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Agriculture & Alimentation

Quelles agricultures pour le Plateau de Saclay ? (2).

Le 12 mars 2013

Le président de l’association Terre & Cité revient sur les enseignements du second audit réalisé auprès de plus d’une cinquantaine d’acteurs du Plateau de Saclay. Non sans livrer sa propre vision de l’agriculture urbaine.

Pour accéder à la première partie de la rencontre, cliquer ici.

– Quels sont les principaux enseignements que vous tirez du second audit mené par votre association ?

Ce qui ressort des entretiens avec les représentants de la recherche ou du monde l’entreprise, c’est qu’ils ont à l’évidence plaisir à travailler dans l’environnement du Plateau de Saclay, précisément parce qu’il est protégé et sauvegardé. Pour autant, et ce n’est pas le moindre paradoxe, ils ne l’utilisent pas forcément et n’en tirent pas tous les bénéfices. D’ailleurs le terme est-il approprié ? Doivent-ils en tirer des « bénéfices » ? Quelle est leur propre contribution à cette protection dont jouit le Plateau, qu’apportent-ils en contrepartie ? L’intérêt de l’audit est aussi de soulever ces questions. Si ces « acteurs » concourent à l’aménagement de pistes cyclables synthétiques à travers les champs pour que leurs chaussures ne soient pas maculées de boue, on pourrait dit qu’ils profitent effectivement du territoire, mais sans rien véritablement apporter en retour.

Quant aux protecteurs des espaces ouverts, leur regard évolue : s’ils voient spontanément les projets d’urbanisme comme une source de nuisance, ils tendent à admettre que tout un chacun a le droit de pouvoir y travailler et s’y loger. Cette évolution a été rendue possible par le renoncement par l’Etat des schémas de développement antérieurs dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils étaient ahurissants. La promotion de la recherche apparaît plus en cohérence avec le Plateau et son histoire.

A une ou deux exceptions près, l’ensemble des personnes que nous avons rencontrées le disent : le Plateau de saclay est un territoire d’excellence précisément parce qu’il combine deux atouts. D’une part, un milieu favorable à la recherche et l’innovation, d’autre part, un environnement protégé, avec des surfaces significatives en espaces verts et en terres agricoles. D’ailleurs, le scénario qui fait l’unanimité contre lui est celui qui ferait perdre cette dimension d’excellence au Plateau de Saclay.

– La sanctuarisation de surfaces agricoles et forestières ne rend-elle pas ce scénario improbable ?

Non, si l’on considère qu’au prétexte de l’existence de cette zone de protection, tout le reste du Plateau serait libre de toute construction, qu’on pourrait le densifier comme on l’a fait ailleurs en Ile-de-France, sans véritable préoccupation environnementale et paysagère. C’est le scénario catastrophe aussi bien pour les représentants du monde de la recherche et de l’entreprise que des espaces verts. Aucun ne se dit favorable à la construction d’un simili de ville nouvelle sur la frange sud du Plateau. En revanche, dès lors que le projet scientifique est mené de manière réfléchie et mesurée en termes d’urbanisme et d’aménagement, ils se disent prêts à le soutenir. Malheureusement, certains ont encore de vieux réflexes.

– Que voulez-vous dire ?

Force est de constater que les mêmes qui participent à nos travaux, qui disent récuser le scénario catastrophe, ont tendance, lorsqu’ils ont à prendre des décisions en matière d’aménagement, à vouloir construire coûte que coûte voire bétonner. Je prendrai un exemple : le synchrotron Soleil dont je suis membre du comité consultatif d’accompagnement et de suivi. Quand il s’est agi de construire un centre d’accueil des chercheurs de passage, on a jugé utile de le construire à l’emplacement de champs au prétexte qu’ils ne figuraient pas dans la zone protégée. Dieu merci, j’ai convaincu les responsables du synchrotron de le construire à l’intérieur de leur périmètre, en se limitant pour commencer à 80 logements plutôt que les 120 prévus initialement. Si nécessaire, on pourrait toujours examiner les solutions de rechange.

– Et la logique de cluster, la contestez-vous ?

Sur ce point précis, je livrerai un point de vue personnel, qui n’engage donc pas Terre & Cité. Il se résume en une question : le projet même de cluster, consistant à rapprocher notamment les chercheurs, est-il seulement pertinent ? Il se trouve que mon épouse est chercheur. Ses collaborations, elle les poursuit avec des collègues disséminés en France et dans le reste du monde. Manifestement, elle ne s’en plaint pas. C’est bien la preuve que la proximité géographique n’est pas nécessairement le gage d’une meilleure production scientifique. Naturellement, je suis convaincu de la nécessité d’avoir une recherche dynamique et attrayante. Mais pourquoi priverait-on des villes moyennes situées à moins d’une heure de Paris (je pense à Compiègne, à Troyes ou encore à Orléans), de la possibilité de créer les emplois à travers la recherche ? L’Ile-de-France en concentre déjà de manière significative. Elle en concentrera encore plus avec le projet de Paris-Saclay, alors même que nous sommes, du fait de la configuration des transports, à plus d’une heure de Paris.

Une fois que j’ai dit cela, je reste lucide : je n’ignore pas que des décisions ont été prises et qu’il faut aller de l’avant, pour réserver le meilleur accueil aux futurs chercheurs et étudiants.

– Dans quelle mesure la sanctuarisation des 2 300 ha a-t-elle, selon vous, apaisé les esprits ?

2 315 ha ! Et nous ne désespérons pas d’aller jusqu’à 2 350 ha. Il est clair que cette sanctuarisation a contribué à apaiser les esprits, d’autant plus qu’elle a été garantie par le législateur. Mais cela a été obtenu de haute lutte. Au prix de nombreuses réunions avec des élus – députés et sénateurs – et des ministres, nous avons, Terre & Cité et d’autres représentants du monde associatif et agricole, contribué à sensibiliser aux enjeux de l’agriculture sur le Plateau de Saclay. Je me plais à le dire et à le redire tant je crains que ce ne soit pas encore parfaitement ancré dans les esprits : les terres du Plateau de Saclay sont parmi les plus fertiles d’Europe. Autant en préserver le maximum. Nous ne désespérons pas d’ailleurs d’en préserver d’autres ha à titre provisoire. Car le projet d’aménagement qui nous concerne est programmé sur une trentaine d’années, et ne prévoit pas de consommer toutes les terres hors du périmètre de protection. Si le dernier ha prévu pour une construction peut être exploité en attendant par un agriculteur, ne nous privons pas de cette possibilité.

– Comment aller au-delà de la sanctuarisation, faire des agriculteurs des acteurs d’une agriculture urbaine ?

A Terre & Cité, nous avons la conviction qu’il faut réfléchir à une autre agriculture. Même les membres du collège des agriculteurs ne sautent plus au plafond quand on aborde ces questions. Ils admettent que, dès lors qu’il y a nécessité d’aller vers une économie décarbonée, ils ne peuvent continuer à vendre toute leur production à des milliers de km de là. Je ne dis pas qu’ils n’ont pas de hoquet, mais au moins, ne sortent-ils plus de leurs gonds. Les expériences réussies de diversification voire de conversion leur laisse entrapercevoir qu’il y a d’autres pratiques à envisager. Comprenez-moi bien : il ne s’agit pas de viser l’autosuffisance alimentaire du Plateau. Il est clair que les 2 315 ha ne sont pas en mesure de satisfaire les besoins de la population d’ici. Cependant, tout ce qui pourra avoir une connexion directe avec la demande locale ne peut qu’aller dans le bon sens.

Pour autant, il ne s’agit pas de renoncer à une agriculture de grande culture dont on a encore besoin. Encore une fois, les terres du Plateau sont extrêmement fertiles et parfaitement appropriées à une production céréalière.

Agriculture de proximité et agriculture de grande culture ne s’opposent pas. Elles sont complémentaires. Entre autres exemples, Emmanuel Vandame, qui a repris l’exploitation de son père est là pour en témoigner : il continue à faire de la grande culture tout en se diversifiant dans le bio. Il va jusqu’à proposer du pain fait avec ses propres farines. Autrement dit, nous ne préconisons pas de convertir tout le Plateau au maraîchage. Ce serait pure folie que prétendre le transformer en une gigantesque ferme radieuse, à laquelle on accéderait en bicyclette.

– On parle de plus en plus d’agriculture urbaine. Vous reconnaissez-vous dans cette notion ?

Quand j’entends parler d’agriculture urbaine, je tique toujours un peu car, dans l’esprit des gens, cela renvoie d’abord à des productions maraîchères. Or, nous avons la chance ici d’avoir une agriculture périurbaine et rurale de grande production. On y fait des paniers, mais pas seulement, loin de là. On présente par ailleurs les filières de proximité comme une innovation. C’est juste un retour à des pratiques anciennes. Il y a cinquante ans, des agriculteurs du Plateau pratiquaient le maraîchage et approvisionnaient le personnel du CEA en fruits et légumes. La ferme de Viltain approvisionnait, elle, les hôpitaux des environs. Les fraises que consommaient les Parisiens venaient en partie du Plateau. On n’invente donc rien, on ne fait que revenir à des pratiques qui ont été abandonnées pour un système agricole qui montre aujourd’hui ses limites. Encore une fois, l’enjeu n’est pas d’abandonner l’agriculture productive, mais de revenir à un juste équilibre. Terre & Cité ne milite pas pour revenir à l’ère de la chandelle. Nous ne répugnons pas à encourager l’adoption de nouvelles techniques comme, par exemple, les sondes pour évaluer les besoins hydrologiques et la teneur en eau des sols de façon à optimiser l’arrosage. Je ne suis pas opposé non plus à l’usage d’intrants dès lors qu’ils ne polluent pas les sols. Si de nouvelles techniques permettent d’améliorer les pratiques, autant en profiter.

– Qu’en est-il justement de l’apport des chercheurs présents sur votre territoire ?

Force est de constater qu’ils participaient peu à nos travaux, jusqu’à la réalisation de notre second audit, qui a été propice à de nouvelles prises de contacts. Je crains cependant qu’ils ne se préoccupent pas assez de savoir dans quelle mesure leurs recherches peuvent profiter au territoire. Or, la recherche ne saurait être hors-sol. Elle doit apporter sa propre contribution au développement notamment dans l’amélioration des plantes.

Des espèces animales et végétales sont en train de disparaître, ici même, sur le Plateau. Comment la recherche pourrait-elle contribuer à les sauver sinon à renforcer la biodiversité sur notre territoire ? Prenez le crapaud accoucheur dont l’écosystème a été perturbé. Comment faire en sorte que notre développement puisse ne pas l’empêcher de continuer à croasser ? Je fonde beaucoup d’espoir dans la capacité des chercheurs à apporter une réponse. Encore faut-il qu’ils s’intéressent à leur environnement immédiat.

Et cette contribution de la recherche au développement du territoire passe aussi par une meilleure qualité architecturale des bâtiments dédiés. Force est, le plus souvent, de constater à cet égard le manque d’originalité et d’harmonie. Sans être grand clerc en matière d’architecture, je crois savoir que au plus on utilise des matériaux locaux, mieux cela passe au plan de l’intégration paysagère.

– Quid des recherches sur les OGM ?

C’est un sujet sensible comme vous le savez. Pour ma part, à titre personnel, je n’y suis pas hostile dès lors que ces recherches sont encadrées. Je ne vois pas pourquoi on se priverait a priori des avancées scientifiques. Comprenez-moi bien : je ne suis pas en train de dire que je suis favorable aux OGM dans notre alimentation. C’est tout le contraire ! Je dis juste que nous ne devons pas nous interdire de chercher. Je rappelle que le territoire a une longue tradition dans la génétique des plantes. Les célèbres grainetiers Vilmorin-Andrieux étaient implantés à Verrières. Grâce à leurs réseaux de correspondants, ils ont pu procéder à de nombreuses hybridations. Ils ont inventé plusieurs variétés de blés ou de betteraves, cultivées, depuis, à travers le monde. Par bien des aspects, la recherche sur les OGM sur le Plateau de Saclay et ses vallées ne ferait que perpétuer une tradition. Fût-ce pour mieux apprécier les risques qu’ils font courir. Mais si le territoire, fort de sa double tradition de culture scientifique et d’innovations agricoles, pouvait être un lieu de débat sur ces risques, pourquoi pas ? Nous avons un devoir de réussite.

– Pourquoi ?

Parce que c’est sur ce même territoire que se trouvent nombre des établissements qui forment les futures élites du pays (Ecole polytechnique, HEC…). Les élèves qui en sortent seront demain aux responsabilités. Si nous ne sommes pas en mesure de leur démontrer que, sur le territoire où ils ont été formés, il est possible de produire intelligemment, que peut-on espérer qu’ils nous proposent pour assurer l’avenir du pays ?

Pour aller plus loin sur…

… la seconde phase de concertation (présentation vidéo), cliquer ici.

… les forums ouverts organisés dans ce cadre, cliquer ici.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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