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Entrepreneuriat innovant

Quand un sage-femme accouche… d’une start-up

Le 4 juillet 2016

Suite de notre découverte de la Fibre Entrepreneur à travers les entrepreneurs innovants qu’elle accueille avec, cette fois, Julien Sorin [à gauche sur la photo], cofondateur et directeur commercial et marketing de SpinalCom : une start-up en passe de révolutionner l’internet des objets, et dont il aura « accouché » après avoir exercé plusieurs années comme… sage-femme.

Pour accéder aux autres entretiens de la série, cliquer ici.

– Si vous deviez pitcher SpinalCom…

SpinalCom, que j’ai cofondée avec Jérémie Bellec [président ; au centre, sur la photo] et Sébastien Coulon, [directeur général] est née en décembre 2014. Elle se propose de répondre au défi que représente l’essor fulgurant de l’internet des objets. Aujourd’hui, tous les spécialistes s’accordent pour le dire : l’avenir passera par ce dernier. Il inspire déjà des projets ambitieux que ce soit des smart cities, des véhicules autonomes,… En l’état actuel, les objets sont dotés d’un capteur leur permettant de recueillir toute sorte de données sur les usages et l’environnement. Données qu’il faut ensuite stocker et traiter de façon à être exploitées via une interface graphique de type web ou application mobile. Toute cette intelligence de stockage, d’analyse et d’interfaçage procède à partir du cloud. Il est cependant à craindre qu’on ne rencontre très vite des limites compte tenu de la masse de données appelées ainsi à transiter par son intermédiaire.
A bien des égards, le cloud s’apparente à un gigantesque cerveau en charge de gérer l’internet des objets, mais un cerveau externalisé. Une déconnexion survient et les objets que vous utilisez n’ont plus la moindre intelligence. Un risque dont on n’avait pas forcément conscience au commencement de l’essor du cloud.
Voyez pourtant ce que nous coûte déjà un simple problème de connexion Wifi. Imaginez ce qui adviendrait en cas de panne à l’échelle d’un bâtiment intelligent, par exemple. Le système de gestion des risques ne vous sera d’aucune utilité. Que dire de la voiture autonome ? Notre solution se propose donc de limiter la dépendance des objets connectés au réseau internet.

– En quoi consiste-t-elle ?

Nous avons développé une plate-forme logicielle intelligente et décentralisée de fog computing. Un concept qui vise à répartir les ressources de calcul, de gestion des données, de contrôle/commande et de stockage au plus près des équipements connectés, et notamment dans les passerelles placées en bordure de réseaux voire dans les objets eux-mêmes. Cette approche évite de concentrer ces mêmes ressources sur des serveurs au cœur des infrastructures Internet, comme c’est le cas avec la traditionnelle informatique en nuage (cloud computing).
Dans la pratique, notre plate-forme est constituée de deux entités logicielles. On y trouve d’un côté un « hub », qui joue le rôle de moelle épinière apte à récupérer des données et à les renvoyer vers les « organes », ici les objets, interfaces utilisateurs ou capteurs connectés. Ce « hub » est complété par des « connecteurs » qui s’apparentent aux terminaisons nerveuses du système et qui sont par nature spécifiques à l’organe auquel ils sont associés.
En bref, notre solution, appelée SpinalCore, revient grosso modo à déporter au plus près de l’objet connecté un cloud miniature avec des capacités d’analyse et une microbase de données.
En plus de prévenir les risques de déconnexion, notre solution offre aussi l’avantage de protéger contre le hacking. Quelqu’un qui voudrait stopper l’usage de voitures autonomes, par exemple, n’aurait qu’à hacker le cloud central. Avec notre solution, il faudrait hacker chaque véhicule !

– Pourquoi cette solution maintenant et pas plus tôt ? D’autres y ont-ils d’ailleurs pensé ? Avez-vous des concurrents ?

Oui, mais les start-up qui investissent ce marché sont encore peu nombreuses, tout au plus une dizaine à travers le monde. Les grands noms du numérique (ARM, Cisco, Dell, Intel, Microsoft…) sont naturellement mobilisés pour accélérer le déploiement des technologies du fog computing à travers la création de l’OpenFog Consortium. Ils ont saisi l’intérêt de travailler avec des start-up comme la nôtre qui, en plus d’être à la Fibre Entrepreneur, est accélérée chez HPE.
Tous ces acteurs sont intéressés par les perspectives offertes par la ville intelligente et mobilisés pour en relever les défis. De fait, cette ville intelligente suppose de pouvoir gérer des données extrêmement hétérogènes et produites par des opérateurs qui vont devoir apprendre à travailler ensemble, quand bien même seraient-ils concurrents. A chaque objet (voiture, éclairage, transport public, chauffage, etc.), il faudra développer un connecteur ou agent spécifique, ce qui requiert un temps de développement relativement long. Aujourd’hui, chaque donnée captée doit être déconstruite pour être adressée au middleware, puis reconstruite pour être adressable à la base de données, au système d’analyse, enfin à l’interface web ou mobile. Autant d’étapes propices au bug. Notre solution permet de répliquer la même donnée sans passer par des phases de déconstruction/reconstruction.

– Comment êtes-vous parvenus à cette solution ? En agrégeant quelles compétences ?

Notre solution est le fruit de cinq années de R&D, initiés par Jérémie Bellec. Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure, il a, dans le cadre de programmes de recherche avec Safran et EADS, conçu un middleware pour orchestrer une multitude de logiciels de calcul de transformation des structures d’avion soumises à des pressions mécaniques, et, ainsi, générer un avatar numérique 3D dudit avion. Jusqu’ici, il y a avait autant de logiciels et de capteurs à orchestrer que de pièces entrant dans sa composition. Ce programme de recherche l’a prédisposé à investir la problématique traitée par SpinalCom.

– Et vous-même, qu’est-ce qui vous a prédisposé à rejoindre l’aventure ?æ

Jérémie est mon meilleur ami. Pour ma part, je suis sage-femme de profession…

– Pardon ??!!!!

Oui, je sais, cela peut surprendre. Mais c’est ainsi. Déjà, en tant que sage-femme, j’en étais venu à imaginer une balance et un biberon connectés. Je voulais ainsi résoudre la problématique numéro un des jeunes parents, à savoir veiller à ce que leur bébé grossisse bien. J’avais réalisé un prototype que je m’étais amusé à tester auprès de mamans.

– Aviez-vous donc des compétences dans l’internet des objets ?

Non, autant le dire : je n’en suis absolument pas spécialiste, pas plus du codage d’ailleurs. J’avais juste cerné le besoin en sachant me tourner vers des amis pour qu’ils trouvent la solution. Seulement, la balance qui avait été mise au point rencontrait un problème : lorsque le bébé ne grossissait pas, elle ne parvenait pas à communiquer avec le biberon. C’est alors que je me suis souvenu que Jérémie s’employait justement à orchestrer des données de différentes provenances. Il a aussitôt pointé le problème. « Il suffisait que tu ouvres tes API », m’avait-il dit. Comme je ne comprenais pas de quoi il retournait, il m’a mis en contact avec son développeur qui a réglé le problème en à peine quelques heures.

– Vous retrouvez-vous dans cette notion d’ « indisciplinarité » mise en avant par Laurent Loty comme principe de recherche scientifique propice à de véritables découvertes ?

Je ne connais pas cette personne, mais sa notion me parle. Je ne pense pas qu’on puisse réussir vraiment si on est trop « discipliné ». Disons qu’il faut les deux : des personnes complètement indisciplinées, capables de toucher des frontières dont on ignorait jusqu’à l’existence, et d’autres, plus « disciplinées », aussi rigoureuses que possibles, au point pour certains d’entre elles de ne pas même supporter le moindre retard qui compromettrait leur plan de travail. C’est le cas de Jérémie !

– A défaut de savoir orchestrer des données, vous avez le don de « connecter » des personnes compétentes et même plus qualifiées que vous… Une compétence dont Yannick Vinay, de VitOnJob [interviewé également, dans le cadre de cette série ; pour accéder à l’entretien, cliquer ici] considère que c’est l’une des caractéristiques majeures de la gestion des ressources humaines au sein d’une start-up…

A défaut d’être un spécialiste, je m’étais cependant intéressé à la thématique de l’internet des objets dont on parlait de plus en plus. C’est moi d’ailleurs qui ai achevé de convaincre Jérémie de s’investir davantage dans ce domaine. Le problème que je lui ai soumis avec ma balance et mon biberon a provoqué un premier déclic. Nous avons ensuite rencontré le secrétaire général de Bouygues Construction, que je connaissais bien, pour participer à la conception d’un prototype de ceinture connectée à l’attention des ouvriers de chantiers : positionnée sur l’abdomen, elle permet d’évaluer les positions forcées avec émission d’une alerte en cas de détection d’anomalies et de remplir automatiquement du livret pénibilité de l’ouvrier.

– Vous êtes en somme un internet des humains…

Ou le middleware de SpinalCom (rire). Tel un médecin généraliste, je ne suis spécialiste de rien, mais ai des connaissances sur un peu tout. C’est à la fois déstabilisant – j’avais à l’évidence des lacunes, y compris au plan commercial et marketing, les domaines dont je m’occupe au sein de SpinalCom. D’un autre côté, cela stimule mon désir d’apprendre. Cela fait plus d’un an que je me consacre corps et âme à ce projet et commence donc à trouver mes repères. Le fait de devoir échanger avec des PDG de grandes sociétés du secteur du numérique comme John Chambers [PDG de Cisco], par exemple, ne m’impressionne pas plus que cela. Je parviens à tenir la discussion, quitte à faire croire à certains moments que je comprends ! Je me surprends à me découvrir des talents que j’ignorais. Ce qui est forcément motivant. Bref, j’ai l’impression de vivre un rêve éveillé.

– Comment avez-vous sauté le pas de la création d’entreprise…

Suite au premier contact avec Bouygues Construction, Jérémie m’a demandé de le mettre en contact avec les représentants d’autres sociétés que je connaissais, avec l’idée que nous allions les rencontrer ensemble. Sauf que moi, j’exerçais mon métier en libéral. Je n’avais tout simplement pas le temps. Il m’a alors proposé d’être son associé. Nous étions en décembre 2014. C’est ainsi que je me suis retrouvé embarqué dans cette aventure entrepreneuriale.

– Comment s’est imposé le nom de SpinalCom ?

En buvant quelques bières, avec Jérémie. C’est aussi simple que cela ! Plus sérieusement, nous sommes en quelque sorte la moelle épinière des objets intelligents. D’où « Spinal » qui signifie justement moelle en anglais.

– Vous rendez-vous compte que vous mettez à bas les modèles explicatifs de la création de start-up…

(Rire). Oui, mais c’est ainsi. Un PdG américain très connu, auquel j’ai eu l’occasion de raconter notre histoire était emballé. « C’est très Américain » m’a-t-il dit.

– Comment vous êtes-vous retrouvé ici, à la Fibre Entrepreneur, sur le campus d’une prestigieuse école ? Comment d’ailleurs expliquez-vous que La Fibre Entrepreneur ait accueilli votre projet, alors que vous n’êtes même pas issu d’une école d’ingénieurs ?

C’est le directeur innovation de Cisco Europe qui nous a incités à intégrer La Fibre Entrepreneur. Un rendez-vous a été fixé un jour, à 14 h, avec Mathieu Somekh [le responsable du pôle Entrepreneuriat et Innovation de l’École polytechnique]. Quelques heures plus tard, Jérémie signait la convention.

– Qu’est-ce que cela vous fait-il ?

Je n’en reviens toujours pas. Si on m’avait dit que je me retrouverais avec ce badge aux couleurs de Polytechnique [ pour accéder à La Fibre Entrepreneur], je ne l’aurais jamais cru. C’est aussi un rêve pour Jérémie, qui, malgré des études brillantes à ENS, n’avait pas passé les concours d’entrée à l’X. Lui et moi sommes fiers d’être là. Nous y avons été très bien accueillis. Polytechnique, c’est aussi un réseau d’Alumni, sans équivalent. Rencontrer quelqu’un comme Patrick Drahi, à l’occasion de l’inauguration, c’est quand même une sacrée opportunité pour des startuppers.
J’observe que le simple fait d’être incubé ici, à Polytechnique, change l’attitude de vos interlocuteurs : ils vous écoutent différemment. Quand, par chance, ils sont eux-mêmes issus de cette école, cela facilite encore plus les échanges.

– Et le lieu en lui-même, que vous inspire-t-il ?

Au-début, je trouvais qu’il manquait un peu de vie, d’interaction entre les startuppers. Rien de plus normal. Nous y étions encore peu nombreux. Depuis, les échanges s’intensifient. Un jour, en déjeunant, nous avons échangé avec l’équipe d’Auxivia [pour en savoir plus, voir l’entretien que nous avait accordé son cofondateur, en cliquant ici]. J’avais entendu dire qu’elle travaillait avec des maisons de retraite. Cela m’intéressait a priori. Elle a mis au point un verre intelligent mais sans être parvenu à concevoir le middleware pour la gestion des données. Son équipe a depuis trouvé la solution. L’inauguration en présence de Patrick Drahi a donné un coup de booster. L’affiche de verbatim sur les murs a aussi donné des couleurs à La Fibre Entrepreneur.

– Connaissiez-vous Paris-Saclay avant ?

Oui, pour avoir été incubé au sein d’IncubAlliance. Jérémie y était depuis cinq ans. Une fois que j’ai rejoint comme associé, j’ai cependant suggéré de changer de lieu. Je songeais alors au Numa, à Paris. Mais ce n’était pas forcément adapté à Jérémie, qui, en bon chercheur, a besoin d’un minimum de calme.

– Et la suite pour SpinalCom, comment la voyez-vous ?

La technologie étant mâture, il s’agit maintenant de faire des preuves de concept et d’usage. Notre stratégie a été définie avec le concours de Scott Leslie – un Américain, qui s’est fait une spécialité d’accompagner des start-up engagées dans de l’innovation disruptive. Nous nous inscrivons résolument dans la smart city et plus précisemment dans le smart building. Nous nous rapprochons à cette fin des consortiums constitués autour de cette thématique. Notre ambition est de devenir la référence mondiale du microsystème intelligent local. Il nous faut cependant encore mettre l’effort sur la communication et le marketing.

– Et au regard de votre modèle économique ?

Nous mettons à disposition notre plateforme gratuitement, dans un premier temps : les concepteurs d’objets connectés peuvent y télécharger notre middleware pour réaliser leur preuve de concept. Moyennant le paiement d’un abonnement, ils pourront passer dans un second temps à une utilisation sans limitation avec support et accès à divers services en ligne. Nous nous rémunérons également en copyright en cas d’exploitation dans une offre commerciale. J’anticipe votre question sur la levée de fonds : nous en avons déjà réussi une de 200 000 euros, lors de notre création, et envisageons d’en faire une autre, cette fois d’un montant compris entre deux et cinq millions d’euros. La start-up compte actuellement huit personnes et nous comptons passer à trente, à l’horizon 2017.

– Avez-vous définitivement renoncé à votre précédent métier ?

Non, bien sûr. Et pas seulement parce qu’une start-up est aussi une affaire d’accouchement ! Surtout, je ne conçois pas d’entreprendre quoi que ce soit qui n’ait une dimension humaine. Si j’avais une vocation, ce serait de m’investir dans la smart santé. Difficile cependant de le faire dans le cadre d’une start-up car les temps de latence sont trop longs. Je ne désespère pas d’y parvenir à travers les problématiques de la smart-city. En tout état de cause, sage-femme j’ai été, sage-femme je redeviendrai un jour ou l’autre. Peut être que ce retour aux sources se fera via SpinalCom, en utilisant mes compétences médicales pour créer des systèmes médicaux de surveillance connectés et intelligents, ou encore permettre d’améliorer le confort des jeunes mamans.

Sylvain Allemand
Sylvain Allemand

Journaliste

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