dans la perspective. Il faut descendre quelques marches pour y accéder. Des marches qui peuvent faire office d’amphi, en cas de besoin, fait observer Antoine Jacobsohn. On envie aussitôt les étudiants de l’école.

Agriculture et maraîchage mis à l’honneur à travers les « 24 + 1 »

Une fois à l’intérieur, une vue aérienne de l’Ile-de-France accroche le regard. Le responsable du Potager attire cette fois notre attention sur l’emprise des deux grands aéroports franciliens – Roissy et Orly – qu’on y perçoit nettement. L’équivalent à eux deux de Paris intra-muros. Impressionnant ! Tout comme l’urbanisation, qui apparaît clairement organisée le long des cours d’eau. A l’étage du dessus, une photo donne à voir les paysagistes Jacques Simon et Michel Corajoud, manifestement prise dans les années 60. Entre les deux, une femme, dont l’identité n’est pas mentionnée. L’ensemble fait instantanément penser au film Jules et Jim… Dans les salles, des photos, des vidéos, des cartes et des produits, de 25 producteurs agricoles ou maraichers franciliens, en fait 24 + 1, le « + 1 » n’étant autre que le chef jardinier du potager, François-Xavier Delbouis. De nouveau à l’extérieur, on en profite pour aller faire un saut dans ce recoin, d’où on peut voir la pièce d’eau des Suisses, de l’autre côté du mur. L’endroit est des plus intemporels : un banc en pierre de taille et des sièges en fer sont une invite à s’y attarder sous la protection d’un chêne.

Du paysage qui a du goût

Puis direction le bâtiment où se déroulent les conférences de l’exposition « Le goût du paysage » dont le commissaire n’est autre qu’Alexandre Chemetoff. On se dit qu’il serait bien curieux de ne pas y croiser le directeur de l’ENSP, Vincent Piveteau, que nous avons eu l’occasion d’interviewer (la dernière fois, c’était lors du colloque marquant les trois ans de la Chaire d’entreprises Paysage et Energie – cliquer ici). Justement, le voilà, mais sous le chapiteau disposé dans le jardin Hardy. D’autres personnes s’y trouvent dont Jean-Christophe Bailly, et une personne tout de bleu vêtue jusqu’au chapeau. Son visage nous dit quelque chose… On réalisera plus tard qu’il s’agit d’Alexandre Chemetoff en personne. Tout ce petit monde s’y restaurait à l’abri de la pluie.
A propos de se restaurer, on en ferait bien autant. On nous indique un petit marché de producteurs, sous le hangar qui forme un coude avec le Pavillon des Suisses. Notre choix se portera sur un burger made by un artisan de la vallée de Chevreuse. On en profite pour l’inviter à les proposer sur le Plateau de Saclay au moyen d’un Food truck. C’est bien ce qu’il a tenté de faire, mais l’exigence de qualité l’oblige à afficher des tarifs au dessus des moyens des étudiants. Il a donc fini par y renoncer. On peut cependant le retrouver chaque vendredi soir, à Cernay-la-Ville.

Toujours dans l’attente de la première conférence, nous entreprenons la lecture des citations affichées le long du mur d’en face : des citations des « 24 + 1 », mais aussi de paysagistes. Entre bon sens et poésie, elles font sourire et réfléchir. Comme celle-ci : « Faire reposer un sol, ça n’existe pas. Un sol en bonne santé est un sol qui travaille tout le temps » (François Xavier Delbouis). Ou celle-ci : « “ Mais qu’est-ce que avez mis dans votre menthe ? ”, ”Juste des feuilles de menthe”, c’est extraordinaire » (Alain Bosc-Bierne). Ou encore celle-là : « La richesse de notre territoire, c’est cette petite agriculture à la fois respectueuse et inventive » (mince ! Nous avons oublié de noter le nom de son auteur). Bien d’autres sont à lire, qu’on laisse au lecteur le soin de découvrir par lui-même, en espérant que les intempéries ne finissent par détacher d’ici-là les affiches collées à même le mur.

Des oies et un grand livre ouvert

Il est près de 15 h 30, la conférence de Jean-Christophe Bailly va enfin débuter. Mais nous sommes confronté à un dilemme. Nous venons de réaliser que la table ronde à laquelle participe Philippe Watteau sur « la ville saine et connectée » va débuter elle aussi. Ah ces riches programmes qui obligent à choisir au prix d’un peu de frustration ! On se résout donc à regagner l’école d’architecture malgré la pluie qui s’annonce et qui virera très vite à de la grêle (heureusement, nous avions un parapluie).
BAP2019ADFDelbouisphotsdrone181113-0164b copieJusqu’à la sortie du Potager du Roi, les quelques centaines de mètres qu’on parcourt nous réservent bien des surprises. Comme cette parcelle où sont parquées trois oies au plumage encore gris (elles n’ont que quelques mois). L’étudiante qui se trouve-là nous donne l’explication. C’est elle qui les élève depuis leur naissance – c’est-à-dire l’éclosion des œufs qu’elle s’est procurés. Elle participe à une association que les élèves de l’école ont fini par monter pour gérer les poules apparues au fil du temps dans le Potager – un poulailler y a été construit avec l’aide des élèves architectes.
Mais pourquoi des oies ? « Parce que ça résiste aux prédateurs. » Des prédateurs ?! « Oui, des prédateurs, dont des poules ont été victimes par le passé. Au moins, avec des oies, ils sauront à qui ils auront affaire. » Certes, des oies peuvent être elles-mêmes agressives. Mais celles-ci ayant été élevées depuis leur naissance, elles obéissent à leur propriétaire, laquelle admet qu’elles n’en ont pas moins leurs têtes… Vigilance, donc, si vous passez à côté.
Un peu plus loin, notre regard est accroché par une plaque apposée à l’extrémité d’un mur. On peut y lire : « Le 20 novembre 1885 a été installée dans l’Ecole Nationale d’Horticulture de Versailles l’Observatoire Météorologique fondé dans cette ville en 1846 par M.M. Haëghens, Lacroix et le Docteur Berigny sous les auspices de la Société des Sciences Naturelles et Médicales de Seine-et-Oise. » Des plaques comme celle-ci, on peut en percevoir bien d’autres qui donnent au Potager des airs de grand livre d’histoire à ciel ouvert.
Naturellement, on ne peut manquer la statue érigée sur une des allées principales, en mémoire au fondateur du lieu, Jean-Baptiste de la Quitinie (1626-1688). Près d’elle, on peut y lire l’extrait d’un portrait que Charles Perrault, le tout aussi célèbre conteur, lui avait consacré. On savait ce qu’on lui devait dans l’art de la taille des arbres mais aussi de leur plantation (c’est lui qui, le premier, a recommandé de couper préalablement les petites racines). On apprend que le botaniste avait été d’abord un illustre avocat.

Vers la ville saine et connectée

Il nous faut accélérer le pas. La table-ronde va commencer ! Aux abords de l’école d’architecture, nous croisons l’agro-écologiste Pierre Rabhi ! Il participait à la précédente. On échange un sourire – il se trouve que nous l’avions interviewé voici quelques années pour les besoins d’un livre sur « Les nouveaux utopistes de l’économie ».
Nous revoilà dans l’auditorium qui nous plaît toujours autant. Sans transition avec la précédente, on « embraye », si l’on peut dire, sur des échanges autour des mobilités et des transports dans la ville de demain. La table ronde a tout juste débuté et Philippe Watteau a la parole. Il énonce une vérité qui devrait être inscrite dans le marbre : « Le véhicule autonome est tout sauf autonome. Il est dépendant, connecté » (en l’occurrence à son environnement, aux autres véhicules, aux piétons…).
En réponse à la question de savoir quand on pourra espérer voir circuler un tel véhicule dans les rues de Versailles ou d’ailleurs, il prend soin de distinguer deux approches. L’une par l’instrumentation, consistant à équiper le véhicule pour lui permettre de capter des données sur son environnement, l’autre par les infrastructures, consistant à doter celles-ci de capteurs pour orienter le véhicule. Schématiquement, la première approche est privilégiée par les Etats-Unis, la seconde par la Chine, l’Europe optant pour une combinaison des deux. En l’état actuel des innovations technologiques, on peut faire circuler des véhicules dans des environnements homogènes, pas trop complexes – comme une voie d’autoroute. Mais à une vitesse encore réduite. La navette exposée aux abords de la mairie, par exemple, peut rouler à 12 km/heure dans un environnement restreint et atteindre jusqu’à 18, moyennant des infrastructures adaptées.
Reste une autre question : elle concerne les risques pesant sur l’usage de toutes ces données relatives à nos déplacements et usages en matière de mobilité. Un risque réel, admet Philippe Watteau, mais à relativiser compte tenu de toutes les données qu’on consent à céder par l’usage de son simple smartphone. Ce que ne conteste pas Marc Pelissier, de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports, également présent à la table ronde.

La ville à l’heure des plateformes numériques

L’animateur interpelle un autre intervenant, architecte de son état, Jean-François Capeille, président de la Fondation AIA dédiée à la santé : « N’est-ce tout de même pas problématique que la ville soit désormais appréhendée en termes de flux et de mouvement ? » L’interrogation ne manque pas de nous surprendre : depuis qu’elle existe, la ville est affaire de flux (de marchandises, de personnes, d’informations…) et de mouvement ! Si changement il y a, il tient à l’essor de flux de données numériques, qui se traduit par l’immixtion de nouveaux opérateurs – les plateformes numériques et autres GAFA – dans sa fabrique sinon celle de l’urbain, à travers les services qu’ils mettent à disposition des citadins (à ce sujet, on ne soulignera jamais assez cette évidence : désormais, et fut-ce encore en théorie pour beaucoup, on peut se rendre dans une ville, s’y déplacer, y héberger, s’y restaurer, etc. rien qu’en passant par des plateformes numériques ; ce qui n’est pas sans interroger sur l’avenir des services que la ville propose par elle-même à travers les opérateurs qui y sont présents physiquement ou ses propres services techniques ou régies).
Quoi qu’il en soit, l’architecte a un autre sujet de préoccupation : l’air du métro parisien, dont des évaluations récentes ont confirmé la piètre qualité pour ne pas dire la dangerosité. Le 4e intervenant – une femme ! – n’est autre que Hiba Fares, directrice en charge de l’expérience clients, des services et du marketing, ne se dérobe pas. « C’est un vrai sujet dont la direction s’est pleinement saisie ». A suivre, donc, tout comme les expérimentations que cette même RATP mène actuellement sur les véhicules autonomes, en ayant fait le choix de rejoindre d’ailleurs VEDECOM, ainsi qu’évoqué dans l’entretien récent que nous ont accordé Véronique Berthault et Frédéric Chaurang, en charge respectivement du programme Véhicule Autonome (VA) et de sa coordination technique à la RATP (mise en ligne à venir).
Mais revenons à cette table ronde pour dire qu’elle fut aussi l’occasion d’évoquer, par la voix de Philippe Watteau, les travaux menés par l’Institut pour la ville en mouvement (IVM), sur les « hyperlieux mobiles », une autre manière d’envisager « la ville saine et connectée », en mettant à profit le numérique pour favoriser des services mobiles, allant là où se trouvent les besoins (pour en savoir plus, nous renvoyons à l’entretien réalisé avec Mireille Apel-Muller, la directrice de cet institut, qui, précisons-le, a lui aussi intégré VEDECOM – pour y accéder, cliquer ici).

… et accueillante et solidaire

Malgré l’éclaircie, nous nous résolvons à rester pour assister à la table ronde suivante. D’elle comme d’ailleurs des autres, nous n’avions jusqu’ici que le titre : « Vers la ville accueillante et solidaire ». Beau programme ! Nous nous étions imaginé qu’il y serait question de la manière de la rendre moins polluante, moins bruyante et moins stressante. En fait, il s’agit de traiter des populations pauvres, des SDF et des migrants en mal de logement. Un enjeu majeur s’il en est, qui nous convainc encore plus de rester. Parmi les intervenants : Patrick Bouchain, architecte et scénographe, bien connu pour ses réalisations à partir de friches et sites existants, et auquel on doit à Versailles, l’Académie équestre de Bartabas (dans l’ancienne Grande Ecurie), et le siège en cours de construction de Nature et Découvertes, mais qui témoignera ici de la problématique des personnes sans papiers, qui se retrouvent pourtant à travailler dans des chantiers de construction, comme les siens…
Les deux autres intervenants représentent le monde de la grande précarité : un délégué régional de la Croix Rouge et le président-fondateur d’« Habitat et humanisme » (en 1985). Tous livrent des témoignages vivants, y compris le premier qui relate l’histoire de son amitié avec un certain Farid, un sans papier, qui participait à un de ses chantiers et qu’il a fini par associer au chantier de Nature et Découvertes (où il a en charge de peindre les murs)… Un récit tout sauf hors sujet : il démontre par l’exemple que chacun peut faire bouger les choses à son échelle, en allant au bout d’une démarche avec une personne vivant en grande précarité. On pense aussitôt au colibri de Pierre Rabhi…

De bons augures

Les tables rondes reprendront demain, mais la journée n’est pas terminée pour autant. Elle se poursuit pour nous dans d’autres bâtiments. A commencer par une des ailes de la Petite Ecurie du Château de Versailles, qui abrite la Petite école d’architecture, « un programme créatif destiné aux plus petits pour leur permettre de découvrir, de créer et de jouer avec l’architecture ». C’est l’une des composantes de l’exposition Augures, conçue par Djamel Klouche et déployée dans d’autres espaces, donnant à voir de façon innovante et immersive des visions prospectives de l’architecture ; un laboratoire de nouvelles pratiques architecturales ; des pavillons commandés à des architectes étrangers.
Nous nous attardons dans la Petite école où les adultes sont plus nombreux que les enfants. Parmi eux : Sabri Bendimerad, qui y expose avec ses collègues « Murs mouvants », un dispositif conçu pour promouvoir les espaces réversibles, au travers notamment d’une bande chronologique, qui rend compte d’exemples remontant au XIXe siècle – manière de dire que le thème a de longue date intéressé les architectes. A hauteur des enfants, des maquettes dont l’aménagement peut être revu grâce à un système de cloisons amovibles. Nous sommes d’autant plus intéressé, qu’il nous a été donné d’interviewer récemment l’architecte Martin Duplantier, auquel on doit le bâtiment MBA conçu avec David Chipperfield à l’entrée du Campus HEC, avec justement le souci de lui permettre d’évoluer en fonction des besoins futurs.
Musée du Louvre - DAGERNous poursuivons notre déambulation. Chaque proposition mériterait un commentaire, tant elle surprend, aiguise la curiosité. Avant de sortir, nous nous engageons dans une autre aile sans trop savoir où nous mettons les pieds. C’est la galerie des moulages de sculptures antiques. Incroyable ! A voir absolument. L’alignement des moulages ajoute à l’impression majestueuse du lieu, malgré l’état dégradé de plusieurs d’entre eux. Certains impressionnent par leur taille gigantesque. Merci à Elisabeth Lebreton, responsable de cette collection de moulages d’antiques, propriété du Louvre, et dont on apprendra plus tard qu’elle a rendu possible l’ouverture exceptionnelle de cette galerie, où on manquera pas de retourner avant de reprendre le chemin de la gare de Versailles-Chantier.
Entre-temps, on suit le mouvement de foule en direction d’une des cours de la Petite Ecurie, où doit être inaugurée officiellement l’exposition Augures. Encore des discours ! Celui de Jean-Christophe Quinton, directeur de l’ENSA-V, qui enchaîne les remerciements dans un mélange savant de solennité et de simplicité. Celui de Djamel Klouche, qui nous fait entrer dans les coulisses de l’exposition et de son organisation non sans justifier le choix du mot « Augures ». De prime abord, ce sont ceux qu’ils souhaitent aussi bons que possible à l’architecture en France, dont il dit s’inquiéter de l’avenir suite à l’adoption de textes de loi… Manifestement, il en a fallu aussi pour mener à bien le projet de cette exposition, qui a, à l’approche du jour J, a exigé des « nuits et des nuits de travail », dans l’esprit de ces « charrettes » dont les architectes ont le secret. Le public n’y aura donc vu que du feu. Il faut dire qu’en plus de connaître les lieux, Djamel Klouche a l’expérience d’un commissariat d’exposition (il a été celui de la Biennale d’architecture et d’urbanisme de Bordeaux, en 2010 ; il participera ensuite à celles de Venise, en 2014, et de Rotterdam, en 2016). Son seul regret : le pavillon d’un architecte japonais qui n’a pu être monté à temps et dont la conférence (qui devait être faite dedans) a été reportée en conséquence. Cependant, l’exposition devrait laisser plus d’une trace, de surcroît positive : la Petite école d’architecture devrait continuer à accueillir des enfants (ceux de Versailles comme du reste de l’agglomération, souligne-t-il) ; le pavillon qui a été dressé en guise de café sera maintenu non sans combler un vide – jusqu’ici les étudiants et enseignants répartis dans les différents bâtiments de la Petite Ecurie n’avaient pas de lieu où véritablement s’arrêter pour échanger de manière informelle.

Un aventure un peu « dingue » !

Enfin, une brève intervention du maire, François de Mazières. Nous laisserons les mots de conclusion provisoire à ce dernier, qui dit parler ici au titre de Commissaire général et non d’élu. Un Commissaire général manifestement heureux et soulagé, qui improvise en toute simplicité : cette biennale, avoue-t-il, « aura été une aventure un peu “ dingue ”, « horriblement compliquée ». Le même : « Il faut dire qu’il n’était pas évident d’imaginer un tel événement ici, à Versailles, une ville connue d’abord pour son patrimoine historique. Mais je voulais que cette ville réputée mondialement pour la richesse de son bâti, le soit aussi pour sa capacité à créer. » Quoi de plus naturel alors que d’en confier l’organisation aux deux écoles nationales supérieures, l’une d’architecture, l’autre de paysage, que la ville peut s’enorgueillir de compter en son sein. Une première relève-t-il. Et qui devrait se reproduire. « En principe une biennale se renouvelle. Ce devrait donc être le cas avec celle-ci.» Nous en faisons le vœu quand bien même nous n’en sommes qu’à la toute première journée ouverte au public (4 mai) et que cette édition 2019 doit se poursuivre jusqu’au 13 juillet.
Il est près de 19 h 30. Nous nous attardons encore un peu. Bien nous en a pris encore. Nous croisons Henri Bava, lauréat 2018 du Grand Prix de l’Urbanisme avec les deux autres fondateurs de l’agence TER. Beaucoup d’Italiens sont présents, laissant entendre le si agréable accent de leur langue. Il faut cependant se résoudre à reprendre le chemin de gare. Ce qu’on fait, mais en prenant le temps d’un crochet à la galerie des moulages antiques, qui, à cette heure, est presque rien que pour nous.

Le récit qui vient d’être fait n’offre qu’un aperçu subjectif et personnel (et assumé comme tel) de cette première journée de la Biennale d’Architecture et de Paysage d’Ile-de-France, qui propose bien d’autres rendez-vous, expositions et pavillons : la Maréchalerie, le centre d’art contemporain de l’ENSA-V ; des « Echappées belles » sur le mur de la Petite Ecurie et les grilles de l’Hôtel de ville ; l’ancienne chapelle de l’hôpital royal, qui accueille l’exposition « Versailles ville nature, permanence et création », sans oublier le Château de Versailles où sont présentés des projets d’architecture. Pour en savoir plus : www.bap-idf.com

A lire aussi :

– le compte rendu de l’une des tables rondes organisées le 5 mai, à l’ENSA-V, sur le thème « Vers la ville jardin » (pour y accéder, cliquer ici).

– les entretiens avec Antoine Jacobsohn, le responsable du Potager du Roi (pour y accéder, cliquer ici) ; Vincent Piveteau, directeur de l’Ecole nationale supérieure du paysage (ENSP) de Versailles ; Djamel Klouche, architecte et Commissaire du parcours « Augures » (mise en ligne à venir).

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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